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Le miroir de Cécilia

« Si vous ne pouvez être une étoile au ciel, soyez du moins une lampe à la maison. »

George Eliot

Henri de Régnier, un écrivain que tout le monde a oublié, est l'auteur d'une des plus justes formules que je connaisse : « L'amour est éternel tant qu'il dure. » En vertu de cet adage, Nicolas Sarkozy a très vite trouvé une nouvelle femme. Une journaliste qui le fascine depuis longtemps, son contraire à bien des égards. Elle a beaucoup de recul et d'humour, un humour perceptible jusque dans son timbre de voix qui frémit quand elle blague, ce qui est souvent le cas. Ces adorables gloussements ne sont pas les moindres de ses charmes.

Là encore, l'affaire n'a pas traîné. La journaliste a rapidement quitté son mari pour s'installer avec son amoureux qui a fait la conquête de ses enfants et lui promet tout, à commencer par le mariage. Mais un amour peut toujours en cacher un autre. Chez les hommes, en tout cas.

Tout en contant fleurette à sa nouvelle bien-aimée, Nicolas Sarkozy cherche, de l'autre côté, à récupérer Cécilia qui file le parfait amour avec Richard Attias, du côté de New York. Il est convaincu que rien ne lui résiste, et l'expérience semble lui avoir toujours donné raison. Il bombarde donc la fugitive de SMS et de coups de téléphone, notamment sur le mode : « Es-tu heureuse au moins ? Passer son temps à pousser son Caddie dans les hypers pour le remplir de courses avant de faire la bouffe pour tout le monde, c'est pas une vie, ça. Enfin, pas vraiment à côté de celle que je te propose. »

Cécilia résiste. C'est une femme digne et libre, qui assume ses choix. Il n'y a rien à faire, elle est amoureuse, peut-être même amoureuse comme elle ne l'a jamais été, mais elle garde le contact avec celui qui est encore son mari. La porte n'est pas tout à fait hermétique. Il y a, dessous, des interstices et des jours par lesquels Sarkozy entend bien, lui, se faufiler.

Il ne lâche pas l'affaire. Après tout, même si rien ne permet d'établir l'élément déclencheur, hormis une jalousie justifiée, il est possible que Cécilia ait aussi voulu fuir son entourage en fuyant son mari. Une garde noire qu'elle a fréquentée de près quand elle a pris un bureau à l'UMP, après la conquête par son mari du parti majoritaire, en 2004. Une garde noire qui n'a jamais reconnu son autorité, du moins en matière de politique.

Elle est composée de soldats dévoués à Sarkozy, à la vie, à la mort : Brice Hortefeux, l'ami, Pierre Charon, le frère, Frédéric Lefebvre, le hussard, Laurent Solly, le chevalier, et Franck Louvrier, le communicant. Le genre avec qui on peut aller à la guerre. Charon, notamment. Il se fera tuer pour vous.

Ils ont tous, plus ou moins, pris à la blague la femme du patron. Il est vrai que l'intrusion de Cécilia dans l'appareil de l'UMP fut globalement un échec. Elle n'avait ni l'art ni la manière. Incapable de changer d'avis, elle assénait ses certitudes à coups de marteau. Elle était bien trop cassante, comme toutes les personnes qui doutent, à juste titre ou pas, de leurs propres compétences.

En matière politique, elle en connaît pourtant un rayon. De manière informelle, elle a déjà tout fait auprès de son mari : secrétaire, attachée de presse, éminence grise, chef du protocole. Elle a même joué avec l'idée de se présenter sur la liste de l'UMP dans les Hauts-de-Seine, aux élections régionales de 2004. Son mari y a mis le holà mais en a fait son chef de cabinet – son premier titre officiel – dès qu'il a pris le contrôle du parti majoritaire, à la fin de la même année.

C'est sans doute pendant ces mois de cauchemar comme chef de cabinet à l'UMP qu'elle a eu envie de briser le miroir. Il lui donnait une image qui n'était plus la sienne, celle de l'alter ego, du double fusionnel, du surmoi maternel. Elle s'est retrouvée, soudain, seule et démunie, au milieu de professionnels que les lois darwiniennes de la politique avaient passés au tamis : ceux qui restaient, après tant d'années, étaient, bien sûr, les meilleurs dans leur spécialité ; ils n'allaient pas se mettre sous la coupe de l'épouse de Sarkozy, lequel s'était au demeurant bien gardé de leur demander quoi que ce fût.

Quand ils sentent un fossé entre ce qu'ils sont et ce qu'ils voudraient être, la plupart des gens ne le supportent pas. Telle est la genèse de tant de névroses et de crises psychologiques qui conduisent à la dépression, à l'anorexie, au shopping compulsif et aux ruptures amoureuses. C'est ce qui est arrivé à Cécilia qui s'est subitement sentie dépossédée d'une victoire annoncée où elle avait eu, ô combien, sa part. Comme si sa créature lui avait échappé. La séduction de Richard Attias a fait le reste.