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Le doigt d'honneur du Fouquet's

« L'argent n'a pas d'odeur quand c'est celui des autres. »

Angelus Merindolus

Le 6 mai 2007, Nicolas Sarkozy était à peine élu qu'il tombait le masque en faisant un doigt d'honneur aux Français qui avaient commis l'erreur de le croire. Comme beaucoup d'entre eux, je me sentis trahi quand j'appris, ce soir-là, que le président élu donnait au Fouquet's, le restaurant des Champs-Élysées, une réception où avaient été convoquées presque toutes les grosses fortunes de France.

Qu'il ait éprouvé l'envie de fêter sa victoire avec de vieilles relations comme Johnny Hallyday, Richard Virenque, Arthur, l'animateur de télévision, ou Patrick Balkany, député-maire de Levallois, et son épouse, libre à lui, on peut le comprendre, même si certaines sont loin d'incarner – pardonnez cet euphémisme – l'élégance, la rigueur et l'esprit français.

C'est la liste des riches présents, ce soir-là, qui est proprement stupéfiante : Bernard Arnault, président de LVMH, Vincent Bolloré, président du groupe Bolloré, Martin Bouygues, président de Bouygues, Serge Dassault, président de Dassault, Antoine Bernheim, président de Generali, Albert Frère, première fortune belge, Dominique Desseigne, président du Groupe Barrière, Paul Desmarais, milliardaire canadien, Henri Proglio, président de Veolia, etc. Le Who's Who de l'argent.

Il flottait dans l'air des remugles de trahison. Il n'y avait pas si longtemps, Sarkozy avait laissé entendre qu'après son élection, il irait se recueillir dans une abbaye. Pipeau. Je venais de comprendre qu'il était incapable de recueillement. Il avait baissé le masque pour montrer le visage de la jouissance et de l'affairisme.

Selon Suétone, quand son fils Titus reprocha à l'empereur Vespasien d'avoir taxé l'urine, celui-ci lui mit sous le nez l'argent que l'impôt lui avait rapporté et lui demanda s'il était « incommodé par l'odeur ». D'où la célèbre formule attribuée à l'homme qui aurait inventé les vespasiennes : « L'argent n'a pas d'odeur. »

L'argent a pourtant une mauvaise odeur et, devant le spectacle du Fouquet's, il fallait être paralytique pour résister à l'envie irrépressible de se boucher le nez.

Voilà bien la faute originelle de la République sarkozyenne : s'être laissé marquer, dès son avènement, par le fer rouge de la Ploutocratie. Les donateurs de l'UMP, les copains de la jet-set, les frères de la haute, les goinfres du CAC 40, les adorateurs de saint Frusquin, tous sont là pour dire leur joie, le verre de champagne à la main. À peine élu, c'est à eux que Sarkozy a tenu à rendre hommage, toutes affaires cessantes, avec une ingénuité obscène et bravache.

Il sent bien qu'il y a quelque chose qui cloche. Après avoir dédié sa victoire à Charlotte, la femme de Laurent Solly, morte quelque temps plus tôt d'un cancer foudroyant, il se met subitement, dans une scène surréaliste, à parler des Français : « C'est un grand peuple qu'il faut respecter. On n'a pas le droit de le mépriser. » Mais n'est-il pas à cet instant précis en train de lui montrer qu'il le méprise ?

L'histoire officielle du sarkozysme voudrait que cette impardonnable faute de goût du Fouquet's fût imputable à Cécilia. Elle a passé la journée claquemurée en robe de chambre dans son meublé de Neuilly, puis à l'hôtel. Trop de pressions, de confusion des sentiments. C'est pourquoi elle n'est pas allée voter. Elle ne sortira de sa retraite que tard dans la nuit pour rejoindre son mari et le suivre place de la Concorde, sur une estrade, avec Enrico Macias et Mireille Mathieu, devant la foule en liesse.

Si elle ne l'a pas établie elle-même, il ne fait aucun doute qu'elle a jeté un œil sur la liste des invités du Fouquet's. La preuve, c'est qu'on ne trouvera dedans aucun des sarkozystes historiques de la garde noire. Pas même Goudard qui, pourtant, n'est pas pour rien dans la victoire. Apparemment, elle a décidé de les éradiquer tous.

C'est si vrai que les mêmes sarkozystes historiques seront presque tous exclus de la cérémonie de passation de pouvoir, quelques jours plus tard. Maintenant que leur héros est arrivé à l'Élysée, ils sont bons pour le monument aux morts et les poubelles de l'Histoire. Seul Goudard recevra une invitation, mais par motard, deux heures auparavant.

Cécilia ne jure finalement que par Claude Guéant qui, pendant sa fugue américaine, continuait de faire mettre des fleurs sur la table basse de son bureau vide et qui l'avait accueillie à son retour avec les yeux embués de larmes. Des autres, elle ne veut plus entendre parler. Et, à leur grand dam, elle semble revenue pour de bon.

Le président lui passe tous ses caprices. Alors qu'il avait réservé quelques nuits à l'hôtel Casa Rossa à Porto-Vecchio, en Corse, pour que leur couple se retrouve après la victoire, elle accepte l'invitation de Vincent Bolloré qui met son yacht au mouillage, à Malte, à la disposition des Sarkozy. Que Vincent Bolloré soit le pire ennemi de Martin Bouygues, le meilleur ami de son mari, peu lui chaut, au contraire. Elle est en froid avec Bouygues qui n'a pas apprécié son escapade américaine, et ne s'en est pas caché.

Le pouvoir et ses ors, ce n'est apparemment pas son fort. Le jour de l'intronisation, elle a un regard de biche affolée quand elle dit à Martin Bouygues, Alain Minc et Jean d'Ormesson : « Qu'est-ce que je vais faire ? Le chef du protocole m'interdit de garder les enfants avec moi. » Alors, les autres en chœur : « Fais comme tu veux. C'est toi la patronne. »

Pendant les premières semaines du quinquennat, elle fait cependant la pluie et le beau temps. Elle semble même décidée, devant toutes les attentions de son mari, à lui donner à nouveau sa chance et à remettre le couvert. Après qu'elle a obtenu, avec Claude Guéant, la libération d'infirmières bulgares que le régime libyen avait condamnées à mort, sous prétexte qu'elles auraient inoculé le sida à des malades, Le Nouvel Observateur publie une enquête, informée aux meilleures sources, où il apparaît que Cécilia est devenue l'un des éléments clés du dispositif sarkozyste8. « Il y a aujourd'hui une “Cécilia Connection” », note Carole Barjon, qui raconte la First Lady dans ses œuvres, avant de conclure ainsi son article :

« Pour l'heure, elle s'attache à l'essentiel : faire prendre des vacances à son mari. Des vraies. Depuis son installation à l'Élysée, l'hyper-président est sur tous les fronts. Mais en semaine seulement. Il se ménage des pauses le week-end. Et, il le lui a promis, il va se mettre au vert aux États-Unis pendant deux semaines en août. C'est aussi à ces petits détails que l'on mesure l'influence d'une femme. »

Elle a prévu de passer ses vacances sur la côte Est avec ses deux meilleures amies : Mathilde Agostinelli, l'attachée de presse de Prada, et Agnès Cromback, la patronne de Tiffany. Avec elles, loin du tumulte, les Sarkozy pourront finir de reconstruire leur couple qui, apparemment, va mieux.

Mais souvent, en amour comme dans la vie, c'est quand on croit que tout va s'arranger que le destin en décide autrement : au retour de leurs vacances américaines, le divorce est en marche ; rien ne l'arrêtera plus.

8 Le Nouvel Observateur, 9 août 2007.