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Le Grand Condé

« En matière de sédition, tout ce qui la fait croire, l'augmente. »

Cardinal de Retz

Pour survivre en Sarkozie, il faut une force de caractère particulière et Jean-François Copé en a fait preuve, lui aussi. C'est ainsi qu'il est devenu l'un des personnages clés du système.

Il a trouvé le mode de fonctionnement avec le président : ne jamais se laisser impressionner par ses éclats de voix, répondre du tac au tac et, si nécessaire, à la menace par la menace.

Au premier abord, c'est un avatar de Sarkozy. Le même sourire carnassier, le même pragmatisme à la limite de la transgression, la même absence de doute sur son destin présidentiel. Sans parler du bagou.

Un Sarkozy pouvant toujours en cacher un autre, on est en droit de frémir à l'idée qu'on n'en aura jamais fini avec cette engeance, mais non, pour le reste, Copé n'a rien à voir avec le président.

Il n'avance pas l'ambition bombée ni l'autoglorification à la bouche. C'est un homme posé qui n'a jamais de sautes d'humeur et qui ne semble pas prêt, contrairement à Sarkozy, à défendre ses idées jusqu'à la mort. Malgré les apparences, il est tout sauf rigide.

C'est pourquoi il sait rassembler, comme à Meaux, la ville de Seine-et-Marne dont il est le maire. Il en a fait un fief inexpugnable : aux élections municipales de 2008, il a ainsi été réélu avec un score de 67,74 % des suffrages.

Les personnalités de ce genre sont toujours plus dangereuses à l'extérieur qu'à l'intérieur du gouvernement. Après son élection, Sarkozy a commis l'erreur de l'écarter du ministère du Budget qu'il occupait. À l'époque, il s'en explique avec lui en utilisant un argument aussi spécieux que ridicule : « Je n'ai pas pu faire autrement. Je ne voulais garder personne au même poste et je ne te voyais qu'au Budget. Désolé. »

Il lui propose alors la présidence du groupe parlementaire de l'UMP à l'Assemblée nationale. Un poste qui correspond, lui dit-il avec un clin d'œil complice, à ce qu'il doit faire pour préparer son avenir présidentiel. « Te fatigue pas, répond Copé, c'est vendu. »

Alors qu'il croyait enterrer le maire de Meaux, Sarkozy lui a, au contraire, donné l'occasion de transformer, avec l'appui des députés, le groupe UMP en place forte qui, sur plusieurs réformes, n'hésite pas à corriger la copie du gouvernement. Mauvaise pioche.

Un an après son élection, Sarkozy essuie ainsi son premier grand revers parlementaire quand une loi sur les OGM est retoquée par le PS, avec la complicité passive de l'UMP.

Le lendemain, le président appelle Copé. Il est furieux.

« Tu veux devenir un contre-pouvoir, hurle-t-il.

— Non, répond le maire de Meaux. Le Parlement est un pouvoir en soi, c'est ce qu'on appelle le pouvoir législatif.

— Je sais ce que c'est d'allumer les incendies pour mieux pouvoir les éteindre. Je l'ai fait avant toi. »

Les explications de Copé sur ce fiasco ne sont pas convaincantes, elles sont même à la limite de l'insolence. S'il ne fut pas à l'origine du bras d'honneur des députés UMP au gouvernement, il l'a au moins encouragé. C'est qu'il est le chef de la fronde. La preuve, il est applaudi comme jamais par les parlementaires à la réunion de leur groupe où Claude Goasguen, le député de Paris, traite de « connards » les collaborateurs du président.

Entre Sarkozy et les députés, il y a un fossé qui ne cessera plus de se creuser, pour le plus grand bénéfice de Jean-François Copé.

Peu après le couac de la loi sur les OGM, le président dit au maire de Meaux, sur le mode flatteur :

« Y a un truc qu'il faut que tu saches : tu fais partie des deux ou trois types qui peuvent avoir le premier rôle, un jour, dans ce pays. Mais il y a une règle que tu dois connaître : aucun de ceux qui ont réussi n'a pris, pour y arriver, la même voie que ses prédécesseurs.

— C'est pourquoi je suis président de groupe. »

À la même époque, l'AFP fait dire à Sarkozy qu'il n'y a aucun président de groupe qui ait fait quelque chose après avoir occupé ce poste. Devant le Conseil des ministres, le chef de l'État laisse aussi tomber : « C'est bien gentil d'avoir de grandes ambitions. Mais avant de sauter 2 mètres 10, il faut savoir sauter 1 mètre 40. »

C'est l'époque où Sarkozy dit tout le temps du mal de Copé, sans se brider, de manière obsessionnelle.

Sarkozy vient de découvrir qu'il avait désormais son Sarkozy. Un personnage batailleur et cultivé, qui fait penser à Louis II de Bourbon, fils de Henri II, dit le Grand Condé. Un homme qui affichait ses victoires militaires à Rocroi, Nördlingen ou Dunkerque, tout en cultivant les amitiés de Boileau et Racine. Frondeur, mais pas trop…