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Malheureusement, malgré toute la bonne volonté de Lara, les recherches IRMF ne progressèrent pas plus qu'en France. Le blocage persistait. Plusieurs jours passèrent ainsi, sans amener le moindre résultat supplémentaire. Pire encore, Lara se retrouvait parfois dans la peau de la malheureuse Helka Paakinen et revivait le cauchemar de son procès. Il fallut interrompre l'expérience, car, par endroits, des traces de brûlures apparaissaient sur la peau de la jeune femme.
— C'est un échec ! soupira Paul Flamel.
Lara tenta de le consoler.
— Ce n'est qu'un demi-échec, monsieur Flamel. Nous avons tout de même réussi à extraire plusieurs films de la mémoire de Tanithkara. C'est une avancée scientifique considérable.
— Mais nous ne les comprenons pas. Nous ne comprenons pas ce qui s'est passé à l'époque. Que veulent dire ces étendues de lave ? Avait-elle recouvert une partie de la Terre ? Et ces gens qui hurlaient, qui étaient-ils ? Pourquoi certains lançaient-ils des pierres tandis que d'autres appelaient à l'aide ? Et qui est cette créature qui semble tant effrayer Tanithkara ?


En désespoir de cause, ils avaient renoncé à poursuivre les investigations au scanner. L'équipe scientifique se consacra alors au système de sonar perfectionné dont elle espérait qu'il leur permettrait de localiser avec précision les ruines de Marakha… ou ce qu'il en restait.


Désœuvrés, Lara et Rohan s'initièrent au maniement d'un petit véhicule ultramoderne destiné à circuler sur la glace polaire. Cet engin révolutionnaire, de taille modeste, pouvait accueillir un pilote et son passager pour une excursion en terre hostile. Sa coque était spécialement conçue pour résister au rayonnement UV intense résultant du trou dans la couche d'ozone. Equipé de roues sphériques à l'avant et d'un train de chenilles à l'arrière, il était capable d'évoluer sur n'importe quel terrain de l'Antarctique : neige, terre gelée ou glace. Il possédait également un système de sécurité qui lui permettait de localiser les crevasses invisibles sous la neige et de les éviter. Cette « sauterelle des glaces », ainsi que l'avaient baptisée les gens d'Equinoxe, était munie d'un orienteur relié à l'engin par un cordon ombilical d'une trentaine de mètres de long, fonctionnant grâce au système GPS. Cet orienteur pouvait détecter la présence de crevasses et modifier la trajectoire de la sauterelle en conséquence 4 .
Lara, amusée par ce véhicule à l'utilisation souple, se révéla très vite une excellente pilote. Ce qui permit aux deux amoureux d'effectuer de longues escapades autour de la base, parfois accompagnés par Valentine, Fiona, Hubert, et même Paul Flamel, ravi de s'aventurer ainsi en terrain dangereux. Pilotant lui-même la sauterelle, le vieil homme se montrait aussi excité qu'un gamin.


Ce fut au cours du troisième jour d'exploration que Lara ressentit une impression bizarre. Ils s'étaient éloignés de la base de près de six kilomètres et parcouraient une plaine lisse et éblouissante, menant jusqu'à la chaîne de montagnes méridionales, dont les hauts sommets projetaient sur le sol des ombres violettes, dessinant un paysage lunaire qu'on eût dit issu d'un rêve. Si, à l'intérieur de la coque, la température affichait un chaleureux quinze degrés, à l'extérieur, elle était descendue au-dessous des moins vingt, en raison d'un vent puissant qui malmenait les véhicules. Deux autres sauterelles suivaient celle de Lara et de Rohan. Outre Valentine et Fiona, deux scientifiques les accompagnaient. Pablo Fernandez, un Chilien, et Heinrich Krammer, un Allemand, étaient tous deux spécialisés dans la géophysique et tentaient de reconstituer le plus précisément possible le découpage du socle continental. Ils étaient à l'origine du projet « Taupe des glaces », l'excavatrice géante qui permettrait de creuser la surface.
Tout à coup, Lara frémit. Ils se trouvaient face à un sommet élevé, dont la forme rappelait un peu celle d'une tête humaine tournée en direction de l'océan. Une vive émotion s'empara de la jeune femme. Elle stoppa la sauterelle. Pendant un long moment, elle resta pétrifiée, les yeux rivés sur le sommet pris dans les glaces.
— Je connais ce mont, souffla-t-elle. Je suis déjà venue ici. Mais il n'était pas comme ça. Il y avait…
Elle frissonna et regarda autour d'elle d'un air effaré.
— Il y avait une ville.
Elle indiqua le sol du doigt.
— Là-dessous. Quelques centaines de mètres plus bas. Ce mont, c'est sous cet angle qu'on le voyait lorsqu'on s'élevait en altitude, à bord des dirigeables. Et je savais… je savais piloter ces dirigeables.
Elle se tourna vers Rohan, bouleversée.
— C'est ici qu'il faut creuser.


Le lendemain, une équipe se rendit sur place à bord des snowcats. On installa les échosondeurs. En proie à une grande excitation, Paul Flamel exultait.
— Voilà pourquoi la mémoire de Tanithkara ne parvenait pas à se réveiller ! s'exclama-t-il. Tu n'étais pas au bon endroit.
Les sondeurs eurent tôt fait de révéler différentes anomalies. Tout le monde scrutait anxieusement les écrans de contrôle. Aussi enthousiaste que le Grand Maître, Pablo Fernandez indiqua des tracés singuliers.
— Voyez, dit-il, cela peut être une formation rocheuse particulière, mais nous pouvons noter, ici, et là, et encore là, des lignes régulières qui pourraient appartenir à des ruines. Nous n'avons encore jamais vu ça.
— La glace n'a donc pas tout détruit, se réjouit le vieil homme. C'est extraordinaire. Il faut aller voir sur place. On démarre l'opération « Taupe des glaces » !


L'excavatrice fut amenée sur place dès le lendemain. Il lui fallut sept jours pour atteindre le socle continental, et deux jours de plus pour dégager une cavité circulaire de cinquante mètres de diamètre. Un système de descente par rail fut ensuite créé afin d'établir une liaison avec la surface. Dans la caverne de glace régnait un froid infernal, de l'ordre de moins cinquante degrés. Malgré l'épaisseur de leurs vêtements, Lara et ses compagnons en ressentaient la morsure sur leurs membres. Afin de faciliter les recherches, Paul Flamel fit installer un système de chauffage qui permettait d'élever la température d'une quarantaine de degrés.
Lorsque les travaux furent terminés, ils éprouvèrent une certaine déception. Le socle du continent austral ne laissait voir qu'une roche grise, un chaos malmené par l'excavatrice. Nulle part on ne découvrit quoi que ce fût qui pût ressembler à des ruines.


Ils se réunirent sur place pour un premier bilan. Le vieil homme secoua la tête.
— C'eût été trop beau. En quinze mille ans, les mouvements des glaciers ont dû détruire ce qui restait de la ville.
Mais Lara leva la main. En fermant les yeux, elle s'orienta par rapport à la position de la galerie d'accès. On fit silence. La jeune femme se concentra. Ce qu'elle avait ressenti à la surface, une dizaine de jours plus tôt, se manifesta à nouveau. Elle s'efforça de chasser l'image de cette caverne seulement éclairée par les puissantes batteries qui inondaient les lieux d'une lumière blanche et faisaient jouer des ombres fantasmagoriques sur les parois.
Laissant son esprit s'ouvrir totalement, elle se laissa imprégner de cet écho venu du fond des âges qu'elle sentait vibrer autour d'elle. Le monde avait pris une dimension différente. C'était comme s'il se dédoublait, comme si un autre paysage se dessinait en filigrane au-delà des limites de la grotte, un paysage qui ressemblait à la Norvège ou à l'Ecosse des Highlands. Il lui semblait percevoir le reflet de bruits disparus, des souvenirs d'odeurs. Peu à peu, des images se précisèrent derrière ses yeux fermés. D'un geste lent, elle indiqua une direction.
— La cité de Marakha était par là. Toute proche.
On remit l'excavatrice en action, cette fois avec un luxe de précautions. Un nouveau tunnel d'une centaine de mètres fut ainsi creusé. Soudain, le docteur Fernandez, qui contrôlait le travail du pilote de la machine, poussa un cri.
— Arrête !
Le pilote obéit immédiatement. Sur les écrans des sondeurs couplés à l'excavatrice venait d'apparaître une formation étrange, régulière, qui en aucun cas ne pouvait être l'œuvre de la nature.

4. Ce véhicule existe vraiment.

La prophetie des glaces
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