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Quatre jours plus tard, le commandant Adam Dalgliesh de New Scotland Yard dicta une dernière note à sa secrétaire, déblaya ses papiers en attente dans son casier, ferma le tiroir de son bureau à clef, composa la combinaison de son coffre-fort et se prépara à partir pour deux semaines de vacances sur la côte du Norfolk. Il attendait ce répit depuis longtemps et il en éprouvait le besoin. Mais il avait aussi là-bas des affaires qui réclamaient son attention. Sa dernière parente – une tante – était morte deux mois auparavant, lui laissant une fortune et un moulin aménagé à Larksoken sur la côte nord-est du Norfolk. La première, d'une importance inattendue, avait entraîné l'apparition de problèmes encore à résoudre ; le second, moins contraignant, n'était pas complètement exempt de complications non plus. Dalgliesh sentait qu'il avait besoin de vivre seul là-bas pendant une semaine ou deux avant de prendre sa décision : garder le moulin pour y passer à l'occasion quelques vacances, le vendre, ou le céder pour un prix symbolique au Norfolk Windmill Trust, toujours à l'affût de vieux moulins à remettre en état de marche. Et puis, il y avait les papiers de famille, les livres de sa tante, en particulier une importante bibliothèque d'ornithologie à laquelle il fallait trouver une destination, après l'avoir examinée et triée. Autant de tâches agréables. Même très jeune, il avait toujours détesté les vacances sans but. Il ne savait trop d'où lui venait ce curieux masochisme resurgi avec une force accrue durant sa maturité. Mais il était heureux d'avoir quelque chose à faire dans le Norfolk – surtout parce qu'il savait que ce voyage ressemblait un peu à une fuite. Après quatre années de silence, son dernier recueil de poèmes, Une affaire à résoudre et autres poèmes, avait été accueilli avec enthousiasme par la critique, ce qui était aussi étonnant que gratifiant, et mieux encore par le public, ce que – moins étonnant – il trouvait plus difficile à accepter. Après ses affaires criminelles les plus notoires, le bureau de presse de la police métropolitaine s'était employé à le protéger d'une publicité outrancière et les priorités assez différentes de son éditeur lui semblaient exiger une certaine accoutumance : en fait, il était carrément ravi d'un prétexte pour y échapper au moins pendant deux semaines.

Il avait déjà dit au revoir à l'inspecteur Kate Miskin, partie mener une enquête sur le terrain ; l'inspecteur principal Massingham avait été envoyé suivre des cours au collège de la police à Bramshill – une étape de plus vers sa promotion à l'échelon supérieur – et Kate l'avait provisoirement remplacé comme adjoint de Dalgliesh à la Section Spéciale. Il entra dans le bureau de celle-ci pour laisser une note avec son adresse de vacances. Comme toujours, on y sentait un ordre impressionnant, une efficacité dépouillée, et pourtant l'élément féminin était là : un seul tableau abstrait peint par elle, une étude de bruns tourbillonnants relevés par un seul trait de vert acide que Dalgliesh appréciait de plus en plus chaque fois qu'il l'étudiait. Sur le bureau presque complètement dégagé, un petit vase de freesias dont le parfum, d'abord fugitif, monta soudain vers lui, renforçant l'impression que ce bureau vide était plus plein de la présence physique de Kate que quand elle y était assise en train de travailler. Il posa sa note bien exactement au milieu du buvard propre et sourit en refermant la porte avec une précaution inutile. Il ne lui restait plus qu'à passer la tête chez son chef pour un dernier mot, après quoi il se dirigea vers l'ascenseur.

La porte se refermait déjà quand il entendit une galopade, un appel jovial, et Manny Cummings bondit dans la cabine en évitant de justesse les mâchoires d'acier qui se refermaient. Comme toujours, il avait l'air de tourbillonner dans un maelström d'énergies presque trop puissantes pour être contenues entre les quatre parois de l'ascenseur. Il brandissait une grande enveloppe brune : « Heureusement que je t'ai attrapé, Adam. C'est bien dans le Norfolk que tu t'évades ? Si la PJ du coin met la main sur le Siffleur, jette-lui un coup d'œil, hein, pour vérifier que ce n'est pas notre gus de Battersea.

— L'étrangleur de Battersea ? Tu crois que c'est vraisemblable, si on tient compte des dates et de la façon d'opérer ?

— Pas vraisemblable du tout, mais comme tu le sais, Tonton n'est content que si on a exploré toutes les avenues et retourné toutes les pierres. J'ai indiqué quelques détails et mis le portrait-robot, au cas où, simplement. Comme tu le sais, on a eu quelques témoignages. Et j'ai prévenu Rickards que tu serais sur ses terres. Tu te rappelles Terry Rickards ?

— Oui.

— Inspecteur principal maintenant, paraît-il. Il a bien réussi là-bas. Mieux que s'il était resté avec nous. Et on me dit qu'il est marié. Ça l'aura peut-être un peu adouci. Du genre pas commode. »

Dalgliesh dit : « Je serai chez lui, mais heureusement pas dans son équipe. Et s'ils mettent la main sur le Siffleur, pourquoi est-ce que je te priverais d'une journée à la campagne ?

— Je déteste la campagne et je déteste particulièrement la campagne plate. Pense à l'argent du contribuable que tu vas épargner. J'irai s'il vaut le déplacement. Merci, Adam, c'est gentil de ta part. Bonnes vacances. »

Il n'y avait que Cummings pour être doté d'un toupet pareil. Mais enfin la demande n'était pas déraisonnable, adressée comme c'était le cas à un collègue qui n'avait que quelques mois d'ancienneté de plus et prônait toujours la coopération ainsi que l'usage du bon sens dans l'utilisation des ressources. Peu probable, d'ailleurs, que ses vacances soient interrompues par la nécessité de jeter ne fût-ce qu'un coup d'œil au Siffleur, mort ou vivant. Il était à l'œuvre depuis quinze mois et sa dernière victime – Valerie Mitchell ? – était la quatrième. Ces affaires étaient invariablement difficiles, longues et décevantes, dépendant souvent plus de la chance que de l'efficacité des enquêteurs. Tout en descendant dans le parking souterrain, il jeta un coup d'œil à sa montre. Dans trois quarts d'heure il serait sur la route. Mais auparavant, il avait encore quelques affaires à régler chez son éditeur.