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Trois minutes plus tard, il leva le pied. Devant lui, un petit groupe d'enfants marchait lentement sur le côté gauche du chemin, une fillette pilotant non sans mal une poussette à laquelle deux enfants plus jeunes s'accrochaient. Entendant le bruit de la voiture, elle se retourna, et il vit un délicat visage maigrichon, dans un halo de cheveux d'or rouge. Il reconnut les enfants Blaney, rencontrés une fois auparavant sur la grève avec leur mère. Visiblement, l'aînée avait fait des courses : sous la poussette pliante une tablette était chargée de sacs en plastique. Instinctivement il ralentit. Ils n'étaient sans doute pas en danger ; le Siffleur opérait la nuit, non pas en plein jour, et aucune voiture ne l'avait dépassé depuis qu'il avait quitté la route côtière. Mais les enfants semblaient beaucoup trop chargés et ils n'auraient pas dû être si loin de chez eux. Il n'avait jamais vu leur cottage, mais sa tante lui avait dit qu'il se trouvait à quelque trois kilomètres et demi vers le sud. Il essaya de se rappeler ce qu'il savait d'eux : le père gagnait – fort mal – sa vie en peignant de mièvres aquarelles vendues dans les cafés et les boutiques pour touristes le long de la côte et la mère se mourait d'un cancer. Il se demanda si elle vivait encore. Sa première idée fut d'empiler les enfants dans la voiture et de les conduire chez eux, mais il pensa que ce n'était pas la bonne solution. Presque certainement on avait bien recommandé à l'aînée – n'était-ce pas Theresa ? – de ne pas accepter les offres d'étrangers, surtout des hommes, et il était pratiquement un étranger pour eux. Sans plus réfléchir, il fit demi-tour et repartit à vive allure vers Martyr's Cottage. Cette fois, la porte était ouverte et une fauchée de soleil jonchait le pavage rouge. Alice Mair, qui avait entendu la voiture, sortit de la cuisine en s'essuyant les mains.

Il lui dit : « Les enfants Blaney rentrent chez eux à pied. Theresa pousse la voiture du bébé tout en remorquant les jumelles. J'ai pensé que je pourrais leur proposer de les prendre si j'avais une femme avec moi. Quelqu'un qu'ils connaissent. »

Elle dit brièvement : « Ils me connaissent. »

Sans un mot de plus, elle rentra dans la cuisine puis revint, ferma la porte d'entrée derrière elle sans tourner la clef et monta dans la voiture. En embrayant, il effleura du bras le genou de sa passagère et sentit un mouvement de recul presque imperceptible, réaction émotive plus que physique, petit geste délicat de réserve un peu hautaine. Il ne lui parut pas que cette crispation, à demi imaginée, avait quoi que ce fût à voir avec lui personnellement et il ne trouva pas non plus le silence de sa passagère déconcertant. Leur conversation, quand ils parlèrent, fut fort brève. Il demanda : « Est-ce que Mrs Blaney vit encore ?

— Non, elle est morte il y a six semaines.

— Ils s'en tirent ?

— Plutôt mal, j'imagine. Mais Ryan Blaney n'accepte guère les ingérences. Il a toute ma sympathie. S'il abaisse ses défenses, il aura dans la minute suivante tous les services sociaux amateurs et professionnels du Norfolk sur le paletot. »

Quand ils s'arrêtèrent à la hauteur de la petite bande, ce fut Alice Mair qui ouvrit la portière et parla :

« Theresa, voilà Mr Dalgliesh qui va tous vous emmener. Il est le neveu de Miss Dalgliesh, à Larksoken Mill. Je vais prendre une des jumelles sur mes genoux. Le reste pourra tenir derrière avec la poussette. »

Theresa regarda Dalgliesh sans un sourire et remercia gravement. Elle lui rappelait les portraits d'Elizabeth Tudor jeune ; même chevelure d'or rouge encadrant un visage curieusement adulte à la fois secret et assuré, même nez pointu et même regard méfiant. Les visages des jumelles, répliques adoucies du sien, se tournèrent vers elle, l'air interrogateur, puis se fendirent de larges sourires. On aurait dit qu'elles avaient été habillées à la hâte et assez mal pour une longue marche sur un chemin exposé, même par un automne chaud. L'une portait une robe d'été dépenaillée en cotonnade rose à pois avec deux volants, l'autre un tablier sur une blouse à carreaux ; leurs jambes, d'une maigreur attendrissante, étaient nues. Theresa, elle, avait des jeans et un sweat-shirt sale avec un plan du métro de Londres imprimé sur le devant. Dalgliesh se demanda s'il avait été ramené d'une quelconque sortie de classe dans la capitale. Il était trop grand pour elle et les larges manches de coton flasque pendaient de ses bras criblés de taches de rousseur comme des chiffons jetés sur des baguettes. Contrairement à ses sœurs, Anthony, lui, était trop couvert – guêtres, chandail et douillette surmontés d'un bonnet de laine à pompon si bien tiré sur le front que le bébé avait juste la place de considérer l'agitation autour de lui avec la gravité d'un César rondouillard.

Dalgliesh sortit de la Jaguar et tenta de l'extraire de la poussette, dont l'anatomie commença par le mettre en déroute. Elle avait une barre qui coinçait obstinément les jambes raides du bébé et le ballot massif, sans réactions, était étonnamment lourd ; autant essayer de manipuler un emplâtre assez malodorant. Theresa lui sourit d'un air apitoyé, tira les sacs de plastique tassés sous le siège, puis libéra adroitement son frère et le cala sur sa hanche gauche tout en repliant la poussette de l'autre, d'un seul coup vigoureux. Dalgliesh reprit le bébé pendant qu'elle faisait monter les autres enfants dans la Jaguar en leur ordonnant avec une brusque férocité : « Tenez-vous tranquilles. » Anthony, conscient d'être à la merci d'un incompétent, empoigna d'une main poisseuse les cheveux de Dalgliesh, qui sentit le contact d'une joue douce comme le pétale tombant d'une fleur. Pendant toutes ces manœuvres, Alice Mair était restée assise dans la voiture, attentive mais sans faire un geste pour aider. Impossible de savoir ce qu'elle pensait.

Mais une fois la Jaguar en mouvement, elle se tourna vers Theresa et lui demanda d'une voix étonnamment douce : « Ton papa sait que vous êtes sortis seuls ?

— Il a conduit la fourgonnette chez Mr Sparks pour le contrôle technique. Mr Sparks ne croit pas qu'elle passera. Et puis je me suis aperçue qu'il n'y avait plus de lait pour Anthony. Il nous faut du lait. Et puis des couches jetables. »

Alice Mair dit : « J'ai un dîner jeudi soir. Si ton papa veut bien, tu pourrais peut-être venir m'aider pour la table, comme le mois dernier ?

— Qu'est-ce que vous allez faire comme menu, Miss Mair ?

— Approche-toi que je te dise ça tout bas. Mr Dalgliesh est invité et je veux que ce soit une surprise. »

La chevelure d'or pâle se pencha vers la grise et Miss Mair chuchota. Theresa sourit, puis hocha la tête, grave mais satisfaite de ce bref instant de conspiration féminine.

Ce fut Alice Mair qui le guida jusqu'au cottage. Au bout de quinze cents mètres environ, ils obliquèrent vers la mer et la Jaguar se mit à tanguer sur un étroit sentier entre des haies sauvages de mûriers et de sureaux. Il ne menait qu'à Scudder's Cottage, le nom grossièrement peint sur une planche clouée à la barrière. Au-delà de la petite maison, il s'élargissait pour former un cul-de-sac mal nivelé, adossé à un talus de galets derrière lequel on entendait battre la mer. Le petit bâtiment, pittoresque avec ses fenêtres étroites sous un toit de tuile très en pente, était précédé d'une friche fleurie qui avait été autrefois un jardin. Theresa leur fraya un chemin jusqu'au porche à travers des herbes qui arrivaient presque au genou, bordées par une orgie de rosiers non taillés, puis se haussa sur la pointe des pieds pour attraper une clef accrochée à un clou – moins pour des raisons de sécurité, se dit Dalgliesh qui portait toujours le bébé, que pour éviter qu'elle soit perdue. Ils entrèrent.

L'intérieur était beaucoup plus clair qu'il l'aurait cru, surtout à cause d'une porte ouverte dans le mur du fond sur une sorte de véranda donnant elle-même sur le cap. Il aperçut le désordre, la table de bois encore couverte des restes du déjeuner, assiettes tachées de sauce tomate, saucisse à moitié grignotée, grande bouteille d'orangeade sans bouchon, les vêtements des enfants jetés sur une chaise de nourrice devant la cheminée, l'odeur de lait et de corps, et de fumée de bois. Mais ce qui retint son attention, ce fut une grande peinture à l'huile calée sur une chaise, devant la porte : un portrait de femme, vue de trois quarts, exécuté avec une rare puissance. Il dominait si bien la pièce qu'Alice Mair et lui restèrent un moment à le regarder en silence. Le peintre avait évité la caricature, bien que de justesse, mais, selon Dalgliesh, le portrait avait visé moins la ressemblance physique que l'allégorie. Derrière la grande bouche charnue, le regard arrogant, la chevelure noire et frisée de préraphaélite flottant au vent, le cap était représenté dans ses moindres détails avec le soin méticuleux d'un primitif du XVIe siècle : le presbytère victorien, l'abbaye en ruine, la casemate à moitié démolie, les arbres estropiés, le petit moulin blanc comme un jouet d'enfant et la silhouette farouche de la centrale découpée sur un ciel en feu, tous étaient là. Mais c'était la femme, peinte plus librement, qui dominait le paysage, bras étendus, paumes en l'air dans une parodie de bénédiction. Dalgliesh jugea in petto le tableau techniquement brillant, mais trop poussé et peint dans la haine. Blaney avait voulu faire une étude du mal et l'intention était aussi claire que si elle avait été annoncée par une étiquette. L'œuvre était si différente de ce que produisait en général l'artiste que sans la grande signature hardie, Dalgliesh se serait demandé si elle était bien de lui. Il se rappelait les aquarelles pâlottes et insipides confectionnées pour les boutiques de l'endroit qui semblaient peintes d'après des cartes postales et l'étaient peut-être. Il se rappela aussi une ou deux petites huiles accrochées dans les restaurants et les cafés des alentours, au faire négligé et à la peinture chiche, mais si différentes des aquarelles fadasses qu'on avait peine à croire qu'elles fussent elles aussi de la même main. Et ce portrait était différent des unes comme des autres. Comment l'artiste capable de créer cette orgie disciplinée de couleurs, de faire montre d'une telle imagination et d'une technique aussi subtile, pouvait-il se satisfaire de fabriquer à la grosse des souvenirs de pacotille pour touristes ?

« Vous ne saviez pas que j'étais capable de faire ça, hein ? » Absorbés par le tableau, ils ne l'avaient pas entendu entrer presque silencieusement par la porte ouverte. Il vint les rejoindre et fixa le tableau aussi intensément que s'il le voyait pour la première fois. Ses enfants, comme s'ils obéissaient à un ordre inexprimé, se groupèrent autour de lui dans ce qui aurait pu être, s'ils avaient été plus grands, un geste conscient de solidarité familiale. Dalgliesh, qui avait vu Blaney six mois auparavant en train de patauger le long de la grève, son attirail de peintre en bandoulière, fut frappé par le changement intervenu. Grand, décharné, la chemise de laine à carreaux ouverte presque jusqu'à la taille, ses longs pieds poussiéreux semblables à des ossements brunis dans des sandales, il avait un visage qui était une étude de férocité dans un camaïeu de rouges : rouge des cheveux hérissés, rouge des yeux injectés de sang, rouge de la peau brûlée par le soleil et le vent, rouge des cernes de fatigue sous les yeux. Dalgliesh vit Theresa glisser sa main dans celle de son père, tandis que l'une des jumelles lui serrait une jambe des deux bras, et il se dit que malgré l'aspect farouche qu'il présentait au monde extérieur, ses enfants n'avaient pas peur de lui.

Alice Mair dit tranquillement : « Bonjour, Ryan », mais sans paraître attendre une réponse, car, montrant le tableau d'un signe de tête, elle poursuivit : « Remarquable, certainement. Qu'avez-vous l'intention d'en faire ? Je ne peux pas supposer qu'elle a posé pour ce portrait, ni qu'il a été commandé.

— Elle n'avait pas besoin de poser. Je connais ce visage-là. Il sera à l'Exposition des Arts contemporains à Norwich, le 3 octobre, si je peux y aller. La fourgonnette est fichue. »

Alice Mair lui dit : « Je vais à Londres la semaine prochaine. Je pourrais le prendre et le déposer si vous me donnez l'adresse.

— Si vous voulez. » La réponse était peu aimable, mais Dalgliesh crut y déceler un certain soulagement. Puis il ajouta : « Je le laisserai emballé et étiqueté à gauche de la porte dans le cabanon où je peins. La lumière est juste au-dessus. Vous pourrez le prendre quand ça vous arrangera. Inutile de frapper. » Ces derniers mots avaient la force d'un ordre, presque d'un avertissement.

Miss Mair dit : « Je vous téléphonerai quand je saurai la date de mon départ. Mais il me semble que vous ne connaissez pas Mr Dalgliesh. Il a vu les enfants sur la route et il a voulu les ramener. »

Blaney ne remercia pas, mais après un instant d'hésitation, il tendit la main à Dalgliesh, qui la serra, puis il dit, d'un ton rogue : « J'aimais bien votre tante. Elle a téléphoné pour proposer d'aider quand ma femme était malade, et quand je lui ai dit que ni elle ni personne d'autre n'y pouvait rien, elle n'a pas insisté. Il y a des gens qui ne peuvent pas laisser les mourants tranquilles. Comme le Siffleur, ce qui les excite, c'est de voir mourir.

— Non, dit Dalgliesh. Elle ne s'est jamais imposée. Elle me manquera. Pour votre femme, je suis désolé. »

Blaney ne répondit pas, mais regarda attentivement Dalgliesh comme s'il voulait évaluer la sincérité de cette déclaration si simple, puis dit sèchement : « Merci d'avoir aidé les enfants », et prit son fils sur l'épaule de Dalgliesh. Le congé était clair.

Pas un mot ne fut échangé avant que la voiture eût parcouru le sentier pour déboucher sur la grand-route, comme si le cottage avait jeté un sort qu'il était important de rompre avant de parler. Puis Dalgliesh demanda : « Qui était la femme du portrait ?

— Je ne m'étais pas doutée que vous ne saviez pas. Hilary Robarts, directeur administratif par intérim à la centrale. Vous allez la rencontrer jeudi soir, d'ailleurs. Elle a acheté Scudder's Cottage quand elle est arrivée ici, il y a trois ans, et elle essaie d'en expulser les Blaney depuis un certain temps. L'opinion est assez montée dans le pays au sujet de cette affaire-là.

— Pourquoi veut-elle entrer en possession des lieux ? Elle a l'intention d'y habiter ?

— Je ne crois pas. À mon avis, elle a acheté ça comme placement et elle veut revendre. Même un cottage isolé – surtout un cottage isolé – a une certaine valeur sur cette côte. Et elle n'est pas sans arguments. Blaney avait dit qu'il ne resterait pas longtemps. Je crois qu'elle lui en veut d'avoir utilisé la maladie de sa femme, sa mort, et maintenant les enfants comme excuses pour revenir sur l'engagement qu'il avait pris de partir quand elle voudrait récupérer le cottage. »

Dalgliesh constata avec intérêt qu'Alice Mair était très au courant des affaires locales. Il l'avait considérée comme une personne essentiellement réservée, très peu occupée de ses voisins ou de leurs problèmes. Et lui ? Quand il se demandait s'il vendrait le moulin ou le garderait comme résidence secondaire, il y voyait un refuge assez loin de Londres pour lui assurer le moyen d'échapper pour un temps aux exigences de ses tâches et aux servitudes du succès. Mais dans quelle mesure même un visiteur occasionnel comme lui pourrait-il s'isoler de la communauté, de ses tragédies intimes et de ses dîners privés ? Éviter l'hospitalité de ses voisins serait assez simple, à condition d'y mettre la dose voulue de cruauté, et il n'en avait jamais manqué pour sauvegarder sa vie privée. Mais les exigences moins tangibles des rapports de voisinage ne pourraient peut-être pas être rejetées d'un haussement d'épaules. C'était à Londres que l'on pouvait vivre dans l'anonymat, créer sa propre ambiance, fabriquer délibérément le personnage que l'on avait décidé de présenter au monde. À la campagne, on vivait en qualité d'être social et selon l'appréciation des autres. C'est ainsi qu'il avait passé son enfance et son adolescence dans le même presbytère rural, participant tous les dimanches à une liturgie familiale qui reflétait, interprétait et sanctifiait les saisons successives de l'année agricole. C'était un monde qu'il avait quitté sans grand regret et il ne s'était pas attendu à le retrouver à Larksoken. Pourtant, certaines de ses obligations étaient là, profondément enracinées même dans ce sol aride. Personne n'avait vécu aussi retiré que sa tante, mais même elle était allée voir les Blaney et avait essayé de les aider. Il songea à cet homme qui vivait son deuil enfermé dans un cottage encombré derrière la grande digue de galets, écoutant nuit après nuit le gémissement ininterrompu de la mer en remâchant les torts réels ou supposés qui avaient dû inspirer ce portrait plein de haine. Cela ne pouvait guère être sain ni pour lui ni pour ses enfants. Ni pour Hilary Robarts, d'ailleurs, si l'on voulait aller par là. Il demanda : « Il reçoit de l'aide des autorités pour ses enfants ?

— Autant qu'il est disposé à en tolérer. La municipalité a pris des dispositions pour que les jumelles aillent dans une sorte de garderie. On vient les chercher presque tous les jours. Et, bien entendu, Theresa va à l'école. Elle prend le car au bout du petit chemin. Avec Ryan, ils arrivent à s'occuper du bébé. Meg Dennison – elle tient la maison du Révérend Copley et de sa femme au Vieux Presbytère – trouve que nous devrions faire davantage pour eux, mais on ne voit pas bien quoi. En tant qu'ancienne institutrice, on pourrait penser qu'elle a eu assez d'enfants dans sa vie, et moi je ne prétends pas du tout les comprendre. » Dalgliesh, se rappelant ses confidences chuchotées à Theresa dans la voiture, le visage attentif de celle-ci et le bref sourire qui l'avait transformée, se dit qu'elle comprenait au moins une enfant beaucoup mieux qu'elle ne l'admettrait sans doute.

Mais ses pensées revinrent au portrait. Il dit : « Ce doit être pénible, surtout dans une petite communauté, d'être l'objet de tant de malveillance. »

Elle comprit aussitôt ce qu'il voulait dire. « De la haine plutôt que de la malveillance, vous ne pensez pas ? Pénible et assez effrayant. Non pas que Hilary Robarts s'effraie facilement, mais elle est devenue une vraie obsession pour Blaney, surtout depuis la mort de sa femme. Il a décidé que Hilary l'avait pratiquement harcelée à mort. Je suppose que c'est compréhensible. Les humains ont besoin de trouver quelqu'un à qui imputer leurs malheurs et leurs fautes. Hilary Robarts est un bouc émissaire commode. »

L'histoire était déplaisante et, venant après le choc du portrait, elle provoqua chez Dalgliesh un mélange de dépression et d'appréhension qu'il essaya de dissiper en le traitant d'irrationnel. Il fut content de laisser tomber le sujet et le silence régna jusqu'à la porte de Martyr's Cottage. Là, à son grand étonnement, elle lui tendit la main, avec de nouveau ce sourire extraordinairement séduisant. « Je suis heureuse que vous vous soyez arrêté pour les enfants. Je vous verrai donc jeudi soir. Vous pourrez vous former une opinion sur Hilary Robarts et comparer le portrait avec la femme. »