2. LES CENT-JOURS
La révolution du 20 mars ouvre une nouvelle ère dans l'épopée napoléonienne. En trois semaines, l'aventurier débarquant clandestinement au golfe Juan s'est mué en souverain légitime. Cette légitimité repose sur le soutien populaire rencontré au long de sa route.
Le peuple l'a plébiscité avec ses pieds. Le départ précipité du roi est aussi un aveu de faiblesse qui renforce le caractère légitime de Napoléon. Parvenu à Paris, l'Empereur s'empresse de reconstituer un gouvernement, en faisant largement appel à ses anciens ministres. Le fidèle Maret reprend ses fonctions de secrétaire d'État, Gaudin retrouve le ministère des Finances qu'il avait occupé sans discontinuer de 1799 à 1814, Mollien réintègre également le ministère du Trésor, tandis que Decrès s'apprête à poursuivre l'œuvre de reconstruction de la marine. En revanche, Savary décline l'offre du ministère de la Police où Napoléon se décide à rappeler l'indispensable Fouché. Ce dernier avait joué un jeu ambigu pendant la Première Restauration, affichant son royalisme alors qu'il appuyait l'initiative de généraux qui, dans le nord de la France, préparaient un complot contre le roi, avant d'être menacé d'emprisonnement par le gouvernement de Louis XVIII. Fouché joue de ce statut d'opposant à la royauté pour s'imposer à Napoléon. Sa connaissance des rouages de la police est un atout considérable en ces temps troublés, même si sa fidélité n'est pas à toute épreuve.
Tout comme Savary, Molé refuse de reprendre le ministère de la 425
L'ÉCHEC DU SURSAUT DYNASTIQUE (1810-1815)
Justice. Napoléon choisit donc d'y placer un revenant, en la personne de Cambacérès, l'ancien archichancelier, dont les compétences juridiques sont incontestables et qui d'ailleurs avait occupé cette fonction au lendemain du 18-Brumaire. À la Guerre, Napoléon nomme le maréchal Davout, qui s'était illustré par sa belle résistance dans la forteresse de Hambourg ; il avait été le dernier chef de guerre fran çais à rendre les armes en avril 1814. Napoléon convainc également Caulaincourt de prendre à nouveau en charge le ministère des Relations extérieures. Tous ces ministres sont des fidèles de l'Empereur ; ils ont tous, sauf Davout, appartenu aux différents gouvernements de la période précédente. De ce point de vue, la nomination de Lazare Carnot au ministère de l'Intérieur représente une véritable surprise. L'ancien jacobin ne passait pas pour un partisan du régime impérial, mais sa réprobation de la monarchie, exprimée au début de l'année dans un pamphlet virulent, est telle qu'il accepte de servir Napoléon. La présence de Carnot, Fouché et Cambacérès donne à ce gouvernement une allure révolutionnaire.
Tous les trois ont été députés à la Convention, les deux premiers votant la mort de Louis XVI, puis ils ont participé à la réaction thermidorienne, avant d'être, pour deux d'entre eux, les principaux piliers du Consulat. Napoléon peut également compter sur une administration peu épurée à l'occasion de la première restauration et qui accepte sans difficulté de se rallier à sa personne. Il n'en profite pas moins pour épurer fortement le corps préfectoral, ne conservant qu'un tiers des préfets en place à son arrivée.
Pour l'heure, l'une de ses principales préoccupations, après son retour au pouvoir, est d'éviter la reprise de la guerre extérieure, du moins dans l'immédiat. Parvenu à Lyon, il informe les puissances étrangères de ses intentions pacifiques. Il récidive à Paris, par l'intermédiaire de son ministre des Affaires extérieures. Caulaincourt tente de persuader les diplomates russes et autrichiens des bonnes dispositions de l'Empereur qui, dans le même temps, adresse aux divers souverains d'Europe des lettres dans ce sens. « Mes efforts, écrit Napoléon à l'empereur d'Autriche, tendent uniquement à consolider ce trône et à le léguer un jour, affermi sur d'inébranlables fondements, à l'enfant que Votre Majesté a entouré de ses bontés paternelles. » Napoléon espère alors que Marie-Louise et son fils pourront le rejoindre à Paris dans les plus brefs délais. Il abandonne donc l'idée de reconstituer son pouvoir en Europe, reconnaissant de fait les erreurs commises dans cette lutte pour l'expansion : « J'ai renoncé aux idées du Grand Empire, dont depuis quinze ans, je n'avais encore posé que les bases, indique-t-il aux conseillers d'État. Désormais le bonheur et la consolidation de l'Empire français seront l'objet de toutes mes pensées 10. » Mais les puissances alliées restent insensibles à ces messages de paix, dans lesquels réapparaît l'homme des Lumières soucieux du bonheur de son peuple. Aiguillonnées par Talleyrand, venu à Vienne en sa 426