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La montée du soir

« Vieillir ne serait rien si, après, il ne fallait pas mourir. »

Antoine Bradsock

Il n'a pas encore perdu. La France n'en aura jamais fini avec lui. Même mort, il continuera à aller de l'avant et à donner des ordres à l'univers. Cet homme ne se résigne à rien. Surtout pas au temps, encore moins à l'oubli ou à la tombe.

Il a des atouts pour assurer sa survie – politique s'entend. Depuis sa prétendue abdication face à Fillon, on ne peut exclure qu'il soit passé directement de l'état d'adolescent agité à celui de vieillard apaisé. On ne peut l'exclure, même si rien ne le prouve.

Encore qu'il n'a plus que le mot protection à la bouche, un mot qui fleure le chiraquisme. Comme ses prédécesseurs Chirac et Mitterrand qu'il honnit tant, Sarkozy entend se présenter désormais en père peinard de la Nation. En « président protecteur », c'est plus électoral. Mais est-il bien légitime pour cela ?

Observons-le. Il ne s'habille plus en Balkany, blazer bleu marine, escarpins à boucle ou à pompons, chemise neuve et clinquante, gros havane dans la poche intérieure. Il n'est plus secoué par une multitude de tics qui le transformaient en pantin mécanique avec des mouvements inopinés du cou, du menton ou de l'épaule : l'étiopathie y a mis bon ordre. Il n'a, enfin, plus grand-chose à voir avec le candidat juvénile que nous a raconté Yasmina Reza avec tant d'acuité dans ses carnets de la campagne de 200737.

Certes, Sarkozy est toujours habité par le même sentiment de solitude. Il n'a pas non plus tué l'enfant en lui. Il a toujours la nostalgie de ce moment béni où, à sept ans, il s'endormait dans le lit de sa mère qui, rentrant tard du travail, le prenait dans les bras pour le ramener dans sa chambre. Mais quelque chose a durci ses traits et on le voit moins souvent sourire « comme un gosse frappé d'émerveillement ». L'âge l'a rattrapé. Avec ça, pas mal de désillusions et une certaine accalmie intérieure.

Il y a quelques années, j'avais été frappé par le témoignage d'un des membres les plus éminents de sa garde noire dont je tairai le nom, de crainte de lui nuire. C'était pourtant dit avec amitié et même affection. Écoutons : « Il ne faut jamais se laisser dominer par Nicolas. Sinon, c'est l'horreur, il finira par vous bouffer. Il est un peu comme ces chiens dangereux ou ces grands fauves que le dresseur doit tenir à l'œil et à distance, sous peine d'être becqueté. Il n'y a aucune méchanceté chez lui, juste un instinct de mâle dominant que rien n'arrête jamais. »

Aujourd'hui, c'est clairement Sarkozy qui est dominé. Par l'usure du pouvoir, par la France qui ne l'aime plus, par sa propre majorité qui doute de lui. Demain peut-être par une gauche qui ne le fait déjà plus ricaner, conscient qu'il est de tous les talents qui s'y déploient. On voit ainsi s'esquisser un nouveau Sarkozy, non pas modeste, on ne se refait pas, mais en tout cas plus mesuré et moins extraverti.

Ce qui soulevait le cœur et la colère des Français depuis son avènement, c'était son caractère, bien plus que sa politique. Il tente donc de changer le premier en gardant la seconde. Le 15 septembre 2010, il disait aux sénateurs UMP qu'il avait réunis à l'Élysée : « Mes prédécesseurs faisaient quelques réformes pendant deux ans et puis, après, ils s'arrêtaient, ils ne bougeaient plus le petit doigt. Moi, je vous annonce d'ores et déjà que je ferai des réformes jusqu'à la dernière seconde de mon mandat. »

S'il voulait laisser une trace dans l'Histoire, ce serait celle d'un président réformateur. De son point de vue, son bilan n'est pas si nul, loin de là. Il y en a pour tout le monde. Y compris pour les partisans des libertés publiques. La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) est ainsi en passe de bousculer tout l'édifice institutionnel du pays, pour le plus grand bénéfice des Français : tout justiciable a désormais le droit de contester la conformité d'une loi aux droits fondamentaux garantis par la Constitution.

Ce n'est pas une réforme, mais une révolution qui permet aux citoyens de saisir le Conseil constitutionnel, nouveau contre-pouvoir, s'ils récusent la constitutionnalité de la loi qui leur est opposée. À condition, bien sûr, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme par les Sages, ce qui est rarement le cas : 7 % seulement des lois votées depuis 1958 ont été soumises à leur contrôle.

Bonne nouvelle, notamment, pour les droits de l'homme et la liberté d'expression. Il est étonnant que Nicolas Sarkozy, déplorable publicitaire de lui-même, n'ait pas assuré la promotion de cette mesure. Jean-Louis Debré, le président du Conseil constitutionnel, est formel : « Si Sarkozy n'avait pas été là, engagé à fond dans cette réforme dont on parlait depuis si longtemps, sans résultat, les Français n'auraient jamais pu profiter de ce droit nouveau. »

Tel est Sarkozy : libéral et liberticide, conservateur et réformateur, rigide et inconstant, plein d'air et de lui-même jusqu'à l'absurde. C'est le Hercule de l'égotisme, le Homère de l'éloquence, que rien n'arrête jamais, pas même le ridicule, et qui avance, déconstruit, transforme, innove, invente en se recréant sans cesse. Un prototype surdoué et une attraction considérable dans un vieux pays fatigué dont l'activité principale, ces dernières années, a surtout consisté à regarder passer les trains. Dommage qu'il n'ait pas encore lu Boileau qui, dans Des jugements, nous rappelle que « ne songer qu'à soi et au présent » est toujours « source d'erreur en politique ».

Sans ces travers-là, il aurait pu être irrésistible. Dans une autre vie ou lors d'un prochain mandat, il faudra qu'il n'oublie pas de s'en souvenir : sauf exception, la gloire ne vient qu'à ceux qui ne courent pas avec le vent.

37 L'aube le soir ou la nuit, Flammarion, 2007.