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Le bureau de Mr Copley, derrière la maison, donnait sur la pelouse hirsute et les trois rangées de buissons tordus par le vent que le vieux ménage appelait le bosquet. C'était la seule pièce où Meg n'aurait pas songé à entrer sans avoir frappé ; il était admis que c'était le domaine privé de l'ecclésiastique, comme s'il avait encore la charge d'une paroisse avec des sermons à préparer et des ouailles à recevoir quand elles souhaitaient lui demander conseil. C'était là que chaque jour, il récitait matines et vêpres, avec sa femme et Meg pour toute assemblée, leurs voix féminines psalmodiant les répons et les versets alternés. Le jour de son arrivée, il lui avait dit doucement, mais sans embarras : « Je récite l'office matin et soir dans mon bureau, mais ne vous croyez pas obligée d'y assister, si vous ne le souhaitez pas. »

Elle avait préféré participer, d'abord par politesse, mais ensuite parce que ce rite quotidien, les belles cadences à demi oubliées dont la séduction l'attirait vers la foi, donnaient forme à la journée. Et le bureau lui-même, parmi toutes les pièces de cette maison laide mais confortable, semblait représenter une inviolable sécurité, un grand rocher dans une contrée épuisée contre lequel tous les souvenirs obsédants de l'école, les irritations mesquines du quotidien, voire l'horreur du Siffleur et la menace de la centrale viendraient se briser. Elle doutait qu'il eût beaucoup changé depuis que le premier curé victorien en avait pris possession. Un mur était recouvert d'ouvrages de théologie que, selon elle, Mr Copley devait rarement consulter désormais. Le vieux bureau d'acajou était en général vide et Meg soupçonnait le vieil homme de passer le plus clair de son temps dans le fauteuil qui regardait le jardin ; les trois autres murs étaient voués aux représentations figurées ; le canot à huit de ses années d'université, visages jeunes, graves et moustachus sous des casquettes ridiculement petites, ordinands de son collège théologique, aquarelles insipides dans des cadres dorés, souvenirs du « grand tour » de quelque ancêtre victorien, eaux-fortes de la cathédrale de Norwich, de la nef de Winchester, du grand octogone d'Ely. D'un côté de la cheminée lourdement sculptée, un crucifix qui semblait à Meg très ancien et probablement précieux, mais elle n'avait jamais posé de question. Le corps du Christ était jeune, tendu dans le dernier spasme de l'agonie ; la bouche ouverte semblait lancer un cri de triomphe ou de défi au Dieu qui l'avait abandonné. Rien d'autre dans le bureau n'était fort ni inquiétant ; meubles, objets, tableaux, tout respirait l'ordre, la certitude, l'espoir. Tandis qu'elle frappait et attendait l'aimable « Entrez ! » de Mr Copley, elle eut l'idée qu'elle cherchait le réconfort autant auprès de la pièce elle-même que de son occupant.

Il était assis dans le fauteuil, un livre sur les genoux, et fit mine de se lever avec une raideur maladroite quand elle entra. Elle dit : « Je vous en prie, ne vous dérangez pas. J'aurais souhaité vous parler en privé quelques minutes. »

Elle vit aussitôt la lueur d'anxiété dans les yeux bleu fané et se dit : Il a peur que je vienne donner mes huit jours. Elle ajouta très vite, mais fermement : « En tant que prêtre. Je souhaite vous consulter en tant que prêtre. »

Il posa le livre et elle vit que c'était celui qu'ils avaient choisi, sa femme et lui, le vendredi précédent à la bibliothèque de prêt, le dernier H.R.F. Keating. Le couple aimait beaucoup les romans policiers et elle était toujours un peu irritée de voir que par consentement mutuel, c'était invariablement lui qui lisait le livre le premier. Ce petit rappel inopportun d'égoïsme domestique prit sur le moment une importance disproportionnée et elle se demanda pourquoi elle avait cru qu'il pourrait l'aider. Pourtant, avait-elle le droit de le critiquer pour les priorités que Dorothy Copley avait établies elle-même et doucement maintenues depuis plus de cinquante-trois ans ? Elle se dit qu'elle consultait le prêtre et non pas l'homme. Après tout, elle ne demanderait pas à un plombier comment il traitait sa femme et ses enfants avant de le lâcher sur une fuite d'eau.

Il lui désigna un deuxième fauteuil, qu'elle tira en face de lui. Il marqua la page de son signet en cuir avec une soigneuse lenteur et posa le roman aussi respectueusement que s'il se fût agi d'un livre de dévotion, en joignant les mains dessus. Elle eut l'impression qu'il s'était concentré et légèrement penché en avant, la tête inclinée sur le côté, comme s'il était dans le confessionnal. Elle n'avait rien à lui avouer, juste une question à lui poser qui, dans sa simplicité nue, semblait aller au cœur même de la foi chrétienne qu'elle professait, orthodoxe mais non pas aveugle. Elle dit : « Si nous nous trouvons devant un dilemme, comment savoir ce qui est bien ? »

Elle crut déceler une détente sur le vieux visage comme s'il était reconnaissant que la question fût moins difficile qu'il l'avait craint. Mais il prit son temps avant de répondre :

« Notre conscience nous le dira si nous voulons bien l'écouter.

— La petite voix qui est comme la voix de Dieu ?

— Non pas comme, Meg. La conscience est la voix de Dieu, du Saint Esprit qui est en nous. Dans la collecte du dimanche de Pentecôte, nous prions pour avoir un jugement droit en toutes choses. »

Elle reprit avec une douce persistance : « Mais comment pouvons-nous être sûrs que ce n'est pas notre propre voix que nous entendons, nos désirs subconscients ? Le message que nous écoutons avec tant d'attention doit passer par notre propre expérience, notre personnalité, notre hérédité, nos besoins profonds. Pouvons-nous jamais nous libérer des desseins et des désirs de notre propre cœur ? Notre conscience ne nous dit-elle pas ce que nous souhaitons entendre ?

— Je ne l'ai jamais constaté. Elle m'a généralement dirigé là où je ne souhaitais pas aller, à l'opposé de mes désirs.

— Ou de ce que vous pensiez être vos désirs à l'époque. »

Mais c'était le presser trop fort. Il restait là, les yeux clignotants, comme s'il cherchait l'inspiration dans de vieux sermons, de vieilles allocutions, des textes familiers. Il y eut un moment de silence, puis il dit : « J'ai toujours trouvé bénéfique de me représenter la conscience comme un instrument, un instrument à cordes peut-être. Le message est dans la musique, mais si nous n'entretenons pas l'instrument, si nous ne l'utilisons pas régulièrement pour des exercices méthodiques, nous n'obtiendrons qu'un résultat imparfait. »

Elle se rappela qu'il avait joué du violon, ses mains étaient trop percluses de rhumatismes désormais pour tenir l'instrument, mais celui-ci était toujours dans sa boîte sur un coin du bureau. La métaphore avait peut-être un sens pour lui, mais pas pour elle.

Elle dit : « Mais même si ma conscience me dit ce qui est bien, je veux dire bien selon la loi morale, voire la loi du pays, cela ne signifie pas nécessairement la fin de la responsabilité. Si j'obéis à ma conscience, si je fais ce qu'elle me dicte, je peux causer du tort à quelqu'un d'autre et même le mettre en danger.

— Nous devons faire ce que nous jugeons bien et nous en remettre à Dieu pour les conséquences.

— Mais toute décision humaine doit prendre en compte les conséquences probables, c'est ça le sens de la décision. Comment séparer la cause de l'effet ? »

Il dit : « Est-ce que cela vous aiderait de me dire ce qui vous trouble – si vous estimez que vous pouvez le faire, bien sûr ?

— Le secret ne m'appartient pas, mais je peux vous donner un exemple. Supposons ceci : je sais que quelqu'un vole régulièrement. Si je le dénonce à son employeur il sera renvoyé, son mariage sera mis en danger, sa femme et ses enfants, pénalisés. Je pourrais penser que le magasin est en mesure de perdre quelques livres par semaine plutôt que de causer tout ce tort à des gens innocents. »

Il resta un moment silencieux. Puis il dit : « La conscience vous dirait peut-être de parler au voleur plutôt qu'à son employeur. Lui expliquer que vous êtes au courant, le persuader de cesser. Bien entendu, il faudrait rendre l'argent. Je vois bien que ça pourrait présenter une difficulté pratique. »

Elle le regarda lutter avec la difficulté pendant un moment, front plissé, évoquant le mari et père voleur, habillant le problème moral de chair vivante. Elle dit : « Mais s'il ne peut, ou ne veut pas arrêter ses larcins.

— S'il s'agit d'une pulsion irrésistible, alors bien entendu, il a besoin du secours de la médecine. Oui, certainement il faudrait essayer ça, encore que je n'aie jamais eu grande confiance dans le succès de la psychothérapie.

— S'il ne veut pas alors, ou promet de s'arrêter et puis continue.

— Vous devez néanmoins faire ce que votre conscience vous dicte. Nous ne pouvons pas toujours évaluer les conséquences. Dans le cas que vous avez supposé, laisser les vols se poursuivre sans intervenir, c'est se rendre complice. Une fois que vous avez découvert ce qui se passe, vous ne pouvez pas prétendre ne pas savoir, vous ne pouvez abdiquer votre responsabilité. La connaissance entraîne toujours la responsabilité. C'est aussi vrai pour Alex Mair à la centrale de Larksoken qu'ici dans ce bureau. Vous dites que les enfants seraient lésés si vous parlez ; ils le sont déjà par la malhonnêteté de leur père, comme l'épouse qui en profite. Et puis, il y a les autres membres du personnel à considérer, ils risquent peut-être d'être soupçonnés à tort. La malhonnêteté, dans le cas où elle ne serait pas décelée peut s'aggraver au point que finalement la femme et les enfants seraient dans une situation encore pire que si le processus était arrêté maintenant. C'est pourquoi, mieux vaut rechercher avant tout ce qui est bien et laisser les conséquences à Dieu. »

Elle voulait lui dire : Même si nous ne sommes plus sûrs qu'il existe ? Même si cela semble n'être qu'une autre façon d'esquiver cette responsabilité personnelle dont vous venez de me dire que nous ne pouvons ni ne devons l'esquiver ?

Il voulait retourner à l'inspecteur Ghote, le gentil détective indien de Keating qui, malgré ses incertitudes, arriverait finalement au but parce que c'était de la fiction ; les problèmes pouvaient être résolus, le mal serait vaincu, la justice, défendue, et la mort elle-même, réduite à un mystère élucidé dans le dernier chapitre. Il était mal de tourmenter ce très vieil homme. Elle aurait voulu poser la main sur sa manche et lui dire que tout était bien, qu'il ne se tourmente pas. Au lieu de cela elle se leva et, utilisant pour la première fois le nom qui lui venait naturellement, elle prononça le pieux mensonge.

« Merci, Père, vous m'avez beaucoup aidée. Maintenant j'y vois plus clair. Je saurai ce que je dois faire. »