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Le grand « nominateur »

« Le roi a de longues mains. »

Ovide

En ces temps de mondialisation, nommer est sans doute tout ce qui reste à l'homme d'État. Sinon, pourquoi tirerait-il tant d'orgueil à exercer un métier que l'Histoire a dévalué ? De quoi pourrait-il jouir encore ?

Comme tous ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy adore nommer. Sentir le pouvoir de sa signature sur le destin des autres. Éprouver le bonheur indicible d'avoir un droit de vie ou de mort sur la carrière de tant de monde.

La Bruyère, grand expert de la Cour, l'a bien dit : « Le plaisir le plus délicat est de faire celui des autres. » Sarkozy se le donne sans retenue, avec une irrépressible griserie, installant ses amis et ses anciens collaborateurs à peu près partout dans l'appareil d'État et jusque chez ses copains patrons.

Cet homme, c'est à la fois Pôle Emploi, une agence de recrutement et un chasseur de têtes. Rien de nouveau là-dedans. Le pouvoir de nomination est, avec le système de Cour, tout ce qui, sous la république, reste de la monarchie française. De ce point de vue, Sarkozy n'aura pas été pire qu'un autre. Comme Chirac ou Mitterrand, il n'aura simplement pas tenu parole, lui qui déclarait le jour de son investiture, la main sur le cœur : « La démocratie irréprochable, ce n'est pas une démocratie où les nominations se décident en fonction des connivences et des amitiés, mais en fonction des compétences. »

Il a néanmoins eu souvent la main heureuse, car il faut reconnaître de réelles compétences à beaucoup des amis, copains ou complices auxquels il a confié des responsabilités. C'est vrai dans la police où il n'a jamais promu de manchots. C'est vrai aussi dans les affaires avec François Pérol, secrétaire général adjoint de l'Élysée, qu'il a installé à la tête du troisième réseau bancaire français, Caisse d'épargne - Banque populaire ; Frédéric Oudéa, un de ses anciens conseillers techniques, qu'il a poussé en coulisses à la présidence de la Société générale ; Stéphane Richard, un vieil ami, à qui il a donné les manettes de France Télécom.

Il a su aussi instituer des règles qui assainissent la République. Par exemple, en accordant à un membre de l'opposition la présidence d'une commission à l'Assemblée nationale. En l'espèce, celle de la commission des Finances. Il est même allé jusqu'à nommer un socialiste, Didier Migaud, reconnu pour sa compétence, à la présidence de la Cour des comptes, un poste stratégique.

Pour le reste, Sarkozy a souvent été moins bégueule et irréprochable, n'hésitant pas, par exemple, à catapulter au Conseil économique et social des petits notables des Hauts-de-Seine pour ouvrir la route à son fils Jean, ce qui relève du tripatouillage. Sans parler des amis de Carla qui ont toujours droit à une place, qui n'est pas nécessairement celle du pauvre. Il y a, dans le palmarès des nominations sarkozyennes, pas mal de fautes de goût ou d'aiguillage, mais bon, la plupart sont vénielles. Même si elle n'est pas vertueuse, loin de là, il y a peut-être moins à reprocher à sa République qu'aux précédentes.

On peut tourner la chose dans tous les sens, cet homme n'est pas vraiment clanique au sens mitterrandien ou chiraquien du mot. Il est trop dans le présent pour avoir le sens du réseau. C'est particulièrement vrai dans le domaine politique où valsent les grâces et les disgrâces, dans un tourbillon qui étourdit. Il ne donne rien aux siens, il prête.

Sarkozy est ainsi un disciple de Louis XIV qui écrivait dans ses Mémoires pour l'instruction du Dauphin : « Il était nécessaire de partager ma confiance et l'exécution de mes ordres, sans la donner tout entière à pas un, appliquant ces diverses personnes à diverses choses selon leurs divers talents, qui est peut-être le premier et le plus grand talent des princes. »

Cette incapacité à se reposer sur les autres l'a empêché, jusqu'à présent, de donner sa chance à une génération qu'il aurait pu, comme Chirac ou Mitterrand en leur temps, laisser après lui. Force est de constater qu'il n'y a que les produits du chiraquisme qui ne se sont pas périmés sous Sarkozy.

François Fillon. « Monsieur Propre » et « père-la-Rigueur » à la fois, il s'est sculpté une bonne tête de président avec de gros sourcils pompidoliens, pour rassurer. Il ne lui manque qu'un peu de ventre. Il a tellement de qualités qu'on ne voit pas ses vices, à peine ses défauts, comme ce mélange de réserve, de fatalisme et de timidité qui le met à distance des autres, notamment des Français.

Jean-François Copé. C'est un chat à sept vies, mais avec de grandes ailes, pour aller plus vite quand il chasse. Il a attrapé le prurit présidentiel quand il était tout petit. Depuis, il est sûr de son destin et on ne voit pas pourquoi il en douterait. Il n'a peur de rien, ni de Sarkozy, ni de la langue de bois, son péché mignon. C'est un chef de bande. Il sait déléguer et partager.

Xavier Bertrand. Il n'est rien de ce qu'on croit : ni mou ni gentil. Un malin. Avec ça, bon élève, travailleur et compétent. Bon camarade, là, ça reste encore à prouver. Avec lui, il faut se méfier de tout. En particulier de son air bonasse ou de son éloquence à l'eau tiède dont il se sert pour endormir et, ensuite, détrousser son monde.

Alain Juppé. Cet homme loyal jusqu'au suicide est un cas d'école. Éminent et respectable, il avait tout pour réussir. Il ne lui a manqué que le succès. Il n'a toujours pas compris. Nous non plus. C'est sans doute ce qui lui donne cette triste figure, même quand il rit. Encore qu'il a eu le talent de se faire une raison. Jusqu'à son retour sur scène au Quai d'Orsay. Mais même s'il l'agace, il fascine Sarkozy, comme il fascinait Chirac ou Mitterrand.

Michèle Alliot-Marie. Chez elle, tout est mécanique. Les gestes, les paroles. C'est une sorte d'automate toussotant et militaire. On a souvent dit qu'elle ne commettait pas d'erreur. C'est normal : elle n'a jamais fait grand-chose. Sauf quelques fautes en forme de passe-droits en Tunisie, qui ont fait d'elle une victime collatérale de la révolution arabe.

François Baroin. Vieil enfant habillé en ministre, il a du talent jusque dans la platitude qu'il affecte pour ne déranger personne. Il y a dans ce « Monsieur Bébé » une angoisse existentielle qu'il soigne encore à la cigarette, mais qui pourrait un jour le porter loin.

Valérie Pécresse. Seule vraie réformatrice du gouvernement déguisée en présidente d'association de parents d'élèves d'une école privée du XVIe arrondissement de Paris, elle a révolutionné, sans effet de manche, la recherche et les universités.

Bruno Le Maire. C'est un de Gaulle de poche qui attend son 18 juin. Si son heure ne vient pas, ce qui est fort possible, il s'en fiche : il sera un petit Chateaubriand, écrira de bons livres et entrera à l'Académie.

Nathalie Kosciusko-Morizet. Nathalie au Pays des merveilles sort, avec sa mise vaporeuse, d'une livre de Lewis Carroll où elle finira peut-être par retourner.

Passons, par politesse, sur le cas de Rachida Dati, ex-garde des Sceaux, une blague qui n'aura finalement fait rire personne.

La seule sarkozyste qui aurait pu prétendre un jour au premier rôle, elle, a été proscrite sans préavis, pour cause d'indépendance d'esprit répétée : Rama Yade. Comme on sait, le président déteste les récidivistes…

Pour l'heure, on ne voit pas monter l'ombre d'une ébauche de génération Sarkozy comme il y eut naguère une génération Mitterrand ou une génération Chirac.