LE CHANT DU CYGNE
qualité de ministre des Affaires étrangères de Louis XVIII, Russes, Autrichiens, Prussiens et Anglais promettent de mettre un terme au pouvoir de Napoléon. Dans un accord signé le 25 mars 1815, ils réactivent le pacte de Chaumont du 1er mars 1814, ce qui entraîne de facto la reprise de la guerre contre la France. La septième coalition est constituée. Elle peut compter sur les forces, notamment anglaises et prussiennes, stationnées dans le royaume des Pays-Bas, et espérer un prompt renfort des armées russe et autrichienne, encore sur le pied de guerre. Face à cette menace, Napoléon n'a pas attendu. Dès le 23 mars, il a commandé au maréchal Davout la fabrication par les arsenaux militaires de près de quatre cent mille fusils. Dans le même temps, il remobilise, en rappelant sous les drapeaux les demi-soldes et les conscrits de 1815. Mais Napoléon est isolé en Europe. Certes, Murat, toujours roi de Naples, lui apporte son soutien à la fin mars, mais que vaut ce ralliement de la part d'un homme qui avait trahi son beau-frère en 1814 ? Du reste, il n'attend pas le début des hostilités pour s'attaquer à l'Autriche, le 29 mars.
Craignant sans nul doute de voir Napoléon s'immiscer en Italie, Murat espère parvenir à unifier la péninsule sous son autorité ; c'est tout le sens de l'appel lancé aux Italiens, depuis Rimini, le 30 mars.
L'appel est peu entendu. Murat est défait par les Autrichiens à Tolentino le 3 mai et, après quelques jours de résistance, doit quitter l'Italie. Le désastre des armées de Murat prive Napoléon d'un soutien qui aurait pu lui être précieux lors de l'assaut final. Pour le moment, les préparatifs de guerre, de part et d'autre, offrent à la France un court répit, mis à profit pour inaugurer de nouvelles pratiques politiques.
Depuis son retour en France, Napoléon n'a cessé de rappeler son attachement à la Révolution dans son ensemble, et plus particulièrement au principe de la souveraineté populaire. « Toute souveraineté réside dans le peuple », expHque-t-il ainsi au Conseil d'État le 26 mars. Cette idée était déjà contenue dans le décret publié à Lyon le 13 mars, par lequel il convoquait une assemblée des collèges électoraux pour modifier la Constitution, « selon l'intérêt et la volonté de la nation ». L'élan révolutionnaire est indéniable. Il est porté, en ces derniers jours de mars, par l'enthousiasme populaire rencontré au bord des routes, comme dans les villes traversées, y compris Paris. Pourtant, Napoléon refuse de se laisser porter plus avant par cette vague populaire dont il craint le débordement ; il ne veut pas être le « roi de la jacquerie ». C'est sur les notables qu'il entend s'appuyer, en fondant un régime plus libéral que démocratique. Napoléon a en effet senti le besoin de réformes politiques dans le pays. Le rétablissement pur et simple de l'Empire, dans ses formes anciennes, paraît impossible. Pour incarner cette nouvelle orientation, l'Empereur a besoin d'un homme neuf, peu suspect de compromission avec le régime. Benjamin Constant répond d'autant mieux à ces conditions qu'il avait rédigé un article très virulent 427
L'ÉCHEC DU SURSAUT DYNASTIQUE (1810-1815)
contre Napoléon en apprenant son retour de l'île d'Elbe. Dans cet article publié le 18 mars, il comparait Napoléon à Gengis Khan.
Benjamin Constant accepte pourtant de le rencontrer. Lui qui craignait l'instauration d'une terreur militaire au lendemain du 20 mars est agréablement surpris par les gages donnés à la liberté et s'inquiète en revanche de la menace étrangère : « La dictature n'était pas le seul péril. Un second danger était à redouter, qui devait suffire pour déterminer tous les Français : c'était l'asservissement de la France par les étrangers 11. » Et Constant ajoute : « Quant à moi, je l'avoue, quelle qu'eût été mon opinion sur Napoléon, la seule attaque de l'étranger m'aurait fait un devoir de le soutenir 12. » Il craint enfin la contrerévolution, à ses yeux désastreuse pour les libertés. Il ne faut pas cependant négliger, dans ce ralliement, la part de l'ambition personnelle. Constant n'a pas obtenu de la Restauration la place qu'il était en droit d'espérer en remerciements de son opposition à l'Empire. La première rencontre entre Napoléon et Benjamin Constant se déroule aux Tuileries, le 14 avril 1815, soit près d'un mois après l'entrée de l'Empereur à Paris. Napoléon lui expose son souhait de voir établi un régime constitutionnel, en lui demandant de réfléchir à des propositions en ce sens. Dans les jours suivants, l'ancien tribun lui soumet ses idées et insiste pour que la nouvelle Constitution marque une rupture avec l'Empire. Napoléon s'y refuse par souci de rattacher le régime issu de la révolution du 20 mars à celui mort le 6 avril 1814. Il impose donc au nouveau texte le nom d'Acte additionnel aux constitutions de l'Empire, qui laisse supposer une continuité législative alors que les bases du régime sont fondamentalement changées.
L'Acte additionnel s'inspire largement de la Charte constitutionnelle en ce qui concerne l'organisation des pouvoirs, mais il diffère dans l'exposé des motifs. Au souvenir de l'Ancien Régime, il oppose en effet 1'« esprit du siècle » et le « progrès de la civilisation ». Alors que la Charte était octroyée, la nouvelle Constitution doit être soumise à l'approbation du peuple, selon le vœu fortement répété par Napoléon d'asseoir son régime sur le principe de la souveraineté nationale. Mais l'Empire n'est pas aboli. Bien plus, le texte paraît légitimer les conquêtes passées en les justifiant par le désir d'« organiser un grand système fédératif européen ». Cette idée de projet européen que Napoléon reprend à Sainte-Hélène n'avait jamais été formulée auparavant. Le terme de « liberté »
scande cette nouvelle constitution dont le but affirmé est de
« combiner le plus haut point de liberté politique et de sûreté individuelle avec la force et la centralisation nécessaires pour faire respecter par l'étranger l'indépendance du peuple français et la dignité de notre couronne ». La reprise de la guerre est contenue dans ce propos. Mais l'essentiel est ailleurs, dans la mise en place d'un régime constitutionnel, sinon pleinement parlementaire. L'Acte additionnel reprend l'organisation bicamériste prévue par la Charte, 428