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Capitaine Courage

« Déploie ton jeune courage, enfant ; c'est ainsi qu'on s'élève jusqu'aux astres. »

Virgile

L'adversité lui réussit. Quand tout va bien, il s'enivre de ses succès jusqu'à l'infatuation, voire au ridicule. Quand tout va mal, il prend de la hauteur et surplombe les événements.

C'est ainsi qu'il a géré en Paganini du sauvetage la crise financière que la cupidité de Wall Street a inoculée au monde à travers un système qui, en simplifiant, consistait pour les banques à prêter de grosses sommes à des clients qui ne pouvaient pas rembourser avant de refiler la dette, comme une patate chaude, à un autre établissement, lequel la revendrait à un troisième et ainsi de suite.

Depuis la dérégulation du début des années 2000, toutes les banques du monde se sont vautrées dans la spéculation, plaie de l'humanité. Si elles avaient été honnêtes, elles auraient changé leur nom : elles ne faisaient ni de l'investissement ni des affaires, comme le prétendait leur raison sociale, mais de la spéculation pure et simple, comme le boursicoteur le plus cupide et le plus dénué de scrupules.

Dans ce nouveau « métier », si l'on ose dire, les banques ont gagné à tous les coups, sans prendre le moindre risque, puisqu'elles faisaient porter par d'autres établissements tous leurs produits pourris. Elles se sont ainsi bien gavées, avec une avidité jamais assouvie, le foie saturé et la conscience tranquille. Jusqu'à l'effondrement de 2008…

Nicolas Sarkozy a fait preuve, pendant cette période, d'un esprit de décision et d'une aptitude impressionnante à la négociation. On peine à l'écrire, tant il a fait l'article pour célébrer son action, mais force est de constater qu'il a pris, à cette occasion, une dimension historique.

Ses courtisans n'ont pas manqué de donner des coups d'encensoir encore plus appuyés que d'ordinaire. Laurent Wauquiez, le secrétaire d'État à l'Emploi, a dit sans rire que le président était un « Capitaine Courage tenant fermement le gouvernail ». Jean-Louis Borloo, le ministre de l'Écologie, a déclaré très sérieusement : « Sarkozy est peut-être en train de sauver le monde. » Le député Benoist Apparu, qui sera récompensé ensuite par un secrétariat d'État, mérite, lui, le pompon : « Les crises ont révélé Napoléon et de Gaulle, et révèlent aujourd'hui Nicolas Sarkozy. »

Sur ce coup-là, en se livrant à un concours d'obséquiosité, les sarkozystes ne se sont pas aidés eux-mêmes. Je me souviens pourtant n'avoir pas protesté quand Alain Minc, l'ami du président, m'avait dit, avec un regard énamouré : « À cause de la nullité américaine, tout était entre les mains de ce petit Français. Il ne s'en est pas seulement bien sorti, il a surtout rendu un fier service au monde entier. »

Il n'y a pas de meilleur ami au monde qu'Alain Minc. Les siens ont de la chance. Si, un jour, ils commettent un crime, ils peuvent l'appeler en pleine nuit ; il viendra et s'occupera du cadavre. Il n'abandonne jamais, surtout quand la cause est perdue. Il met là son orgueil et son honneur. Son goût de la provocation aussi.

Dans cette affaire, on ne peut cependant lui donner vraiment tort. Après que j'eus demandé un jour à Alain Minc pourquoi le président avait si bien réussi, il me répondit en troussant une métaphore d'amateur de tennis : « Le problème de Nicolas Sarkozy, c'est qu'il est tout le temps au filet et qu'il ne s'en éloigne jamais à plus de cinquante centimètres. Le fond de cour, il ne connaît pas. L'attentisme non plus. C'est pourquoi il est si bon face aux crises. »

Sans doute est-ce la raison de son « sans-faute » pendant la crise financière. Il est saisi, dès les premières convulsions de Wall Street, d'une sorte de rage, comme celle qui l'anime d'ordinaire, par temps calme, et qui semble si incongrue. Il est tout le temps sur le pont, mais là au moins, il y a une raison : le monde est en train de trembler sur ses bases, rongées par les « subprimes ».

Le 27 août 2008, devant les ambassadeurs de France réunis comme chaque année au complet et alors que la crise n'a pas encore vraiment éclaté, il dénonce les « dérives » du capitalisme financier, son absence de régulation et, chose étrange, les agences de notation dont viendrait tout le mal.

Le 22 septembre, tandis que la planète financière est en état de choc après la faillite de la banque Lehman Brothers, il déclare à New York, devant le gotha réuni par la Fondation Elie Wiesel : « Qui est responsable du désastre ? Que ceux qui sont responsables soient sanctionnés et rendent des comptes. » La formule qui fera le tour du monde ne sera, bien sûr, jamais suivie d'effets.

Le lendemain, toujours à New York, à la tribune de l'ONU, à l'occasion de la 63e assemblée générale des Nations Unies, il plaide pour « la reconstruction d'un capitalisme régulé où des pans entiers de l'activité financière ne sont pas laissés à la seule appréciation des opérateurs de marché », avant de réclamer des « sanctions » pour les goinfres en tout genre qui ont ruiné tant de petits épargnants.

Sarkozy amorce là un nouveau personnage : le dirigiste succède au libéral. Il est très applaudi sur les bancs du tiers-monde. Devant la débâcle en marche que rien ne semble devoir arrêter, il se sent comme trahi par le système qu'il portait aux nues. Il y a chez lui une révolte qui n'est pas feinte, même si elle lui passera, comme tout. Après un an de contorsions et de flottements, le président a donc décidé de se réinventer pour le plus grand bonheur d'Henri Guaino, sa plume d'or, à qui il a demandé d'écrire un discours de refondation.

Ce sera le discours de Toulon. Un texte de rupture et de haute volée où l'on retrouve le lyrisme jauressien de la déclaration de la porte de Versailles…