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Le président Fillon

« Tout vient à point, qui peut attendre. »

Rabelais

Chez lui, tout respire et inspire l'ennui. Son air sombre. Sa raideur ecclésiastique. Sa mine de premier communiant. Pour un peu, il passerait pour un petit-bourgeois étriqué et propret dont la seule fantaisie serait ses chaussettes qu'il choisit avec, apparemment, bien plus de soin que ses cravates.

Quand il s'assoit et que ses pantalons remontent, dégageant les chaussettes, c'est un festival de couleurs rigolotes. On a beau chercher, on ne lui trouvera pas d'autres extravagances, hormis sa passion pour les voitures de course. Mais sur les pistes, il veille, de surcroît, à ne jamais finir dans les premiers.

Il ne recherche pas la lumière. Il est d'humeur égale. Il ne trompe pas sa femme. Il ne dit pas de mal des gens. Il va régulièrement à la messe. Il lit des livres. Il n'est pas sensible à la flatterie et répond par un sourire pincé ou un haussement des épaules. Il aime l'herbe, les fleurs, les arbres et la rosée du matin.

C'est le président, le vrai : même si la France ne l'a pas élu, lui, François Fillon, veille sur elle avec un mélange présidentiel de recul, de douceur et de fermeté. Sans parler de sa politesse et de sa bienséance. Je ne serais pas étonné d'apprendre un jour qu'il garde sa cravate pour dormir.

Il assure sans jamais perdre son flegme. Sa situation n'est pourtant pas facile. Pendant trois ans et demi, jusqu'au remaniement de novembre 2010, il lui faut assumer, avec calme, une sorte de destitution permanente. Sarkozy qui veut toujours être seul sur la photo, ne lui reconnaît même pas le droit de vivre. Que le Premier ministre ose respirer semble déjà une offense au chef de l'État.

De l'Élysée lui viennent aux oreilles, dès les premières semaines de leur cohabitation, les bons mots du chef de l'État à son propos. S'ils sont souvent apocryphes, quand ils ne sont pas l'œuvre des collaborateurs du président, ils disent bien l'état d'esprit de Sarkozy. Florilège :

« Un croque-mort. »

« On croit qu'il est intelligent et gentil, il n'est ni l'un ni l'autre. »

« En voilà un qui, quand il entrera dans le néant, se sentira chez lui. »

« Il ne suffit pas d'avoir de gros sourcils pour être Pompidou. »

« Il n'existe pas, personne ne l'a jamais rencontré. »

« Ne le grattez pas, dessous il y a une teigne. »

La première fois que j'ai vu Fillon après sa nomination à Matignon, je lui demandai :

« Ce n'est pas trop dur de travailler avec Sarkozy ?

— Si. »

La broussaille de ses sourcils n'avait pas bougé et il ajouta avec un grand sourire :

« C'est même très dur. Mais enfin, c'est quelqu'un de pas banal et on peut faire des choses avec lui…

— Il te laisse les faire ?

— Je prends ce qui reste.

— Comment peux-tu supporter ça ?

— Parce que, malgré toutes les vicissitudes, j'ai le sentiment de travailler avec un type hors pair, un personnage comme il y en a eu très peu au cours des dernières décennies. Il suffit de le comparer avec ses prédécesseurs, ça console. Franchement, je ne vais pas me plaindre. »

Tel est le président Fillon : un homme tranquille qui ne se laisse pas embrouiller l'esprit par les court-circuitages, les mortifications et les blessures d'amour-propre. Il les contemple des hauteurs d'où il surplombe Sarkozy lui-même.

J'ai fait partie de ses visiteurs du soir, à Matignon. Tout au long de ces années, j'ai été frappé qu'il ne me balance jamais d'horreurs sur Sarkozy qui, pour sa part, n'en était pas avare sur son compte.

Il y a du Rocard chez cet homme-là. Il n'aime rien tant que parler du fond. Des astuces de la Chine pour conforter sa croissance. Des secrets du miracle coréen ou du développement brésilien. Il vient toujours de recevoir un économiste étranger de passage qui lui a raconté une histoire extraordinaire à méditer. C'est un janséniste de la politique et du service de l'État.

J'imagine les échanges entre Sarkozy et lui. Les deux hommes ne peuvent pas se comprendre, ils ne parlent pas la même langue. Au surplus, il m'a tout de suite semblé qu'ils n'étaient pas vraiment en phase sur le plan économique. D'entrée de jeu, Fillon n'acceptait pas que la France continue à dépenser bien plus qu'elle ne produisait. Il revient de loin. Dans les années 1990, quand il était encore un disciple de Philippe Séguin, incarnation tonitruante du gaullisme social, il a au demeurant voté « non » au référendum sur le traité de Maastricht.

En matière de rigueur, ses ennemis diront qu'il a l'ardeur des néophytes et qu'il aurait beaucoup à se faire pardonner. Soit. Il reste que, sur le plan économique, il constitue, avec le président, l'attelage classique de l'optimiste et du pessimiste, ce dernier rôle étant d'ordinaire dévolu, sous la Ve République, au Premier ministre.

Qu'est-ce qui a permis à Fillon de tenir si longtemps alors que Sarkozy prétendait l'écraser de son fessier de plomb ? Cet homme a du caractère et il l'a prouvé en bravant souvent Chirac, dans le passé. Mais là, il a pris sur lui, au point de souffrir d'une interminable sciatique dont l'origine était, selon toute vraisemblance, psychosomatique.

Sans doute Fillon a-t-il toujours éprouvé envers Sarkozy un mélange de fascination et de mépris, ce mépris dont on n'a pas attendu Baltasar Gracián pour savoir qu'il était la plus subtile des vengeances.

On attend les autres vengeances.