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Malgré la fatigue, Rohan ne pouvait se détacher du document. Markus Aarlahti n'avait pas tout dit. Ainsi, lors des séances de torture, Helka s'était mise à parler une langue étrange, que personne n'avait reconnue. Les inquisiteurs en avaient déduit qu'il s'agissait de la langue parlée en Enfer par les démons. Pour eux, c'était bien la preuve qu'elle avait partie liée avec le Diable. De même, la vision des gens qui levaient les bras vers elle et qui la suppliaient correspondait à l'idée que les religieux de l'époque se faisaient des damnés. De tels éléments ne pouvaient que la condamner. Niels Bergsson avait recopié par le menu toutes les tortures que les moines avaient fait subir à la malheureuse. Rohan en conçut une frayeur rétrospective. Comment des hommes se réclamant d'un dieu d'amour pouvaient-ils s'être abaissés à pratiquer de semblables abominations ? Le texte était clair sur ce point : Niels Bergsson avait été véritablement écœuré par le comportement des moines dominicains, qui paraissaient avoir pris plaisir à tourmenter Helka Paakinen. Alors qu'ils bénéficiaient des services d'un bourreau amené avec eux d'Allemagne, ils avaient eux-mêmes pratiqué certains sévices, comme les poucettes, le supplice des aiguilles chauffées au rouge et enfoncées sous les ongles. Pour les inquisiteurs, elle ne pouvait être qu'une incarnation de l'Antéchrist, et il fallait la détruire par tous les moyens.
Rohan devinait, sous la plume du moine suédois, les doutes qui l'avaient parfois saisi, et les velléités qu'il avait eues de jeter ses feuillets au feu, parce que la conviction des dominicains était si forte qu'il en arrivait à se demander si ce n'était pas lui qui se trompait. Mais la rage qu'ils mettaient dans leurs actes funestes l'avait ramené à chaque fois à la raison. De nombreuses fois il s'était agenouillé et avait directement prié Dieu afin qu'Il lui apporte Son soutien. Les gémissements de la suppliciée hantaient ses nuits et, pendant toute la durée du procès, il eut peine à trouver le sommeil tant les atrocités dont il était le témoin le tourmentaient à son tour. Il avait l'impression d'être complice des bourreaux. Mais il se sentait impuissant à les empêcher d'agir. Il savait pertinemment que s'il avait apporté du réconfort à la malheureuse il aurait été accusé et supplicié à son tour. Lorsqu'on l'avait conduite au bûcher, la victime était incapable de se tenir debout et suppliait ses tortionnaires de l'achever afin de mettre fin à ses souffrances. Son corps était couvert d'innombrables plaies, ses ongles étaient arrachés, ses membres brisés et désarticulés.


Peut-être fut-ce un effet de l'épuisement, mais à mesure que la nuit avançait, le malaise qui avait saisi Rohan en écoutant parler Markus Aarlahti s'amplifiait. Il lui semblait qu'un fantôme se tenait près de lui, une présence qu'il ne parvenait pas à définir avec précision parce qu'elle était différente des esprits qui le visitaient parfois. Son intuition lui soufflait qu'il s'agissait bien du spectre de la malheureuse Helka Paakinen. Pourtant, un élément le troublait. Si tel avait été le cas, il aurait dû ressentir sa douleur et sa colère. Mais l'esprit qui rôdait dans la pièce manifestait des sentiments tout à fait étonnants. Surprise, peur, incompréhension. Et surtout, il en émanait quelque chose d'indéfinissable, dont l'idée même de mort était absente.
Comme si l'esprit en question était encore vivant…
La prophetie des glaces
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