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L'ENRACINEMENT DE LA MONARCHIE
L'affaire de Walcheren peut de ce fait apparaître comme la dernière tentative des nostalgiques de la Révolution pour entraver l'orientation monarchique du pays. L'invasion anglaise sert de prétexte, mais le péril en est grossi. En effet, Fouché ne s'est pas contenté de faire appel aux départements du Nord ; il a également convoqué, au début du mois de septembre, les gardes nationaux de douze départements du sud de la France, sous le prétexte d'un éventuel débarquement en Méditerranée, puis il a mobilisé les gardes nationales de Normandie et surtout de Paris. Il procède ainsi à une véritable levée nationale, sans comparaison aucune avec les levées de l'an II par le nombre, mais proche de ce mouvement dans l'esprit. Il s'agit d'associer de nouveau les citoyens à la défense du territoire et partant à la sauvegarde des principes de 1789. Fouché espère aussi disposer d'une force militaire qui peut s'avérer utile en cas de besoin. C'est du reste pourquoi il en a confié le commandement à Bernadotte. L'ancien ministre de la Guerre du Directoire, un moment compromis dans la conspiration dite des « pots de beurre »
en 1802, avait reçu tous les honneurs de l'Empire : maréchal en 1804, il avait été fait prince de Ponte-Corvo en 1806, et avait participé aux principales campagnes militaires depuis l'avènement de l'Empire, sans toutefois briller dans son commandement. Mais Napoléon ne se méfiait-il pas de cet ancien rival ? Quoi qu'il en soit, rendu responsable de la défection de son armée de Saxons à la bataille de Wagram, il avait été relevé de son commandement par Napoléon et se trouvait donc disponible à Paris lorsque éclata la nouvelle de l'invasion anglaise. En le plaçant à la tête des troupes envoyées en Belgique, Fouché ne fait pas un choix innocent.
Bernadotte conserve, en effet, sa réputation de jacobin. Et beaucoup interprètent cette nomination comme un choix politique.
Arrivé à Anvers à la mi-août, Bernadotte s'y conduit en véritable proconsul, plaçant sous ses ordres tous les militaires, mais aussi l'ensemble des fonctionnaires de la région, intervenant dans toutes les affaires civiles, tout en protégeant le port d'Anvers. Napoléon finit par prendre ombrage des manœuvres de Bernadotte qu'il faisait étroitement surveiller. À la fin septembre, il le remplace par Bessières.
À cette date, Napoléon a repris les affaires en main. Il a aussi pris conscience du danger que pouvait représenter l'initiative lancée par Fouché. Son entourage n'avait cessé de le lui montrer. Les levées de septembre lui ouvrirent les yeux. La mobilisation de la Garde nationale à Paris souleva une vague de protestation chez les fonctionnaires attachés au régime, tandis qu'elle rappelait aux anciens jacobins les belles heures de la Révolution. Un observateur attentif, informateur régulier de Napoléon, Joseph Fiévée, ne s'y trompe pas quand il écrit : « La levée de la Garde nationale était une mesure toute révolutionnaire dont l'unique résultat était de faire rétrograder le peu d'esprit monarchique qui restait en France 2. » Et 309
L'ÉCHEC DU SURSAUT DYNASTIQUE (1810-1815)
Clarke que ses origines nobles ne conduisaient guère à apprécier les grandes heures de la Révolution écrivait à M. de Ségur : « Il arme le peuple et les domestiques mêmes. C'est une levée de 93 qu'il veut avoir sous sa main. Il se prépare à jouer un grand rôle dans des cas prévus. » Clarke évoque à ce propos une maladie, une blessure sérieuse, voire un « revers plus complet que celui d'Essling » 3. Sans le dire, le ministre de la Guerre prête à Fouché l'intention de s'emparer du pouvoir en cas de vacance. Or l'Empire tient à la vie de Napoléon, vie fragile comme le montre la tentative d'assassinat perpétrée par l'Allemand Staps en octobre 1809 à Vienne. Fouché a-t-il pour autant comploté avec l'Autriche pour provoquer la chute de Napoléon ? C'est peu vraisemblable, même s'il est certain qu'à l'été de 1809 il se donne les moyens de jouer un rôle essentiel en cas d'échec de l'Empereur.
L'action de Fouché peut aussi apparaître comme une ultime tentative pour rappeler à Napoléon ses racines révolutionnaires. Mais la réaction de l'Empereur montre sa relative sérénité. Il a suivi le plan de Fouché et accepté la nomination de Bernadotte pour faire face au danger anglais. Une fois celui-ci écarté, il met un terme à une expérience critiquée par son entourage. Après l'éviction de Bernadotte, la Garde nationale est démobilisée et l'armée reprend la direction des opérations. Fouché ne s'en sort cependant pas indemne. En octobre 1809, Napoléon lui préfère Montalivet pour occuper les fonctions de ministre de l'Intérieur. Fouché conserve pour quelques mois encore la Police, mais il est rappelé à l'ordre lors d'une scène violente que lui fait Napoléon dès son arrivée à Fontainebleau. Il n'en reçoit pas moins le titre de duc d'Otrante.
Les rapports entre le souverain et son ministre de la Police restent ambigus. Napoléon est admiratif devant le talent déployé par Fouché. Il a encore besoin de lui, au moment où s'accroît la tension avec l'Église.
Sa disgrâce est donc différée. Elle n'intervient que le 3 juin 1810.
après que Napoléon a découvert les tractations menées par Fouché avec l'Angleterre. Après avoir empêché l'invasion du continent par les Anglais, Fouché avait en effet estimé que le temps était venu de s'entendre avec eux pour une solution négociée en Europe. En décembre 1809, lorsque Napoléon avait menacé son frère Louis d'annexer la Hollande, Fouché avait fait valoir à ce dernier l'intérêt que pourraient trouver les Anglais au maintien d'une Hollande autonome. Il propose donc de traiter avec l'Angleterre. Napoléon avait accepté le principe d'une telle négociation, pourvu qu'elle ne mît pas en cause son pouvoir en Europe. Mais les négociations que Fouché engage dépassent le cadre diplomatique traditionnel. Il envoie en effet en Angleterre un négociant bordelais nommé Labouchère, par ailleurs gendre de Baring, l'un plus gros banquiers de la place de Londres. Labouchère avait été recommandé à Fouché par le financier Ouvrard que l'on retrouve très présent derrière ce1'