2. LA CRISE POLmQUE

En 1799, la France vit sous le régime du Directoire, ainsi désigné parce qu'à la tête de l'État figure un directoire de cinq membres qui se partagent le pouvoir exécutif et décident donc en principe de la politique à conduire. Ce régime a été instauré quatre ans plus tôt par la Constitution dite de l'an III, votée par les députés de la Convention qui avaient échappé aux diverses purges menées en son sein, en 1793 et 1794. Les thermidoriens, c'est-à-dire les députés qui avaient provoqué la chute de Robespierre le 9 thermidor an II et mis ainsi un terme à la Terreur, avaient choisi d'établir un régime dans lequel les pouvoirs seraient largement partagés. C'est pourquoi, à l'assemblée unique qui prévalait depuis les débuts de la Révolution, se sont substituées deux assemblées : le Conseil des Cinq-Cents et le Conseil des Anciens qui ensemble forment le Corps législatif. En outre, les députés craignaient par-dessus tout le retour à la dictature d'un seul homme, ils décidèrent donc d'instaurer un directoire de cinq membres, renouvelable par cinquième tous les ans. Toutefois, le rôle des assemblées reste prépondérant, puisqu'elles ont la responsabilité de désigner les directeurs. Les constituants de l'an III sont donc demeurés fidèles au principe selon lequel le pouvoir exécutif est directement issu des assemblées, ellesmêmes représentantes du peuple. Ce principe, inauguré en 1792, est resté intangible, dans l'histoire de la République française, excepté la parenthèse de la Ile République, jusqu'en 1958. La République consulaire elle-même n'y échappera pas, comme on le verra.

Cet édifice, apparemment simple, comportait cependant quelques failles. La première réside dans le mode de désignation des représentants aux deux assemblées. Leurs membres sont renouvelés par tiers tous les ans, au printemps. Les concepteurs du projet voulaient éviter les profonds bouleversements dans la composition des assemblées, et en même temps permettre un renouvellement régulier.

Mais le résultat fut une succession d'élections qui, loin de freiner les soubresauts de l'opinion, les rendirent plus visibles encore. Les premières élections pour la désignation des représentants au Corps législatif avaient eu lieu en octobre 1795, après l'acceptation de la Constitution. Les suivantes, pour le renouvellement, chaque fois, d'un tiers des assemblées, se déroulèrent en mars 1797, en avril 1798, puis en avril 1799. Aucune de ces consultations ne s'effectua dans la sérénité. Les résultats des premières élections furent en effet faussés par la décision des rédacteurs de la Constitution de conserver deux tiers de conventionnels dans les futures assemblées. Les électeurs n'avaient donc que à choisir que le troisième tiers restant, ce qui contribua à démobiliser une partie de l'électorat.

Il est vrai que le mode de scrutin ne se caractérisait pas par sa clarté. Ne pouvaient prendre part aux opérations électorales que les citoyens français, qualité reconnue aux seuls hommes âgés de plus 19

 

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de vingt et un ans, résidant au même domicile depuis un an et assujettis à l'impôt. Ces citoyens se réunissaient dans des assemblées primaires où étaient désignés des électeurs, à raison d'au moins un électeur pour deux cents habitants. Ces électeurs étaient choisis parmi les notables du lieu ; ils formaient à leur tour les assemblées électorales, réunies au chef-lieu du département, où étaient désignés les députés aux deux conseils. Ce système complexe revenait à confier le droit de suffrage aux seuls Français payant l'impôt et le droit de représentation aux plus fortunés d'entre eux. C'est donc un système censitaire qui a fait dire que la République directoriale était une République bourgeoise.

Malgré les précautions prises pour éviter que le pouvoir échappe à la caste qui le détenait en l'an III, celle-ci dut multiplier les actes illégaux. Ainsi, la victoire royaliste aux élections du printemps 1797

provoqua quelques mois plus tard, en septembre, une réaction des républicains qui, au terme du « coup d'État du 18 fructidor », firent investir militairement les assemblées et déporter deux directeurs et une cinquantaine de députés. Dans cette opération menée au nom de la sauvegarde de la République, l'armée joua un rôle essentiel, en la personne du général Augereau, détaché de l'armée d'Italie par Bonaparte pour aller prêter mainforte au Directoire. Quelques mois plus tard, en avril 1798, le renouvellement d'un tiers des assemblées se traduisit par une poussée jacobine. Cette fois, les assemblées n'attendirent pas que les nouveaux députés soient dans la place. C'est à l'occasion de la vérification, au mois de floréal, de la validité des élections que s'opéra l'épuration. L'élection d'une centaine de députés jacobins fut invalidée, au terme de ce qui s'apparente sinon à un coup d'État, au moins à un coup de force parlementaire. Il ne fut pas de même nature que le coup d'État du 18 fructidor, car on ne procéda pas à l'élimination de tous les jacobins, une centaine d'entre eux continuant à siéger, il n'en fut pas moins un pas supplémentaire accompli par le Directoire dans la voie de l'illégalité.

Ce lourd passif joue un rôle essentiel au moment du 18-Brumaire.

Nul ne s'étonne alors de l'accroc fait à la Constitution, tant l'opinion publique y a été habituée. Il faut toutefois se garder de brocarder trop vite le régiIl\e de la Constitution de l'an III. S'il ne brille pas par sa capacité à respecter les règles fixées par son texte fondateur, il reste, en revanche, fidèle à l'esprit qui avait présidé à sa naissance, à savoir le refus des extrêmes, qu'ils soient royalistes ou jacobins.

Ce choix de la modération ou du «juste milieu » était-il viable dans un pays aussi divisé que l'était la France de 1799 ? Certains le croyaient encore, au lendemain des él�ctions du printemps 1799, les dernières organisées avant le coup d'Etat bonapartiste. Elles furent marquées par une nouvelle poussée de la gauche et la défaite des candidats du gouvernement. Mais leur principal enseignement vint de la faiblesse de la participation. Dans certaines assemblées pri-20

 

LA FRANCE EN CRISE

maires, moins d'un cinquième des électeurs se déplaça. À quoi bon, il est vrai, prendre le risque de participer à la vie politique, pour voir aussitôt son choix remis en cause par le pouvoir ? L'indifférence prévaut donc dans l'opinion. Lassée par les agissements du Directoire, elle n'est pas pour autant prête à se donner à nouveau aux jacobins. Elle attend.

Or, le jeu politique ne manque pas d'intérêt. Après les élections du mois d'avril 1799, les assemblées procèdent au choix d'un nouveau directeur. Sur la proposition du Corps législatif, le Conseil des Anciens apporte, le 16 mai, ses suffrages à Sieyès. Entre alors dans le jeu politique une des pièces maîtresses de la partie qui devait se clore au 18-Brumaire. Emmanuel-Joseph Sieyès, natif de Fréjus, a alors cinquante-trois ans. Cet ancien abbé, membre avant la Révolution du célèbre chapitre cathédral de Chartres, s'était surtout fait remarquer au début de 1789, comme l'un des premiers théoriciens de la Révolution, en publiant Qu 'est-ce que le Tiers État? ouvrage dans lequel il revendiquait un rôle politique actif pour le tiers, ce qui conduisit ce dernier à le choisir comme député aux États généraux. Personnage en vue de la Constituante, il est encore élu à la Convention et vote la mort du roi, avant de s'effacer provisoirement à l'heure de la Terreur. Sous le Directoire, il prend du recul en devenant ambassadeur à Berlin, puis revient à Paris en 1799 et est élu directeur. Sieyès n'avait pas caché son désir de réformer la Constitution de l'an III dont il avait à plusieurs reprises critiqué les méfaits.

On pouvait donc s'attendre à des remous au sein du Directoire, d'autant que l'action des directeurs était de plus en p,lus contestée par les assemblées. Par crainte d'un nouveau coup d'Etat contre le Corps législatif, les députés prirent les devants, afin de modifier la composition du Directoire. La première victime de cette reprise en Il).ain parlementaire fut Treilhard dont l'élection comme directeur fut cassée, alors qu'elle datait d'un an. Il fut remplacé par un jacobin, Gohier. Un mois plus tard, deux autres directeurs, La Révellière et Merlin, furent accusés d'avoir voulu organiser un coup d'État contre les assemblées et contraints à démissionner. Ils furent remplacés par un général jacobin, Moulin, et par un ancien député des Landes, proche de Sieyès, Roger Ducos. Ainsi, en un mois, quatre des cinq directeurs furent changés. Seul Barras parvint à se maintenir au Directoire où il siégeait depuis la naissance du régime.

Après avoir fait l'expérience de l'épuration des assemblées, la France faisait ainsi connaissance avec la purge de l'exécutif. De ce point de vue, le 18-Brumaire n'invente rien. Il se contente de concentrer en une même fournée les éléments constitutifs des précédents coups de force.

Il est vrai que le dernier en date, perpétré contre le Directoire, se déroule dans un contexte particulièrement tendu. Depuis six mois, en effet, la France subit les coups des puissances européennes coalisées contre elle. Au mois de décembre 1798, Anglais, Russes, Autri-21

 

LA RÉPUBLIQUE CONSULAIRE (1799-1804)

chiens et Napolitains ont conjugué leurs efforts et lancé trois cent cinquante mille hommes contre la France qui ne peut leur opposer que cent cinquante mille soldats, une partie de son armée, sous la direction du général Bonaparte, restant bloquée en Égypte. Au printemps, les Français sont bousculés sur le Rhin et en Suisse, tandis que la plus grande partie de l'Italie leur échappe. Sauf en Hollande, les républiques sœurs qui avaient été constituées pour faire tampon entre la France et le reste de l'Europe n'offrent qu'une faible résistance aux coalisés. En Italie, les Républiques parthénopéenne, romaine et cisalpine s'effondrent, de même que la République helvétique. Ces défaites marquent l'échec de la politique étrangère du Directoire, obligé à nouveau d'avoir recours au réser·

voir humain de la France.

Grâce à la loi Jourdan, votée en septembre 1798, le gouverne·

ment dispose d'un outil permettant de mobiliser rapidement des dizaines de milliers d'hommes, même si les résistances restent nombreuses à l'égard de cet impôt du sang. Ainsi la levée de deux cent mille hommes décidée à la fin de 1798 ne fournit en réalité que la moitié du contingent souhaité. Le vote d'une nouvelle mobilisation de cent cinquante mille soldats, en avril 1799, au plus fort de la crise militaire, attise les résistances. À peine plus d'un tiers seulement des jeunes gens appelés se rend sous les drapeaux, les récalcitrants allant nourrir les bandes de brigands ou de conspirateurs alors en formation. Certes, la France n'est pas directement touchée par le conflit qui se déroule hors de ses « frontières naturelles », mais elle est encerclée. De plus, les difficultés militaires du pays, vaincu à plusieurs reprises au printemps, puis en été, attisent les convoitises des royalistes qui cherchent à profiter de ce climat d'instabilité pour reprendre le pouvoir par les armes, avec l'aide des coalisés. La crise militaire a donc contribué à aggraver la crise politique en faisant ressortir l'impéritie du Directoire. Comme en l'an II, le péril aux frontières sert de prétexte à une tentative de reprise en main du pays. La crise apparaît d'autant plus criante que les divisions politiques n'ont cessé de s'accentuer, rendant difficile la constitution de majorités stables et durables.

3. LES FORCES EN PRÉSENCE

La crise du printemps et de l'été 1799 s'explique en effet par la division politique du pays. Trois partis aspirent alors à gouverner la France. Les « directoriaux », installés au pouvoir depuis 1795, sou·

haitent s'y maintenir mais ils sont confrontés à une double opposition, jacobine sur leur gauche et royaliste sur leur droite. Dans chaque famille, des nuances sont elles-mêmes perceptibles, mais 22

 

LA FRANCE EN CRISE

c'est d'abord cette division du paysage politique en trois grands blocs qui s'impose à l'examen.

À gauche, le retour en force des jacobins est patent. Pourtant cette famille politique paraissait moribonde au début du Directoire.

La traque des jacobins consécutive à la chute de Robespierre, le 9

thermidor an II (27 juillet 1794), lui avait porté un rude coup. Puis, la répression conduite au lendemain des journées de prairial an III (mai 1795) semblait avoir sonné le glas de ce mouvement. De fait, lors des premières élections du Directoire, les derniers jacobins se terrent. Mais le jacobinisme n'est pas mort. Dès 1796, certains de ses sectateurs se sont rapprochés de Gracchus Babeuf et ont fourni une partie de ses recrues au mouvement des Égaux. La liquidation de ce complot par le Directoire, loin d'anéantir le courant jacobin, le confirme dans la nécessité de poursuivre sa réorganisation. Mais c'est surtout la lutte engagée par le régime contre les royalistes qui lui donne des ailes. Au lendemain du coup d'État de Fructidor (septembre 1797), les jacobins sortent de l'ombre. Ils sont ainsi prêts à faire face aux élections du printemps 1798, que les royalistes ont délaissées. La désaffection dont sont victimes les candidats du gouvernement les sert et, malgré les nombreuses invalidations dont ils sont victimes, ils peuvent désormais affirmer leurs options au grand jour. En outre, l'épuration de floréal n'a pas complètement décimé leurs rangs. Ils comptent donc près d'une centaine de députés dans les deux Conseils, certains du reste élus sur un programme plus modéré.

Les élections du printemps 1799 ont encore renforcé leur poids au sein des assemblées à l'intérieur desquelles ils restent malgré tout minoritaires, comme dans le pays. Néanmoins, en s'alliant aux révisionnistes, ils ont pu provoquer la recomposition du Directoire au printemps, et ils parviennent à faire passer ensuite plusieurs lois qui rappellent l'époque de l'an II, notamment un emprunt forcé sur les riches et une loi sui les otages, votés en juin 1799. Représentés au Directoire par le général Moulin et Gohier qui appartiennent à cette mouvance, les néojacobins occupent également de fortes positions dans certains ministères, en particulier le ministère de l'Intérieur tenu par l'ancien conventionnel Quinette, le ministère des Finances, confié à Robert Lindet, ancien membre du Comité de salut public, et surtout le ministère de la Guerre qui, depuis le 2 juillet, est aux mains du général Bernadotte. Parallèlement, les jacobins se sont imposés à la tête de l'administration de la capitale, tandis que le général Marbot, un jacobin convaincu, détient le commandement de la division militaire de Paris. En un mois, la position politique des néojacobins s'est donc considérablement renforcée. En outre, ils bénéficient dans le pays de relais nombreux.

Un peu partout en France, des comités jacobins ont revu le jour en ce printemps de 1799. À Paris, dans le faubourg Saint-Antoine, si remuant depuis 1789, le Cercle constitutionnel a été fondé en 1797.

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LA RÉPUBLIQUE CONSULAIRE (1799-1804)

Il est l'un des clubs les plus importants de la capitale, avec plus de deux cents membres. Dans le Maine et la Basse-Normandie, quatrevingt-cinq cercles sont apparus au lendemain du 18-Fructidor ; certains, comme ceux du Mans ou de Caen, sont si actifs que plusieurs sont fermés par le gouvernement dès les premiers mois de 1799, mais le mouvement jacobin parvient à se réorganiser, notamment dans la Sarthe où se développent des cercles ambulants et où, à l'été, renaît un journal jacobin, Le Courrier de la Sarthe. En tout, ces divers clubs rassemblent, sur l'ensemble du territoire, environ trente mille adhérents qui forment la base militante du mouvement néojacobin. C'est moins que les cent mille sans-culottes de l'an II, cela n'en représente pas moins une force notable. Beaucoup ont du reste appartenu aux sections de l'an II. Ils offrent donc un visage assez proche de celui du militant sans-culotte. Ce sont des boutiquiers, des artisans, attachés au droit de propriété, auxquels se sont joints des ouvriers. Ils souhaitent avant tout la consolidation de la Révolution et de la République. C'est pourquoi ils défendent la Constitution de l'an III qu'ils haïssaient quelque temps plus tôt. D'autres, en revanche, continuent d'espérer le rétablissement de la Constitution de l'an II, votée au temps de la Convention mais jamais appliquée.

Parmi les comités qui renaissent alors, le plus important est sans conteste le club du Manège qui se réinstalle, en juillet 1799, aux abords immédiats des Tuileries, dans le lieu même où se réunissaient naguère les conventionnels. Présidé par Drouet, l'homme qui avait reconnu Louis XVI à Varennes, avant de se rapprocher de Babeuf, ce club inscrit immédiatement son action dans la fidélité à l'œuvre jacobine. Fréquenté par près de trois mille membres, le club du Manège s'impose vite comme le lieu de cristallisation des forces jacobines dans le pays. Il devient, pour cette raison, l'une des cibles privilégiées du gouvernement. À côté de la vitalité de ses clubs, le néo-jacobinisme s'affirme aussi par la renaissance d'une presse active. Après avoir obtenu le rétablissement de la liberté de la presse, en juin 1799, les jacobins ont favorisé la renaissance de L'Ami du peuple, puis du Père Duchesne, avant d'encourager le lancement par Vatard du Journal des hommes libres, et enfin, en août, du journal Le Démocrate ou le défenseur de la vérité, par Bescher et Lamberté. Ces journaux, à l'existence parfois éphémère, servent de tribune aux idées jacobines et contribuent, en cet été 1799, à renforcer ce courant politique.

À droite, la liberté de la presse permet aussi aux idées royalistes de s'exprimer sous le Directoire. De la même façon, des organisations royalistes ont c9ntinué à se développer, malgré la répression qui a suivi le coup d'Etat du 18 fructidor. Ainsi, les Instituts philanthropiques, qui sont des associations royalistes fondées au début du Directoire à travers tout le pays, sont réorganisés en 1799. Ils représentent surtout la façade légale d'un mouvement qui s'est enfoncé 24

 

LA FRANCE EN CRISE

un peu plus dans la clandestinité, après avoir, au début du Directoire, espéré rétablir la monarchie par les urnes. L'essentiel du mouvement royaliste est, en effet, clandestin. Le nombre total des militants royalistes est de ce fait très difficile à connaître, d'autant qu'il n'existe pas une organisation unique mais des réseaux divers et parfois concurrents. Le plus important de ces réseaux a été tissé par l'Agence de Souabe qui dirige en principe le mouvement royaliste en France et qui, de ce fait, coordonne l'action des Instituts philanthropiques. Elle est animée par Dandré, par le général Précy qui avait dirigé la contrerévolution à Lyon, et par Imbert-Colomès, député fructidorisé. L'Agence de Souabe est en outre directement en relations avec le prétendant, à savoir le comte de Provence. Pour mieux asseoir son influence en France, elle a encouragé la constitution, en 1799, à Paris, d'un Conseil royal secret, dirigé par Royer

Collard, ancien député aux Cinq-Cents qui, après avoir été fructidorisé, s'est rallié à l'idée d'une monarchie constitutionnelle. On y côtoie également l'abbé de Montesquiou, mis en avant « pour l'ornement », mais dont le rôle n'est pas très actif. De même, Joseph Fiévée lui apporte une brève collaboration. Ce conseil a une fonction essentiellement politique ; il adresse des rapports au roi sur l'état de l'opinion et prépare l'éventuelle restauration du monarque, en tenant par exemple prêts des projets de constitution. En 1799, la priorité des royalistes est donnée à l'action militaire. Ils pensent que la situation est mûre pour tenter une insurrection armée dans le pays. La pression des troupes coalisées aux frontières leur fait espérer un prompt renfort. C'est dans ce but qu'agissent, à partir du printemps 1799, les Instituts philanthropiques. Dans l'Ouest et le Sud-Ouest surtout, là où les royalistes ont conservé des positions solides, ces Instituts mettent sur pied des groupes armés, profitant notamment du rejet de la conscription chez une partie des jeunes gens. Ils manquent toutefois d'armes et les chefs attendus hésitent parfois à franchir la frontière pour se mettre à la tête de ces troupes mal préparées. Le danger royaliste n'en est pas moins réel pour le Directoire, au début de l'été, de 1799. Finalement, la principale menace à l'encontre de ce régime vient sans nul doute du délitement de ses propres soutiens.

Face aux néojacobins et aux royalistes, contre lesquels le régime de l'an III s'était formé, les directoriaux apparaissent de plus en plus divisés. Les députés encore attachés au gouvernement sont de moins en moins nombreux, tandis que croît le groupe des révisionnistes, ainsi nommés parce qu'ils souhaitent la révision de la Constitution ; critiques à l'égard d'un régime instable et corrompu, ils ont largement contribué à l'élection de Sieyès au Directoire, en mai. Ils ont ensuite, à l'image de Boulay de la Meurthe, appuyé la charge contre les directeurs qui a contraint La Révellière et Merlin à démissionner, s'alliant pour l'occasion avec les jacobins. Toutefois, cette alliance reste conjoncturelle, car ces hommes qui ont fait 25

 

LA RÉPUBLIQUE CONSULAIRE (1799-1804)

Thermidor redoutent par-dessus tout le retour des jacobins sur le devant de la scène. Ils appuient donc également la politique répressive menée contre eux par le gouvernement, à partir du mois d'août.

Ainsi, les directoriaux retrouvent un semblant d'unité lorsqu'il s'agit de lutter contre toute résurgence de l'esprit sans-culotte. Ils n'en restent pas moins divisés sur la meilleure manière de parvenir à une réforme du régime.

Deux groupes se dégagent en leur sein. D'un côté figurent les députés qui souhaitent maintenir la Constitution de l'an III au nom de la défense des principes révolutionnaires. Leur nombre est difficile à mesurer, mais il n'est pas négligeable puisque, alliés aux jacobins, ils peuvent empêcher toute révision légale de la Constitution, ce qui contraint les révisionnistes à chercher un général pour faire triompher leurs idées. Les révisionnistes forment la seconde tendance. Ils sont conduits par les deux directeurs Sieyès et Roger Ducos. Parmi eux figurent notamment les Idéologues, un groupe de libéraux attachés à la République mais soucieux de préserver la liberté en France, qu'ils jugent menacée aussi bien par le péril jacobin que par le péril royaliste. Plusieurs d'entre eux sont des révolutionnaires de la première heure, à l'image de Volney, Destutt de Tracy ou Garat, élus aux États généraux. D'autres ont appartenu à la Convention, comme Daunou qui a largement inspiré la Constitution de l'an III mais en mesure les imperfections et souhaite la corriger quatre ans plus tard. Bien représentés dans les assemblées, mais aussi à l'Institut où ils ont contribué à l'élection de Bonaparte, les Idéologues placent leurs espoirs dans une révision de la Constitution. Ils rejoignent ainsi les sentiments de Germaine de Staël et de Benjamin Constant, deux autres figures du libéralisme qui souhaitent également une réforme du régime et appuient les initiatives de Sieyès dont Mme de Staël reconnaîtra, dans ses Mémoires d'exil, qu'il avait « des vues transcendantes » sur tous les sujets. Fort de soutiens aussi nombreux, le parti révisionniste apparaît bien armé pour parvenir à ses fins, à l'automne de 1799. Encore lui faut-il trouver le moyen d'imposer ses vues à l'ensemble des assemblées, sinon du pays. En annonçant, le 14 juillet 1799, son intention de lutter contre le retour des jacobins au pouvoir, Sieyès lance son programme d'action en vue d'une révision du régime.

4. L'ACTION POLITIQUE DE SIEYÈS

Dès l'été de 1799, les bruits de complot se multiplient. L'instabilité chronique du Directoire et les coups d'État à répétition opérés depuis deux ans ne laissent guère augurer d'une longue vie pour ce régime. Sieyès apparaît alors comme l'homme fort du Directoire. Il ne s'est pas caché de son dessein de modifier la Constitution pour 26

 

LA FRANCE EN CRISE

construire une République plus forte, pour ne pas dire plus autoritaire. Il lui faut toutefois justifier cette initiative. Ses adversaires vont l'y aider. En s'activant, chacun à leur manière, royalistes et jacobins procurent au Directoire un motif d'agir, en même temps que, la dramatisation des événements aidant, l'opinion se prépare à une reprise en main du pays.

Au cours des fêtes du 14 juillet 1799, Sieyès avait désigné les néojacobins comme les principaux adversaires du régime. Dès lors le harcèlement à leur encontre est incessant. Le 20 juillet, un remaniement ministériel permet à Joseph Fouché, l'ancien conventionnel régicide, de s'installer au ministère de la Police. L'un de ses premiers actes, six jours plus tard, consiste à obliger le club du Manège à quitter les Tuileries et à déménager rue du Bac. L'avertissement est clair : le Directoire entend empêcher l'essor d'un nouveau Club des jacobins. Finalement, le club est définitivement fermé, le 13

août, après que, célébrant l'anniversaire du 10 août 1792, Sieyès s'en est à nouveau pris aux jacobins. « Trois jours après la diatribe de Sieyès, écrit Fouché dans ses Mémoires, je pris sur moi de faire procéder à la fermeture de la salle des jacobins de la rue du Bac 2. »

Quelques jours plus tôt déjà, Fouché avait contribué à écarter du commandement de la division militaire de Paris le général Marbot, qu'il décrit comme « tout à fait dévoué au parti des républicains exaltés et opposé à la politique de Sieyès 3 ». Le gouvernement commence ainsi à se débarrasser des éléments jacobins qui peuplent les postes stratégiques dans l'appareil d'État. Dans le même temps, le Directoire, au sein duquel Sieyès peut s'appuyer sur Barras et Ducos, décide de combattre la presse jacobine. Les journaux jacobins, notamment le Journal des hommes libres, sont attaqués pour avoir critiqué la politique du gouvernement. Leurs rédacteurs sont poursuivis en justice. Et finalement, le 3 septembre, plusieurs d'entre eux sont interdits. Dix jours plus tard, le ministre de la Guerre, Bernadotte, est remercié par le triumvirat Sieyès-Ducos

Barras, sans même que les deux autres directeurs, Gohier et Moulin, aient été informés. Le gouvernement est ainsi parvenu, en moins de deux mois, à limiter les espaces d'expression du parti jacobin et ses soutiens dans le pays. Celui-ci reste cependant puissant au Corps législatif où ses orateurs continuent à se faire entendre.

Le débat le plus significatif a lieu le 13 septembre. Face au danger extérieur, Jourdan demande que l'assemblée décrète la «patrie en danger », comme en septembre 1793, à l'époque de la Convention robespierriste et du Comité de salut public. Le débat est âpre. La proposition est repoussée par une majorité de deux cent quarantecinq députés qui refusent de voir ressurgir les vieux démons qu'ils ont combattus, mais elle n'en recueille pas moins cent soixante et onze voix, qui marquent d'une certaine manière les contours du groupe jacobin au Conseil des Cinq-Cents. Sans être majoritaire, celui-ci rassemble une forte minorité de députés, attentifs à la sau-27

 

LA RÉPUBLIQUE CONSULAIRE (1799-1804)

vegarde des intérêts révolutionnaires et à la préservation de la république de l'an III. On comprend pourquoi les conjurés du 18-Brumaire craignent l'attitude des jacobins au Corps législatif.

Le paradoxe vient de ce qu'ils prennent prétexte d'un prétendu complot anarchiste pour obliger les assemblées à renforcer les pouvoirs de l'exécutif, alors même que la puissance du parti jacobin a été fortement réduite depuis trois mois et que le seul lieu où il reste puissant est précisément le Corps législatif auquel s'adresse la demande.

À l'automne de 1799, les jacobins n'avaient du reste aucun plan pour s'emparer du pouvoir par les armes. Il n'en est pas de même des royalistes qui espèrent alors tirer parti de la situation pour restaurer la monarchie. Une vaste insurrection est organisée. Elle doit embraser le sud-ouest de la France à partir du 15 août 1799. Mais les actions des diverses troupes royalistes échouent sans que le pouvoir ait été véritablement inquiété. Dans la région de Toulouse, où les royalistes ont réussi à rassembler trente mille hommes sous la conduite du général Rouget, l'insurrection est lancée le 4 août, mais la ville de Toulouse, ardemment jacobine, se ferme aux insurgés qui doivent refluer vers les Pyrénées. Ils parviennent à s'emparer de villes moyennes, mais l'intervention de troupes républicaines met rapidement un terme au mouvement, après la reconquête, le 20 août, de Montréjau. L'é�hec des royalistes est dû en partie à leur manque de coordination. A Bordeaux et dans sa région, l'insurrection est en effet plus tardive, si bien que les pouvoirs publics, prévenus, ont le temps d'intervenir et de faire arrêter certains des chefs.

Fouché, en sa qualité de ministre de la Police, mais aussi Ducos, originaire des Lançes, mettent un soin jaloux à éradiquer rapidement le mouvement. A la fin du mois d'août, tout le Sud-Ouest est pacifié, tandis que l'Ouest n'est pas encore entré en action.

Dans l'Ouest, les royalistes préparaient une insurrection qui devait, comme dans le Sud-Ouest, être déclenchée le 15 août. Du fait de l'impréparation de leurs troupes, elle fut retardée et lorsque les chefs de la chouannerie, à savoir Cadoudal dans le Morbihan, Le Gris-Duval dans les Côtes-du-Nord, Bourmont dans le Perche et Frotté en Normandie, décidèrent de passer à l'action, il était trop tard. Certes, quelques villes sont conquises, par exemple Redon et La Roche-Bernard ou encore Le Mans, voire Nantes, occupée quelques heures du 20 au 21 octobre, ou Saint-Brieuc prise dans la nuit du 25 au 26 octobre. Mais ces succès sont de courte durée et la reprise en main, effectuée par le général Hédouville qui s'appuie sur des colonnes mobiles sillonnant la région, comme en Vendée en 1794, permet au Directoire de juguler le danger royaliste avant même la fin du mois d'octobre, donc avant le coup d'État du 18 brumaire. En outre, les défaites militaires des coalisés, au mois de septembre, rendaient illusoire toute aide de leur part et vouaient donc à l'échec l'insurrection royaliste de l'automne. Elle gêne le gouver-28

 

LA FRANCE EN CRISE

nement, car elle mobilise des troupes dans ces régions sensibles, en même temps qu'elle accroît le sentiment d'insécurité dans le pays, mais elle ne représente pas en soi une menace pour le régime. L'art des partisans du coup d'Etat consista naturellement à grossir le danger royaliste, comme ils avaient grossi le péril jacobin.

Quelle que soit la nature réelle des dangers menaçant le Directoire en 1799, l'impression prévaut d'un très grand trouble dans les esprits. Plus encore que les menaces d'insurrection ou l'insécurité latente dans le pays, voire que les périls extérieurs, ce sont les divisions internes du monde politique parisien qui ont provoqué le malaise général régnant en France en 1799. De ce point de vue, la crise de l'an VII est bien une crise de confiance qui ne paraît pouvoir être réglée que par une remise en ordre ou par ce que les contemporains appellent, au sens premier du terme, une révolution.

 

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La révolution du 18 brumaire

« Rien de plus singulier que la révolution du 18 brumaire », note Mathieu Molé dans ses Souvenirs de jeunesse l, tandis que Germaine de Staël, évoquant ce moment, rappelle que l'on « a parlé diversement de la manière dont s'est accomplie cette révolution du 18 brumaire 2 ». Chez les adversaires de Bonaparte, ce sentiment d'ébranlement est aussi partagé. Ainsi le baron de Frénilly, ardent royaliste, décrit l'événement en ces termes : « C'est pendant ce petit séjour à Méry qu'arriva la Révolution du 18 brumaire. Bonaparte s'était enfui d'Égypte comme il s'enfuit de Russie, comme il s'enfuit de Waterloo [ .. .]. Cet homme se glissa donc de nuit hors de l'Égypte, se faufila entre les frégates anglaises et le voilà à Paris. Là il n'avait qu'à se baisser et à prendre. La France haletait après le despotisme d'un seul, après avoir passé pendant huit ans de l'anarchie des bourreaux à l'anarchie des histrions 3. »

Pour les témoins du drame qui se joue en ce mois de novembre 1799, c'est bien une révolution qu'engage Bonaparte. Ce terme est abandonné au XIX" siècle pour désigner l'événement du 18 brumaire, car il recèle une connotation trop radicale, mais les contemporains lui accordent son sens premier, celui qui a cours en cette fin du XVIIIe siècle. Une révolution est le déplacement d'un objet sur son axe. Pour beaucoup de ces contemporains férus d'astronomie, elle signifie donc que la France, au terme d'un mouvement cyclique, reviendrait en arrière, chacun fixant différemment la période de ce repli. Pour les nostalgiques de l'Ancien Régime, la révolution doit être profonde et ramener la France à l'avant-1789. Pour d'autres, au contraire, à l'image de Mme de Staël, ce mouvement de pendule doit s'arrêter à l'année 1791. Les défenseurs de la République gardent quant à eux un œil fixé sur 1792. Les espoirs ou les craintes placés dans la révolution du 18 brumaire sont différents selon les partis en présence, mais ils révèlent la profondeur de la crise politique qui submerge la France en 1799.

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LA RÉVOLUTION DU 18 BRUMAIRE

Histoire du Consulat et de l'Empire
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