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Jonathan avait décidé d'attendre le samedi pour aller poursuivre ses investigations à Londres. Sa mère serait moins portée à le questionner sur une visite au musée des Sciences pendant le week-end que sur une journée de congé qui provoquait toujours méfiance et curiosité. Mais il jugea prudent de passer effectivement une demi-heure au musée avant de se lancer en direction de Pont Street et trois heures avaient sonné quand il arriva devant l'immeuble qui l'intéressait. Une constatation frappait aussitôt : aucune personne habitant dans cet immeuble et employant une gouvernante ne pouvait être pauvre. Il faisait partie d'un imposant ensemble victorien, moitié brique moitié pierre, avec des colonnes de chaque côté d'une porte noire étincelante et des ornements de verre rappelant des cols de bouteille verts dans les deux fenêtres du rez-de-chaussée. Par la porte ouverte, il apercevait un hall carré dallé de marbre blanc et noir, le départ d'une rampe d'escalier en fer forgé et la porte d'un ascenseur dans une cage dorée. À droite, un portier en uniforme se tenait derrière un bureau. Soucieux de ne pas paraître rôder, il s'éloigna rapidement pour réfléchir à la démarche suivante.

En un certain sens, il n'y en avait besoin d'aucune, sinon trouver la station de métro la plus proche, retourner à Liverpool Street et prendre le premier train pour Norwich. Il avait rempli son objectif, il savait que Caroline lui avait menti. Il se dit qu'il aurait dû se sentir indigné et désolé à la fois par le mensonge et par la duplicité dont il avait fait preuve pour le découvrir. Il avait cru l'aimer. Il l'avait aimée. Depuis un an, rarement une heure s'était écoulée sans qu'il pensât à elle. Cette beauté blonde, froide et lointaine l'avait fasciné. Il avait attendu comme un écolier dans les coins des corridors où elle pouvait passer, il avait attendu l'heure du lit avec impatience parce qu'il pouvait y rester couché sans être dérangé et s'abandonner à ses fantasmes érotiques secrets. Sûrement ni l'acte physique de la possession, ni la découverte de la tromperie ne pouvaient détruire l'amour. Alors, pourquoi la confirmation de cette mauvaise action lui était-elle presque agréable ? Il aurait dû être ravagé, or il était empli d'une satisfaction bien proche du triomphe. Elle avait menti, presque négligemment, sûre qu'il était trop amoureux, trop asservi, trop stupide pour mettre en doute l'histoire qu'elle avait racontée. Mais désormais, avec la découverte de la vérité, l'équilibre de la puissance s'était subtilement modifié dans leurs rapports. Il ne savait pas encore au juste quel usage il allait faire du renseignement ; il avait trouvé l'énergie et le courage pour agir, mais aurait-il le courage de la mettre en face de la découverte qu'il venait de faire ? C'était une autre affaire.

Il se rendit rapidement jusqu'à l'extrémité de Pont Street, les yeux fixés sur les pavés, puis il revint sur ses pas en essayant de mettre de l'ordre dans ses émotions houleuses, si emmêlées qu'elles semblaient se bousculer pour occuper la première place : soulagement, regret, dégoût, triomphe. Et tout avait été si facile : tous les obstacles redoutés, depuis le contact avec une agence de renseignements privée jusqu'au prétexte indispensable pour passer une journée à Londres, avaient été surmontés avec plus de facilité qu'il ne l'eût jamais cru possible. Alors pourquoi ne pas risquer un pas de plus. Pourquoi ne pas faire en sorte que la conclusion soit inattaquable ? Il connaissait le nom de la gouvernante, Miss Beasley. Il pourrait demander à la voir, lui dire qu'il avait rencontré Caroline un an ou deux plus tôt, à Paris peut-être, avait perdu son adresse et souhaitait renouer les relations. S'il s'en tenait à une histoire simple et résistait à la tentation de broder, pas de danger possible. Il savait que Caroline avait passé l'été de 1986 en France, l'année où lui aussi s'y était trouvé. C'était l'un des détails qui étaient ressortis de conversations lors de leurs premiers rendez-vous, bavardages inoffensifs sur les voyages et la peinture, tentatives pour trouver un terrain commun, un intérêt partagé. Enfin il était au moins allé à Paris, il avait vu le Louvre, il pouvait dire qu'ils s'étaient rencontrés là.

Il avait besoin d'un faux nom, bien sûr. Le prénom de son père ferait l'affaire, Percival, Charles Percival. Mieux valait prendre quelque chose d'un peu rare, l'imposture serait moins évidente. Il dirait qu'il habitait Nottingham, il connaissait la ville où il était allé à l'université ; pouvoir décrire ces rues familières rendait la fabrication crédible. Il avait besoin d'enraciner ses mensonges dans un semblant de vérité. Il dirait qu'il y travaillait dans un hôpital ou un laboratoire. S'il y avait d'autres questions, il pourrait les parer. Mais pourquoi y en aurait-il ?

Il entra dans le hall avec assurance. Seulement la veille, il aurait eu du mal à regarder le portier dans les yeux, mais désormais, convaincu du succès, il dit : « Je viens voir Miss Beasley ; appartement 3. Voulez-vous dire que je suis un ami de Miss Caroline Amphlett ? »

L'homme quitta un instant la réception pour entrer dans son bureau et téléphoner. Jonathan songea qu'il aurait bien pu monter tout droit et sonner, mais il se rendit compte que le portier appellerait aussitôt Miss Beasley pour lui recommander de ne pas ouvrir. Il y avait bien quelques mesures de sécurité, mais pas particulièrement sévères.

L'autre revint au bout d'une demi-minute. « C'est bien, monsieur. Vous pouvez monter. C'est au premier. »

Il ne prit pas l'ascenseur. La double porte en acajou avec le numéro en cuivre verni, les deux serrures de sécurité et le judas au milieu, se trouvait sur le devant de la maison. Il se lissa les cheveux, puis sonna et s'obligea à regarder le judas, l'air plus ou moins à l'aise. Pas un bruit dans l'appartement et, tandis qu'il attendait, la porte semblait se métamorphoser en une impressionnante barricade que seul un prétentieux imbécile essaierait de forcer. Pendant une seconde, il dut lutter contre l'envie de fuir. Mais alors il y eut un faible cliquetis de chaîne, la clef tourna dans la serrure et la porte s'ouvrit.

Depuis qu'il avait décidé de venir voir cet appartement, il s'était trop préoccupé de fabriquer son histoire pour penser beaucoup à Miss Beasley. Le terme de gouvernante évoquait pour lui une femme d'âge moyen, sobrement vêtue, au pire un peu condescendante et intimidante, au mieux déférente, bavarde et empressée. La réalité était si bizarre qu'il sursauta, puis rougit de s'être ainsi trahi. Elle était petite, très mince, avec des cheveux roux aux racines blanches, visiblement teints, qui tombaient tout raides en casque jusqu'à ses épaules. Ses yeux vert pâle, immenses, étaient à fleur de tête, les paupières inférieures retournées et injectées de sang, si bien que les globes semblaient nager dans une blessure ouverte. Sa peau très blanche était gaufrée d'innombrables petites rides ; sauf sur les pommettes saillantes où elle était tendue comme du parchemin. Contrastant avec cette fragilité sans fard, la bouche était une mince balafre rouge écarlate. Elle avait des escarpins à talons hauts, un kimono, et portait un petit chien presque sans poils aux yeux exorbités, son cou mince entouré d'un collier pavé de verroterie. Pendant quelques secondes elle resta là, immobile, le chien pressé contre sa joue.

Jonathan, qui sentait s'évanouir rapidement l'assurance économisée avec tant de soin, dit : « Excusez-moi de vous déranger. Je suis un ami de Miss Caroline Amphlett et je cherche à la retrouver.

— Eh bien, vous ne la trouverez pas ici. » La voix, qu'il reconnut, était inattendue chez une femme si frêle, grave, un peu enrouée et pas désagréable.

Il dit : « Je serais bien désolé si je m'étais trompé d'Amphlett. Vous comprenez, Caroline m'a donné son adresse il y a deux ans, mais je l'ai perdue, alors j'ai pris l'annuaire du téléphone.

— Je n'ai pas dit que vous vous étiez trompé d'Amphlett, seulement que vous ne la trouverez pas ici. Mais vous avez l'air assez inoffensif et il est évident que vous n'êtes pas armé. Alors, entrez. On ne peut pas être trop prudent en ces temps de violence. Mais Baggott est très sûr. Il n'y a pas beaucoup d'imposteurs qui lui échappent. Êtes-vous un imposteur, Mr… ?

— Percival. Charles Percival.

— Vous voudrez bien excuser mon déshabillé, Mr Percival, mais normalement je n'attends pas de visiteurs l'après-midi. »

Il traversa à sa suite un vestibule carré et franchit une porte à deux battants pour entrer dans ce qui était visiblement le salon. D'un geste impérieux elle lui désigna un divan placé devant la cheminée, inconfortablement bas et aussi moelleux qu'un lit. Lentement, comme si elle s'appliquait à prendre son temps, elle se plaça en face de lui dans un élégant fauteuil à haut dossier, installa le chien sur ses genoux et le dévisagea avec l'intensité sérieuse d'un inquisiteur. Il se rendait compte qu'il devait avoir l'air aussi gauche et mal à l'aise qu'il l'était dans la réalité, les cuisses enfoncées dans la mollesse du coussin, ses genoux pointus presque sur le menton. Le chien, aussi nu que s'il avait été écorché, agité d'un tremblement perpétuel comme s'il mourait de froid, tournait alternativement ses yeux exophtalmiques vers le visiteur et vers elle : le collier de cuir avec ses gros cabochons rouges et bleus semblait bien lourd pour son cou maigre.

Jonathan résista à la tentation de regarder autour de lui, et pourtant chaque élément du décor pénétra dans sa conscience : la cheminée de marbre surmontée du portrait en pied d'un officier victorien, visage pâle et arrogant, avec une boucle blonde tombant presque jusqu'à la joue, qui ressemblait à Caroline d'une façon hallucinante, les quatre fauteuils aux sièges brodés rangés contre le mur, le parquet ciré aux tapis ridés, la table en forme de tambour au centre de la pièce, et les consoles chargées de photographies dans leurs cadres d'argent. Une forte odeur de peinture et de térébenthine donnait à penser que quelque part dans l'appartement on refaisait une pièce.

Son examen terminé, la femme parla. « Alors, vous êtes un ami de Caroline ? Vous m'étonnez ; Mr…, Mr… J'ai déjà oublié votre nom. »

Il dit fermement : « Percival. Charles Percival.

— Moi je suis Miss Oriole Beasley. Je suis la gouvernante ici. Comme je vous l'ai dit, vous m'étonnez, Mr Percival. Mais si vous me dites que vous êtes un ami de Caroline, bien entendu, je vous crois sur parole.

— Je n'aurais peut-être pas dû dire un ami. Je ne l'ai rencontrée qu'une fois à Paris en 1986. Nous avons visité le Louvre ensemble, mais j'aimerais la revoir. Elle m'avait bien donné son adresse, mais je l'ai perdue.

— Quelle négligence ! Alors vous attendez deux ans, et puis tout à coup vous décidez de la chercher. Pourquoi maintenant, Mr Percival ? Vous êtes parvenu, semble-t-il, à maîtriser votre impatience pendant deux ans. »

Il savait bien qu'il devait lui paraître gêné, timide et mal à l'aise. Mais c'était sûrement ce qu'elle attendait d'un homme assez naïf pour croire qu'il pourrait ranimer une passion morte et si éphémère. Il dit : « C'est simplement que je suis à Londres pour quelques jours. Je travaille à l'hôpital de Nottingham. Je n'ai pas souvent l'occasion de descendre dans le Sud. Alors, comme ça, sans réfléchir, j'ai eu envie d'essayer de retrouver Caroline.

— Comme vous le voyez, elle n'est pas ici. Elle n'a plus habité ici en fait depuis l'âge de dix-sept ans et comme je ne suis que la gouvernante, ce n'est pas à moi de donner des renseignements sur le domicile des membres de la famille à des questionneurs occasionnels. Est-ce que vous vous décririez comme un questionneur occasionnel, Mr Percival ? »

Jonathan dit : « C'est peut-être l'effet que je produis. En réalité, c'est simplement que j'ai trouvé le nom dans l'annuaire du téléphone et j'ai pensé que cela vaudrait la peine d'essayer. Bien sûr, elle ne souhaiterait peut-être pas me revoir.

— Plus que probable, j'imagine. Et bien sûr, vous avez des papiers, quelque chose qui confirme que vous êtes Mr Charles Percival de Nottingham ? »

Jonathan dit : « Non, pas vraiment. Je crains bien…

— Pas même une carte de crédit ou un permis de conduire ? Vous semblez vous être singulièrement mal préparé à votre visite, Mr Percival. »

Quelque chose dans la voix grave, arrogante, le mélange d'insolence et de mépris le touchèrent au vif. Il dit : « Je ne suis pas l'employé du gaz. Je ne vois pas pourquoi j'aurais besoin d'établir mon identité. Je voulais juste me renseigner. J'espérais la voir, elle ou Mrs Amphlett. Si je vous ai froissée, je vous prie de m'en excuser.

— Vous ne m'avez pas froissée. Si je me froissais facilement, je ne travaillerais pas pour Mrs Amphlett. Mais malheureusement vous ne pourrez pas la voir. Mrs Amphlett se rend en Italie vers la fin de septembre puis de là, par avion, en Espagne pour l'hiver. Je suis étonnée que Caroline ne vous l'ait pas dit. En son absence, je garde l'appartement. Mrs Amphlett n'aime ni la mélancolie de l'automne ni le froid de l'hiver. Une femme riche n'est pas obligée de les subir. Je suis sûre que vous en êtes convaincu, Mr Percival. »

Enfin l'ouverture qu'il attendait. Il se força à regarder ces terribles yeux rouges et dit : « Je croyais que Caroline m'avait dit que sa mère était pauvre, qu'elle avait perdu tout l'argent investi dans la fabrique de plastique de Peter Robarts ? »

L'effet de ces mots fut extraordinaire. Elle devint écarlate, la tache marbrée remontant comme une éruption du cou au front. Il parut à Jonathan qu'un long moment s'écoulait avant qu'elle pût parler, mais quand elle le fit, sa voix était parfaitement maîtrisée.

— Ou vous avez fait exprès de ne pas comprendre, Mr Percival, ou votre mémoire n'est pas plus sûre pour les renseignements financiers que pour les adresses. Caroline n'a rien pu vous dire de semblable. Sa mère a hérité une fortune de son grand-père et elle n'en a jamais perdu un sou. C'est mon petit capital – dix mille livres, si ça peut vous intéresser – qui a été bien malencontreusement investi dans les entreprises de ce coquin si beau parleur. Mais Caroline n'aurait pas confié cette petite tragédie personnelle à un étranger. »

Il ne put rien trouver à dire, aucune explication plausible à donner, pas d'excuse. Caroline avait menti et il se sentit, l'espace d'un instant, englouti dans un accès de dépression écrasant, la conviction que la preuve de la perfidie de Caroline avait été payée terriblement cher. Mais cela ne dura pas.

Il y eut un silence pendant lequel elle continua à le dévisager, mais sans parler. Puis soudain : « Que pensiez-vous de Caroline ? Elle a évidemment fait une forte impression sur vous, sinon vous ne souhaiteriez pas renouer avec elle. Et sans aucun doute vous avez beaucoup pensé à elle pendant deux ans.

— Je pense – je pensais qu'elle était très jolie.

— Oui, n'est-ce pas ? Je suis heureuse que vous pensiez cela. J'étais sa nurse, sa nanny s'il faut employer cette expression ridicule. On pourrait dire que je l'ai élevée. Ça vous étonne ? Je ne ressemble pas au portrait type de la nanny, genoux bien chauds, poitrine empesée, bras enveloppeurs, prières le soir, mange ton pain ou tes cheveux ne friseront pas. Mais j'avais ma méthode – Mrs Amphlett accompagnait le général dans ses garnisons au-delà des mers et nous restions là toutes les deux. Mrs Amphlett estimait qu'un enfant doit jouir d'une grande stabilité à condition qu'on ne compte pas sur elle pour l'assurer. Bien entendu, si Caroline avait été un garçon, ça aurait tout changé. Les Amphlett n'ont jamais apprécié les filles. Caroline a bien eu un frère, mais il a été tué, à l'âge de quinze ans, dans la voiture d'un ami ; elle était aussi avec eux, mais elle s'en est tirée sans une égratignure. Je crois que ses parents ne le lui ont jamais pardonné. Ils ne l'ont jamais regardée sans faire comprendre clairement que c'était elle qui aurait dû être tuée. »

Jonathan se dit qu'il ne voulait pas écouter ça. Il coupa : « Elle ne m'a jamais dit qu'elle avait eu un frère, mais elle m'a parlé de vous.

— Vraiment ? Elle vous a parlé de moi. Alors là, vous m'étonnez vraiment, Mr Percival. Pardonnez-moi, mais vous êtes bien la dernière personne à qui j'aurais pensé qu'elle ferait ce genre de confidence. »

Il se dit qu'elle savait ; elle ne savait pas la vérité, mais elle savait qu'il n'était pas Charles Percival de Nottingham. Et il lui sembla, en rencontrant ces yeux extraordinaires où le mélange de la méfiance et du dédain se lisait si clairement, qu'elle était l'alliée de Caroline dans une conspiration féminine dont il avait été dès le début la victime impuissante et méprisée. L'idée jeta de l'huile sur sa colère et lui donna de la force, mais il ne dit rien.

Au bout d'un moment, elle reprit : « Mrs Amphlett m'a gardée après le départ de Caroline et même après la disparition du général. Mais disparaître n'est pas un euphémisme approprié pour un militaire. Je devrais peut-être dire appelé à un service plus élevé, rappelé sous le drapeau, promu à la gloire. Mais est-ce que ça n'est pas l'Armée du Salut plutôt ? J'ai l'impression qu'il n'y a que l'Armée du Salut qui est promue à la gloire. »

Il dit : « Caroline m'avait bien dit que son père était militaire de carrière.

— Elle n'a jamais été très portée aux épanchements mais vous semblez avoir gagné sa confiance, Mr Percival. Alors maintenant je me qualifie volontiers de gouvernante plutôt que de nanny. Mon employeuse trouve beaucoup de choses à me faire faire, même quand elle n'est pas ici. Ça ne serait pas bien du tout que nous nous amusions à Londres, Maxie et moi, en vivant sur l'argent de l'entretien, n'est-ce pas, Maxie ? Oh, non. Un peu de couture. Le courrier à réexpédier. Les factures à payer. L'appartement à rénover. Mrs Amphlett déteste l'odeur de peinture. Et puis, bien sûr, Maxie à sortir tous les jours. Les chenils ne lui réussissent jamais, hein, mon trésor ? Je me demande ce que je deviendrai quand Maxie sera promu à la gloire. »

Que pouvait-il dire ? Rien, et apparemment elle n'attendait rien. Après un moment de silence pendant lequel elle prit la patte du chien pour la frotter doucement contre sa joue, elle dit : « Les anciens amis de Caroline ont l'air bien pressés de reprendre contact avec elle tout d'un coup. Quelqu'un l'a demandée au téléphone pas plus tard que mardi ou mercredi. Mais c'était peut-être vous, Mr Percival ?

— Non, dit-il, stupéfait de l'aisance avec laquelle il mentait. Non, je n'ai pas téléphoné. J'avais jugé préférable de tenter ma chance tout simplement et de venir la voir.

— Mais vous saviez où aller. Vous connaissiez mon nom. Vous l'avez donné à Baggott. »

Il n'allait pas se laisser prendre aussi facilement. Il dit : « Je m'en souvenais. Comme je vous l'ai dit, Caroline m'a parlé de vous.

— Il aurait été prudent de téléphoner d'abord. J'aurais pu vous expliquer qu'elle n'était pas là et ça vous aurait fait gagner du temps. Comme c'est bizarre que vous n'y ayez pas pensé ! Mais cet autre ami avait une voix très différente. Écossais, je pense. Excusez-moi, Mr Percival, mais votre voix n'a ni caractère ni personnalité. »

Jonathan dit : « Si vous n'estimez pas que vous pouvez me donner l'adresse de Caroline, je ferais mieux de m'en aller. Désolé de vous avoir dérangée.

— Pourquoi ne pas lui écrire une lettre, Mr Percival ? Je vous donnerai du papier. Je pense que ça ne serait pas bien de vous communiquer son adresse, mais vous pouvez être sûr que je lui posterai toutes les communications que vous voudrez bien me confier.

— Elle n'est donc pas à Londres.

— Non, voilà plus de trois ans qu'elle n'habite plus Londres et dix-sept ans qu'elle a quitté cet appartement. Mais je sais où elle est. Nous gardons le contact. »

Il se dit que le piège était un peu gros ; aucun écrit ne devait subsister de sa main, Caroline reconnaîtrait l'écriture, même s'il la déguisait. Il dit : « J'écrirai plus tard, quand j'aurai eu le temps de réfléchir à ce que je veux lui dire. Si j'envoie ma lettre à cette adresse, vous pourrez la faire suivre ?

— Avec plaisir, Mr Percival. Et maintenant, je pense que vous voulez poursuivre votre chemin. Votre visite a peut-être été moins fructueuse que vous ne l'espériez, mais je pense que vous avez appris ce que vous étiez venu apprendre. »

Elle ne fit pas un geste et pendant un instant il se sentit piégé, immobilisé comme si ces coussins désagréablement mous le tenaient serré dans un étau. Il s'attendait presque à la voir bondir pour lui barrer le chemin, dénoncer l'imposture et l'enfermer dans l'appartement pendant qu'elle téléphonait à la police ou au portier. Que faire en pareil cas ? Essayer d'arracher les clefs de force et fuir, attendre la police et se payer d'audace pour qu'elle le libère ? Mais la panique ne dura pas. La femme se leva, se dirigea vers la porte et, sans dire un mot, la lui ouvrit. Elle ne la referma pas et il sentit qu'elle restait là, le chien tremblant dans ses bras, tous deux le regardant partir. Arrivé en haut des marches, il se retourna pour faire un petit signe d'adieu – et ce qu'il vit l'immobilisa une seconde avant de le projeter presque courant dans l'escalier, puis le hall jusqu'à la porte ouverte. Jamais de sa vie il n'avait surpris autant de haine concentrée dans un visage humain.