30
Depuis qu'elle avait renoué le contact avec Rohan, Lara supportait de plus en plus mal son séjour au monastère. Hormis le père Paolini et les moines, il n'y avait personne. Le prêtre l'autorisait à faire quelques promenades dans les environs, à condition de ne pas s'aventurer trop loin. Les frères, qu'elle apercevait de temps à autre dans l'enceinte du domaine, ne lui adressaient pas la parole, selon la règle de leur ordre. La seule personne avec qui elle avait quelques échanges était le père Paolini, qui partageait ses repas. Il l'interrogeait sur ses activités, ses recherches historiques, ses lieux de fouille, les hypothèses qu'elle formait. Lui-même faisait preuve d'une grande érudition, surtout spécialisée dans les récits hagiographiques du Moyen Age.
« Une grande période, disait-il, où l'homme était bien plus libre qu'aujourd'hui, et où la lumière de Dieu illuminait les consciences. »
Lara s'abstenait de lui dire que le Moyen Age avait aussi été, entre autres, l'époque de l'extermination des cathares et des vaudois, dont le seul crime était d'avoir voulu vivre leur foi différemment. Elle ne se sentait pas de goût pour la joute théologique.


Le lendemain de son échange avec Rohan, elle lui demanda :
— Jusqu'à quand vais-je rester ici ?
— Je vous l'ai dit, ma chère enfant. Jusqu'à ce que la police ait arrêté les criminels. Il faudra plus qu'une simple opération de police. Cette organisation est tentaculaire et bénéficie de fortunes importantes, accumulées au fil des siècles. Elle attend son heure depuis toujours. Il n'est même pas exclu qu'elle finisse par découvrir le lieu de votre retraite. C'est même probable, si leurs médiums parviennent à vous localiser comme ils l'ont fait en Bretagne.
Lara fit la grimace. La perspective de rester enfermée dans cette prison qui n'en portait pas le nom ne l'enchantait pas. Désormais, son seul espoir reposait sur Rohan.
Après le déjeuner, elle fit une très longue promenade dans la montagne. Elle s'aventura sur les cimes, d'où elle jouit de panoramas grandioses sur la vallée en contrebas. Elle aperçut des petits groupes de bouquetins et de chamois, des aigles planant majestueusement dans l'air estival. La paix qui se dégageait des lieux la calma un peu. Cependant, peu désireuse de retourner s'enfermer entre les murailles sombres, elle ne revint que lorsque le soleil eut disparu derrière les montagnes. Elle fut accueillie par un père Paolini en colère.
— Vous m'avez fait peur, ma fille. J'ai cru qu'il vous était arrivé quelque chose. Vous semblez oublier la menace qui pèse sur vous.
Elle se rebiffa immédiatement :
— Ecoutez, je veux que les choses soient claires entre nous. Je suis ici de mon plein gré et j'entends garder le droit de repartir quand je le souhaiterai, même avant que l'enquête soit achevée, si j'en juge ainsi. Je n'ai aucun compte à vous rendre. Hormis ce danger dont j'ignore s'il est réel ou non, j'ai l'impression que vous avez plus besoin de moi que je n'ai besoin de vous. Rien ne m'oblige donc à rester ici. A moins que je ne sois votre prisonnière…
Il se radoucit immédiatement.
— Mais bien sûr que non, ma chère enfant. Je vous l'ai dit, vous êtes libre de vous en aller quand bon vous semblera. Seulement, il n'y a que dans ce monastère que je puisse assurer sérieusement votre sécurité.
— Il est lugubre, ce monastère, répliqua-t-elle, agacée. Il n'y a personne, hormis vous-même. Pas un seul individu qui voudrait faire une retraite, et avec qui je pourrais bavarder. Quant aux moines, ils m'évitent comme la peste.
— C'est la loi de leur ordre. Ils ne parlent même pas entre eux, sauf nécessité absolue.
Elle haussa les épaules.
— Libre à eux. Mais vous ne m'empêcherez pas de trouver ça un peu triste. Et même stupide. Quant à moi, j'ai l'impression que je suis enfermée ici pour plusieurs mois. La police ne me paraît pas près d'arrêter les coupables. Avez-vous des informations ?
— Malheureusement non. Mais nous devons leur faire confiance. Ils connaissent leur travail. J'espère avoir bientôt de bonnes nouvelles à vous communiquer.
Elle fit une moue sceptique.
— C'est bien, dit-il. Je vais demander à ce que l'on vous monte des livres et des revues, ainsi qu'un lecteur de films. Cela vous distraira.
Elle consentit à sourire.
— Vous avez vraiment peur que je m'échappe.
— Je vous l'ai dit : vous n'êtes nullement notre prisonnière. Mais j'ai peur pour vous et pour l'espoir que vous représentez. Il ne faut pas m'en tenir rigueur.
Elle se radoucit à son tour. Ce brave prêtre faisait ce qu'il pouvait pour adoucir son sort, et elle devait convenir qu'elle ne lui facilitait pas la tâche.
— Je ne vous en veux pas, père Paolini. Mais convenez que ce monastère n'est pas l'endroit rêvé pour une fille de mon âge, qui ne croit même pas en Dieu.
Il hocha la tête.
— Je vous comprends, mon enfant. Je vais demander aux frères qu'ils nous préparent le repas. Nous dînerons dans une heure. Si vous acceptez ma présence, bien sûr.
— Bien sûr. Veuillez me pardonner ma mauvaise humeur. Je sais que vous cherchez à me protéger. Mais comprenez-moi, je n'ai pas demandé ce qui m'arrive. J'ai envie de retrouver ma vie d'avant.
Elle hésita, puis ajouta, songeant à la mort de Christian :
— Enfin, ce qu'il en reste.
— Faites confiance à Dieu, ma fille.
— Alors, demandez-Lui de donner un coup de main aux enquêteurs, répliqua-t-elle dans un sourire.


Le soir même, sans doute épuisée par sa longue randonnée, elle s'écroula comme une masse.
Le lendemain, elle s'éveilla avec la bouche pâteuse, comme si elle avait abusé du vin la veille. Elle se souvint que le père Paolini et elle avaient mis à mort une bouteille de bordeaux grand cru bourgeois, histoire de faciliter leurs relations. Quelques douleurs dans le dos et dans les muscles achevèrent de la démoraliser. Elle se dit que les excursions en montagne étaient autre chose que les balades au bord de la mer et elle se força à quelques mouvements de gymnastique afin de dérouiller ses membres engourdis.
Puis elle entra en contact mental avec Rohan.


Le jeune homme avait eu quelques difficultés à localiser le monastère de San Frasco. Celui-ci n'était mentionné sur aucun guide touristique.
S'il accueille des retraitants, cela reste confidentiel.
Le père Paolini m'a expliqué que le monastère n'était connu que dans les milieux religieux. Le supérieur ne tient pas à accueillir des curieux.
Il t'accueille bien, toi.
Parce que je représente un espoir, selon eux. Cela n'empêche pas les moines de m'éviter comme la peste. Quand comptes-tu arriver ?
Demain. J'ai repéré la route en lacets qui mène au monastère. Je m'approcherai au plus près avec ma voiture, en restant hors de vue. Arrange-toi pour descendre en direction de Frasco.


Le lendemain, Lara quitta le monastère de bonne heure, nantie de mille recommandations de la part du père Paolini. Elle n'emporta que le strict minimum dans son sac de voyage, laissant des affaires afin de donner le change. Puis elle descendit d'un bon pas la route serpentine menant vers la vallée.
Elle n'eut pas à aller très loin. A peine cinq cents mètres plus bas, elle aperçut une petite voiture de sport blanche près de laquelle se tenait un jeune homme. Elle hâta le pas. Une vive émotion s'empara d'elle. Elle n'avait jamais vu Rohan. Pourtant, elle avait l'impression de le connaître depuis toujours. Lorsqu'elle fut près de lui, ils tombèrent dans les bras l'un de l'autre. Bien sûr, leur relation mentale avait tissé entre eux des liens étranges et très forts, et ils n'avaient guère de secrets l'un pour l'autre. Mais un sentiment se confirma : celui de se connaître depuis très longtemps, bien au-delà de la durée d'une simple vie.
La prophetie des glaces
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