1. LA CAMPAGNE DE FRANCE

Le 25 janvier 1814 Napoléon repart en campagne. Deux jours auparavant, il a de nouveau confié la régence à l'Impératrice, avant de nommer son frère Joseph lieutenant général de l'Empire. Il quitte sa femme et son fils pour ne plus les revoir. Face à lui, les armées étrangères se sont rapprochées. Certes, l'armée du Nord, commandée par Bernadotte, reste en retrait, en Belgique. L'ancien maréchal d'Empire ne tient guère à combattre ses anciens camarades sur le sol de France. Il n'enverra en France qu'un quart de ses troupes, soit un peu plus de quarante mille hommes. Néanmoins, les armées de Blücher et de Schwarzenberg convergent à grands pas vers Paris. La première compte quatrevingt-six mille soldats, la seconde près de deux cent mille. Avec cinquante mille hommes seulement - mais, se vante Napoléon, « cinquante mille hommes et moi, cela fait cent cinquante mille » -, la situation des armées fran

çaises peut paraître précaire. Son objectif principal est donc d'empêcher la concentration des armées coalisées. Il lui faut pour ce faire les vaincre l'une après l'autre. Dès le 27 janvier, il l'emporte à Saint

Dizier sur l'avant-garde de l'armée de Blücher, puis le 29, il gagne la bataille de Brienne face au gros de l'armée du général prussien.

Cependant, il se trouve submergé par la concentration des forces alliées et doit céder le terrain à la Rothière le 1er février, sans pour autant que l'armée française soit défaite.

C'est dans ce contexte que s'ouvre le congrès de Châtillon.

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LA CHUTE FINALE

Napoléon y a délégué Caulaincourt et paraît disposé à traiter avec les représentants des quatre puissances alliées : l'Autrichien Stadion, le Russe Razoumovski, le Prussien Hardenberg et l'Anglais Castlereagh. Les conditions posées par les alliés sont strictes ; la France doit rentrer dans les limites qui étaient les siennes au début de 1792. Napoléon ne peut se résoudre à renoncer aux frontières naturelles, et à abandonner la rive gauche du Rhin. « Des revers inouïs ont pu m'arracher la promesse de renoncer à mes conquêtes, mais que j'abandonne celles de la République ! Que je viole le dépôt qui me fut remis avec tant de confiance ! Qu'aurai-je à répondre aux: républicains ? » Encore une fois apparaît un Napoléon désireux de faire revivre les souvenirs de l'an II et de la Grande Nation. Il refuse de répondre aux: propositions alliées. Le congrès de Châtillon est donc suspendu le 9 février. À ce moment-là, Napoléon décide d'attaquer successivement les deux: armées alliées qui ont pris la route de Paris, celle de Blücher en suivant la Marne, celle de Schwarzenberg en longeant la Seine. L'armée de Blücher, la plus faible, est la première visée, d'autant qu'elle progresse en quatre corps séparés. Le 10 février, Napoléon détruit le corps d'Olsoufiev à Champaubert, puis le 11 février il remporte la victoire de Montmirail sur le corps de Sacken, et le 12, il bouscule le corps de Yorck à Montmirail. Enfin, le 14 février, il l'emporte sur Blücher à Vauchamps. Il n'a pas détruit l'armée de Silésie, mais l'a considérablement affaiblie.

Il lui reste un morceau de taille, avec l'armée de Bohême, commandée par Schwar.œnberg. Il la rattrape dans la région de Fontainebleau, alors qu'elle fait route vers Paris et l'emporte à Montereau le 18, l'obligeant à se replier en Champagne. Napoléon qui la poursuit peut ainsi reprendre Troyes le 25 février. L'armée de Schwarzenberg, alors réduite à cent trente mille hommes, prend position à Chaumont, mais Napoléon décide d'interrompre sa poursuite et de laisser la moitié de ses forces face à elle, sous le commandement du maréchal Macdonald. Pendant ce temps, il court vers le nord, afin d'empêcher la concentration des restes de l:armée de Blücher et des corps d'armées dépêchés par Bernadotte. A nouveau en infériorité numérique, puisqu'il a face à lui cent mille hommes, il parvient cependant à l'emporter. Après avoir passé l'Aisne pour contourner l'armée de Silésie, il bouscule Blücher à Craonne le 7 mars, avant de disperser son armée à Laon, les 10 et 11 mars. Dans l'immédiat, Napoléon a réussi à éloigner les armées ennemies de la capitale. S'il ne parvient pas à les détruire, il leur cause en revanche des pertes importantes et provoque de fortes inquiétudes dans leurs rangs. Le combat est cependant loin d'être gagné. Et les forces de Napoléon s'amenuisent.

Tel est bien le problème principal auquel est confronté l'Empereur. Les levées successives ne parviennent qu'à peine à assurer la relève des soldats tombés sur le champ de bataille. Les effectifs dont il dispose oscillent, au cours des mois de février et mars, entre 397

 

L'ÉCHEC DU SURSAUT DYNASTIQUE (1810-1815)

cinquante mille et soixantedix mille hommes. Il a cependant conservé à ses côtés quelques-uns de ses meilleurs généraux, Macdonald, Ney, Oudinot et Victor. Le maréchal Mortier commande la Vieille Garde, ce corps d'élite qui s'est illustré dans les principales campagnes de l'Empire. Duc de Trévise depuis 1808, le maréchal Mortier n'a pas épargné sa peine depuis le temps où, jeune officier, il parcourait les champs de bataille de la Révolution. Présent à Austerlitz en 1805, puis à Friedland en 1806, il est ensuite de tous les combats difficiles ; il passe en effet trois ans en Espagne, avant de participer à la campagne de Russie. Promu gouverneur de Moscou, il parvient à ramener vers la France les débris de la Garde impériale. Puis il est très actif lors de la campagne d'Allemagne. Depuis Jemmapes, en 1792, où il a combattu sous Dumouriez, Macdonald a également fait du chemin, mais sa carrière a connu une éclipse de taille puisque, soupçonné d'être lié à Pichegru, sous lequel il a servi pendant la Révolution, Macdonald est écarté de tout commandement en 1804. Il ne reprend du service qu'en 1809, à l'occasion de la campagne contre l'Autriche. Lui aussi passe par l'Espagne, avant de participer à l'expédition de Russie puis à la campagne d'Allemagne.

L'aide apportée par le maréchal Oudinot à Napoléon est également décisive, comme lui avait été précieux, lors de la retraite de Russie, le concours de ce fougueux militaire, entré dans l'armée d'Ancien Régime, comme simple soldat, à dix-sept ans, avant de conquérir dès 1794 ses galons de général. Duc de Reggio depuis 1809, il est un des rares généraux de 1814 à n'avoir pas participé à la guerre en Espagne. L'allant des maréchaux Ney et Victor paraît moindre. On les dit fatigués des nombreuses campagnes menées depuis les débuts de l'Empire, et marqués par la retraite de Russie qui valut à Ney le titre de prince de la Moskowa, en récompense d'une défense jugée héroïque. Leur science du combat reste toutefois intacte et leur soutien à Napoléon indéfectible.

Les difficultés de Napoléon sont ailleurs. Elles viennent en particulier de l'obligation de disperser ses troupes face à un ennemi qui se multiplie. Les frontières naturelles se fissurent, mais les armées françaises résistent partout aux troupes étrangères. Au sud-ouest, les Anglais et les Espagnols ont pénétré en France par le Pays basque, mais le maréchal Soult se défend pied à pied et Toulouse ne tombe que le 10 avril, soit quatre jours après l'abdication de Napoléon. En Catalogne, Suchet tient la frontière pyrénéenne et empêche les armées adverses de s'introduire en France, tandis que le général Habert, enfermé dans Barcelone avec dix mille hommes, ne livre la ville qu'en mai. En Italie, Eugène parvient toujours à contenir l'avance des Autrichiens. La défense de Lyon s'avère plus délicate. Napoléon en a chargé le maréchal Augereau, censé s'opposer à la progression d'une partie de l'armée de Bohême, arrivé de Suisse. Ce général, que Bonaparte avait connu lors de la première campagne d'Italie, peine à organiser la défense de la ville, malgré 398

 

LA CHUTE FINALE

les appels pressants de l'Empereur : « Je vous ordonne de partir douze heures après la réception de cette lettre, lui écrivait-il au début de la campagne. Si vous êtes toujours l'Augereau de Castiglione, gardez le commandement, si vos soixante ans pèsent sur vous, quittez-le et remettez-le au plus ancien de vos officiers généraux. La patrie est menacée et en danger ; elle ne peut être sauvée que par l'audace et la volonté et non par de vaines temporisations. Soyez le premier aux balles. Il n'est plus temps d'agir comme dans les derniers temps. Il faut reprendre ses bottes et sa résolution de 93 1. » Après coup, Napoléon mettra en cause l'attitude du maréchal Augereau à Lyon. Au début de 1814, il compte sur son expérience et son patriotisme, et n'hésite pas à rallumer la flamme du jacobinisme dans ses yeux. Augereau n'accomplit pas pleinement la mission qui lui avait été confiée, mais que pouvait-il faire face à la marée alliée, avec des forces réduites ?

Les armées traditionnelles peuvent-elles espérer trouver du soutien au sein de la population ? Dans l'est du pays, labouré par les armées étrangères, l'esprit national renaît. Des bandes de partisans se forment qui harcèlent les troupes prussiennes, autrichiennes et surtout russes. Si quelques habitants les ont vus arriver avec sympathie, la plupart ont très mal ressenti les exactions commises sur le terrain. Certes, les armées françaises ont agi de même partout où elles passaient, mais les Français avaient perdu l'habitude de ces coutumes et ont quelque mal à accepter cette « loi de la guerre ».

Les Cosaques en particulier font régner une véritable terreur sur leur passage. Au début du mois de mars, ils pillent ainsi Montmirail, puis Sézanne dans la Marne. Leur arrivée fait trembler les habitants, comme le montre ce témoignage du baron de Frénilly, royaliste peu suspect de sympathie pour Napoléon :

essaim de ces vautours

arriva. Au premier bruit de leur apparition, tout le canton se réfugia dans mes bois. Mes ordres, mes leçons, rien n'y fit ; concierge, régisoSeur, jardinier, valets, fermèrent tout, barricadèrent tout et s'enfuirent à toutes jambes, laissant château, ferme, basse-cour, moutons, et vaches, et chevaux, et grains, et fourrages à la grâce de Dieu et de leurs verrous. À minuit, dix Cosaques sautent les murs du parc, arrivent au château, le trouvent désert, enfoncent une croisée et les voilà dans mon petit salon au milieu des glaces, des sculptures, des peintures. Cinquante autres surviennent ; puis deux cents, puis deux mille et ils sont en pleine conquête. Alors commença le sac de Troie 2. » L'auteur reconnaît qu'ils ne tuèrent personne, égratignant au passage la propagande napoléonienne sur ce thème, mais il ne dissimule pas le pillage systématique dont ses propriétés furent l'objet. Partout dans l'est et le nord de la France, surtout dans les campagnes, le passage des troupes étrangères fut durement ressenti.

Dans le sud-ouest, la pression militaire des Anglais est moins forte, car le général Wellington maintient une discipline de fer pour empêcher ses troupes de piller le territoire. Mais la guerre n'en est pas 399

 

L'ÉCHEC DU SURSAUT DYNASTIQUE (1810-1815)

moins pesante ; elle draine son cortège de fuyards, de bandes errantes, tandis que les troupes du maréchal Soult en se repliant vers Toulouse vivent largement sur le terrain. Ainsi, avec la France du Nord et du Nord-Est, le Sud-Ouest aquitain et la région lyonnaise, c'est plus d'un tiers du territoire qui doit subir les effets de la guerre en ces premiers mois de 1814.

La guerre touche indirectement toutes les régions françaises. Elle s'accompagne d'abord d'une pression fiscale renforcée. Alors que les impôts avaient peu été augmentés depuis 1800, ils subissent un accroissement de 27 % en 1813, puis de 50 % en 1814. En deux ans, la pression fiscale a presque doublé. Il est vrai que la France a perdu le domaine extérieur dont elle tirait d'abondantes ressources. Elle ne peut plus compter que sur ses simples forces. Or, cette pression fiscale touche un territoire réduit, puisque les départements belges, hollandais et rhénans échappent à l'administration française. De plus, elle est immédiate, puisque les augmentations portent essentiellement sur les contributions indirectes et les droits de douane, ce qui provoque une hausse des prix des produits de consommation, y compris des produits de première nécessité. Le coût de la vie est donc en forte augmentation, alors que la baisse de l'activité économique réduit d'autant le revenu des Français.

La pression militaire reste également forte. En janvier 1814, les préfets ont organisé la levée de la classe 1815, mais ils s'occupent aussi de ramener vers les drapeaux les conscrits qui ont tenté d'échapper au service. Parallèlement, la Garde nationale a été restructurée à partir du 17 décembre 1813 ; elle doit permettre d'assurer la sécurité intérieure du pays, mais n'est que peu utilisée.

Napoléon préfère s'en remettre aux seuls professionnels. De même, il se méfie des corps francs qui se sont organisés, notamment dans les régions occupées. Certains regroupent, dans l'Est, plusieurs centaines de combattants qui se cachent dans les bois et harcèlent les troupes étrangères. Le sous-préfet de Sainte-Menehould, Drouet, qui s'était rendu célèbre en provoquant l'arrestation de Louis XVI à Varennes, avant de devenir député à la Convention, réunit ainsi près de huit cents hommes, recrutés parmi des douaniers et des gardes champêtres. Mais son cas est assez exceptionnel. Son engagement en faveur de la Révolution radicale - il a même un temps épousé les idées de Gracchus Babeuf - l'incite à se battre contre le retour de la monarchie. Non loin de la région de la Marne, en Argonne, c'est le général Radet, qui avait naguère procédé à l'arrestation du pape dans Rome, qui organise un groupe de corps francs. Mais la levée est loin d'être générale. La progression des troupes étrangères est gênée, elle n'est pas entravée. Napoléon se méfie de la mobilisation du peuple pour défendre son pouvoir. Il craint que la

« jacquerie » fasse resurgir des idéaux révolutionnaires, à ses yeux plus dangereux que les armées ennemies.

Il est vrai qu'au début du mois de mars, 1814, fort de ses récents 400

 

LA CHUTE FINALE

succès, l'Empereur espère toujours retourner la situation en sa faveur. Il continue de refuser les conditions de paix imposées par les alliés et s'arc-boute sur les frontières naturelles, c'est-à-dire sur le Rhin. C'est pourquoi il maintient des garnisons dans plusieurs places fortes d'Allemagne, dont Mayence, se privant ainsi de soldats souvent aguerris au combat. Cette intransigeance sur les frontières naturelles le contraint à conduire la guerre jusqu'au bout, jusqu'à la destruction de l'un des deux adversaires. Dans les premiers jours de mars, ses talents militaires font encore merveille. Napoléon l'emporte sur Blücher à Craonne, le 7. Le lendemain, les alliés signent le pacte de Chaumont qu'ils datent du 1er mars. Ils y prennent l'engagement de ne pas conclure de paix séparée et de ne cesser le combat que lorsque la puissance de Napoléon sera complètement détruite. L'Angleterre s'engage par ailleurs à financer l'alliance.

Ce pacte stimule la coalition dont les troupes sont victorieuses, le 10 mars, à Laon. La victoire remportée par l'Empereur à Reims, le 13 mars, n'y change rien. L'armée française est désormais en sursis, trop faible pour envisager la victoire sur le terrain. Les alliés en ont conscience, puisque le 19 mars, ils interrompent les négociations qui avaient repris quelques jours plus tôt à Châtillon. Les deux points de vue sont toujours très éloignés.

Napoléon tente alors sa dernière chance. Il songe à gagner l'est de la France pour rallier les garnisons qui s'y étaient maintenues. Il pourrait ainsi regrouper ses forces, tout en coupant les alliés de leurs arrières. Ce plan échoue, d'abord parce que son armée subit quelques revers, ensuite parce que les alliés décident de changer de stratégie en s'attaquant directement à Paris. Des informations interceptées en provenance de la capitale leur laissent entrevoir le développement d'un état d'esprit hostile à Napoléon. Les alliés songent donc à gagner au plus vite Paris pour disposer de la capitale comme éventuelle monnaie d'échange avec l'Empereur. Le terrain est bien préparé par Talleyrand qui, dans le même temps, est en contact avec les Autrichiens.

2. LE TARDIF RÉVEIL MONARCHIQUE

L'entrée des forces alliées sur le sol français a suscité des convoitises. Les plans se multiplient pour savoir par quel régime remplacer l'Empire. Depuis leur exil, Germaine de Staël et Benjamin Constant avaient déjà songé à mettre sur le trône de France le maréchal Bernadotte. Ce dernier avait fait ses preuves en Suède depuis 1810. Il gardait en outre une certaine popularité dans l'armée. Son passé de jacobin garantissait enfin son attachement aux principes de 1789. Il restait à le convaincre de jouer un rôle décisif en France. Germaine de Staël s'y emploie à partir de 1812. Elle a alors quitté la tutelle 401

 

L'ÉCHEC DU SURSAUT DYNASTIQUE (1810-1815)

napoléonienne et gagné Stockholm, se souvenant que son mari avait été l'ambassadeur de la Suède en France dans les années 1780. Elle est en Suède au moment où Napoléon s'enlise dans les plaines russes et pousse alors Bernadotte dans l'alliance contre la France.

Ses deux fils s'engagent dans l'armée suédoise. Elle invite au même moment le général Moreau à quitter son exil américain pour venir s'engager dans les armées coalisées contre Napoléon. Le vainqueur de Hohenlinden et rival de Bonaparte devait trouver la mort près de Dresde en août 1813. Ainsi, de septembre 1812 à mai 1813, Germaine de Staël anime en Suède un parti favorable à Bernadotte, avant de rejoindre Londres. Elle a aussi réussi à gagner à sa cause son ancien amant, Benjamin Constant, qui s'est séparé d'elle avec fracas en 1810, sans toutefois rompre tous les ponts. Constant est également séduit par l'hypothèse Bernadotte. La rencontre entre les deux hommes intervient en octobre 1813, à Hanovre, après que le prince de Suède a engagé ses armées sur le continent. Malgré les efforts de Constant, Bernadotte garde ses distances. Il reçoit en janvier 1814, les premières feuilles du livre de Constant, De l'esprit de conquête et de l'usurpation, véritable charge contre Napoléon dans laquelle le penseur libéral fustige l'arbitraire et le despotisme et loue le modèle de monarchie libérale offert par l'Angleterre. Il laisse aussi une porte ouverte à Bernadotte, à travers l'éloge de Guillaume III, s'emparant du trône anglais après la révolution de 1688 : « Une révolution de ce genre n'a rien de commun avec l'usurpation. Le Prince, élu librement par la nation, est fort à la fois de sa dignité ancienne et de son titre nouveau. Il plaît à l'imagination par les souvenirs qui la captivent, et satisfait la raison par le suffrage national dont il s'appuie 3. » Ces propos visent directement Bernadotte. Ils sont supprimés dans l'édition publiée en France en avril 1814. L'hypothèque Bernadotte est alors levée.

D'autres libéraux songent à appeler en France le duc d'Orléans, alors en exil en Sicile. Il est à Palerme, le 23 avril 1814, lorsqu'il apprend la déchéance de Napoléon. Il présente lui aussi des atouts.

Descendant de la famille des Bourbons, il offre l'avantage de s'être battu pour la jeune République ; il était à Valmy en septembre 1792, à Jemmapes en novembre. Fils aîné de Philippe Egalité, qui a voté la mort de Louis XVI, il ne risque pas de remettre en cause les principaux acquis de la Révolution. Mais souhaite-t-il alors le trône ?

Il devrait pour ce faire accepter d'en déposséder le frère de Louis XVI. Ce dernier apparaît, en 1814, aux yeux des monarchistes, comme le candidat naturel à la succession de Napoléon. De plus, le duc d'Orléans est éloigné du théâtre des opérations. Il débarque à Gênes le 6 mai, et n'arrive à Paris que le 16. À cette date, le sort du trône est joué. Louis XVIII a été rappelé à la tête du pays. Pourtant, le rétablissement des Bourbons sur le trône de France n'était pas acquis en mars 1814.

Lorsque Louis XVIII rentre en France, il met un terme à de 402

 

LA CHUTE FINALE

longues années d'émigration. Après avoir séjourné à Mittau, sous la protection du tsar, il était arrivé en Angleterre en 1807, rejoignant ainsi son frère, le comte d'Artois. En 1809, le comte de Provence s'est installé à Hartwell House, dans le Buckinghamshire, où il a organisé une petite cour. Pendant toute la période de la Révolution et de l'Empire, en effet, la Maison du Roi a conservé ses cadres, laissant se développer l'impression d'une monarchie toujours vivante. Le prétendant prend même un soin jaloux à choisir ses collaborateurs. Ainsi, à la mort du cardinal de Montmorency-Laval, en 1808, Louis XVIII désigne pour le remplacer comme grand aumônier Mgr de Talleyrand-Périgord qui était, avant la Révolution, archevêque de Reims, la ville du sacre. Il conservera cette charge au début de la Restauration, devenant en outre archevêque de Paris.

Au-delà du respect d'un rituel de cour très codifié, cette Maison est un vivier de conseillers du prince. Louis XVIII s'entoure de fidèles serviteurs de la cause monarchiste, plutôt que de courtisans. Ainsi, en 1809, il nomme à la charge de grand maître de sa garde-robe le comte de Blacas, l'un de ses principaux conseillers. Le comte d'Avaray est également une des figures marquantes de l'entourage de Louis XVIII. C'est dans ce milieu que se prépare, au début de 1814, la prochaine restauration. Elle est également fort discutée à Londres où résident le comte d'Artois et son fils, le duc de Berry.

Leur résidence est l'un des principaux lieux d'élaboration des plans de rétablissement de la monarchie. Des contacts fréquents se nouent avec les évêques d'Ancien Régime qui ont refusé de donner leur démission au pape en 1801. Ce parti de l'émigration partage pour l'essentiel les idées des penseurs traditionalistes qui voient dans la Révolution un châtiment divin, rendant nécessaire la régénération du pays par la restauration d'une monarchie véritablement chrétienne, c'est-à-dire dont les lois s'inspirent des principes chrétiens. Louis XVIII a lu dans l'exil les Considérations sur la France, publiées en 1797 par Joseph de Maistre, devenu ensuite le représentant du prétendant à la cour du tsar. Les royalistes en émigration maintiennent également le contact avec les monarchistes de l'intérieur. Ils comptent sur une insurrection qui permettrait de restaurer le roi et fondent beaucoup d'espoirs sur la persistance du sentiment monarchiste dans l'Ouest ainsi que sur la réorganisation d'un « parti royaliste ».

En France, les réseaux royalistes n'ont en fait jamais cessé d'exister sous l'Empire, même si la répression du complot Cadoudal

Pichegru, en 1804, puis la traque menée contre les chouans ont contribué à éradiquer le mouvement. Pour s'être aventuré sur le sol français, un cousin de Chateaubriand, prénommé Armand, est passé par les armes en 1809. En 1810, pourtant, la fondation de l'association des Chevaliers de la foi atteste de la vitalité retrouvée du sentiment royaliste. Cette association, on l'a vu, a été créée par Ferdinand et Bénigne de Bertier dont le père, intendant de Paris sous l'Ancien 403

 

L'ÉCHEC DU SURSAUT DYNASTIQUE (1810-1815)

Régime, avait été tué aux premières heures de la Révolution, en juillet 1789. S'inspirant du modèle de la francmaçonnerie dans laquelle les deux frères sont entrés pour mieux en étudier les rouages, l'association présente une organisation très hiérarchisée et cloisonnée. Dirigée par un « Conseil suprême », placé sous la direction d'un grand maître de l'ordre, l'association des Chevaliers de la foi repose sur des « bannières », cellules de base de l'organisation, qui accueillent trois types de membres : les associés dont les fonctions sont essentiellement charitables, les écuyers qui forment le groupe intermédiaire, enfin les chevaliers, adoubés pour aller combattre au nom de la foi. Cette association s'inspire naturellement des ordres de chevalerie fondés à l'époque des croisades. Son idéal est la restauration d'une monarchie chrétienne en France. Elle recrute tout d'abord parmi les affiliés de la Congrégation, association de piété réorganisée en 1801, mais dissoute en 1809. Les premiers affiliés sont alors en prison, à l'image de Bénigne de Bertier, d'Alexis de Noailles, ou encore d'Armand et Jules de Polignac, le futur ministre de la Restauration. Elle recrute également Mathieu de Montmorency, ami de Mme de Staël, qui est rapidement promu grand maître de l'ordre des Chevaliers de la foi.

L'association se développe aussi en province, en s'appuyant sur les réseaux royalistes constitués à l'époque de la Révolution et restés en sommeil depuis. Ferdinand de Bertier multiplie les voyages pour les réactiver, dans l'Ouest, mais aussi dans la région de Bordeaux et de Toulouse. L'association essaime également dans la vallée du Rhône, en Provence et en Auvergne, ce qui fait dire à Ferdinand de Bertier : « L'ordre s'étendit constamment et prit un grand accroissement sous la domination de Bonaparte. Bientôt tous les anciens chefs royalistes, toutes les notabilités et tous les hommes les plus dévoués du parti en devinrent membres. Son influence commença à se faire sentir d'un bout de la France à l'autre 4. »

Ferdinand de Bertier fait état aussi du soutien de plusieurs des cardinaux noirs, dont le cardinal Pacca. L'association des Chevaliers de la foi a effectivement profité de la crise religieuse de la fin de l'Empire. Ses membres ont contribué à diffuser la bulle d'excommunication fulminée par le pape contre les responsables de sa déchéance. L'action de propagande est donc essentielle. L'association anime une résistance spirituelle au régime, avant de pouvoir envisager une insurrection armée.

À la fin de 1813, Louis XVIII est informé de l'existence de l'association des Chevaliers de la foi. Il leur donne carte blanche pour agir le moment venu, comme le relate Ferdinand de Bertier :

« M. de Cintré rapporta ces derniers ordres du roi ; nous les reçûmes le 9 octobre. Le soir même le chapitre était réuni chez M. de Montmorency et sous sa présidence. Des ordres étaient expédiés à toutes les bannières de France pour se préparer à l'action. Il était décidé qu'une partie des membres du chapitre iraient dans les 404

 

LA CHUTE FINALE

provinces qui seraient désignées à chacun d'eux pour prendre le commandement et la direction de ces provinces 5. » Il faut donc attendre les dernières heures de l'Empire pour que l'association des Chevaliers de la foi, en liaison avec d'autres groupes royalistes, tente un coup de force. Leur plan consistait à réveiller les foyers de royalisme en Vendée, en Bretagne, en Aquitaine et dans le Midi, afin de conduire à un soulèvement populaire qui aurait réclamé le retour des Bourbons, avant même la victoire définitive des puissances coalisées contre la France. L'idée des monarchistes était de ne pas devoir le rétablissement de la royauté à la seule intervention étrangère, d'autant plus qu'ils n'étaient pas assurés que les alliés adopteront cette solution. « Je voyais avec douleur que tout allait se décider par les armées étrangères et je prévoyais que si les royalistes n'arboraient pas le drapeau blanc et ne combattaient pas pour relever le trône légitime, tôt ou tard, on reprocherait aux Bourbons de ne devoir leur retour qu'aux baïonnettes étrangères et non à l'amour des Français 6. » Ces propos, rédigés après coup par Ferdinand de Bertier, sont certes influencés par les circonstances du retour en France de Louis XVIII en 1814, mais ils n'en révèlent pas moins le désir d'action des royalistes après quatorze ans de pouvoir napoléonien.

Le plan des Chevaliers de la foi est relativement simple. Il consiste à profiter des défaites françaises en Espagne et donc de la proximité de l'armée anglaise pour déclencher une insurrection dans le Rouergue, en s'appuyant sur les très nombreux réfractaires réfugiés dans les montagnes de l'Aveyron. Ensuite un gouvernement provisoire se mettrait en place à Rodez d'où il pourrait rapidement étendre son influence au sud-est du Massif central, avant que l'armée royaliste ainsi organisée marche sur l'ouest. Mais ce projet d'insurrection se solde par un échec, puisqu'il est ajourné, avant même d'avoir été lancé. Seuls deux cents hommes sont rassemblés par Ferdinand de Bertier qui, ayant eu vent de la défection de la bannière de Toulouse, préfère s'abstenir d'engager ses forces. La résistance des autorités constituées et la forte présence de la gendarmerie d'élite ont dissuadé les royalistes de s'aventurer dans une manœuvre hasardeuse. Il leur reste dès lors à placer leurs espoirs dans le soutien anglais.

L'entrée en France des forces de Wellington laisse entrevoir la chute prochaine de Napoléon. Les royalistes bien implantés dans le Sud-Ouest espèrent en tirer parti. Il leur faut faire admettre aux Anglais la nécessité de rétablir la monarchie en France, ce qui n'est pas encore acquis. C'est dans ce but que plusieurs émissaires fran

çais, parmi lesquels Ferdinand de Bertier, se rendent auprès du général anglais. Déjà, Wellington a autorisé le duc d'Angoulême à le rejoindre à Saint-Jean-de-Luz en février 1814 et, même s'il lui a enjoint de garder le plus strict anonymat, il le laisse suivre son armée. Neveu de Louis XVI et fils aîné du comte d'Artois dont il a 405

 

L'ÉCHEC DU SURSAUT DYNASTIQUE (1810-1815)

partagé l'exil et les plans de restauration, le duc d'Angoulême n'a pas la réputation de son frère, le duc de Berry, ardent défenseur de la cause monarchiste, mais sa seule présence suffit à rassembler les partisans de la monarchie, comme le montre l'affaire de Bordeaux.

Wellington avait accepté que le duc d'Angoulême se joigne au détachement envoyé, sous les ordres du général Beresford, pour prendre le contrôle de Bordeaux et de l'estuaire de la Gironde. Sans se déclarer pour la restauration, Wellington laisse la porte largement ouverte à la monarchie dans les ordres qu'il transmet à son lieutenant : « Si l'on vous demande votre consentement pour proclamer Louis XVIII, pour arborer le drapeau blanc, etc., répondez [ ... ] que là où sont nos troupes, tant que la tranquillité publique ne sera pas troublée, nous n'interviendrons nullement pour empêcher ce parti de faire ce qu'il jugera utile et convenable pour ses intérêts. »

Wellington se contente en la circonstance d'exprimer le point de vue du ministre des Affaires étrangères anglais, mais son souci de ne pas nuire aux intérêts des Bourbons est évident ; il le confirme par la suite. A Bordeaux même, abandonné par les forces de Napoléon, les royalistes se préparent à l'arrivée des Anglais. Les divers groupes royalistes formés dans la ville se sont réunis et ont réussi à convaincre le maire, le baron Lynch, de se prononcer en faveur de la monarchie. De fait, lorsque le détachement anglais se présente aux portes de Bordeaux, le 12 mars 1814, le maire, pourtant nommé par le gouvernement de Napoléon, se rallie à la cause des Bourbons et arbore la cocarde blanche. Il invite ensuite, après quelques hésitations, à remplacer les insignes du pouvoir napoléonien par les emblèmes de la royauté. La foule présente acclame ce ralliement.

Dans une ville où le parti royaliste a toujours été bien implanté, cet élan populaire est aussi la marque d'une volonté de changement, après plusieurs années de crise consécutive au Blocus continental.

Le symbole n'en reste pas moins fort. Une grande ville française a apporté son soutien à la monarchie et ainsi prouvé aux alliés que le retour des Bourbons pouvait être envisagé.

Ce mouvement est d'autant plus important que les autres tentatives menées par les partisans de la royauté, au cours du mois de février, s'étaient soldées par un échec. En même temps que le duc d'Angoulême arrivait à Saint-Jean-de-Luz, son frère, le duc de Berry, débarquait à Jersey, avec l'espoir de soulever la Normandie.

Les souvenirs de Frotté n'y étaient plus guère présents, et le prince dut vite déchanter. Au même moment, le comte d'Artois se présentait dans l'est de la France, espérant que la lassitude de populations harassées par le passage des troupes et les réquisitions multiples les porterait à l'accueillir en sauveur. Lui aussi dut déchanter, car les quelques manifestations royalistes organisées à l'arrivée des troupes étrangères par une poignées de fidèles, tant à Dijon qu'à Troyes, ne purent convaincre les alliés de la force du sentiment royaliste en France. L'est de la France est alors rétif à l'idéal monarchique. De 406

 

LA CHUTE FINALE

plus, les victoires de Napoléon en février devaient montrer la précarité de la cause des Bourbons. L'Empereur du reste, pour couper court à toute velléité de rébellion, punit de mort toute personne ayant porté la cocarde blanche. Le chevalier de Gouaut qui avait provoqué une manifestation royaliste à Troyes, à l'arrivée des Prussiens, est passé par les armes au moment où Napoléon reprend la ville, à la fin du mois de février.

Dans ce contexte peu favorable, la déclaration de Bordeaux du 12 mars prend toute sa valeur, d'autant que bientôt la plus grande partie du Sud-Ouest se rallie aux Bourbons. Son effet est surtout efficace sur les alliés, car elle accrédite le bien-fondé d'un rétablissement des Bourbons sur le trône de France. Le comte d'Artois est désormais choyé par les alliés. Il est vrai que la détérioration de la situation militaire de Napoléon, ajoutée à son refus de toute négociation, a contribué à voir s'éloigner la perspective d'up.

maintien de l'Empire. Il reste aux royalistes à montrer leur force. A Paris, les Chevaliers de la foi disposaient d'une organisation bien établie. Ses membres, parmi lesquels Sosthène de La Rochefoucauld ou Adrien de Montmorency, frère de Mathieu parti rejoindre le comte d'Artois dans l'Est, préparaient la proclamation de la monarchie lorsque le Sénat vota la déchéance de Napoléon. Ce n'est donc pas l'opposition royaliste qui a provoqué la chute de l'Empire, mais elle l'a accompagnée et surtout la persistance de réseaux royalistes a permis de convaincre les alliés de la nécessité de restaurer la royauté en faveur des Bourbons.

Histoire du Consulat et de l'Empire
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