30

Retour sur terre

« Au cimetière de la gloire, il n'y a pas de concession à perpétuité. »

Eugène Labiche

Après chaque sommet, Nicolas Sarkozy se félicite toujours. De lui, de tout. Il en ressort grisé, épris de lui-même. À juste titre. Il a généralement fait le show en feignant, au surplus, de tirer toutes les ficelles.

Il a tombé la veste, mis la main dans le dos du président américain ou fait des papouilles à la chancelière allemande, de préférence devant les caméras, cela va de soi. Il a été dans son élément. D'où cette autocélébration permanente teintée d'euphorie, qui relève du comique de répétition, même si, apparemment, elle n'amuse pas ses partenaires.

Dans un reportage pour Le Journal du dimanche 18 intitulé « Sarkozy en maître du monde ! », Claude Askolovitch a raconté drôlement la méthode du président français pendant le sommet du G20 à Washington :

« Sarkozy chapitre ses partenaires, les maîtres du monde. “À la sortie, il faut qu'on délivre tous le même message.” Il brandit un papier. Il leur parle – à Bush, Lula, Merkel, Brown, Hu Jintao – comme s'il les briefait pour un meeting. »

Puisqu'il l'a demandé, obtenu et animé, Nicolas Sarkozy qualifie donc le G20 de Washington d'« historique ». Il est vrai qu'il fait l'Histoire, le président français. Mais il faut toujours qu'il en rajoute.

Au G20 de Londres, le 2 avril 2009, il a même fait mieux. Après avoir menacé de quitter le sommet s'il tournait en rond, il s'est ensuite arrogé son bilan, qui n'est pas mince, il est vrai. Qu'il s'agisse de la fin du secret bancaire, de la surveillance des fonds d'investissement spéculatifs (hedge funds) ou de la régulation des établissements bancaires, les dirigeants de la planète ont fait quelques petits pas.

Il n'en a pas fallu plus pour que Nicolas Sarkozy décrète : « Les résultats vont au-delà de ce que nous pouvions imaginer. »

Sans oublier de souligner son propre rôle pour arracher des concessions aux uns et aux autres, notamment au Chinois Hu Jintao, il n'hésite pas à parler d'« avancées jamais vues ». « Ce que je vous annonce, clame-t-il, c'est un changement considérable. Si ce n'est pas la moralisation et la refondation du capitalisme, qu'est-ce que c'est ? »

On peut sourire et contester sa priorité donnée à la communication qui l'amène à toujours favoriser le faire-savoir, au détriment du savoir-faire. Il reste qu'il en a jeté, pendant cette période. Il a fait impression à peu près partout dans le monde. Sauf en France.

Certes, les dirigeants du monde ricanent souvent, sous cape, de son ego hypertrophié. Mais ils lui reconnaissent presque tous des qualités que les Français lui dénient, désormais. C'est que le système Sarkozy prend eau de toutes parts.

Sarkozy n'a que ce qu'il cherchait. Il a décidé de faire tous les métiers en même temps : DRH du PAF, directeur des programmes des chaînes de télévision, secrétaire d'État aux Choux farcis, actionnaire principal des banques françaises, chanoine d'honneur de la basilique de Latran, imprésario de Patrick Sabatier, président des grands groupes de presse, chef de la Police nationale, sauveur des finances mondiales, président du Conseil général des Hauts-de-Seine. J'arrête là, la liste est interminable. De surcroît, il n'a cessé d'humilier, d'admonester ou de ridiculiser ses ministres, les serpillières du régime. Il a interdit à son chef de gouvernement d'exister. Personne, autour de lui, n'a osé ouvrir la bouche, fût-ce pour le soutenir : le chef de l'État souffre à peine les éloges.

Quand on veut être au centre de tout, on est au centre de rien. C'est la faillite d'une méthode de gouvernement. Sarkozy est certes l'un des meilleurs sinon le meilleur communicant de sa génération. Mais comme il ne veut pas partager le micro avec François Fillon ni avec personne, son pouvoir ne parvient pas à se faire entendre par l'opinion. Il ne supporte d'écouter qu'une seule voix, la sienne. C'est pourquoi il parle tout le temps, chaque jour que Dieu fait.

Dès le premier Conseil des ministres, il a prévenu les membres du gouvernement, sur un ton menaçant : « On ne vous reprochera jamais de ne pas parler. En revanche, si vous parlez et que vous commettez une erreur ou dites une bêtise, avec le Premier ministre, on saura trancher. »

Tel est sa conception du pouvoir : silence dans les rangs, c'est moi qui parle.

C'est ainsi que son pouvoir sera victime de plusieurs erreurs incroyables de communication. Sur le bouclier fiscal ou sur d'autres questions, parce qu'à force de monopoliser la parole, il a laissé le champ libre à l'opposition.

Giscard avait Barre auprès de lui. Mitterrand, Delors ou Rocard. Sarkozy ne s'accommode que de zombies ou de « perroquets ». « Monsieur-je-fais-tout-moi-même » ne sait pas répartir les rôles et l'expérience ne lui a rien appris. Il en est convaincu : si sa cote baisse dans les sondages, par exemple, c'est, entre autres, à cause de François Fillon qu'il n'a cessé de brider depuis qu'il l'a nommé à Matignon.

« Tu ne me protèges pas », lui répète-t-il continuellement. Lui-même n'est pour rien, bien sûr, dans son impopularité galopante. Les responsables, ce sont les autres. Donc François Fillon à qui il dit, à cette époque : « Il y a deux hypothèses. Soit tu restes cinq ans, comme Barre ou Jospin. Soit tu pars après les régionales. » Et puis Patrick Devedjian, le secrétaire général de l'UMP, un sarkozyste historique qu'il juge au-dessous de tout.

Un soir de décembre 2009, Sarkozy appelle Hortefeux : « Je vais nommer Devedjian ministre de la Relance. Figure-toi qu'il hésite, ce con. Je veux qu'il démissionne tout de suite de l'UMP et que tu prennes sa place.

— Je ferai ce que tu me demanderas. »

C'est une phrase que Brice Hortefeux utilise souvent avec son vieil ami. Mais c'est un homme subtil et réfléchi. Contrairement au président, il ne se voit pas gérer de conserve le parti majoritaire et un ministère, fût-il celui de l'Immigration. Il n'a rien d'un kamikaze ni d'un boulimique de pouvoir.

Le chef de l'État se rabat donc sur Xavier Bertrand, le ministre du Travail, un homme solide, l'une de ses coqueluches du moment, qu'il va mettre sous tutelle à l'UMP avant de lui imputer, un an et quelque plus tard, le désastre des régionales.

La loyauté et l'obéissance ne sont jamais payées de retour sous Sarkozy qui oublie tout, excepté d'être ingrat.

18Le 16 novembre 2008.