1. L'ESSOR DE L'ADMINISTRATION

Avec l'Empire, l'appareil d'État se renforce. La fonction publique, telle qu'on la connaît aujourd'hui, naît véritablement à l'époque de Napoléon. Sous la Révolution, l'officier d'Ancien Régime se mue en administrateur, avant de devenir sous le Consulat et l'Empire un

« fonctionnaire public ». Le terme désigne alors « quiconque exerce une fonction de gouvernement et touche un traitement de l'État 1 ».

Les fonctionnaires détiennent le pouvoir, tandis que les employés, chers à Balzac, exécutent leurs ordres. Les uns et les autres forment la fonction publique. Les fonctionnaires reçoivent leur nomination du chef de l'État ; ils doivent en retour lui prêter serment de fidélité, geste en partie formel, mais qui n'en recèle pas moins la volonté d'attacher le fonctionnaire à l'État, incarné dans la personne de Napoléon.

Cet essor de la fonction publique se manifeste d'abord par l'organisation des départements ministériels. Chacun se dote d'une administration plus ou moins étoffée, mais toujours hiérarchisée. Les ministères sont divisés en sections sur lesquelles règnent les directeurs du ministère dont le rôle ne cesse de s'affirmer ; ils sont secondés par des chefs de bureau qui régentent une nuée de plus en plus importante d'employés, composés de rédacteurs, huissiers, expéditionnaires et autres commis. À chaque fonction correspond un traitement, selon une échelle qui va de huit cents francs par an à 202

 

LES FONDEMENTS DU RÉGIME

douze mille francs pour les directeurs de ministère, sans compter les éventuelles gratifications qui viennent s'y rajouter. Chaque département est administré, sur ce plan, de façon autonome. De l'entrée dans un ministère ne répond à aucune règle précise ; elle est le plus souvent le résultat de recommandations de personnages haut placés. Les places sont convoitées, d'autant plus que le renforcement de l'administration ouvre des perspectives aux jeunes gens ayant quelque instruction et de nombreuses relations.

Le ministère de l'Intérieur, avec ses deux cent cinquante employés, est le plus imposant. Il gère aussi le budget le plus important, si l'on met la guerre à part, plus de cinquante-huit millions de francs à la fin de l'Empire, soit plus du quart des dépenses civiles, le remboursement de la dette excepté. Installé depuis 1795 rue de Grenelle, dans l'actuelle mairie du VIP arrondissement, il continue de se développer, malgré l'autonomie acquise par certaines de ses directions qui accèdent au rang de ministères : les cultes en 1804, le commerce en 181 1. Il s'organise autour d'un secrétaire général, chargé de répartir l'énorme correspondance qui arrive chaque jour au ministère ; c'est lui aussi qui assure la coordination entre les diverses sections et directions. Deux d'entre elles ont conservé un très grand poids tout en étant relativement autonomes, la direction des Ponts et Chaussées et celle de l'Instruction publique, qui est entre les mains du chimiste Fourcroy de 1802 à 1808 et se décompose ellemême en trois bureaux. Les autres ministères fonctionnent selon le même schéma qui reproduit du reste l'organisation du travail au sein du gouvernement, le secrétaire général de chaque département jouant auprès de son ministre le rôle que remplit le ministre d'État auprès de Napoléon. Le ministère des Relations extérieures prend une importance d'autant plus grande sous l'Empire que la diplomatie est une des activités principales d'un régime sans cesse entre guerre et paix, et donc à la recherche d'alliances ou de traités.

Composé de six sections, dont deux territoriales, ce ministère emploie plus de soixantedix personnes dans ses bureaux et pilote l'action d'une quarantaine de diplomates et d'une cinquantaine de secrétaires d'ambassade ; il forme aussi des jeunes gens, environ quarantecinq, au métier d'ambassadeur. Son budget annuel est de quatorze millions de francs. En même temps que les représentations diplomatiques se développent à travers le monde, jusqu'à l'Asie, les effectifs de chacune d'entre elles tendent à se réduire.

L'apparition d'un ministère des Cultes est une nouveauté. Ce département en plein essor passe d'une direction embryonnaire en 1800 à un véritable ministère en 1804 ; il gère à la fin de l'Empire près de dix-sept millions de francs, essentiellement destinés au paiement des traitements ecclésiastiques. En 1809, la division de la comptabilité du ministère des Cultes emploie vingt-trois fonctionnaires à cette tâche. Ce ministère comprend deux autres divisions : 203

 

LA NAISSANCE D'UNE MONARCHIE (1804-1809)

la division des cultes non catholiques et la division du culte catholique, chargées en particulier des nominations.

Le ministère de la Police est un des moins onéreux. Son budget dépasse le million de francs au milieu de l'Empire, pour atteindre deux millions en 1813, sans compter il est vrai des fonds secrets impossibles à chiffrer. Organisé à l'image de la plupart des départements ministériels, il comprend un secrétariat général, entre les mains d'un ancien préfet, Saulnier, et il est divisé en cinq sections, dirigées par des fidèles de Fouché, déjà en fonction lors de sa disgrâce de 1802. L'ancien oratorien Maillocheau est à la tête de la première division, placée directement sous la responsabilité du ministre, Pierre-Marie Desmarets dirige la division de la sûreté générale, la plus importante puisqu'elle est chargée de la surveillance de tout ce qui se passe dans le pays. Les trois autres divisions ont un rôle moindre, à l'exception de la division de la comptabilité que l'on retrouve dans chaque département. Plusieurs bureaux s'ajoutent à cette organisation, dont le bureau chargé de la censure. La faiblesse du budget tient en partie au fait que le ministère est essentiellement chargé de la quête d'informations. Pour ce qui concerne la sécurité intérieure, il s'appuie sur la gendarmerie dont les hommes sont payés sur le budget du ministère de la Guerre.

L'Empire voit aussi naître ou s'affirmer quelques-uns des grands corps de l'État appelés à un avenir durable. Dès 1800, le gouvernement met en place l'Inspection du Trésor. Quinze inspecteurs généraux sont chargés de vérifier les caisses des receveurs généraux et celles des payeurs généraux qui, dans la nouvelle organisation financière du pays, ont la tâche, les premiers de recouvrer l'impôt" les seconds d'effectuer les mouvements de fonds décidés par l'Etat dans les départements. Il restait encore à créer un corps susceptible de contrôler la bonne gestion des deniers publics. C'est chose faite en septembre 1807 avec la naissance de la Cour des comptes, placée sous la houlette de l'ancien ministre du Trésor, Barbé-Marbois, disgracié en 1806, qui touche pour cette fonction trente mille francs.

La place faite à la Cour des comptes dans l'ordre protocolaire, immédiatement après la Cour de cassation, montre l'attention que lui porte l'Empereur, de même que le choix de ses premiers membres. Mais son autonomie reste limitée. Chargée de vérifier les dépenses de la nation, elle ne doit rendre compte de ses travaux qu'à Napoléon et à lui seul. De ce fait la marge de manœuvre de la Cour fut étroite. Elle eut cependant à apurer le passé, en soldant des comptes qui remontaient pour certains aux premières années de la Révolution. Pour ce faire, la Cour put compter sur un personnel étoffé et compétent. Divisée en trois chambres dirigées chacune par un président qui reçoit pour cette tâche vingt-mille francs d'émoluments, la Cour rassemble également dix-huit maîtres des comptes au traitement de quinze mille francs, dix-huit conseillers référendaires de première classe et soixante-deux conseillers référendaires 204

 

LES FONDEMENTS DU RÉGIME

de seconde classe, auxquels s'ajoutent le procureur général dont la fonction est essentielle puisqu'il est en relations directes avec le ministre du Trésor, et un greffier en chef. Dès sa formation, la Cour permet notamment d'accueillir dix-sept membres du Tribunat récemment supprimé, ce qui contribue à lui donner une dimension politique et tend à la rapprocher du Conseil d'État, avec lequel elle partage le privilège d'être, dès l'Empire, un des corps les plus prestigieux de la haute fonction publique.

Créé par la Constitution de l'an VIII, le Conseil d'État est à la fois une assemblée politique et une chambre technique, ce qui en fait un des rouages principaux de l'appareil d'État. Au fil des ans, la nature politique de ce corps tend à s'estomper au profit de la compétence administrative. De fait, en l'an VIII, les conseillers d'État avaient été largement recrutés parmi les membres des anciennes assemblées. C'est par nature ,de moins en moins vrai sous l'Empire. Les nouveaux conseillers d'Etat viennent de la fonction publique. Surtout, le Conseil d'État tend à se transformer en école d'apprentissage des rouages administratifs, avec la création en juin 1803 des auditeurs. Napoléon a lui-même justifié l'aspect formateur de cette création devant le Conseil d'État, comme le rapporte Locré, secrétaire général de cette assemblée depuis le Consulat, et à ce titre rédacteur des procès-verbaux de ses séances : « Le but de l'institution est de mettre sous la main de l'Empereur des hommes d'élite, qui lui soient sincèrement dévoués, qui auront prêté serment entre ses mains, qu'il verra d'assez près pour pouvoir apprécier leur zèle, qui se formeront, pour ainsi dire, à son école, et qu'il pourra employer partout où le besoin de son service les rendra utiles. C'est de là que sortiront de vrais magistrats, de vrais administrateurs. » Jusqu'en 1805, les auditeurs ne sont qu'une vingtaine ; ils ont pour principale fonction de préparer les dossiers qui seront discutés devant le Conseil. Pour cela, ils sont en princip� attachés à un ministère et font le lien entre celui-ci et le Conseil d'Etat. Dans ce travail de préparation, de même que dans l'assistance muette aux séances du Conseil, ces jeunes gens, souvent âgés de moins de trente ans, se forment au métier public ; plusieurs d'entre eux deviennent préfets par la suite. Ces auditeurs en service ordinaire dont le nombre s'accroît - ils sont quarante en 1809

et soixante en 1811

sont très vite rejoints par une cohorte beau

-

coup plus importante d'auditeurs en service extraordinaire, dont la création date de 1806. Ceux-ci sont attachés soit à un ministère, soit à un préfet, et peuvent également être envoyés en mission dans les pays conquis, ou devenir directement sous-préfets. Leur nombre ne cesse d'augmenter puisqu'ils sont près de trois cents en 18!!. Quelle que soit leur affectation, la qualité d'auditeur au Conseil d'Etat est recherchée ; elle suppose de vraies recommandations, une certaine fortune aussi, car le traitement de deux mille francs qui leur est alloué annuellement ne suffit pas à tenir son rang à Paris. En fait, dès 1809, un revenu complémentaire de six mille francs par an est exigé d'eux.

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LA NAISSANCE D'UNE MONARCHIE (1804-1809)

Cette école de formation est donc destinée aux fils des grands notables, en particulier aux fils de l'aristocratie que Napoléon entend ainsi gagner à sa cause.

Il obtient ainsi le ralliement du jeune Victor de Broglie, entré comme auditeur au Conseil d'État en 1809, sur la recommandation de son oncle, Maurice de Broglie, évêque de Gand. Victor de Broglie qui a alors vingtcinq ans est rattaché à la section de la guerre où, écrit-il dans ses Souvenirs, « il y avait à cette époque fort peu de travail 2 ». Il suit d'abord les séances, avant d'être envoyé en mission en Autriche, comme le veut la règle de fonctionnement du Conseil.

C'est en 1810 qu'Henri Beyle, le futur Stendhal, est nommé auditeur au Conseil d'État, grâce à la recommandation de son cousin, Daru, qui intervient à plusieurs reprises auprès du ministre d'État, Maret, notamment pour lui demander de rattacher Beyle à la section qu'il dirige au Conseil d'État, laissant entendre au passage que certains auditeurs n'étaient pas surchargés de travail : « Je désire, car il faut toujours désirer quelque chose, qu'il soit employé de manière à travailler. Il a vingt-sept ans, il a acquis de l'expérience dans plusieurs campagnes et dans l'intendance de Brunswick qu'il a exercée. Je le crois très propre à rédiger avec netteté, esprit et précision. Mes propres vœux seraient de le voir attaché à la Liste civile et à ma section 3. » Daru obtient satisfaction puisque Beyle est attaché à la section de la guerre et nommé inspecteur du mobilier et des bâtiments de la couronne. Comme de nombreux auditeurs, il est ensuite envoyé en mission, en Russie en 1812, puis chargé de l'intendance d'une province de Silésie. Il échoue, cependant, dans sa quête d'une charge de maître des requêtes. En 1806, Napoléon avait en effet décidé de créer cette nouvelle catégorie entre les conseillers d'État et les auditeurs. Leur rôle consiste à préparer les rapports présentés en séance, notamment pour tout ce qui touche aux affaires contentieuses. Le Conseil est ainsi devenu l'un des meilleurs tremplins pour faire carrière sous l'Empire. C'est en son sein que sont recrutés la plupart des nouveaux ministres, mais aussi nombre de préfets ou administrateurs des territoires conquis. En ce sens, le Conseil d'État a pleinement joué son rôle d'école de formation à la haute fonction publique. Il parachève le système de formation des élites mis en place par Napoléon.

2. LA FORMATION DES ÉLITES

Napoléon s'est grandement désintéressé de l'instruction des populations. En revanche, il a toujours considéré comme e�sentielle la formation d'une élite de notables capables de servir l'Etat dans tous les secteurs d'activité, d'où la prise en charge par l'État de l'enseignement secondaire et supérieur. Napoléon vise essentiellement 206

 

LES FONDEMENTS DU RÉGIME

les fils de notables lorsqu'il songe à former les cadres de la nation.

En l'absence de véritable politique d'instruction primaire, seuls les enfants des classes aisées peuvent parvenir à un niveau de formation suffisant pour espérer entrer dans les structures mises en place par l'Empire, le lycée, les grandes écoles ou les facultés.

Dans ce schéma, l'instruction primaire est déléguée, soit aux parents qui la dispensent par l'intermédiaire de précepteurs, soit surtout aux communes à qui est confié le soin d'entretenir les écoles et de recruter les instituteurs, sans qu'aucune obligation d'organiser l'enseignement leur soit imposée. Le réseau scolaire est donc incomplet, d'autant que l'obligation imposée par le Directoire d'utiliser les presbytères comme écoles a disparu avec le Concordat qui les a rendus aux curés. Aussi le manque de locaux est-il criant ; il faut parfois recourir à une grange ou à une maison désaffectée. Le matériel est lui-même inexistant ; les élèves travaillent le plus souvent sur le livre qu'ils ont pu apporter. La difficulté la plus grande vient du recrutement ; les bons instituteurs, c'est-à-dire capables d'apprendre à lire et à écrire, sont rares, d'autant que leur rétribution est faible. Payés en grande partie par les parents, ils sont tributaires de la fréquentation de leur école. Celle-ci est en effet payante, comme le rappelle Agricol Perdiguier, élève dans l'école de son village à l'époque de l'Empire : « Nous mîmes tous un peu les pieds dans l'école du village [ ... ]. Le tarif des mois était de 1 franc pour les enfants qui apprenaient seulement à lire, de 1 fr. 50

pour ceux qui menaient de front la lecture et l'écriture 4. » La faiblesse de leur salaire oblige la plupart des instituteurs à remplir des fonctions annexes, en particulier celle de sacristain qui contraint l'instituteur à prêter son concours au curé de la paroisse pour la tenue de l'église, la sonnerie des cloches ou l'apprentissage du catéchisme. Soumis à une surveillance incessante, placés entre le maire et le curé, l'instituteur n'a pas une condition facile, même s'il est souvent l'un des rares lettrés du village.

Pour pallier le manque d'instituteurs, le gouvernement accepta que les communes fassent appel à des congrégations religieuses, en particulier aux Frères des Écoles chrétiennes, fondée au xvII" siècle par Jean-Baptiste de La Salle et qui s'étaient spécialisés dans l'enseignement populaire. Alors que les congrégations religieuses avaient été interdites à l'époque de la Révolution et que rien n'avait été prévu les concernant dans le Concordat, les Frères des Écoles chrétiennes purent ouvrir des écoles, à partir de 1804, puis furent autorisés en 1810, recevant même des subventions. Par ce geste exceptionnel, l'État reconnaissait son incapacité à organiser un e�seignement primaire de masse, et déléguait cette mission à l'Eglise. Mais cette mesure ne suffit pas à couvrir le territoire d'écoles. En effet, la règle des Frères les obligeant à être au moins deux par école, leur implantation se limita aux villes et aux bourgs, susceptibles d'accueillir au moins deux classes. Cette réalité est 207

 

LA NAISSANCE D'UNE MONARCHIE (1804-1809)

encore plus forte en ce qui concerne l'instruction féminine pour laquelle les congrégations religieuses, nombreuses à se créer sous l'Empire) ont un quasi-monopole. Faute d'argent et de volonté politique, l'Etat n'a pas su organiser la formation d'un corps d'instituteurs laïques capables de prendre en main les écoles du pays.

Aussi l'alphabétisation des Français continue-t-elle à souffrir de fortes disparités. Certes, des progrès ont été accomplis par rapport à la fin du xvnr siècle. Ils sont mesurables grâce à l'examen des signatures sur les actes de mariage. Mais de nombreux jeunes adultes ne savent encore ni lire ni écrire dans la France du Premier Empire.

C'est particulièrement vrai dans l'Ouest et le Sud, exception faite des Basses-Pyrénées et des Hautes-Alpes ; dans ces régions, deux hommes sur trois et neuf femmes sur dix ne savent pas lire. La proportion des adultes instruits est plus forte dans le Nord et le Nord-Est où les deux tiers des hommes et la moitié des femmes savent lire. C'est du reste dans ces régions que se recrutent de manière privilégiée les futures élites du pays. Ce bilan explique la relative indifférence des milieux populaires pour la vie politique et leur p�opension à se réfugier derrière un guide, notable local ou chef d'Etat charismatique, dès lors qu'il s'agit d'exprimer une opinion. · Une prise de conscience de ce phénomène d'illettrisme a eu lieu dès l'Empire, chez des hommes comme Chaptal, mais il faudra attendre les années 1830 pour voir se développer une véritable action en faveur de l'instruction primaire.

Le régime impérial a en effet préféré faire porter ses efforts sur l'enseignement secondaire. Il hérite des écoles centrales, organisées à l'époque du Directoire, mais les abandonne, jugeant leur organisation trop libérale, au profit d'un nouveau cadre appelé à un grand avenir, le lycée. Il est au cœur de la loi du 1 1 floréal an X (1er mai 1802), préparée par Fourcroy, alors membre du Conseil d'Etat et qui devait devenir quelque temps plus tard directeur général de l'Instruction publique. Père de la loi sur l'enseignement, il était invité à la faire appliquer. Pour ce faire, Fourcroy disposait d'un budget de plus de sept millions de francs. Il fallait en effet créer quarantecinq lycées, soit un par ressort de cour d'appel, avec leur proviseur, leur censeur, et leurs huit professeurs au moins, chiffre réduit à six en 1804, leur aumônier enfin, introduit en 1803, à la demande de Portalis, pour permettre aux élèves non seulement de recevoir une éducation chrétienne, mais encore de pratiquer leur religion dans ce lieu clos qu'est le lycée. Certes, l'enseignement est payant, mais la loi crée des bourses pour six mille quatre cents élèves, la plupart fils d'officiers ou de fonctionnaires sans fortune. Ce système de bourses ne remet pas en cause le caractère élitiste du lycée ; il est destiné à accueillir les fils des notables, afin de préparer les futurs cadres du pays. Le régime de vie y est strict, voisin de celui de la caserne ; le lycée admet essentiellement des internes, soumis à une discipline sévère et astreints au port de l'uniforme. Le corps enseignant doit lui-même servir de modèle et s'imposer une stricte disci-208

 

LES FONDEMENTS DU RÉGIME

pline. Cette vie de caserne est évoquée par Vigny dans Servitude et Grandeur militaires : « Nos précepteur ressemblaient à des hérauts d'armes, nos salles d'études à des casernes, nos récréations à des manœuvres et nos examens à des revues '. » Cette discipline repose sur l'exemple des collèges d'Ancien Régime, tenus par les Jésuites avant la disparition de la Compagnie ou par les Oratoriens. De fait, les lycées reprennent souvent les bâtiments de ces anciens collèges et une partie des professeurs sont eux-mêmes d'anciens congréganistes chassés de leur ordre par la Révolution. Par ce biais, se perpétuent certaines traditions de l'Ancien Régime. L'enseignement lui-même fait une large place, à côté de l'apprentissage des mathématiques, aux humanités classiques, dans lesquelles le latin règne de nouveau en maître. Le succès de ces lycées reste cependant limité.

Leur mise en place ne fut pas immédiate. De plus, ils ne remplissent pas pleinement leur rôle d'accueil des fils des notables, dans la mesure où certains membres de la bourgeoisie ou de l'ancienne aristocratie préfèrent envoyer leurs enfants vers d'autres types d'établissements secondaires.

Le lycée n'est pas le seul mode d'accès au savoir classique. La loi de 1802 a laissé une certaine liberté aux établissements privés qui s'étaient développés sous le Directoire ; elle autorise aussi la création d'écoles secondaires communales, dans un certain nombre de villes non pourvues d'un lycée. Ces écoles secondaires doivent avoir au moins trois professeurs ; elles s'implantent le plus souvent dans des villes qui disposaient déjà d'un collège sous l'Ancien Régime.

Le réseau de ces écoles communales, qui prennent le nom de « collèges » à partir de 1809, permet de matérialiser la carte de la France urbaine au début du XIXe siècle. Chaque ville en effet veut son collège. Avant 1811, la délimitation entre écoles communales, institutions et pensions n'est pas toujours aisée à tracer. Il en est de même des écoles secondaires ecclésiastiques, c'est-à-dire les petits séminaires, dont le nombre s'est accru sous l'Empire, au point de paraître concurrencer les établissements d'État. Ces petits séminaires sont tolérés dans la mesure où ils accueillent des jeunes gens, de plus en plus issus de milieux modestes, désireux de se préparer à la prêtrise. En réalité, ils sont très souvent un refuge pour les fils de notables souhaitant échapper à la tutelle des lycées, tout en recevant un enseignement classique de qualité.

La diversité des situations prévalant dans l'organisation des études secondaires conduit le régime impérial à un effort de rationalisation et d'encadrement qui se traduit par la loi du 10 mai 1806

fondant l'Université impériale. Il s'agit avant tout de mettre en place « un corps exclusivement chargé de l'enseignement et de l'éducation publics dans tout l'Empire ». Concrètement, l'ensemble des enseignants est placé sous une autorité commune et appartient à un même corps, l'Université, nous dirions aujourd'hui l'Education nationale. Le directeur général de l'Instruction publique avait bien 209

 

LA NAISSANCE D'UNE MONARCHIE (1804-1809)

perçu le danger d'une raréfaction des professeurs : « Presque toutes les places dans les lycées et les écoles secondaires, écrivait-il à Napoléon, sont occupées par des vieillards et des hommes qui touchent à la vieillesse, et l'on voit peu de gens qui se destinent à l'enseignement. Une corporation, telle que celle dont Votre Majesté a conçu la pensée et tracé le plan, peut donc seule régénérer l'instruction publique et en assurer la prospérité 6. » Ce corps enseignant que Fourcroy appelle de ses vœux, en espérant le former sur le modèle des anciennes congrégations, ne voit véritablement le jour qu'en 1808 lorsque paraît le décret instituant l'Université impériale.

Le décret du 17 mars 1808 réorganise la formation et le recrutement des professeurs des lycées. Il fait tout d'abord renaître de ses cendres l'Ecole normale, née au temps de la Convention mais abandonnée depuis. Ouverte en 1810, dans les locaux de l'actuel lycée Louis-Ie-Grand à Paris, elle reçoit la mission de former les professeurs du secondaire, tant en lettres qu'en sciences. Les élèves qui effectuent une scolarité de deux ou trois ans sont recrutés dans les lycées, par les inspecteurs d'académie. La première promotion comprenait cinquante élèves, dont une très forte majorité de littéraires, parmi lesquels Victor Cousin. Dans la deuxième promotion, on remarque, parmi trente-trois littéraires, Augustin Thierry. Parallèlement, l'agrégation, inventée au XVIIIe siècle, est rétablie pour sanctionner les études des futurs professeurs qui suivent en principe les cours des facultés de lettres et de sciences, également créées en 1808. Les meilleurs normaliens sont invités à la présenter. La volonté d'unifier et de raffermir la formation des professeurs est donc manifeste, mais le décret du 17 mars 1808 tend aussi à donner un cadre unique à l'ensemble des institutions qui composent le système éducatif.

L'Université, telle qu'elle se met en place, est d'abord une administration étend son contrôle sur l'ensemble du territoire de l'Empire. A sa tête figure le grand maître de l'Université, charge confiée à Fontanes, qui présidait jusqu'alors le Corps législatif.

Le grand maître de l'Université a les fonctions d'un ministre de l'Éducation ; il préside le Conseil de l'Université, composé de trente membres, à qui revient le soin d'élaborer les règlements et les programmes. Il contrôle l'action des inspecteurs généraux et des recteurs d'académie. La création de l'Université s'est aussi accompagnée de la mise en place d'un nouveau cadre administratif. La France est découpée en quarantecinq académies, une par ressort de cour d'appel. Celles-ci regroupent au moins un lycée, les collèges, les écoles primaires et, dans certains cas, les établissements d'enseignement supérieur situés dans leur circonscription. Cette réorganisation a permis à l'enseignement secondaire de retrouver son niveau antérieur ; il touche en 1810 autant d'enfants qu'en 1789, soit cinquante à soixante mille pour la France hexagonale. Parmi eux, dix mille fréquentent les lycées, vingt-deux mille les deux cent soixante-210

 

LES FONDEMENTS DU RÉGIME

dix collèges de l'Empire, vingt-sept mille étant encadrés par trois cent soixantedix-sept établissements privés. Le réseau scolaire offre une continuité entre l'Ancien Régime et l'Empire. On trouverait des traces de cette continuité également au sein des facultés.

L'enseignement supérieur avait été réorganisé progressivement à partir de 1800. Il était alors apparu indispensable d'assurer un enseignement commun, sanctionné par des examens comparables, pour les professions liées à l'exercice du droit ou de la médecine.

Afin de remédier à l'anarchie qui s'était développée dans les études de ces matières, sont créées des écoles de médecine et de pharmacie (19 et 22 ventôse an XI), puis des écoles de droit. Elles offrent un enseignement commun à travers la France, et délivrent des diplômes nationaux. Quatre années d'études de médecine et la rédaction d'une thèse en latin permettent d'obtenir le titre de docteur ou de chirurgien, valable sur l'ensemble du territoire ; en revanche, le titre d'officier de santé, décerné par un jury départemental, ne donne le droit d'exercer la médecine que dans le département d'obtention du diplôme. En droit, la licence, au bout de trois ans d'études, donne accès à la profession d'avocat ou à la magistrature. Il faut également trois années d'études pour devenir pharmacien. La réforme de 1808 fait de ces écoles spécialisées des facultés, intégrées à l'Université. À leur côté se développe un enseignement supérieur de lettres, de sciences, mais aussi de théologie. En réalité, la création de ces facultés a surtout pour but de permettre la délivrance des grades universitaires et, en particulier, du premier d'entre eux, le baccalauréat, que l'on vient passer, à la fin de ses études secondaires, au chef-lieu de l'académie. L'essentiel de l'enseignement scientifique et littéraire est dispensé ailleurs, à l'École polytechnique, fondée en 1794 et devenue école militaire en 1804, ou à l'École normale. Dans les facultés de lettres, de sciences et de théologie, le nombre d'étudiants est extrêmement faible.

Guizot, nommé professeur d'histoire moderne à la Sorbonne en 1812, raconte ainsi : « J'ouvris mon cours au collège du Plessis en présence des élèves de l'École normale et d'un public peu nombreux, mais avide d'étude, de mouvement intellectuel 7. » Le baccalauréat n'est alors obtenu que par deux mille élèves par an, or il est obligatoire pour s'inscrire en faculté. En outre, les études supérieures sont payantes, de même que les examens, ce qui contribue au caractère élitiste de cette formation.

La création de l'Université a néanmoins permis l'établissement d'un cadre unique dans lequel a pu ensuite se développer l'enseignement. Mais l'Empire n'en voit que les prémices. Au-delà de ce cadre unique s'impose aussi une philosophie de l'éducatjon. C'est avec l'Empire que se développe l'idée d'une tutelle de l'Etat sur la formation des enfants. Elle conduit à un monopole de l'Université sur l'enseignement. Certes, l'existence des établissements privés n'est pas, pour l'heure, remise en cause, mais ils sont désormais 211

 

LA NAISSANCE D'UNE MONARCHIE (1804-1809)

placés sous le contrôle de l'État. Ils reçoivent de J'Université, moyennant finances, un brevet valable pour dix ans. L'Etat concède donc une partie de son pouvoir d'enseignement, il est vrai avec parcimonie ; les élèves des établissements privés versent le vingtième de leur pension à l'État et, pour passer le baccalauréat, ils doivent prouver qu'ils ont séjourné deux ans dans un lycée. Ces contraintes qui limitent de fait la liberté de l'enseignement secondaire n'empêchent pas l'essor des établissements privés, ce qui conduit le régime impérial à durcir sa politique à partir de 1811. Pour Napoléon, le but des lycées est la formation de l'élite qui doit être dévo)lée à sa personne et prête à servir son régime : « Il n'y aura pas d'Etat politique fixe, s'il n'y pas de corps enseignant avec des principes fixes », s'exclamet-il en 1806, avant de poursuivre : « Tant qu'on n'apprendra pas dès l'enfance s'il faut être ré'publicain ou monarchique, catholique ou irréligieux, etc. etc., l'Etat ne formera point une nation ; il reposera sur des bases incertaines et vagues ; il sera constamment exposé aux désordres et aux changements. » Ce propos est révélateur d'une certaine inquiétude de l'Empereur à l'égard des futures élites de son Empire. Il revient sur ce sujet en 1809 avec Beugnot qui rapporte en ces term�s leur entrevue : « Il remarque que les hommes de son Conseil d'Etat et que les hommes avec lesquels il a commencé son gouvernement sont de mon âge, et qu'ils lui manqueront tous à la même heure. Je réponds qu'il a dans la classe des maîtres des requêtes et des auditeurs une pépinière riche où il trouvera aisément à nous remplacer. " Je n'en sais rien, reprend l'Empereur ; vous étiez tous, à des titres divers, les enfants de la Révolution ; elle vous avait trempés dans ses eaux, et vous en étiez sortis avec une vigueur qui ne se reproduira plus R ". » Cette inquiétude sur la formation des futurs cadres trouve en partie son origine dans le relatif échec des lycées. Elle explique l'attention constante que leur porte ,Napoléon et les mesures qu'il prend pour renforcer la tutelle de l'Etat sur l'enseignement, en particulier en 1811. Pour lui, l'enseignement élitiste dispensé dans les lycées est véritablement l'un des piliers de l'État, car il doit en assurer la continuité.

3. LA RÉFORME DE LA JUSTICE

Un État puissant doit aussi pouvoir s'appuyer sur une société policée, dont les habitants vivent en harmonie, ce qui suppose la rédaction de codes et de lois et la mise en œuvre de moyens pour les faire appliquer. C'est tout l'enjeu de la réforme de la justice entreprise dès l'arrivée au pouvoir de Bonaparte et poursuivie dans les premières années de l'Empire. La première grande œuvre est la rédaction d'un Code civil que les membres de l'Assemblée constituante avaient annoncé dès la rédaction de la Constitution de 1791 : 212

 

LES FONDEMENTS DU RÉGIME

« Il sera fait un code de lois valable pour tout le royaume. » Plusieurs fois engagée sous la Révolution, notamment à l'initiative de Cambacérès, cette codification était restée incomplète. En dix ans, le nouveau régime procède à un effort de synthèse et de rédaction sans précédent qui conduit à la publication de cinq grands codes avec lesquels la France vivra pour l'essentiel jusque dans la seconde moitié du xxe siècle. Le but de cette codification est d'abord d'unifier le droit et de fournir à tout le pays les mêmes règles de conduite. Il s'agit ensuite de combler un vide, laissé par la disparition du droit en vigueur sous l'Ancien Régime, que la Révolution n'a qu'imparfaitement remplacé. Plusieurs équipes de juristes, en général issus des parlements de la France d'Ancien Régime, se mettent donc à l'œuvre et proposent au Conseil d'État des avant-projets qui servent de bases à l'élaboration des codes, après discussions et amendements. Ce travail donne naissance à cinq grands codes : le Code civil, publié en 1804, le Code de procédure civile adopté en 1806, le Code de commerce achevé en 1807, le Code d'instruction criminelle, publié en 1808, et le Code pénal qui couronne l'ensemble en 1810.

Le Code civil reste incontestablement le symbole de cette politique de codification. Il est élaboré, dès 1800, après que Bonaparte a confié le soin d'en préparer un avant-projet à quatre juristes, Tronchet, ancien bâtonnier des avocats de Paris, président du tribunal de cassation, Bigot de Préameneu, ancien avocat au Parlement de Paris, commissaire du gouvernement près le tribunal de cassation, Maleville, ancien avocat au Parlement de Bordeaux, également membre du tribunal de cassation, et Portalis, ancien avocat au Parlement d'Aix et commissaire au Conseil des prises. Les deux premiers représentent la France du Nord, les deux autres la France du Sud ; il s'agit de procéder à la synthèse du droit coutumier, en vigueur au nord et à l'ouest, et du droit romain qui domine au sud du pays. Le but assigné au Code civil est de garantir les rapports entre individus au sein de la société, en vertu du principe cher à la philosophie des Lumières selon lequel une cité harmonieuse est une cité réglementée. Le Code vise donc à encadrer l'individu, tout au long de son existence, depuis sa naissance qui doit être déclarée jusqu'à sa mort qui donne lieu à une réglementation très stricte en matière de succession, en passant par le mariage considéré comme le cadre normal de la vie en société. Le Code civil fait aussi la synthèse entre le droit d'Ancien Régime et les principes révolutionnaires. Il traduit en articles de lois la suppression du régime féodal et affirme les grands principes de la Déclaration des droits de l'homme : respect de la liberté, de l'égalité civile, mais aussi du droit de propriété qui est une des bases du code. Entre la mise en chantier, en août 1800, et la publication du Code civil en mars 1804, cent deux séances du Conseil d'État ont été nécessaires. Bonaparte prit une part active aux discussions, ainsi que Cambacérès, juriste de 213

 

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formation, qui avait élaboré deux projets de code sous la Révolution. Le texte préparé par le Conseil d'État fut vivement critiqué par le Tribunat et, suivant ses avis, le Corps législatif repoussa la première partie du code jugée trop conservatrice, en 1802. Revenues à plus de docilité après l'épuration du Tribunat, les assemblées finissent par entériner le texte proposé par le Conseil d'État. Le Code civil est finalement adopté le 21 mars 1804. Il est alors mis en vigueur en France, puis se répand dans toute l'Europe sous domination française et se transforme en 1807 en Code Napoléon.

Les réformes en matière de justice pénale ne sont pas moins importantes. Ainsi le Code d'instruction criminelle, élaboré entre 1801 et 1808, modifie les procédures d'enquête. Il abandonne le jury d'accusation, mis en place à l'époque de la Révolution. Surtout, il introduit l'instruction, en précisant le rôle du juge d'instruction qui avait fait son apparition sous le Consulat. Contrairement à ce qui se passe en Angleterre, l'instruction est secrète et non contradictoire.

Elle est en outre disjointe du jugement qui constitue l'étape ultime de la procédure ; il est confié à des magistrats professionnels qui ne sont plus élus, quand il s'agit de délits, le jury populaire étant conservé pour le seul cas des crimes, jugés aux assises. Cette organisation, déjà amorcée avec les premières réformes juridiques du Consulat, trouve ici sa pleine expression, mais le Code d'instruction criminelle ne pouvait être appliqué avant la publication du Code pénal, préparé conjointement.

Le Code pénal entend rompre avec les pratiques d'Ancien Régime, sans pour autant reprendre le Code pénal de 1791 jugé trop laxiste. Dès 1804, Napoléon exprimait l'idée que la justice doit être rigoureuse : « Il faut établir un ordre judiciaire très ferme si vous ne voulez point de tyrannie », déc1are-t-il aux conseillers d'État, considérant que cette fermeté est une garantie contre l'arbitraire ; elle fonde l'égalité de tous devant la justice, ce qui lui fait dire encore :

« Il n'y a de liberté civile que là où les tribunaux sont forts 9. »

Autrement dit, il s'en remet à la justice du soin de faire régner l'ordre et la paix civile. Fondé sur le principe selon lequel « la société a besoin d'une justice rigoureuse », le Code pénal développe l'idée qu'une peine doit être suffisamment sévère pour être dissuasive. La peine de mort est maintenue, non seulement pour les assassinats, mais aussi pour les simples meurtres, pour les incendies volontaires et pour la fabrication de fausse monnaie, toujours considérée comme crime de lèse-majesté. Dans la gamme des peines, les travaux forcés à perpétuité viennent juste en dessous, et les peines de prison sont largement proposées pour la punition des délits. Toutefois, à la différence de celui de 1791, le Code pénal de 1810 ne prévoit pas de peine fixe, mais une échelle variable, laissant ainsi aux magistrats une marge d'appréciation. Cependant, la sanction demeure la base du dispositif judiciaire. Le Code pénal est une arme 214

 

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de dissuasion, destinée à assurer le maintien de l'ordre social et la défense de la société.

La publication du Code d'instruction criminelle et du Code pénal conduit enfin à des réformes de la justice pénale introduites en France en 1810-1811 . C'est alors que les tribunaux criminels installés au niveau du département se transforment en cours d'assises. La mutation dépasse le changement de nom. Ces tribunaux ne siègent plus en permanence et fonctionnent désormais avec des magistrats temporaires. La suppression du jury d'accusation oblige aussi à transférer sa mission à une nouvelle section des cours d'appel, la chambre des mises en accusation. Enfin, les jurys de jugement sont désormais recrutés par les préfets parmi les notables, ce qui limite le caractère populaire de cette institution. C'est, après la fin de l'élection des juges, un pas de plus vers la suppression du pouvoir judiciaire conféré au peuple par la Révolution. Plus généralement, la réforme de la justice donne satisfaction aux hommes de loi dont la fonction spécifique est reconnue.

Napoléon a ainsi donné naissance à un corps de magistrats nommés et non plus élus comme à l'époque de la Révolution. Agés de plus de trente ans, ces magistrats exerçaient déjà des fonctions judiciaires sous l'Ancien Régime et la Révolution. La plupart sont du reste nommés à nouveau dans leur région d'origine. Leur carrière est en principe assurée par l'inamovibilité, puisqu'elle ne dépend plus de l'élection. Les premiers recrutements opérés ne satisfirent pas pleinement le gouvernement qui revint sur la notion d'inamovibilité en faisant voter en 1807 un sénatusconsulte permettant d'épurer le corps des magistrats. Le régime put ainsi se débarrasser de juges dont les sentiments politiques paraissaient trop tièdes, mais aussi de piètres magistrats. L'épuration s'accompagna en effet d'une réforme faisant obligation de posséder une licence en droit pour devenir juge. De plus, en 1810, l'âge minimum pour entrer dans la magistrature est abaissé à vingt et un ans. Il n'empêche, la profession, mal rémunérée, peine à s'imposer, d'autant plus que l'épuration de 1808 fait peser un doute sur la réalité de leur inamovibilité et ôte aux magistrats une fraction de leur indépendance.

L'Empire organise aussi les professions d'avoué, de notaires, d'huissier et, avec plus de réticences, d'avocat. Le corps des avocats renaît en effet après de longues hésitations, car Napoléon redoute leur puissance. Il voit en eux des adversaires potentiels à son autorité, comme il l'énonce devant le Conseil d'État en 1804 : « On les trouve toujours prêts à empiéter sur le terrain de la politique ; ils attaquent en toute occasion la loi du divorce et celle des biens nationaux ; c'est ainsi qu'on sape toutes les bases du gouvernement tu. »

Napoléon a pris soin de choisir deux exemples qui montrent son souci de préserver les acquis de la Révolution face à des avocats présentés comme nostalgiques de l'Ancien Régime. L'Empereur se 215

 

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méfie non seulement de l'action individuelle des avocats, mais aussi de l'influence qu'ils pourraient avoir en tant que corps, d'où son extrême réticence à permettre le rétablissement de l'ordre des avocats et l'élection du bâtonnier : « Ce serait blesser les règles d'une bonne police que de souffrir que, par exemple, au milieu d'une ville comme Paris, le chef de trois ou quatre cents avocats, qui ont l'habitude de la parole et qui aiment à s'en servir, pût les constituer en assemblée et même en assemblée permanente et qui irait jusqu'à s'occuper des affaires de l'État 1 1 . » Napoléon craint donc la résurgence des parlements d'Ancien Régime, rendus responsables de la chute de la monarchie. Il mesure le poids que peuvent acquérir ces avocats dans la vie publique. Le barreau n'est rétabli qu'en 1810, la nomination du bâtonnier étant effectuée par le procureur général, sur proposition des avocats les plus anciens ; les réunions du barreau sont extrêmement limitées. Toutefois, la lente réorganisation du corps des avocats montre que Napoléon a compris leur utilité dans le système judiciaire mis en place au même moment et dont ils sont une des pièces maîtresses. Leur nombre est plus restreint qu'à la fin de l'Ancien Régime ; ils ne sont ainsi que trois cents à Paris, soit deux fois moins qu'en 1789. Le principe selon lequel tout accusé a droit à un défenseur est désormais admis, alors que Napoléon disait encore en 1804 : « Il ne faut point d'avocats pour défenseurs, c'est une absurdité. » Ainsi s'affirme, dès l'Empire, un groupe de juristes dont la place sera prépondérante dans la France du XIXe siècle.

Histoire du Consulat et de l'Empire
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