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Des boulets aux pieds

« Il faut casser le noyau pour en avoir l'amande. »

Plaute

Cécilia n'est plus que l'ombre d'elle-même. Ses traits se creusent, elle pleure tout le temps et disparaît souvent dans son Austin Mini noire. À l'évidence, elle n'a pas fait le deuil d'Attias.

Son mari le sait, mais lui n'a pas fait le deuil de Cécilia. La voix et les yeux doux, il tente de la séduire à nouveau avec une patience de joli cœur qu'on ne lui soupçonnait pas. Ses traits se creusent aussi.

J'aime sa façon tranquille de braver le destin et de chercher à retourner la situation. Je sais que le mot est grandiloquent, mais il y a dans cette attitude quelque chose de christique, comme si Sarkozy avait décidé de payer toutes les fautes par lui commises au temps de leur bonheur.

Quand je le vois, je ne lui parle jamais de ce qu'il vit. Je n'ose pas et je sais ce que c'est de vivre avec une femme qui ne vous aime plus. Le silence. Les grands froids dans le lit. Il ne laisse au demeurant rien apparaître de ses ennuis domestiques. Il assure.

Ses réveils sont forcément difficiles et, comme beaucoup d'observateurs du couple, je me demande comment un amoureux transi, ce qui est apparemment son cas, peut espérer gagner l'élection présidentielle de l'année suivante alors que la campagne exige une forme physique et une vigilance de tous les instants.

C'est Jean-Michel Goudard qui, un jour, m'a donné la clé. Un personnage atypique et fascinant, ce Goudard. Un puits de culture, d'esprit et de joie de vivre, derrière laquelle j'ai cru voir, souvent, le soleil noir de la mélancolie. Ni dupe ni courtisan, il aime Nicolas Sarkozy d'une vraie amitié sans rien attendre en retour. Le désintéressement est au demeurant la marque de fabrique de ce publicitaire qui a fait une grande carrière internationale, aux États-Unis et au Japon. C'est lui qui, en 1995, avec son compère Bernard Brochand, a contribué à faire élire Jacques Chirac dont ils dirigeaient la stratégie. Sitôt son candidat élu, il est retourné à ses affaires aux États-Unis. Sans rien demander.

De retour en France, il se rêvait une retraite dorée, mais avant de l'enrôler, presque de force, à l'Élysée, Nicolas Sarkozy l'a intégré dans son équipe de campagne où il a fait merveille en jouant tous les rôles à la fois : le sage, le confident, le gourou, le porte-bonheur et la mouche du coche. L'auteur aussi du slogan de campagne : « Ensemble, tout devient possible. » Il est, de surcroît, l'un de ceux qui connaissent le mieux les arcanes de la psychologie sarkozyenne.

« On n'a rien compris à cet homme, me dit Goudard quelques semaines avant l'élection présidentielle de 2007, si on ne voit pas que Nicolas est toujours dans la performance, comme un sportif de haut niveau. Il serait du genre à jouer au tennis avec des chaussures à crampons ou à faire du vélo avec un barda d'alpiniste. Pour s'assurer qu'il est le meilleur, il a besoin d'avoir des boulets aux pieds. »

Question boulets, il sera servi, Nicolas Sarkozy. Certains matins, ses collaborateurs seront saisis par son visage exténué par le malheur et les nuits blanches. Mais il ne s'ouvre jamais à eux. Il serre les dents.

Le lendemain du premier tour, après que Cécilia eut proposé à Isabelle Balkany, vieille amie du couple, de faire des courses avec elle, les deux femmes se retrouvent autour d'un thé. Avant même qu'il ait infusé, l'épouse de Sarkozy laisse tomber :

« Je te préviens. Je quitte Nicolas demain.

— Mais tu ne peux pas te casser entre les deux tours ! Tu n'as pas le droit de nous faire ça !

— Je suis amoureuse. Richard Attias est l'homme de ma vie. »

Pendant des heures6, Isabelle Balkany rame pour convaincre Cécilia de donner à son mari quelques jours de plus, le temps de gagner l'élection. Elle obtient gain de cause. Mais les jours suivants, avant le scrutin, le couple Sarkozy continue de se déliter à grande vitesse. Pour preuve, entre autres, la scène de ménage qui se déroule par téléphone, juste avant le débat avec Ségolène Royal, dans les loges du studio de télévision.

Sarkozy est à la torture. D'autant qu'il refuse de tourner la page. Rien ni personne ne lui résistant, il est encore convaincu qu'il finira par la reprendre.

L'avant-veille du second tour de l'élection présidentielle, il appelle Alain Minc pour hurler contre une déclaration de Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne.

« Allez, ça va, dit Minc. Donne-toi le temps d'être heureux.

— Je n'ai pas de propension au bonheur. »

Le moindre de ses embarras n'est pas la vendetta que Cécilia a décidé d'engager, dès le début de la campagne, contre les plus anciens et plus dévoués de ses serviteurs. Elle a proposé à Jean-Michel Goudard d'être l'exécuteur en chef de son plan d'extermination de la garde noire : Hortefeux, Charon, Lefebvre, etc.

« Mais tu n'y penses pas ! proteste Goudard. Ce serait de la folie pure et simple. Tous sont, chacun dans sa catégorie, compétents, loyaux et formidables. »

Cécilia ne se le tiendra jamais pour dit. Quant à son mari, il fera semblant, jusqu'au bout, de ne rien voir des intrigues et des complots qui se nouent autour de lui. Il veillera avec soin à ne jamais se mêler de rien. Il est prêt à tout pour retrouver sa femme, quitte à sacrifier ses amis. L'amour façonne des héros, des imbéciles et puis aussi des faibles.

6Cf. Patrick Balkany, Une autre vérité, la mienne, Michel Lafon, 2009.