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Monsieur « Il-faut-tout-faire-soi-même »

« S'il fallait tolérer aux autres tout ce qu'on se permet à soi-même, la vie ne serait plus tenable. »

Georges Courteline

« Je n'en peux plus de cette connasse de Boutin. Je vais la virer très vite. »

C'est ainsi que Nicolas Sarkozy me parlait de sa ministre du Logement, six mois avant de la limoger. Il le disait à un journaliste qu'il considère comme « pas fiable » et qui pouvait donc le crier aussitôt sur les toits.

D'un point de vue moral, il est exécrable de traiter de la sorte une subalterne. D'un point de vue de management, on ne peut pas non plus faire pire. C'est pourtant ainsi que procède sans cesse Sarkozy, prince de l'assassinat verbal, aux yeux de qui aucun des siens ne fait jamais l'affaire.

La ressource humaine n'est pas son fort. Il n'y a sans doute pas de plus difficile métier au monde, dans cette catégorie, que ministre ou conseiller de Nicolas Sarkozy. Aucun respect, peu de gratifications, mais des flopées de remontrances et de quolibets. Le chef de l'État n'est pas du genre à ménager ses montures. Il est vrai qu'il peine et tarde souvent à en changer.

Joséphine reprochait à Napoléon d'humilier trop et de ne pas punir assez. On pourrait en dire autant de Sarkozy. Il n'a pas la main tranchante. La parole, en revanche, l'est.

Malheur à ceux qui ne peuvent suivre le rythme du mouvement perpétuel qu'il impose à sa galaxie. Ils en seront expulsés d'une manière ou d'une autre. Mais ceux qui restent, les maréchaux ou les petits soldats, ne bénéficient pourtant d'aucune protection particulière. C'est ce qui frappe le plus dans le système Sarkozy : le stress, entretenu par le président, qui pèse sur les principaux personnages du régime. Alors qu'ils devraient être assurés du soutien sans faille de l'homme qu'ils servent à la vie, à la mort, il les court-circuite, les déstabilise, les met sur le gril et les stigmatise pour un oui ou pour un non, notamment lorsqu'ils lui font l'offense de montrer le bout du petit doigt. En somme, lorsqu'ils veulent exister.

À un tel niveau, alors qu'à ce poste il devrait surplomber tout le monde ou presque, je n'ai jamais entendu, de ma vie de journaliste, un président déblatérer autant sur les siens. À en croire Nicolas Sarkozy, il ne serait entouré que de « nuls », de « connards » et de « valises sans poignée », une de ses expressions préférées.

Je ne citerai pas, pour rester poli, les épithètes auxquelles a eu droit Michèle Alliot-Marie, un poids lourd de l'UMP dont il a mis du temps à se débarrasser.

À peine avait-il installé François Fillon à Matignon qu'il émettait devant moi des réserves sur son Premier ministre : « Un type bien, compétent, travailleur, mais je me demande s'il a un moteur ou même quelque chose sous le capot. »

François Fillon avait simplement compris, avant les autres, le système Sarkozy : pour durer, sous ce président, la plus grande discrétion s'impose. Il ne faut surtout pas détourner les regards du peuple qui doivent rester fixés sur le chef de l'État omniprésent et omniscient. Pas d'interférence ni de brouillage, il n'y a qu'une seule tête qui doit dépasser.

C'est pourquoi Sarkozy se sent si seul. « Je ne suis entouré, dit-il souvent, que de charlots et de zombies. Je n'ai pas le choix, il faut que je fasse tout moi-même. »

« Tout faire soi-même. » La litanie des mauvais managers qui ne savent ni déléguer, ni responsabiliser. Avec cet état d'esprit, Nicolas Sarkozy ne serait pas capable de diriger une PME de six salariés. Mais voilà, grâce à son charisme et au suffrage universel, il lui faut gouverner un pays de plus de soixante millions d'habitants.

Une figure historique du sarkozysme m'a dit un jour, dans un moment d'abandon, que, pour son héros, il y a deux catégories de gens : les ennemis et les esclaves, mais qu'il traite les deux de la même façon. Sans égard aucun. À l'exception toutefois des trophées ou des prises de guerre de la gauche qu'il cajolera, le temps qu'ils le distraient, avant de les liquider ensuite quand ils ne vaudront plus rien.

Ce serait un grand tort de croire qu'il est indifférent à tout. Avant de porter le couteau, il le remet souvent dans son étui. Il hésite, il lanterne. « Un faux dur », dira un jour Cécilia. C'est un affectif qui a choisi le mauvais métier. Un affectif tyrannique qui ne pardonne rien aux siens.

Rares sont les politiques qui gardent une telle liberté de ton, y compris contre leur garde rapprochée. Un jour, c'est Brice Hortefeux, son vieil alter ego, qui sera qualifié de « mou ». Le lendemain, c'est Patrick Devedjian, le compagnon des mauvais jours, qui sera traité de « pauvre con ». Comme si personne, fors lui-même, ne trouvait jamais grâce aux yeux de Sarkozy.