1. LE GOUVERNEMENT DE LA FRANCE

L'organisation du gouvernement n'est pas modifiée par la proclamation de l'Empire. En 1804, Napoléon conserve pour l'essentiel les hommes du Consulat. Pourtant, au fil des ans, des changements interviennent, qui transforment la configuration de l'exécutif. Plusieurs ministres sont en effet remplacés entre 1804 et 1810, si bien qu'à la fin de 1810, le gouvernement a été largement remanié. Parmi les onze ministres en poste, quatre seulement sont des survivants de l'époque du Consulat : Maret, Gaudin, Decrès et Régnier, mais seuls les deux premiers avaient appartenu au gouvernement formé au lendemain du 18-Brumaire. Le renouvellement a été profond en dix ans, même si les changements se sont opérés sans bouleversement. Certains sont provoqués par la mort du titulaire, attribuée en général à la charge de travail énorme imposée par Napoléon à ses ministres. Refusant d'envisager un tel poste, le comte Beugnot témoigne crûment du sentiment général : « Je n'y serai pas longtemps, je périrai avant la fin du mois. Il y a déjà tué Portalis, Cretet et jusqu'à Treilhard, qui pourtant avait la vie dure 1. » La mort d'un ministre en charge n'est donc pas exceptionnelle ; elle frappe notamment Portalis, le plus âgé des ministres de I�Empire, remplacé au ministère des Cultes par un conseiller d'Etat originaire de Bretagne, Bigot de Préameneu qui s'était illustré dans la prépara-181

 

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tion du Code civil. Pour le reste, le changement provient d'une décision de Napoléon, pleinement maître du jeu en la matière. Il révoque ainsi Barbé-Marbois, ministre du Trésor, après la crise financière de 1805 que nous verrons plus loin, dans laquelle ont été compromis les Négociants réunis. Sa disgrâce est toutefois de courte durée puisqu'il obtient, en septembre 1807, la présidence de la Cour des comptes, créée précisément pour éviter de nouvelles malversations. Barbé-Marbois est remplacé au ministère du Trésor par Nicolas-François Mollien, un ami du ministre des Finances Gaudin, grâce auquel il avait été nommé directeur de la Caisse d'amortissement mise en place en novembre 1799 ; de plus, il était depuis 1805

conseiller d'État. C'est un spécialiste des finances publiques, déjà attaché à la Ferme générale sous l'Ancien Régime, qui au Trésor participe à la fondation de la Cour des comptes. En août 1807, un petit remaniement ministériel se produit : Clarke remplace Berthier au ministère de la Guerre. Ce dernier peut désormais se consacrer pleinement à ses fonctions de chef d'état-major de la Grande Armée. Son successeur, officier des hussards sous l'Ancien Régime, général en 1793, proche de Bonaparte dès la campagne d'Italie, avait rempli plusieurs missions diplomatiques, et était entré au Conseil d'Ëtat en 1804. Il devait rester au ministère de la Guerre jusqu'en 1814.

Au même moment, Napoléon remercie Talleyrand et le remplace par Champagny, alors ministre de l'Intérieur, après avoir été ambassadeur à Vienne de 1802 à 1804. Les motifs du départ de Talleyrand sont complexes. Ils tiennent pour partie à une différence de vues sur la construction du système européen, au lendemain de la paix de Tilsit qui a mis fin à la guerre contre la Prusse et la Russie.

Napoléon l'attribuera quant à lui aux excès de Talleyrand, toujours plus avide d'argent. Quoi qu'il en soit, ce divorce, camouflé par l'attribution à Talleyrand du titre de vice-grand électeur et atténué par les conseils qui lui sont demandés sur le plan diplomatique, confirme le souci de Napoléon de diriger seul la politique étrangère de la France. Les Relations extérieures sont le domaine où l'autonomie des ministres est la plus faible. Devenu ministre des Relations extérieures, Champagny est remplacé par Cretet au ministère de l'Int�rieur. Proche de Bonaparte depuis le 18-Brumaire, conseiller d'Etat depuis l'origine de cette institution, signataire du Concordat en juillet 1801, Cretet avait été également directeur général des Ponts-et-Chaussées et du Cadastre et connaissait donc bien le territoire, un des domaines d'action privilégiés du ministre de l'Intérieur. En 1806, lors de sa nomination à ce poste, Cretet occupait les fonctions de directeur de la Banque de France dont il était actionnaire depuis sa fondation. Malade, il abandonne l'intérim de son ministère à Fouché au printemps de 1809 et meurt en novembre. Au même moment, Napoléon se sépare de Dejean, ministre de l'Administration de la guerre, qui passe au Sénat. Il le 182

 

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remplace, en janvier 1810, par Lacuée de Cessac, conseiller d'État depuis 1801, gouverneur de l'École polytechnique depuis 1804 et directeur des Revues et de la Conscription depuis 1806, postes qui le préparaient à devenir ministre de l'Administration de la Guerre. Le changement le plus notable de cette année 1810 concerne le remplacement, à la tête du ministère de la Police, de Fouché par Savary, choix qui annonce le renforcement de la tutelle policière sur le pays.

Les modes de fonctionnement du gouvernement ne diffèrent guère de la période antérieure. Maret, devenu ministre tout en conservant son titre de secrétaire d'État, continue d'assurer la liaison entre les ministres et le chef de l'État. En temps normal, c'est

à-dire lorsque Napoléon est à Paris, l'essentiel de son activité est consacré à la gestion des affaires publiques. Le Conseil des ministres se réunit le mercredi, selon un rituel qu'a bien décrit le baron Fain, l'un des secrétaires de Napoléon : « Chaque ministre vidait à son tour de rôle son portefeuille sur la table et faisait en présence de s,es collègues les différents rapports de son département. Dans bien des cas, après un exposé sommaire, on ne donnait lecture que du projet de décret qui contenait les conclusions. L'Empereur provoquait toujours l'avis de ceux des autres ministres qui pouvaient avoir des connaissances relatives à l'affaire ; lui-même il disait ce qu'il pensait dans ce premier aperçu, et quand l'affaire était bien entendue, on passait à une autre 2. » La concertation entre les ministres existe donc, sans qu'on puisse toutefois parler de travail collectif. Le Conseil des ministres a essentiellement pour but d'empêcher les chevauchements d'attributions, mais il ne permet pas une réelle concertation sur les décisions à prendre. La plupart du temps, le Conseil des ministres fournit simplement aux intéressés l'occasion de prendre connaissance des projets envisagés.

C'est en effet hors du Conseil des ministres que se déroule l'essentiel du travail entre Napoléon et ses ministres, soit au cours de séances particulières, soit au sein des conseils d'administration.

Ceux-ci traitent de questions précises ; ils réunissent aux côtés de l'Empereur le ministre concerné, les principaux fonctionnaires de son ministère et quelques spécialistes, par exemple des conseillers d'État. Ces réunions donnent lieu à des débats techniques plus que politiques. Au début de l'Empire, ces conseils se déroulent habituellement les lundi, jeudi et samedi et peuvent se succéder pendant toute la journée. « Ceux que Napoléon convoquait le plus habituellement, raconte le baron Fain, étaient les conseils de finance, les conseils de commerce, les conseils de subsistances, les conseils du génie, les conseils d'artillerie, les conseils des ponts-et-chaussées et des travaux publics, les conseils des travaux maritimes, les conseils d'administration de la guerre etc. 3. » À partir de 1808, l'organisation se précise : le conseil du lundi est consacré à la guerre, celui du jeudi à l'intérieur, et le dimanche se déroule le conseil d'administration consacré aux finances. Cette méthode de travail conduit à un 183

 

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extrême cloisonnement de l'exercice gouvernemental et renforce ainsi la toute-puissance du souverain, qui est le seul à avoir une vue d'ensemble de la politique menée dans le pays.

Une fois les projets proposés par les ministres et discutés en conseil, Napoléon les transmet au Conseil d'État pour connaître son avis éventuel et surtout pour obtenir leur transformation en textes de lois. Le Conseil d'État conserve donc sous l'Empire l'importance acquise sous le Consulat, mais son rôle décroît, ne serait-ce que parce que l'œuvre réformatrice du régime se ralentit. Du fait de ses nombreuses absences, Napoléon y est moins présent ; la présidence en revient alors à Cambacérès. Cependant, en certaines occasions, l'Empereur continue à prendre part aux discussions des conseillers, notamment lors de la préparation du Code de commerce en 1807 ou lors du débat sur la liberté de la presse en 1809. Le Conseil d'État est aussi de plus en plus contraint de s'occuper des contentieux administratifs dont le règlement lui revient. Il reste aussi une pépinière de hauts fonctionnaires. La plupart des nouveaux ministres sont issus de ses rangs, tels Portalis, Champagny, Mollien, Clarke, Bigot de Préameneu ou Lacuée de Cessac, et il recrute un nombre croissant d'auditeurs et de maîtres des requêtes appelés à fournir les futurs cadres de la nation.

La gestion des affaires se complique cependant à la suite des absences, de plus en plus fréquentes, de l'Empereur, à partir de 1805. Même en campagne, Napoléon n'abandonne pas l'idée de diriger le pays. Il se fait suivre pour ce faire de son cabinet, comme le rapporte Fain : « Dans l'intervalle d'une opération militaire à l'autre, quand le quartier impérial s'arrêtait quelque part, le cabinet se rétablissait aussitôt et reprenait sa règle et ses habitudes de travail 4. » À Schônbrunn, dans la résidence des souverains autrichiens où Napoléon s'établit en 1805 et en 1809, ou à Berlin en 1807, partout l'Empereur reproduit le rythme de travail de Paris. Il est parfois suivi de quelques ministres, ce qui permet d'organiser des conseils en campagne. Il lui arrive même de traiter d'affaires politiques sur le champ de bataille, comme le rapporte dans ses Souvenirs le ministre des Relations extérieures, Nompère de Champagny, évoquant les lendemains de la bataille de Wagram, en 1809 : « La bataille était gagnée. Je me hâtai d'aller prendre les ordres de l'Empereur ; on avait établi une tente là même où on s'était le plus battu ; elle était environnée de cadavres. Je travaillai avec lui. Il me renvoya à Vienne 5. » La correspondance avec Paris est alors constante ; chaque jour, une estafette porteuse du courrier arrive auprès de l'Empereur qui use du même procédé pour renvoyer les décisions prises. Napoléon reçoit aussi régulièrement la visite d'un auditeur au Conseil d'État venu lui exposer le travail des ministres.

Malgré ces mesures, la conduite de la guerre ralentit les prises de décision et entrave la bonne marche de l'administration, rendant 184

 

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nécessaire l'organisation de longues séances de travail lors des séjours parisiens de l'Empereur.

Pendant les absences de Napoléon, le pouvoir réside entre les mains de Cambacérès qui administre le pays. Il fait aussi le lien entre les divers ministères et l'Empereur en campagne, envoyant régulièrement estafettes et courriers vers Napoléon, après avoir pris soin de lui en annoncer l'arrivée : « Le Conseil des ministres s'est réuni hier suivant l'usage. Les rapports soumis à V. M. et les projets arrêtés dans son Conseil d'État, seront portés à M. Maret, par l'auditeur Canouville, qui parle facilement l'allemand, et qui a l'habitude des voyages 6. » C'est chez Cambacérès que se réunissent les ministres le mercredi. Il lui revient aussi, en l'absence de Napoléon, de présider le Conseil d'État. Il est donc le véritable maître d'œuvre de la politique impériale, mais reste toujours placé sous la tutelle de Napoléon auquel il rend compte de tout. Toutefois, l'Empereur se repose largement sur les épaules de Cambacérès, ce qui se révélera périlleux, nous le verrons, un jour d'octobre 1812, lorsque le trône impérial vacillera sous les coups du général Malet.

A partir de l'Empire, le rôle des assemblées législatives, déjà amoindri, décline encore. Le Tribunat a renoncé à toute velléité d'opposition ; il est vrai que sa réduction progressive à cinquante membres a permis à l'Empereur de ne conserver que les éléments les plus fidèles à sa personne. De fait, il n'émet aucun vote négatif à partir de 1804, et son action est quasiment nulle, si l'on excepte quelques suggestions faites dans la préparation de certains projets de loi, en particulier sur le Code de commerce. Pour le reste, le Tribunat se contente de voter des adresses à Napoléon, marquant un peu plus sa sujétion sinon sa servilité envers le maître du pays.

Devenu inutile, le Tribunat est purement et simplement supprimé par un sénatusconsulte du 19 août 1807, sans que cette mesure doive être considérée comme une sanction. La plupart des cinquante tribuns sont en effet replacés soit dans le Corps législatif, soit dans l'administration préfectorale, soit dans une autre administration, signe que les membres des assemblées sont considérés comme des fonctionnaires. Ses attributions sont transférées au Corps législatif où sont instituées trois commissions chargées de discuter les projets de loi. Ce droit à la parole donné à cette chambre des muets n'en modifie pas pour autant la nature. Le Corps législatif se montre extrêmement discret.

Toujours présidé, et ce jusqu'en 1809, par Fontanes, il se réunit avec parcimonie, guère plus de deux mois en 1804, 1805 et 1806, à peine un mois en 1807, 1808 et 1809. En 1807, par exemple, la session s'ouvre le 16 août, quelques jours après le retour victorieux de Napoléon qui a signé le traité de Tilsit avec la Russie. L'Empereur ouvre en personne la séance par un discours dans lequel il célèbre la paix retrouvée et promet une baisse des impôts. Il reçoit le même jour le serment des députés nommés depuis la précédente session.

Histoire du Consulat et de l'Empire
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