4. LES PROTESTANTS SOUS L'EMPIRE

La réorganisation des Églises protestantes, fixée par les Articles organiques de 1802, est également longue à se dessiner. Elle concerne une population qui dépasse le million de personnes pour l'ensemble de l'Empire, à savoir huit cent quarante mille réformés et deux cent vingt mille luthériens. Ces derniers sont pour l'essentiel présents en Alsace et sur la rive gauche du Rhin, ainsi qu'à Paris ; les premiers sont répartis à travers le territoire hexagonal, notamment dans les Cévennes, les Charentes, le Dauphiné ou la vallée de la Dordogne, zones auxquelles il faut ajouter la région de Genève.

En 1805, ses cadres sont en place. À travers le territoire, les consistoires de l'Église réformée ont été découpés, en principe à raison d'un consistoire pour six mille habitants, mais souvent avec des entorses. En Seine-Inférieure où un seul consistoire avait été prévu autour de Bolbec, s'en ajoute un second pour encadrer les protestants de Rouen et de sa région. On a pour l'occasion grossi les chiffres de la complUnauté. Au total, la France hexagonale compte quatrevingt une Eglises consistoriales, dont vingt-deux concentrées dans les seuls départements du Gard et de la Lozère, et une vingtaine de petits foyers isolés. Ces consistoires ont reçu la jouissance d'environ soixantedix temples, en général d'anciennes églises devenues bien nationaux, confiés aux protestants qui en louent par ailleurs une trentaine. D'autres sont mis en chantier, mais seuls quinze sont achevés pendant l'Empire qui n'est pas une grande période de construction de temples. Les communautés les plus dispersées ont également obtenu la permission d'ouvrir des oratoires.

Dans l'Est, trente consistoires de l'Église luthérienne ont également été organisés, mais ils ont obtenu le droit d'avoir une organisation centrale, à Strasbourg, Mayence et Cologne, dirigée par un directoire ; à Strasbourg, les cinq membres du directoire, parmi lesquels trois ont été désignés par Bonaparte, sont placés sou� la présidence d'un magistrat, Philippe-Frédéric Kern. Dans les Eglises protestantes, comme dans la société, ce sont en effet les notables qui prennent en charge la direction des affaires de la communauté. Le peuple est ainsi dépossédé de son droit à la parole, mais Bonaparte a imposé cette organisation pour mieux pouvoir contrôler le développement du culte.

A partir de 1805, les hommes sont également en place. Les notables élus à la tête des consistoires ont en charge la désignation des pasteurs, mission délicate en un temps où les volontaires font 233

 

LA NAISSANCE D'UNE MONARCHIE (1804-1809)

défaut. Si la situation des luthériens est bonne, avec deux cents pasteurs, celle des réformés est en revanche déficitaire ; alors que l'Etat avait prévu de rémunérer, dès 1804, deux cent quarantecinq pasteurs, on n'en dénombre que cent soixantedix en 1806 et seulement deux cent quatorze en 1814. Il faut pour pallier cette absence faire appel à des pasteurs étrangers, venus pour la plupart de Suisse, à l'image de Jean Monod, originaire du pays de Vaud, qui arrive à Paris en 1808. Le gouvernement a pris conscience de cette carence.

Au moment où il organise l'Université, il crée une faculté de théologie à Montauban, dans le but de favoriser le recrutement des pasteurs. La même politique conduit à la création de la faculté de Strasbourg pour les !uthériens. Comme pour la formation des prêtres catholiques, l'Etat octroie des bourses aux aspirants et les dispense de service militaire. Ces efforts sont encore insuffisants à la fin de l'Empire, même si le corps pastoral de 1814 compte cent nouveaux pasteurs, pour les deux tiers d'entre eux formés au séminaire de Lausanne, de médiocre réputation.

Ces pasteurs, rémunérés par l'Etat, lui doivent aussi obéissance ; ils prêtent serment à Napoléon et doivent se soumettre aux demandes du gouvernement, à l'instar des prêtres catholiques. Ainsi, les pasteurs sont invités à célébrer chaque victoire de Napoléon ou les fêtes principales du régime, notamment le 15 août. Une vingtaine d'entre eux ont également été invités au sacre de Napoléon, manifestation autant civile que religieuse à ses yeux. Du reste, la participation à cette cérémonie n'a pas rencontré de difficultés chez ces pasteurs. Ils sont, comme leurs collègues catholiques, de fidèles interprètes du message napoléonien, chantant les louanges du nouveau Cyrus et appelant leurs coreligionnaires à se prêter à l'obligation de l'impôt comme de la conscription. Certes, les réformés regrettent leur ancienne organisation synodale, mais ils savent gré à Napoléon de leur avoir conservé leurs droits et d'avoir favorisé leur réorganisation, ce qui fait dire à Portalis : « Il s'agissait pour ainsi dire d'une création nouvelle ; toutes les mesures ne pouvaient qu'être agréables aux protestants qui recouvraient des droits perdus 8. »

La relation entre Napoléon et les protestants est donc bonne, malgré la résistance affichée par Germaine de Staël ou Benjamin Constant. À Sainte-Hélène, Napoléon s'est pourtant défendu d'avoir envisagé une conversion au protestantisme, que certains de ses proches lui auraient conseillée au moment de son accession au pouvoir : « Il est sûr, rapporte-t-il à Las Cases, qu'au désordre auquel je succédais, que sur les ruines où je me trouvais placé, je pouvais choisir entre le catholicisme et le protestantisme ; et il est vrai de dire encore que les dispositions du moment poussaient toutes à celui-ci ; mais outre que je tenais réellement à ma religion natale, j'avais les plus hauts motifs pour me décider 9. » Parmi ces raisons, Napoléon avance la crainte d'une division du pays.

234

 

LE CONTRÔLE DES ÂMES

« L'Empereur doit toujours être de la religion de la majorité », proclamait-il dès 1804 au Conseil d'État. Si la conversion n'est pas envisageable, en revanche l'idée d'un rapprochement des confessions chrétiennes a été plusieurs fois évoquée sous l'Empire. Elle provient tout d'abord d'un des principaux animateurs du courant réformé, Rabaut-Dupui, proposant en 1804 un rapprochement entre réformés et luthériens. La même année, le pasteur Lagarde envisage lui une union avec les catholiques, s'appuyant sur le dépérissement de la papauté : « On parle de l'abdication du pape et de son remplacement par le cardinal Feyz [sic] ; qui sait si nous ne sommes pas à l'aurore de quelque grand événement religieux », s'exclamet-il.

L'archevêque de Besançon, Le Coz, lui fait écho. Cependant, tous ces projets, derrière lesquels se profile en fa!t le modèle de l'Église anglicane, placée sous la tutelle du chef de l'Etat, échouent, même si Napoléon y songe encore, à la fin de 1806, lorsqu'il impose sa loi à l'Allemagne protestante.

Histoire du Consulat et de l'Empire
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