Paul Flamel, Lara, Rohan et les autres se
précipitèrent dans la salle radio. L'opérateur fit signe au vieil
homme d'écouter. La communication était mauvaise en raison de
perturbations atmosphériques inhabituelles à cette époque de
l'année. Le message provenait de l'hélicoptère qui assurait la
liaison entre le navire et la base.
— Appel d'urgence ! Appel
d'urgence ! Le navire a été attaqué par un ennemi inconnu.
Nous avons à peine eu le temps de décoller…
Le vieil homme prit l'appareil en main.
— Ici Paul Flamel ! Que s'est-il
passé ?
— Deux navires sont apparus hier en vue de
l'Equinoxe. Le capitaine a d'abord
pensé qu'il s'agissait de vaisseaux scientifiques norvégiens. Mais
ils n'arboraient aucun pavillon, contrairement à la loi maritime.
Nous avons tenté d'entrer en contact radio avec eux. Sans succès.
Ils ont jeté l'ancre pour la nuit. Nous avons essayé de vous
contacter, mais il est probable qu'ils avaient brouillé nos
communications. Le capitaine s'est méfié, et nous avons instauré
des tours de garde. Au matin, six vedettes d'assaut ont été mises à
la mer et se sont dirigées vers l'Equinoxe. Le capitaine a décidé de rester à bord
pour les attendre et leur demander des explications. Mais il nous a
ordonné d'embarquer dans l'hélicoptère et de nous tenir prêts à
décoller. Les vedettes ont encerclé le navire et des grappins ont
été lancés. L'ennemi nous a abordés sans que nous ayons le temps de
réagir. Lorsque le capitaine a voulu parlementer avec eux, ils ont
fait feu sans sommation. Il a été tué. Nous n'avons rien pu faire.
Nous n'avons eu que le temps de nous enfuir. Ils ont tiré sur l'hélicoptère, mais
heureusement sans nous atteindre. Nous faisons route vers Equinoxe.
Nous serons là dans une heure.
— Nous vous attendons.
Paul Flamel raccrocha le communicateur.
— L'Ensis Dei, murmura-t-il. J'ignore
comment, mais ils nous ont retrouvés. Ils viennent pour nous
détruire.
Quelques instants plus tard, tous les occupants de
la base étaient réunis dans la grande salle. Paul Flamel prit la
parole :
— Mes amis, je dois vous informer d'une très
mauvaise nouvelle. Notre compagnon, le capitaine Kramer, qui
commandait l'Equinoxe, a été tué au
cours d'une attaque menée par les commandos de l'Ensis Dei. D'après
le pilote de l'hélicoptère, que nous attendons d'un instant à
l'autre, l'ennemi dispose de forces importantes. Malgré toutes nos
précautions, il a réussi à nous localiser. Malheureusement, nous
n'avons aucune arme à lui opposer. Nous ne possédons que deux
fusils et un pistolet. Autrement dit : rien. Nous n'avons
d'autre solution que d'abandonner la base et de tenter de trouver
refuge auprès de nos amis norvégiens. Il est primordial que les
informations que nous avons collectées soient préservées. Il est
aussi essentiel que la reine, réincarnée dans le corps de Lara
Swensson, soit sauvée. C'est pourquoi, dès que l'hélicoptère
atterrira, Lara montera à son bord. Elle sera conduite jusqu'à la
base norvégienne, d'où elle sera évacuée le plus rapidement
possible. Quant à nous, nous allons monter dans les snowcats et tenter de sauver nos vies. Vous n'avez
que quelques minutes pour vous munir de l'essentiel, vêtements
chauds et kits de survie.
Un grand silence accueillit les paroles du Grand
Maître. Puis chacun se dirigea vers sa cabine. Seule Lara resta sur
place, en compagnie de Rohan, qui s'étonna de son attitude.
— Tu as entendu ce qu'a dit monsieur
Flamel ? Nous devons partir au plus vite avec
l'hélicoptère.
— Ils n'ont aucune chance d'échapper aux
tueurs, répondit-elle. Les autres n'auront aucun mal à repérer
leurs traces sur la glace. Lorsqu'ils se rendront compte que la
base est désertée, ils leur
livreront la chasse. Et ils doivent disposer, eux aussi,
d'hélicoptères. La stratégie de la fuite est vouée à l'échec.
— Mais tu ne peux pas rester ici ! Tu
dois vivre. Tu sais ce qui arrivera si ces scélérats te
retrouvent.
Elle eut un petit sourire.
— Je sais. Ils veulent me tuer. C'est une
obsession chez eux.
— Et c'est tout l'effet que ça te
fait ?
Une nouvelle fois, elle demeura silencieuse. Paul
Flamel, qui était resté, la regarda, intrigué par sa
réaction.
— Laisse-la, dit-il doucement à Rohan. Ce
n'est plus Lara que tu as en face de toi, c'est Tanithkara.
Ses dons de médium lui permettaient de percevoir
le changement qui s'était opéré chez la jeune femme. D'instinct,
Lara avait laissé l'esprit de la reine prendre les commandes. Elle
avait fermé les yeux, le visage concentré. Puis des mots sortirent
de ses lèvres, presque inaudibles, dans lesquels Rohan reconnut la
langue de l'Hedeen.
— Elle s'adresse au Grand Esprit de la Terre,
dit-il à Paul Flamel. Elle implore son aide.
Moins d'une demi-heure plus tard, l'hélicoptère
parvenait en vue de la base. Lorsqu'il atterrit, les dix membres
d'équipage sautèrent à terre. Le pilote reçut l'ordre de laisser
tourner le rotor. Déjà, les snowcats
avaient été sortis de leurs hangars. Chacun s'apprêtait à embarquer
quand Lara apparut.
— Cela ne sert à rien, dit-elle d'une voix
ferme. Ils sont déjà en route. Ils vous rattraperont et vous
massacreront. Il faut rester ici.
— Mais nous n'avons rien pour nous
défendre ! objecta Fiona.
— Nous n'aurons pas besoin de le faire,
répondit Lara. Mettez l'hélicoptère et les snowcats à l'abri. Et surtout, fermez
hermétiquement les portes.
Le ton de la jeune femme ne souffrait aucune
réplique. Il y avait dans sa voix une autorité qu'ils ne lui
connaissaient pas. Rester à Equinoxe, c'était se livrer à la merci
d'un ennemi impitoyable, venu pour les exterminer tous jusqu'au
dernier. Pourtant, pas une
voix ne s'éleva pour la contredire. Chacun avait conscience que ce
n'était pas Lara qui avait parlé.
Quelques instants plus tard, ils étaient de
nouveau réunis dans la grande salle. Le cœur de Lara battait la
chamade. Si elle s'était trompée, ils allaient tous mourir. Mais
l'esprit de Tanithkara s'était exprimé en elle, et sa formidable
intuition lui avait montré quelque chose que ni ceux de l'Equinoxe
ni l'ennemi qui approchait ne pouvait voir. Un phénomène étonnant
était en train de se produire. Peut-être avait-il été provoqué par
les pensées qu'elle avait adressées plus tôt à l'Ether. Peut-être
ne s'agissait-il que d'une coïncidence. Mais des certitudes lui
étaient apparues avec clarté. Ceux qui approchaient représentaient
la mort et la destruction. C'était à cause d'individus de cette
espèce que le monde courait à sa perte, que la Terre souffrait. Au
contraire, Lara et ses compagnons représentaient un nouvel
espoir.
L'Ensis Dei et ceux qui la contrôlaient
symbolisaient la prédation et la domination. Dans la nature, seuls
les plus forts pouvaient survivre, au détriment des plus faibles.
Il en était de même chez les hommes, depuis l'aube de l'humanité.
Les peuples les plus puissants avaient systématiquement écrasé les
tribus plus faibles, avaient transformé leurs membres en esclaves.
Dans le monde moderne, l'argent représentait la forme de la force.
Les riches exploitaient les pauvres. Le monde demeurait une jungle,
et l'homme un animal. Il était incapable, dans ce monde, de
s'élever au-dessus de cette condition. Malgré les leurres diffusés
par les croyances ou les idéologies politiques.
Les Hosyrhiens s'opposaient à cette philosophie.
La leur était basée sur la solidarité et le respect. Peut-être
était-ce une utopie, peut-être ne pouvait-elle s'appliquer qu'à un
groupe restreint. Mais Lara était intimement convaincue que l'homme
avait un autre avenir que de demeurer un animal. Il détenait le
pouvoir de prendre son destin en main, de s'affranchir de sa
bestialité. C'était le sens de la Prophétie des Glaces, cette
prophétie que l'Esprit de la Terre avait montrée à la reine
Tanithkara bien longtemps auparavant. Elle n'avait pas perçu
l'avenir sans raison. L'Esprit ne laisserait pas ses descendants périr
sous les coups de tueurs aveugles.
C'est pourquoi elle avait confiance. Il allait se
passer quelque chose.
Plusieurs heures s'écoulèrent, sans rien apporter
de nouveau. Le système de communication était équipé d'un radar.
Vers la fin de la journée, alors que le soleil déclinait,
l'opérateur déclara :
— Ils approchent. Ils seront là dans moins de
deux heures. Il y a deux hélicoptères de combat et une douzaine
d'autochenilles.
L'angoisse avait envahi la base. Certains
commençaient déjà à douter.
— Nous aurions dû partir, dit une femme à
l'accent sud-américain.
— L'hélicoptère est encore là, renchérit un
homme. Puisqu'elle n'en veut pas, rien ne nous empêche de le
prendre.
Lara, qui n'avait pas dit un mot depuis sa
déclaration, s'adressa à eux :
— Vous êtes libres de partir, si vous le
souhaitez. Mais vous n'irez pas loin.
— Nous pouvons encore leur échapper, riposta
l'homme.
— Ce ne sont pas eux qui vous détruiront,
répondit-elle.
L'homme se tourna vers la femme
sud-américaine.
— Qu'est-ce qu'elle veut dire ?
Un technicien fit signe à Paul Flamel.
— Ils sont en vue ! s'exclama-t-il. Mais
il se passe quelque chose de bizarre… Venez voir !