7

Le chant du cygne

L'abdication de Napoléon ouvre la voie à la restauration des Bourbons. La transition s'opère avec célérité. Les conditions faites à l'Empereur ont été réglées par une convention négociée avec les alliés. Il reçoit en pleine souveraineté l'île d'Elbe. L'aventure s'achève, du moins le croit-on alors. Onze mois après avoir été déchu par le Sénat, Napoléon devait faire son retour sur le devant de la scène politique.

1. NAPOLÉON À L'ÎLE n'ELBE

Au lendemain de son abdication, Napoléon est resté à Fontainebleau, dans ce château qui avait été le témoin de l'exil , forcé du pape. L'Empereur déchu peut observer la versatilité des sentiments. Les uns après les autres, les fidèles d'hier l'abandonnent. Pourtant, les armes ne se sont pas encore tues. La nouvelle de l'abdication n'étant pas connue, le maréchal Soult livre bataille devant Toulouse qu'il doit abandonner aux Anglais de Wellington le 10 avril. À Valence, le maréchal Augereau ordonne une suspension d'armes le 12, avant de faire connaître à ses soldats, le 16, le sort de Napoléon. Il les encourage à arborer la cocarde blanche, « cette couleur vraiment française qui fait disparaître l'emblème d'une Révolution qui est finie ». Ce même jour, Eugène de Beauharnais signe avec les Autrichiens l'armistice de Bellegarde. En Catalogne, le maréchal Suchet cesse le combat le 17 avril, tout comme Carnot qui dépose les armes à Anvers. Au nord, le général Maison abandonne également le combat. Enfin, à Hambourg, le maréchal Davout, enfermé dans la ville avec quarante mille soldats depuis l'automne de 1813, ne consent à se rendre que le 29 avril 1814, soit plus de trois semaines après la chute de Napoléon. Mais il obtient 415

 

L'ÉCHEC DU SURSAUT DYNASTIQUE (1810-1815)

de pouvoir rapatrier en bon ordre troupes et matériel, comme Eugène avant lui. Napoléon peut ainsi mesurer la force de résistance de ses armées qui, bien que diminuées numériquement, se montrent encore prêtes à combattre. Il peut aussi s'interroger sur une stratégie qui l'a eonduit à laisser hors des frontières, dans des forteresses isolées, un nombre important de soldats qui firent défaut au moment de l'assaut final des alliés contre Paris.

Napoléon a depuis pris connaissance de la convention qui lui garantit la souveraineté sur l'île d'Elbe, ainsi qu'une indemnité de deux millions de francs par an. Ce traité négocié par Caulaincourt et Macdonald prévoit en outre d'accorder à Marie-Louise le duché de Parme. Napoléon se résigne à signer ce texte, le 13 avril, non sans avoir tenté, dans la nuit précédente, de mettre fin à ses jours. Il demeure encore une semaine à Fontainebleau où il espère que Marie-Louise pourra le rejoindre : « Je désire que tu viennes demain à Fontainebleau, enfin [sic] que nous puissions partir ensemble et chercher cette terre d'asile et de repos, où je serai heureux si tu peux te résoudre à l'être et oublier les grandeurs du monde 1. » En réalité tout a été entrepris par le gouvernement provisoire pour empêcher le rapprochement de Napoléon et de Marie-Louise. L'Empereur part donc seul vers l'île d'Elbe. Auparavant, il a fait ses adieux à la Garde, dans la cour du château de Fontainebleau. Cette scène, l'un des morceaux de bravoure de la légende napoléonienne, a été tant de fois évoquée qu'on ne sait plus démêler le vrai du reconstruit dans les témoignages qui en ont été donnés. On ne se lasse pourtant pas de relire le témoignage du capitaine Coignet, même s'il a été rédigé trente ans plus tard : « Lorsque tous les préparatifs furent terminés, et ses équipages prêts, il donna l'ordre pour la dernière fois de prendre les armes. Tous ces vieux guerriers arrivés dans cette grande cour naguère si brillante, il descendit du perron, accompagné de son état-major, et se présenta devant ses vieux grognards : " Que l'on l'apporte mon aigle ! " Et, la prenant dans ses bras, il lui donna le baiser d'adieu. Que ce fut touchant. On n'entendait qu'un gémissement dans tous les rangs ; je puis dire que je versai des larmes de voir mon cher empereur partir pour l'île d'Elbe 2. »

Accompagné d'une garde de six cents hommes, Napoléon s'éloigne du théâtre de ses actions. Il descend vers la Méditerranée, par la vallée du Rhône. Le voyage est mouvementé. Après Orange, les manifestations d'hostilité s'amplifient et des menaces de mort sont proférées à son encontre. L'Empereur déchu ressent durement ces attaques, même s'il tente d'en minimiser la portée : « J'ai été très content de l'esprit de la France jusqu'à Avignon, écrit-il à Marie-Louise en continuant à associer la France et les Français ; mais depuis Avignon, je les ai trouvés fort exaltés contre 3. » La France le défend, mais les Français l'abandonnent, suggère-t-il.

La présence de la foule, ses cris et ses menaces sont l'une des 416

 

LE CHANT DU CYGNE

manifestations populaires sanctionnant la déchéance votée par le Sénat. Qu'elles aient été organisées, ou qu'elles soient spontanées, elles concrétisent la chute du régime, comme les acclamations et les vivats avaient pu accompagner l'entrée dans l'Empire, au soir du sacre. Ces manifestations populaires décrites par Napoléon confirment l'identification du régime impérial à la personne de l'Empereur. Pas plus en province qu'à Paris, on n'envisage que le successeur de Napoléon puisse être son fils. Les menaces de mort contre l'Empereur sont une manière d'exorciser un régime à présent honni.

.

Après avoir bravé ces invectives, Napoléon embarque sur un navire anglais, à Saint-Raphaël, et arrive le 4 mai à Portoferraio, la capitale de l'île d'Elbe. Il lui faut trouver une demeure, car les

« logements y sont médiocres », note-t-il à son arrivée, avant de s'installer dans un logis plus confortable, le palais des Mulini. Il peut désormais gouverner en souverain cette petite île de la Méditerranée, située au nord-est de la Corse. Peuplée d'environ douze mille habitants, elle avait été réunie à la France en 1802. À ses côtés, Napoléon peut compter sur le général Bertrand, qu'il avait nommé en novembre 1813 grand maréchal du palais. Compagnon de Bonaparte en Italie, puis en Égypte, gouverneur des Provinces Illyriennes de 1811 à 1813, le général Bertrand avait pris une part active à la campagne d'Allemagne, avant de suivre fidèlement Napoléon lors de la campagne de France, jusqu'à l'accompagner à l'île d'Elbe où sa femme, née Fanny Dillon, le rejoint en août 1814.

Sur l'île d'Elbe, Bertrand occupe les fonctions d'un ministre de l'Intérieur. Napoléon s'est également fait accompagner du général Drouot, dont il avait pu admirer les talents militaires lors des campagnes d'Allemagne et de France. Nommé gouverneur militaire de l'île, le général Drouot remplit en fait le rôle de ministre de ·

la Guerre. Cet entourage militaire est complété par le général Cambronne qui commande la place de Ferraio. Napoléon s'attache également les services d'André Pons de l'Hérault qu'il trouve dans l'île à son arrivée. Pons de l'Hérault était en effet depuis 1809 directeur des mines de fer de l'île d'Elbe. Il y subissait une sorte d'exil dû à ses idées républicaines : « J'étais républicain avant la République, je fus l'un des patriotes qui collaborèrent le plus à sa naissance, je lui jurai amour et fidélité, je ne l'ai jamais trompée 4. » Pour autant, il accepte de servir Napoléon qu'il considère comme un homme extraordinaire. Avec ces collaborateurs, Napoléon s'emploie à organiser l'île, à encourager l'agriculture, à développer l'industrie. Il rencontre cependant quelques difficultés dans la levée des impôts.

Enfin, une petite vie de cour reprend au palais des Mulini où sont venues s'installer la mère de Napoléon, Letizia, et sa sœur Pauline.

Mais l'arrivée de Marie-Louise et du roi de Rome est attendue en vain. Seule Marie Walewska fait un bref séjour sur l'île.

En France, dans le même temps, le provisoire a pris fin, avec 417

 

L'ÉCHEC DU SURSAUT DYNASTIQUE (1810-1815)

l'arrivée de Louis XVIII. L'avènement du comte de Provence, frère de Louis XVI, marque aussi la fin d'un état de grâce qui n'a duré que deux mois, entre la chute de Napoléon et la proclamation de la Charte constitutionnelle, le 4 juin 1814. Celle-ci ne répond pas pleinement aux attentes des libéraux et déçoit plus généralement les héritiers de 1789, dans la mesure où elle remet en cause le principe de la souveraineté nationale. Le long rappel de la tradition monarchiste, la référence à l'origine divine du pouvoir, le refus de faire sanctionner cette Constitution par le peuple apparaissent comme autant de reculs vis-à-vis de la Révolution, même si, dans la pratique, la Charte de 1814 établit les bases d'une monarchie bicamériste, fondée sur les deux assemblées que sont la Chambre des pairs et la Chambre des députés des départements. En outre, ces deux assemblées puisent largement dans le personnel napoléonien, puisque l'on retrouve, parmi les pairs, un grand nombre de sénateurs, alors que la Chambre des députés est composée des membres du Corps législatif. Ces mesures de reconduction ne sont guère populaires, alors qu'elles irritent les royalistes ultra. En outre, malgré les concessions faites à l'esprit révolutionnaire par la Charte, le retour du roi suscite de nombreux mécontentements nés de la menace de voir rétabli l'Ancien Régime. Cette crainte repose sur la renaissance de la Cour, mais aussi sur le retour d'exil de nombreux nobles qui réclament des places, notamment dans l'armée, au moment où le gouvernement décide de limoger une grande partie des troupes et près de douze mille officiers, mis à la retraite ou en demi-solde. Le fantôme de l'Ancien Régime se profile aussi derrière le statut très favorable accordé à la religion catholique, déclarée religion d'État par la Charte et qui obtient les faveurs du régime. Le clergé redevient une des principales forces du pays, au grand dam de la bourgeoisie restée anticléricale. Pourtant l'épuration a été minime. La plupart des fonctionnaires de l'Empire sont maintenus en poste. Certains ministres eux-mêmes ont servi Napoléon, tels Talleyrand aux Affaires étrangères ou le général Dupont à l'Armée.

En outre, la monarchie restaurée parvient à obtenir un règlement de la paix assez favorable à ses intérêts. Le traité de Paris du 30 mai 1814 lui laisse ses frontières de 1792 et ne lui impose aucune indemnité de guerre. Ce traité apparaît pourtant comme une reculade aux yeux d'une population habituée au Grand Empire.

Il faut cependant se garder d'interpréter cette période à la seule lueur des reconstructions opérées par les partisans de Napoléon.

L'état de la France s'est considérablement amélioré au sortir des guerres napoléoniennes, les acquis de la Révolution n'ont pas été fondamentalement remis en cause, les libertés sont même un bien plus largement partagé qu'à l'époque précédente. Alors, d'où vient ce sentiment d'une détérioration de l'esprit public ? L'histoire est riche d'exemples de retournements de l'opinion, pour lesquels il ne faut pas seulement chercher des explications rationnelles. Ainsi, la 418

 

LE CHANT DU CYGNE

crainte d'un retour à l'Ancien Régime se nourrit de signes plus symboliques que réels. En 1814-1815, la population a surtout peur du rétablissement de la féodalité et des dîmes. Or, les royalistes ultra ne contribuent pas à dissiper cette crainte en multipliant les réclamations en faveur de la restitution des biens nationaux. La représentation que la population se fait de la monarchie est également à prendre en compte. La figure du roi n'est pas remise en cause. Pourtant, l'impotent Louis XVIII n'est pas propre à fasciner les foules. Le pays s'est habitué depuis 1804, sinon depui� 1799, au gouvernement d'un seul homme, à l'identification de l'Etat à un monarque. Les formes du pouvoir inquiètent davantage. Habitués à un pouvoir autoritaire et centralisé, les Français sont désorientés par la réapparition d'un clergé tout-puissant et d'une noblesse autonome, qui apparaissent, bien que liés au régime, comme porteurs d'une autorité propre. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, au plan local, la pression de l'autorité sur les habitants se fait davantage sentir, d'autant qu'à la traditionnelle autorité politique s'ajoute une pression économique et spirituelle.

La France tremble donc de voir renaître l'Ancien Régime. Estelle prête pour autant à confier à nouveau son destin à Napoléon ?

Sans doute quelques nostalgiques de l'Empire conspirent-ils dans le but de rétablir Napoléon. Mais, dans l'ensemble, la population n'est pas disposée à se soulever pour ramener l'Empereur déchu sur le trône. Elle maugrée, certes, vitupère les prêtres en certains endroits, se plaint du poids des impôts et surtout du rétablissement des droits réunis, dont la monarchie avait promis la suppression. Mais il serait exagéré de parler d'un appel lancé en faveur du retour de Napoléon. Tout au plus peut-on percevoir à travers ces manifestations populaires, attestées notamment à Paris et dans l'Est de la France, le signe d'un regret d'une époque révolue. Napoléon veut y voir, lui, un signe plus fort. Que sait-il finalement de l'état d'esprit des Français ? Il ne connaît la situation française qu'à travers le prisme déformé d'une presse acquise à sa cause ou d'informateurs prompts à abonder dans son sens. La liberté relative dont jouit la presse en France permet à des journaux comme Le Nain jaune d'exprimer leur fidélité à l'égard de l'Empereur. Napoléon reçoit aussi des visiteurs, curieux de contempler l'ancien maître de l'Europe. Parmi eux se glissent des fidèles, porteurs de messages en provenance du continent. Les émules d'Edmond Dantès transmettent ainsi à Napoléon des nouvelles supposées l'informer de l'état exact de l'opinion et le tenir au courant des conspirations militaires engagées. Malgré les mesures de démobilisation, l'armée est restée majoritairement bonapartiste, comme le montre par exemple l'acquittement du général Exelmans, traduit devant un tribunal militaire en janvier 1815 pour avoir refusé d'obéir aux injonctions du ministre de la Guerre qui l'avait assigné à résidence hors de Paris.

C'est au sein de l'armée que se développent les mouvements les 419

 

L'ÉCHEC DU SURSAUT DYNASTIQUE (1810-1815)

plus actifs en faveur d'un retour de Napoléon. Ainsi en février 1815, plusieurs officiers se concertent pour préparer un enlèvement du roi et faire marcher sur Paris les troupes de l'armée du Nord. Sont impliqués dans ce complot Davout, seul maréchal à ne pas avoir prêté serment à Louis XVIII, ainsi notamment que les généraux Merlin, Drouet d'Erlon et Lallemand. Ces militaires ont pris des contacts avec d'anciens collaborateurs de Napoléon, dont Thibaudeau, longtemps préfet de Marseille, Maret, ancien secrétaire d'État et conseiller écouté de Napoléon, ou encore Lavalette, directeur des Postes jusqu'en 1814, qui fait part, dans ses Mémoires, de sa circonspection : « L'un des chefs était le général Lallemand, que j' avais connu en Italie et en Égypte quand il était officier des guides, et ensuite aide de camp du général Junot. Il désirait que je prisse une part active dans la conjuration, et surtout que je me chargeasse d'en donner connaissance à l'Empereur. Je devais, me disait-il, avoir conservé des moyens sûrs de correspondre avec lui. Il me développa son plan qui n'allait rien moins qu'à s'emparer des Bourbons, proclamer l'Empereur et le rétablir sur le trône. Le maréchal Davout, les ducs d'Otrante et de Bassano, et plusieurs autres dont j'ai oublié les noms étaient les chefs supérieurs de l'entreprise. À mesure qu'il avançait dans sa confidence, l'inquiétude et l'effroi m'ôtaient jusqu'à la faculté de répliquer 5. »

Maret, duc de Bassano, confirme à Lavalette les projets de conspiration et la participation de Fouché à l'entreprise. Ce dernier, momentanément retiré de la vie politique, est entré en contact avec les conspirateurs. À la différence de ses comparses, il envisage l'organisation d'une régence confiée à Marie-Louise, plutôt que le retour au pouvoir de Napoléon. Maret est donc bien l'une des pièces maîtresses du « parti bonapartiste ». C'est du reste lui qui envoie sur l'île d'Elbe un ancien sous-préfet de Napoléon, Fleury de Chaboulon, venu lui faire part de son allégeance à son ancien souverain. Fleury de Cha boulon accoste à Portoferraio le 12 février 1815, après s'être embarqué clandestinement dans un port italien.

Parvenu jusqu'à Napoléon, il lui dépeint l'état de la France et lui narre les maladresses du roi. Toutefois la conversation est rapidement prise en main par Napoléon qui, ayant poussé Fleury de Chaboulon dans ses derniers retranchements, finit par obtenir la réponse qu'il espérait : « Oui, sire, lui déclare le messager, je suis convaincu que le peuple et l'armée vous recevraient en libérateur et embrasseraient votre cause avec enthousiasme 6. » Ce témoignage, venant après plusieurs correspondances reçues de France, aurait décidé Napoléon à entreprendre un retour sur le continent.

Pons de l'Hérault conteste l'importance de ces nouvelles, en rappelant que Fleury, parti de Paris depuis plusieurs semaines, ne pouvait faire état que de « vieilleries ». Peu importe. Napoléon a besoin d'un signe pour se lancer dans l'aventure. Il sait pouvoir 420

 

LE CHANT DU CYGNE

disposer en France, notamment dans l'armée et l'administration, de relais à son entreprise.

L'initiative prise à la fin février n'en demeure pas moins un acte audacieux qui par certains côtés rappelle le retour d'Égypte en août 1799. Napoléon ne peut pas ne pas se remémorer cet épisode de son histoire. En 1815, comme en 1799, la marine anglaise rôde autour de lui. En Égypte, il a bénéficié du retrait de Sidney Smith, parti ravitailler. À l'île d'Elbe, il profite du départ du colonel Campbell qui depuis son arrivée, observait ses faits et gestes. Dans l'un et l'autre cas, l'inaction de la flotte anglaise paraît suspecte et semble découler d'un plan concerté. Le départ est fixé au 26 février. Napoléon a fait équiper plusieurs bateaux, dont le brick l'Inconstant, la plus belle pièce de sa flotte, à bord duquel il s'embarque. La flottille se sépare pour ne pas éveiller l'attention ; elle vogue sans encombre vers le golfe Juan, où elle opère sa concentration, avant le débarquement. Napoléon dispose de douze cents hommes, à savoir sa Garde, emmenée de France, un bataillon corse, organisé sur place, et une petite cohorte d'habitants de l'île embarqués dans l'aventure.

Ils sont accompagnés de quelques chevaux pour tirer l'artillerie.

Que peut espérer Napoléon, avec une aussi faible troupe ? Sans nul doute s'emparer d'une petite place forte pour rallier ensuite l'armée à sa cause.

Quelles que soient les justifications apportées a posteriori, en particulier les menaces pesant sur la personne de Napoléon, le débarquement de Golfe-Juan est un acte illégal par lequel Napoléon revient sur la signature apposée au bas de la convention réglant son sort en avril 1814. Il s'agit à proprement parler d'un putsch militaire, d'un pronunciamiento, par lequel un chef militaire espère soulever l'armée contre le pouvoir établi. De ce point de vue, si l'on peut dénier au 18-Brumaire la qualité de coup d'État militaire - il est avant tout un coup d'État parlementaire - en revanche, la tentative du 1er mars 1815 est bien un putsch. Curieusement, la nature de ce coup de main militaire a été quelque peu été occultée, comme si, inconsciemment, l'histoire avait reconnu à Napoléon une sorte de légitimité qui aurait rendu presque inéluctable, voire nécessaire, l'acte accompli. En fait, l'adhésion populaire à Napoléon dans les jours qui suivent efface ce premier acte. Pourtant, lorsque Napoléon débarque au golfe Juan, le 1er mars 1815, rien n'est gagné. Les premières troupes qu'il envoie en reconnaissance à Antibes sont purement et simplement arrêtées. Mais l'Empereur passe outre. Sans un regard vers ses

il fonce vers les Alpes, laissant de côté

les grandes villes. Il évite la vallée du Rhône, certes parce qu'il est peu soucieux de retrouver une région qui l'a conspué en 1814, mais aussi parce que la route des Alpes lui offre un refuge plus commode. À l'inverse, ce choix rend plus compliquée l'action d'éventuelles troupes envoyées à sa rencontre. Les premiers contacts avec la population sont plutôt froids. À Cannes, à Grasse, 421

 

L'ÉCHEC DU SURSAUT DYNASTIQUE (1810-1815)

puis à Castellane, les municipalités accèdent à ses demandes de ravitaillement, faute de pouvoir se défendre, mais la population ne marque aucun enthousiasme particulier. À partir du 4 mars tout�fois, les premières manifestations d'adhésion se font entendre. A Sisteron, puis dans les villages environnants, la foule se presse pour voir l'Empereur. L'armée royale évite encore soigneusement l'affrontement. La première rencontre se produit le 7 mars à La Mure. Napoléon se heurte au Se régiment de ligne qu'il parvient à rallier à sa cause : « Soldats du Se, je suis votre Empereur, reconnaissez-moi. » En quelques mots, il a rappelé le lien l'unissant à l'armée, affirmant par là même son caractère légitime. L'appel à le reconnaître comporte un double sens, à la fois reconnaissance politique du souverain auquel on prête serment et reconnaissance physique de l'homme qui incarne l'État et le pouvoir. Ce ralliement ouvre à Napoléon les portes de Grenoble. Le 8 mars, il est à Lyon. La capitale des Gaules a été abandonnée quelques heures plus tôt par le comte d'Artois et le duc d'Orléans censé assurer sa défense. La ville est prise, presque sans coup férir.

Partout les mêmes scènes se reproduisent, scènes de liesse et de ferveur, dont le caractère irrationnel peut surprendre. Ces foules qui se pressent au-devant de Napoléon, ces soldats qui acceptent de le rejoindre semblent agir spontanément, sans avoir réfléchi à la portée de leurs actes. En cet instant, Napoléon exerce une sorte de fascination sur les populations qui retrouvent le héros d'Austerlitz, d'Eylau, de Wagram. Il électrise les foules. Malgré les épreuves, Napoléon reste ce demi-dieu dont de nombreux foyers ont gardé l'effigie ou la statue. On se presse pour le voir, pour le toucher.

L'Empereur est l'objet d'un véritable culte, dont les formes restent sommaires. Outre la procession accomplie au-devant du souverain, le cri est la manifestation la plus concrète de cet élan populaire. Partout sur son passage, on entend fuser, au dire des témoignages recueillis, des « Vive l'Empereur ! ». Et pour joindre le geste à la parole, les soldats ralliés arrachent la cocarde blanche de leur uniforme pour la remplacer par la cocarde tricolore. La population des départements traversés se retrouve ainsi sur ce programme minimum qui résume cependant l'essentiel des revendications populaires : le rétablissement de l'Empire, meilleur garant à leurs yeux de la préservation des acquis de 1789. Napoléon n'a pas oublié non plus les effets de la propagande. À l'île d'Elbe, il a rédigé plusieurs proclamations, destinées en particulier à l'armée et au peuple fran

çais. Dans son adresse au peuple, il justifie son retour, après avoir mis son échec de 1814 sur le compte de la trahison des maréchaux Augereau et Marmont :

« Élevé au trône par votre choix, tout ce qui a été fait sans vous est illégitime [ ... ] Français, dans mon exil, j'ai entendu vos plaintes et vos vœux : vous réclamiez ce gouvernement de votre choix qui est le seul légitime; vous accusiez mon long sommeil, vous me 422

 

LE CHANT DU CYGNE

reprochiez de sacrifier à mon repos les grands intérêts de la patrie.

J'ai traversé les mers au milieu des périls de toute espèce ; j'arrive parmi vous reprendre mes droits qui sont les vôtres 7. »

Cette apologie de la souveraineté populaire, fondement de la doctrine bonapartiste, est un écho à l'esprit de 1789. À l'armée, Napoléon entendait rendre sa dignité. Il lui montre à nouveau les chemins de la gloire : « Soldats, venez vous ranger sous les drapeaux de votre chef. Son existence ne se compose que de la vôtre ; ses droits ne sont que ceux du peuple et les vôtres ... La victoire marchera au pas de charge. L'aigle, avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre-Dame x. » L'adhésion aux idéaux de la Révolution s'accompagne d'un attachement marqué à la France traditionnelle, incarnée par les églises de ses villages et de ses bourgs. Symboliquement Napoléon ne se fixe pas pour but le centre du pouvoir politique, à savoir les Tuileries, mais son cœur spirituel, la cathédrale de Paris, lieu de consécration de la dynastie impériale et gage de pérennité. Ces proclamations sont abondamment distribuées, à mesure de la remontée vers Paris. Elles sont même réimprimées en route.

Parvenu à Lyon, seconde capitale de la France, Napoléon peut se permettre d'endosser à nouveau les habits d'empereur. Il prend en effet ses premières mesures. Leur aspect symbolique ne peut échapper à personne. Ainsi, le drapeau blanc est remplacé par le drapeau tricolore, emblème de la Révolution mais aussi étendard brandi sur les champs de bataille de l'Empire. Napoléon abolit la noblesse et les ordres royaux et contraint les émigrés rentrés depuis 1814 à repartir en exil. Il révoque également toutes les décisions prises depuis le mois d'avril 1814. Enfin, sur le plan politique, il dissout la Chambre des députés et la Chambre des pairs. Cette dernière est condamnée parce qu'elle est « composée en partie de personnes qui ont porté les armes contre la France et qui ont intérêt au rétablissement des droits féodaux, à la destruction de l'égalité entre les différentes classes, à l'annulation des ventes de domaines nationaux, enfin à priver le peuple des droits qu'il a acquis par vingtcinq ans de combats contre les ennemis de la gloire nationale 9 ». Ces propos ne peuvent que rassurer une opinion inquiète de la remise en cause des acquis révolutionnaires. En même temps, la décision prise le 13 mars revient à saper les bases de la Charte constitutionnelle.

Napoléon annonce du reste la réunion des collèges électoraux, à Paris, dans le courant du mois de mai, pour modifier la Constitution.

Au même moment, dans la capitale, le roi continue de gouverner.

Il a convoqué les assemblées pour marquer son attachement aux formes constitutionnelles de la monarchie et obtenir leur soutien.

Le comte d'Artois accepte enfin de proclamer son adhésion à la Charte. Parallèlement, le gouvernement s'engage dans une politique de répression à l'encontre des éléments bonapartistes. Dans le Nord, le complot mis sur pied quelques semaines plus tôt est déclenché.

Histoire du Consulat et de l'Empire
titlepage.xhtml
index_split_000.html
index_split_001.html
index_split_002.html
index_split_003.html
index_split_004.html
index_split_005_split_000.html
index_split_005_split_001.html
index_split_005_split_002.html
index_split_005_split_003.html
index_split_005_split_004.html
index_split_005_split_005.html
index_split_006.html
index_split_007.html
index_split_008.html
index_split_009.html
index_split_010.html
index_split_011.html
index_split_012_split_000.html
index_split_012_split_001.html
index_split_013.html
index_split_014.html
index_split_015.html
index_split_016.html
index_split_017.html
index_split_018.html
index_split_019.html
index_split_020_split_000.html
index_split_020_split_001.html
index_split_020_split_002.html
index_split_020_split_003.html
index_split_020_split_004.html
index_split_020_split_005.html
index_split_021.html
index_split_022.html
index_split_023.html
index_split_024.html
index_split_025.html
index_split_026.html
index_split_027.html
index_split_028_split_000.html
index_split_028_split_001.html
index_split_028_split_002.html
index_split_028_split_003.html
index_split_028_split_004.html
index_split_028_split_005.html
index_split_028_split_006.html
index_split_028_split_007.html
index_split_029_split_000.html
index_split_029_split_001.html
index_split_029_split_002.html
index_split_029_split_003.html
index_split_029_split_004.html
index_split_029_split_005.html
index_split_029_split_006.html
index_split_030.html
index_split_031.html
index_split_032.html
index_split_033_split_000.html
index_split_033_split_001.html
index_split_033_split_002.html
index_split_034.html
index_split_035_split_000.html
index_split_035_split_001.html
index_split_035_split_002.html
index_split_035_split_003.html
index_split_036_split_000.html
index_split_036_split_001.html
index_split_036_split_002.html
index_split_036_split_003.html
index_split_036_split_004.html
index_split_036_split_005.html
index_split_036_split_006.html
index_split_036_split_007.html
index_split_036_split_008.html
index_split_036_split_009.html
index_split_036_split_010.html
index_split_036_split_011.html
index_split_036_split_012.html
index_split_036_split_013.html
index_split_036_split_014.html
index_split_036_split_015.html
index_split_036_split_016.html
index_split_036_split_017.html
index_split_036_split_018.html
index_split_036_split_019.html
index_split_036_split_020.html
index_split_036_split_021.html
index_split_036_split_022.html
index_split_036_split_023.html
index_split_036_split_024.html
index_split_036_split_025.html
index_split_036_split_026.html
index_split_036_split_027.html
index_split_036_split_028.html
index_split_036_split_029.html
index_split_036_split_030.html
index_split_036_split_031.html
index_split_036_split_032.html
index_split_036_split_033.html
index_split_036_split_034.html
index_split_036_split_035.html
index_split_036_split_036.html
index_split_036_split_037.html
index_split_036_split_038.html
index_split_036_split_039.html
index_split_036_split_040.html
index_split_036_split_041.html
index_split_036_split_042.html
index_split_037.html
index_split_038.html
index_split_039.html
index_split_040.html
index_split_041.html
index_split_042.html
index_split_043.html
index_split_044.html
index_split_045.html
index_split_046.html
index_split_047.html
index_split_048.html
index_split_049.html
index_split_050.html
index_split_051.html
index_split_052.html
index_split_053.html
index_split_054.html
index_split_055.html
index_split_056.html
index_split_057.html
index_split_058.html
index_split_059.html
index_split_060.html
index_split_061.html
index_split_062.html
index_split_063.html
index_split_064.html
index_split_065.html
index_split_066.html
index_split_067.html
index_split_068.html
index_split_069.html
index_split_070.html
index_split_071.html
index_split_072.html
index_split_073.html
index_split_074.html
index_split_075.html
index_split_076.html
index_split_077.html
index_split_078.html
index_split_079.html
index_split_080.html
index_split_081.html
index_split_082.html
index_split_083.html
index_split_084.html
index_split_085.html
index_split_086.html
index_split_087.html
index_split_088.html
index_split_089.html
index_split_090.html
index_split_091.html
index_split_092.html
index_split_093.html
index_split_094.html
index_split_095.html
index_split_096.html
index_split_097.html
index_split_098.html
index_split_099.html
index_split_100.html
index_split_101.html
index_split_102.html
index_split_103.html
index_split_104.html
index_split_105.html
index_split_106.html
index_split_107.html
index_split_108.html
index_split_109.html
index_split_110.html
index_split_111.html
index_split_112.html
index_split_113.html
index_split_114.html
index_split_115.html
index_split_116.html
index_split_117.html
index_split_118.html
index_split_119.html
index_split_120.html
index_split_121.html
index_split_122_split_000.html
index_split_122_split_001.html
index_split_123.html
index_split_124.html
index_split_125.html
index_split_126.html
index_split_127.html
index_split_128.html
index_split_129.html
index_split_130.html
index_split_131.html
index_split_132.html
index_split_133.html
index_split_134.html
index_split_135.html
index_split_136.html
index_split_137.html
index_split_138.html