Sans la présence de Valentine, Rohan aurait sans
doute trouvé le voyage ennuyeux. Mais la jeune fille, qui avait
largement pris part aux études du jeune homme, fut de l'expédition.
Après avoir passé la nuit à Helsinki, ils suivirent la
nationale 3 en direction du nord, pendant trois cent cinquante
kilomètres.
Sise dans les grandes plaines de l'Ostrobotnie,
Kurikka était une petite ville d'une dizaine de milliers d'âmes,
érigée en municipalité autonome en 1868, mais dont les origines
remontaient au début du quinzième siècle. Traversée par la rivière
Kyrînjoki, la plaine de Kurikka offrait un relief monotone de
champs à perte de vue, hormis quelques zones forestières. La région
vivait essentiellement du travail du bois et des métaux.
— En hiver, ce doit être plutôt tristounet,
commenta Valentine.
Mais on était au cœur du printemps et un soleil
radieux éclaboussait la région. Paul Flamel retint des chambres
dans un hôtel accueillant, situé sur les rives d'un des rares lacs
de la région.
Rohan trouvait étrange que l'on pût faire autant
de kilomètres simplement pour étudier un procès vieux de près de
cinq siècles. Cependant, il n'osa pas en parler à Flamel, lequel
n'aborda pas le sujet pendant le repas du soir.
La nuit venue, Rohan éprouva un peu de mal à
trouver le sommeil. Il y avait derrière cette démarche quelque
chose qui lui échappait. Les différents sujets d'études proposés
par Paul Flamel suivaient un plan bien précis. Il en était
convaincu. Mais quel était ce plan ? Pourquoi Douglas Westwood
s'était-il penché sur des domaines que rien apparemment ne reliait
entre eux. Quel rapport
pouvait-il y avoir entre les hommes de Cro-Magnon de Sibérie et la
sorcellerie, entre le site de Glozel et les animaux brusquement
disparus de l'holocène ? L'époque, peut-être. Mais comment
rattacher tout cela à une affaire de sorcellerie du seizième
siècle ? Et que venait faire l'Ensis Dei, une organisation
secrète de l'Inquisition, dans tout ça ?
Au fond, peut-être se montrait-il trop méfiant.
Paul Flamel essayait seulement de l'intéresser aux travaux de son
père.
Le lendemain, dès l'aube, Paul Flamel invita les
deux jeunes gens à se préparer sans même prendre de petit déjeuner.
Ils montèrent dans la voiture. Rohan regarda Valentine, qui lui
jeta un regard amusé. Visiblement, elle était habituée à ce genre
d'excentricités de la part de son grand-père.
— Où allons-nous ? demanda Rohan, dont
l'estomac renâclait.
— Mon ami Markus Aarlahti nous attend,
répondit simplement Flamel.
Après un voyage d'une dizaine de kilomètres, ils
pénétrèrent dans une petite propriété en lisière de la forêt.
C'était une magnifique maison en bois foncé, au toit en pente
douce, flanquée d'un garage où l'on apercevait deux grosses Volvo
et deux motoneiges.
Un colosse d'une soixantaine d'années, au ventre
confortable et au visage mangé par une épaisse barbe rousse, se
tenait sur le pas de la porte protégée par un auvent. Il ouvrit les
bras au vieil homme.
— Paul, sois le bienvenu, mon ami, dit-il en
anglais.
Il les invita à entrer. Son épouse avait déjà
préparé un solide petit déjeuner à la finlandaise, tranches de pain
de seigle, anneaux briochés, jambon, saucisson de renne, fromage et
crudités, le tout accompagné de lait et de jus de fruits. On prit
place autour de la longue table de bois massif.
— Je voudrais que tu parles du procès à Rohan
et à Valentine, dit Paul Flamel.
Markus Aarlahti hocha lentement la tête. Son
visage avait soudain pris une expression grave. Il regarda les deux
jeunes gens, puis s'adressa à Rohan :
— Ainsi, tu es le fils de Douglas
Westwood.
— Accepte mes condoléances. Je connaissais
ton père et ton grand-père et j'avais une grande estime pour
eux.
Puis il se tourna vers Paul Flamel, comme s'il
quêtait son approbation. Celui-ci hocha la tête affirmativement.
Rohan les contempla tous deux, intrigué. Que signifiait cette
comédie ? Valentine posa sa main sur la sienne pour le
rassurer.
— Il doit savoir, dit Flamel. Il peut nous
aider.
Markus hocha la tête.
— Bien, dit-il.
Il se tourna vers les deux jeunes gens.
— C'est une histoire étrange, dit-il. Nous
sommes en 1520. A cette époque, l'Inquisition fait des ravages
en Allemagne, en Espagne, en France et en Italie. En revanche, elle
n'est pas active en Suède, ni même au Danemark. Jamais les
souverains du Nord n'ont accepté qu'elle s'implante chez eux. En
Scandinavie, les sorciers, ou ceux que l'on appelait ainsi plus au
sud, vivent sans inquiétude. La Finlande n'existe pas encore. Elle
fait partie de la Suède. Après la Réforme, au seizième siècle, les
choses évoluent. A partir de 1660, il y a quelques procès pour
sorcellerie en Finlande. Mais les Finlandais ne sont guère
impressionnés par le Diable. Les tribunaux ne prononcent que
rarement des condamnations à mort.
« Avant cette période, il n'y a donc pas eu
de procès. Sauf un seul. Un procès qui retrace la terrifiante
histoire d'une jeune fille nommée Helka Paakinen… Il fut également
le seul dans lequel intervint l'Ensis Dei, la terrible cellule
secrète de l'Inquisition.