30

Il était plus de midi quand les interrogatoires furent achevés à la centrale et Rickards, toujours accompagné d'Oliphant, prêt à partir pour Martyr's Cottage. Ils laissèrent Gary Price se débrouiller avec les questionnaires et convinrent de passer le prendre après l'entrevue avec Alice Mair qui, selon Rickards, serait plus fructueuse avec deux policiers plutôt qu'un. Elle les reçut sur le seuil, sans signe apparent d'anxiété ni de curiosité, jeta un coup d'œil rapide à leur carte d'identité et les invita à entrer. Rickards se dit qu'ils auraient aussi bien pu être des techniciens arrivant plus tard que prévu pour réparer le téléviseur. Et il vit qu'ils allaient devoir procéder à l'interrogatoire dans la cuisine. Il commença par trouver que c'était un drôle de choix, mais en regardant autour de lui, il se dit qu'on pouvait à peine donner ce nom à cette combinaison de bureau, salle de séjour et cuisine. Ses dimensions l'étonnèrent et il se demanda, tout à fait hors de propos, si elle avait abattu une cloison pour créer un espace de travail aussi généreux. Il se demanda aussi ce que Susie en penserait et conclut qu'elle ne s'y sentirait pas à l'aise ; elle aimait que sa maison soit clairement définie par fonctions : la cuisine pour travailler, la salle à manger pour manger, le séjour pour regarder la télévision, la chambre à coucher pour dormir et, une fois par semaine, faire l'amour. Ils s'assirent, Oliphant et lui, dans des fauteuils d'osier avec coussins et dossier haut de chaque côté de la cheminée. Le sien était extrêmement confortable et contenait en douceur sa longue carcasse. Miss Mair s'assit à son bureau et fit pivoter son siège pour le regarder en face.

« Bien entendu, mon frère m'a appris le meurtre dès qu'il est rentré hier soir. Pour ce qui est de la mort de Hilary Robarts, je ne peux pas vous aider. Je suis restée chez moi hier toute la journée et je n'ai rien vu, ni rien entendu. Mais je peux vous parler de son portrait. Voudriez-vous du café ? »

Rickards aurait bien voulu, il avait soif tout à coup, mais il refusa pour tous les deux. L'invitation avait été de pure forme et il avait surpris le rapide coup d'œil qu'elle avait lancé à la pile de pages imprimées et flanquées d'un manuscrit dactylographié sur le bureau. Il semblait avoir interrompu une correction d'épreuves. Tant pis. Si elle avait du travail, lui aussi. Et il se sentit irrité par tant de sang-froid, tout en se disant que c'était déraisonnable. Il ne s'était pas attendu à la trouver en pleine crise de désespoir ou sous sédation : la victime n'avait aucun lien de parenté avec elle. Mais elle avait travaillé avec Alex Mair et elle avait été reçue à Martyr's Cottage, où selon Dalgliesh elle avait dîné quatre jours auparavant seulement. Il était déconcertant de voir qu'Alice Mair pouvait corriger tranquillement des épreuves, ce qui demandait à coup sûr une très grande attention. Le meurtre de Robarts avait exigé beaucoup de sang-froid. Certes, il ne la soupçonnait pas sérieusement, ne considérant pas qu'il s'agît d'un crime de femme. Mais enfin, il laissa le soupçon entrer dans son esprit comme une barbelure et s'y loger. Une femme remarquable. L'entrevue serait peut-être plus fructueuse que prévu.

Il demanda : « Vous tenez le ménage de votre frère, Miss Mair ?

— Non, je tiens le mien. Il se trouve que mon frère habite ici quand il est dans le Norfolk, c'est-à-dire la plus grande partie de la semaine, bien entendu. Il ne pourrait guère diriger la centrale de Larksoken depuis son appartement de Londres. Si je suis chez moi et si je prépare un dîner, il le partage en général avec moi. J'estime qu'il serait assez sot de l'obliger à se faire une omelette, simplement pour démontrer le partage des responsabilités domestiques. Mais je ne vois pas le rapport qu'il peut y avoir entre la tenue de mon intérieur et le meurtre de Hilary Robarts. Ne pourrions-nous en venir à ce qui s'est passé hier soir ? »

À cet instant, on frappa à la porte et sans un mot d'excuse Alice Mair se leva, traversa le hall et l'on entendit une voix de femme plus légère. Puis au bout de quelques instants, elle revint avec une personne qu'elle présenta comme Mrs Dennison du Vieux Presbytère. Jolie, l'air très douce, habillée d'une façon conventionnelle d'un tailleur en tweed avec un twin-set, elle était visiblement bouleversée. Rickards approuva en bloc l'apparence et le bouleversement. Voilà comment, selon lui, une femme devait se comporter après un meurtre aussi féroce. Les deux hommes s'étant levés à son entrée, elle prit le fauteuil d'Oliphant tandis qu'il approchait pour lui une chaise de la table de cuisine.

Elle se tourna impulsivement vers Rickards : « Je suis désolée, je vous interromps, mais il fallait que je sorte de la maison. C'est épouvantable, inspecteur. Êtes-vous absolument certain que ça ne peut pas avoir été le Siffleur ? »

Rickards dit : « Pas cette fois, madame. »

Alice Mair dit : « Les heures ne collent pas. Je vous l'ai dit quand je vous ai appelée de bonne heure ce matin, Meg. Autrement, la police ne serait pas ici. Ça ne peut pas avoir été le Siffleur.

— Je sais que c'est ce que vous m'avez dit, mais je ne pouvais pas m'empêcher d'espérer qu'il y avait eu une erreur, qu'il l'avait tuée d'abord et qu'il s'était tué ensuite, que Hilary Robarts était sa dernière victime, »

Rickards dit : « En un certain sens, c'est vrai, Mrs Dennison. »

Alice Mair dit calmement : « Ce sont des meurtres en série. Il n'y a pas qu'un psychopathe par le monde et, apparemment, ce genre de folie peut être contagieux.

— Bien sûr, c'est horrible ! Une fois qu'il a commencé, est-ce qu'il va continuer comme le Siffleur, mort après mort, personne en sécurité ? »

Rickards dit : « Ne vous tourmentez donc pas Mrs Dennison. »

Elle se tourna vers, lui presque en colère : « Mais si, je me tourmente ! Nous devons tous nous tourmenter. Nous avons vécu si longtemps avec l'horreur du Siffleur. C'est effondrant de penser que tout recommence. »

Alice Mair se leva : « Vous avez besoin de café, Meg. L'inspecteur Rickards et le brigadier Oliphant ont refusé, mais nous, nous en avons besoin. »

Rickards était bien décidé à ne pas la laisser s'en tirer aussi facilement et il dit avec fermeté : « Si vous en faites, Miss Mair, je crois que je vais changer d'avis. Je prendrais très volontiers un peu de café. Et vous aussi sûrement, brigadier. »

Et maintenant, se dit-il, on va encore perdre du temps pendant qu'elle moud les grains et, avec le bruit, personne ne pourra se faire entendre. Pourquoi est-ce qu'elle ne peut pas verser de l'eau bouillante sur de la poudre comme tout le monde ?

Mais le café, quand il vint enfin, était excellent et il le trouva étonnamment réconfortant. Mrs Dennison entoura sa tasse des deux mains comme un enfant à l'heure du coucher. Puis elle la posa dans l'âtre et se tourna vers Rickards.

« Dites-moi, vous préféreriez peut-être que je m'en aille ? Je vais juste boire mon café et retourner au Presbytère. Si vous voulez me parler, j'y serai le reste de la journée. »

Miss Mair dit : « Vous pouvez aussi bien rester pour savoir ce qui s'est passé hier soir. Il y a des choses qui ne manquent pas d'intérêt. » Elle se tourna vers Rickards : « Comme je vous l'ai dit, je suis restée ici depuis cinq heures et demie. Mon frère est parti pour la centrale peu après sept heures trente et je me suis attelée à la correction des épreuves. J'avais branché le répondeur automatique pour ne pas être dérangée. »

Rickards demanda : « Et vous n'avez pas quitté le cottage, pour quelque raison que ce soit, pendant toute la soirée ?

— Pas avant neuf heures et demie, quand je suis allée chez les Blaney. Mais il vaudrait peux-être mieux que je rapporte les faits dans l'ordre, inspecteur. Vers huit heures et quart, j'ai débranché le répondeur, pensant que mon frère pourrait appeler pour dire qu'il serait en retard. C'est alors que j'ai entendu le message de George Jago disant que le Siffleur était mort.

— Vous n'avez appelé personne pour prévenir ?

— Je savais que ce n'était pas nécessaire. Jago a son service d'information personnel. Il ferait en sorte que tout le monde soit au courant. Je suis revenue dans la cuisine et j'ai travaillé sur mes épreuves jusqu'à neuf heures et demie environ. À ce moment-là, je me suis dit que j'allais aller prendre le portrait de Hilary Robarts chez Blaney. J'avais promis de le déposer dans une galerie à Norwich en allant à Londres et je voulais partir de bonne heure le lendemain matin. Je suis une maniaque de l'exactitude et je ne voulais pas m'écarter de mon chemin, si peu que ce soit. J'ai appelé Scudder's Cottage pour lui dire que je venais prendre le portrait, mais la ligne était occupée. J'ai essayé plusieurs fois, après quoi j'ai sorti la voiture et j'y suis allée. J'avais écrit un mot pour glisser sous la porte, lui disant que j'avais pris le tableau comme convenu.

— Est-ce que ça n'était pas un peu étrange, Miss Mair ? Pourquoi ne pas frapper à la porte et le lui demander, à lui personnellement ?

— Parce qu'il s'était donné la peine, quand j'ai vu la toile pour la première fois, de me dire l'endroit exact où elle était et l'endroit à gauche de la porte où je trouverais l'interrupteur. J'avais pris ça pour l'indication raisonnablement claire qu'il ne voulait pas être dérangé par une visite au cottage. Mr Dalgliesh était d'ailleurs avec moi.

— Mais enfin, c'est bizarre. Il devait penser que c'était un bon portrait, sinon il n'aurait pas voulu l'exposer. On aurait pu penser qu'il souhaiterait vous le remettre personnellement.

— Vraiment ? Je ne vois pas la chose ainsi. C'est un homme extrêmement réservé et plus encore depuis la mort de sa femme. Il ne tient pas du tout à avoir des visiteurs, surtout des femmes qui pourraient jeter un œil critique sur la propreté de la maison, ou l'état des enfants. Je comprends ça très bien. J'en aurais fait autant.

— Donc, vous êtes allée droit à l'atelier. Où est-il ?

— À une trentaine de mètres à gauche du cottage. C'est une petite cabane de bois, en réalité. À l'origine une buanderie ou un fumoir, j'imagine. J'ai allumé une lampe pour éclairer le chemin et la porte, mais ce n'était guère nécessaire. La lune était exceptionnellement brillante. La porte n'était pas fermée à clef. Et si vous vous apprêtez maintenant à dire que ça aussi c'est étrange, c'est que vous ne connaissez pas la vie sur le cap. Nous sommes loin de tout ici et nous avons l'habitude de ne pas fermer les portes à clef. Je ne pense pas que cela lui serait venu à l'idée de le faire pour son petit atelier. J'ai allumé la lumière avec l'interrupteur à gauche de la porte et constaté que le tableau n'était pas là où je m'y attendais.

— Pourriez-vous décrire exactement ce qui s'est passé ? Les détails, s'il vous plaît, dans la mesure où vous vous en souvenez.

— Nous parlons d'événements qui se sont passés il y a moins de douze heures, inspecteur. Ce n'est pas difficile de se les rappeler. J'ai laissé la lumière allumée dans la cabane et j'ai frappé à la porte principale du cottage. Il y avait de la lumière, mais seulement en bas et les rideaux étaient tirés. J'ai dû attendre une minute environ avant qu'il vienne. Il a ouvert la porte à moitié, mais sans m'inviter à entrer. Je lui ai dit : “ Bonsoir, Ryan. ” Il a fait un signe de tête, sans répondre. Il y avait une forte odeur de whisky. Alors je lui ai dit : “ Je suis venue prendre le portrait, mais il n'est pas dans l'atelier, ou s'il y est je ne l'ai pas trouvé. ” Alors il m'a dit, la langue un peu pâteuse : “ Il est à gauche de la porte, enveloppé dans du carton et du papier brun. Un paquet de papier brun. Scotché. ” Je lui ai dit : “ Pas maintenant. ” Il n'a pas répondu, mais il est sorti avec moi en laissant la porte ouverte. Nous sommes allés à l'atelier tous les deux.

— Il avait une démarche assurée ?

— Très loin de là, mais enfin, il tenait debout. Quand j'ai dit qu'il sentait l'alcool et qu'il avait la langue pâteuse, ça ne signifiait pas qu'il était complètement ivre. Mais j'ai eu l'impression qu'il avait passé la soirée à boire. Il s'est immobilisé sur le seuil de la cabane et il est resté trente secondes peut-être sans rien dire. Et puis, il a simplement murmuré : “ Oui, il est parti. ”

— Sur quel ton a-t-il dit ça ? » Et comme elle ne répondait pas, il demanda patiemment : « Était-il sous le choc ? Furieux ? Surpris ? Ou trop ivre pour éprouver quoi que ce soit ?

— J'ai bien entendu votre question, inspecteur. Ne vaudrait-il pas mieux lui demander à lui ce qu'il ressentait ? Je suis en mesure de décrire exactement son aspect, ce qu'il a dit et ce qu'il a fait, c'est tout.

— Qu'est-ce qu'il a fait ?

— Il s'est retourné et il a frappé de ses poings le linteau de la porte. Ensuite, il est resté la tête appuyée contre le bois pendant une minute. Sur le moment, le geste avait l'air théâtral, outré. Mais j'imagine qu'il était parfaitement sincère.

— Et alors ?

— Je lui ai dit : “ Est-ce qu'il ne faudrait pas prévenir la police ? Nous pouvons le faire d'ici, si votre téléphone fonctionne. J'ai essayé de vous joindre, mais la ligne était toujours occupée. ” Il n'a pas répondu et je l'ai suivi jusqu'au cottage. Il ne m'a pas invitée à entrer, mais je suis restée sur le pas de la porte. Il est allé sous l'escalier et il m'a dit : “ Le combiné n'est pas bien remis en place, c'est pour ça que vous n'avez pas pu me joindre. ” J'ai répété : “ Pourquoi ne pas prévenir la police maintenant ? Plus le vol est signalé rapidement et mieux ça vaut. ” Il s'est tourné vers moi et m'a simplement dit : “ Demain. Demain. ” Et puis il s'est rassis dans son fauteuil. J'ai insisté. J'ai dit : “ Voulez-vous que j'appelle, Ryan, ou est-ce que vous le faites ? C'est important. ” Il a dit : “ Je le ferai. Demain. Bonsoir. ” C'était indiquer assez clairement, je pense, qu'il voulait être seul. Je suis donc partie.

— Et pendant votre visite vous n'avez vu que Mr Blaney ? Les enfants par exemple étaient couchés ?

— J'ai supposé qu'ils étaient au lit. Je ne les ai ni vus ni entendus.

— Et vous n'avez pas parlé de la mort du Siffleur ?

— J'ai supposé que George Jago avait téléphoné à Mr Blaney, probablement avant de m'appeler. Et puis qu'est-ce qu'il y avait à dire ? Ni Ryan ni moi n'étions d'humeur à bavarder sur le pas d'une porte. »

Pourtant Rickards se dit qu'il y avait là une curieuse réticence, de part et d'autre. Avaient-ils été si pressés elle de s'en aller et lui de la voir partir ? Ou alors un événement plus traumatisant qu'un tableau perdu avait-il fait oublier même le Siffleur ?

Il y avait une question que Rickards était obligé de poser et elle était bien trop intelligente pour ne pas en saisir la portée qui était évidente.

« Miss Mair, d'après ce que vous avez vu de Mr Blaney ce soir-là, croyez-vous qu'il aurait pu conduire ?

— Impossible, et d'ailleurs il n'avait pas de voiture. Il a bien une petite fourgonnette, mais elle venait d'être déclarée impropre à la circulation sur route.

— Ou une bicyclette ?

— Je suppose qu'il aurait pu essayer, mais il serait allé au fossé au bout de quelques minutes. »

Rickards était déjà plongé dans ses calculs. Il n'aurait pas les résultats de l'autopsie avant l'après-midi, mais si Hilary Robarts était allée se baigner, comme elle en avait l'habitude, aussitôt après les titres du bulletin d'informations qui, le dimanche, était à neuf heures dix, elle avait dû mourir vers neuf heures et demie. Or, à neuf heures quarante-cinq ou un peu plus tard, selon Alice Mair, Blaney était dans son cottage et ivre. Impossible d'imaginer qu'il ait pu commettre un meurtre singulièrement habile, exigeant une main sûre, du sang-froid, ainsi que la faculté de dresser des plans, et n'avoir été de retour chez lui qu'à neuf heures quarante-cinq. Si Alice Mair disait la vérité, elle avait fourni un alibi à Blaney – mais lui, par contre, serait certainement incapable d'en faire autant pour elle.

Rickards avait presque oublié Meg Dennison, mais il dirigea alors son regard vers elle, assise comme une enfant perdue, les mains sur les genoux, le café auquel elle n'avait pas goûté toujours dans l'âtre.

« Mrs Dennison, saviez-vous hier soir que le Siffleur était mort ?

— Oh, oui, Mr Jago m'avait appelée vers dix heures moins le quart. »

Alice Mair dit : « Il avait sans doute essayé avant, mais vous étiez partie pour la gare de Norwich avec les Copley. »

Meg Dennison s'adressa directement à Rickards « J'aurais dû, mais la voiture n'a pas démarré. J'ai été obligée d'appeler Sparks et son taxi en catastrophe. Heureusement, il avait juste le temps de nous conduire, mais pas de me ramener, parce qu'il était obligé d'aller prendre des clients à Ipswich. Alors, il a mis les Copley dans le train à ma place.

— Avez-vous quitté le presbytère à un moment quelconque dans la soirée ? »

Elle leva la tête et le regarda droit dans les yeux « Non, après leur départ, je ne suis pas sortie. » Un silence : « Si, excusez-moi, je suis allée un instant dans le jardin. Il serait plus juste de dire que je n'ai pas quitté la propriété. Et maintenant, si vous voulez bien m'excuser, vous tous, j'aimerais rentrer chez moi. »

Elle se tourna vers Rickards. « Si vous voulez m'interroger, inspecteur, je serai au presbytère. »

Avant que les deux hommes aient eu le temps de se lever, elle était sortie de la pièce, presque chancelante. Miss Mair ne fit pas mine de la suivre et quelques secondes plus tard, on entendit la porte se refermer.

Il y eut un moment de silence, rompu par Oliphant : « Curieux. Elle n'a même pas touché son café. »

Mais Rickards avait une dernière question à poser : « Il devait être près de minuit quand le Dr Mair est rentré hier soir. Avez-vous téléphoné à la centrale pour savoir s'il était parti, ou pourquoi il était retardé ? »

Elle dit froidement : « L'idée ne m'est même pas venue, inspecteur. Alex n'étant ni mon enfant ni mon mari, l'obligation de vérifier ses mouvements m'est épargnée. Je ne suis pas chargée de garder mon frère. »

Oliphant, qui l'avait fixée de ses yeux sombres, méfiants, dit alors : « Mais il vit avec vous, n'est-ce pas ? Vous vous parlez, n'est-ce pas ? Vous deviez être au courant de sa liaison avec Hilary Robarts, par exemple ? Vous l'approuviez ? »

Alice Mair ne changea pas de couleur, mais sa voix était coupante comme l'acier : « Approuver ou désapprouver eût été aussi impertinent que l'était la question. Si vous souhaitez discuter de la vie privée de mon frère, je vous suggère de le faire avec lui. »

Rickards dit, la voix volontairement terne : « Miss Mair, une femme a été sauvagement assassinée et son corps, mutilé. Vous la connaissiez. À la lumière de ce forfait, j'espère que vous n'éprouverez pas le besoin d'être exagérément susceptible quand certaines questions vous paraîtront parfois présomptueuses aussi bien qu'impertinentes. »

La colère l'avait rendu presque éloquent. Leurs regards se rencontrèrent et se fixèrent. Il savait que le sien était durci par la fureur à la fois devant le manque de tact d'Oliphant et devant la réaction qu'il avait provoquée. Mais les yeux gris qui affrontaient les siens étaient plus difficiles à déchiffrer. Il crut y déceler de la surprise, suivie par de la circonspection, un respect involontaire, un intérêt presque détaché.

Et quand, un quart d'heure plus tard, elle accompagna ses visiteurs jusqu'à la porte, il fut un peu étonné qu'elle lui tendît la main. Tandis qu'il la serrait, elle lui dit : « Excusez-moi, inspecteur, si j'ai été peu aimable. Vous faites un travail désagréable mais nécessaire et vous avez droit à la coopération. En ce qui me concerne, vous l'aurez. »