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LA RÉPUBLIQUE CONSULAIRE (1799-1804)
L'essentiel de la Constitution est donc consacré à l'organisation des pouvoirs. Dans l'ordre de présentation, le « Sénat conservateur »
arrive en tête, avant l'exposé des prérogatives des consuls. Le Sénat est l'élément de stabilité du nouveau régime, puisque ses membres, d'abord soixante, puis à terme quatrevingts, sont nommés à vie. Il en est également le pivot ; le Sénat désigne les membres des assemblées, un certain nombre de hauts fonctionnaires et enfin les consuls eux-mêmes. Il est en outre chargé de veiller à la constitutionnalité des lois. Mais le Sénat n'est pas une haute assemblée comme en possèdent les monarchies parlementaires ; il n'a pas à connaître les projets de lois discutés par les autres chambres, sauf si leur conformité avec la Constitution est contestée. Le Sénat ne participe donc pas à l'exercice du pouvoir législatif, lequel est partagé entre deux assemblées, le Tribunat, composé de cent membres, et le Corps législatif qui en compte trois cents. Aucune de ces deux assemblées n'a l'initiative des lois ; seul le gouvernement peut proposer des projets de lois, mais le Tribunat peut exprimer des vœux sur les lois à faire. Les projets sont examinés par le Tribunat qui les discute et fait connaître son avis, avant d'envoyer devant le Corps législatif trois représentants chargés de présenter ses conclusions. Les membres du Corps législatif, après avoir entendu les orateurs du Tribunat et les représentants du gouvernement, se prononcent sur les projets de loi, au cours d'un scrutin secret, sans pouvoir en discuter ni les amender.
Ainsi le Tribunat est-il la seule assemblée délibérative ; elle est aussi de ce fait la plus remuante, celle où la vie politique conserve, au moins dans les premières années du Consulat, une certaine vigueur.
Le rôle du Corps législatif est plus restreint, puisqu'il se contente d'approuver ou de repousser les lois, sans que l'opinion de ses membres soit nécessairement connue.
La marge de manœuvre des assemblées est de toute manière faible tant s'impose le poids du gouvernement et surtout du Premier consul. « Qu'y a-t-il dans la Constitution ? Il y a Bonaparte », proclame-t-on alors. En principe, la collégialité de l'exécutif a été respectée, puisque le gouvernement est assuré par trois consuls. En réalité, le premier d'entre eux est le véritable détenteur du pouvoir.
Nommé pour dix ans, aux termes de la Constitution de l'an VIII, il a d�s pouvoirs quasi régaliens ; il nomme aux principales fonctions de l'Etat, propose les lois et veille à leur exécution, dirige les armées et
.la politique extérieure du pays. Les deux autres consuls n'ont qu'une voix consultative. Quant aux ministres, nommés par le Premier consul, ils restent dans une position subalterne. Ils secçmdent les consuls dans l'exécution des lois, comme les conseillers d'Etat les aident dans leur élaboration. Un Conseil d'État, véritable conseil du prince, est chargé d'élaborer les projets de loi voulus par le Premier consul, puis de les présenter et de les défendre devant les assemblées. Ce sont donc les conseillers d'État et non les ministres qui viennent exposer la politique du gouvernement devant le Tribunat 52
LA MISE EN PLACE DU CONSULAT
et le Corps législatif. Tout concourt par conséquent, dans la Constitution, à séparer le pouvoir exécutif du pouvoir législatif. De même, le pouvoir judiciaire est apparemment distinct du pouvoir exécutif, les juges étant inamovibles, mais tous, sauf les juges de la Cour de cassation désignés par le Sénat et les juges de paix élus, sont nommés par le Premier consul qui détient ainsi un moyen de pression sur leur carrière. C'est donc peu de dire que la Constitution de l'an VIII place le Premier consul au cœur de la vie politique.
Bonaparte n'attend pas pour appliquer cette Constitution. Elle entre en vigueur avant même que le peuple se soit prononcé en sa faveur. Les rédacteurs de la Constitution avaient en effet prévu d'en soumettre le texte à l'approbation populaire, au cours d'un plébiscite qui se déroule au cours du mois de décembre 1799. Tous les citoyens français pouvaient prendre part au vote. Pour ce faire, ils devaient signer l'un des registres ouverts à cet effet, soit le registre des oui, soit celui des non. Dans l'armée, le vote s'effectue par régiment, sans que l'expression d'une opposition soit rendue possible.
Dans le pays, beaucoup d'électeurs préférèrent s'abstenir de faire connaître leur sentiment à l'égard d'un régime naissant. Signer, c'est se découvrir et, dans certaines régions troublées notamment, ce geste pouvait n'être pas sans conséquence. Cette abstention massive fut toutefois masquée par le gouvernement, peu désireux de laisser transparaître le désintérêt suscité par la consultation nationale qu'il avait organisée. En l'espèce, le ministre de l'Intérieur et frère de Napoléon Bonaparte, Lucien, fit en sorte que la participation officielle s'établisse à trois millions d'électeurs. Un million cinq cent mille s'étaient déplacés, ce qui signale l'extrême désintérêt ou du moins la passivité des Français face au nouveau régime. Cette manipulation de l'opinion, à l'aube du Consulat, n'est pas de bon augure pour le développement de l'expression publique dans le pays. Néanmoins, approuvée par le peuple, la Constitution de l'an VIII repose désormais sur un fondement légal.