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Cavalier seul

« Tel qui veut se griser d'air pur, s'enivrer sur les hauteurs, n'arrive qu'à s'enrhumer. »

Jules Renard

« Imaginez ce qui se serait passé si nous n'avions rien fait ! » C'est la phrase que Nicolas Sarkozy répète sans cesse à ses collaborateurs ou à ses ministres depuis son dimanche de gloire, quand il a mis fin, avec ses collègues européens, au cataclysme financier.

Il est enfin, pour de vrai, le « taulier du monde ». Cela durera le temps que durent les reines d'un jour, voire un peu plus, au rythme des coups de téléphone de félicitations de tous les dirigeants de la planète, à commencer par George Bush Junior.

Tous ceux qui le côtoient pendant cette période sont frappés par l'espèce d'autorité qui l'habite. Il assure. Le lendemain de la réunion de l'Eurogroupe, il convoque un Conseil des ministres qui adopte la version nationale du plan européen : 360 milliards d'euros pour porter secours aux banques afin qu'elles renforcent leur capital et se refinancent sur les marchés.

Financé par la dette, le plan Sarkozy ne doit rien coûter aux contribuables, l'État se réservant le droit de revendre plus cher, après la crise, les participations qu'il a prises dans les banques. Ce qui sera au demeurant le cas.

Après la France, le « taulier du monde » entend désormais passer au stade supérieur. Le samedi, il file à Washington et arrache à George Bush son accord pour l'organisation d'un super-sommet international, un G20, sur la crise financière. « Nous ne voulons pas perdre de temps, dit-il, flanqué de José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne. On ne peut plus continuer avec les mêmes causes qui produisent les mêmes effets. »

Sur quoi, il ira plaider la bonne cause à Pékin, quelques jours plus tard. L'ébouriffant globe-trotter a des projets mirobolants, sinon outrecuidants. La « refondation » de ce capitalisme « sans foi ni loi ». Une refonte des systèmes monétaires et financiers. Un contrôle des rémunérations spéculatives et une mise au pas des « paradis fiscaux ».

Sur le plan européen, il prône la création d'un fonds souverain qui rachète des actifs stratégiques dépréciés pour les remettre sur le marché, une fois la crise passée, ce qui, aux yeux des libéraux, rappelle le temps honni du capitalisme d'État, voire du socialisme d'antan. Le président français est également partisan d'un gouvernement économique européen, au grand dam d'Angela Merkel qui, on l'a vu, redoute un nivellement par le bas, c'est-à-dire un laxisme généralisé.

On peut tourner la chose dans tous les sens, Nicolas Sarkozy n'aura pas été, au paroxysme de la crise, un politicien banal. Il a des solutions, souvent détonantes, et il les défend avec l'autorité de la compétence, jusqu'à la limite de ses forces. On se frotte les yeux. Ce n'est plus le même, puant de gloire et abusant du crachoir. Il n'a plus rien à voir avec l'ami des riches et des stars, l'olibrius avantageux de la bande du Fouquet's. Il s'est surpassé, comme s'il avait enfin trouvé une forme de transcendance qui lui manquait. Il a fait exister l'Union européenne. Il a porté son cadavre en faisant croire qu'elle respirait encore.

Mais il ne fut pas tout seul à porter ce cadavre. La clique sarkozyste oublie toujours, dans son concert de louanges, les hommes clés qui, comme Brown ou Trichet, on l'a vu, ont fourni au président des éléments essentiels de sa stratégie et qui auraient aisément pu le suppléer.

Elle oublie aussi que Barack Obama et Hu Jintao ont fait leurs petites affaires, dans l'arrière-cour du G20, pendant que Nicolas Sarkozy paradait sur les estrades.

Elle oublie enfin que la plupart des belles paroles du président français sont restées en l'air et qu'il a mouliné du vent : le super-sommet qu'il appelait de ses vœux et qui s'est tenu à Washington, le 15 novembre 2008 – un G20 pour rien ou presque. Il n'en restera qu'une vague déclaration fiscale, désignant les responsables de la catastrophe financière.

Les coupables, selon le G20, sont, outre la « recherche de rendements plus élevés », « les responsables politiques, les régulateurs et les superviseurs » : « dans certains pays avancés », ils n'ont pas « apprécié les risques de manière adéquate ». Qu'en termes empesés ces choses-là sont dites !

Pour le reste, autrement dit la transparence et la régulation, on verra plus tard. On a vu. Nicolas Sarkozy a donné cent jours à ses partenaires du G20 pour élaborer des propositions de réformes du système financier mondial. Quelques années plus tard, on en est à peu près au même point. Quant aux sanctions qu'il réclamait si fort, il a rapidement cessé d'en parler.

Le président français n'a que la voix de son poids. Il est à la tête d'un pays que l'un de ses prédécesseurs, Valéry Giscard d'Estaing, reléguait naguère, au milieu des cris d'orfraie, au rang de « puissance moyenne » et qui, depuis, n'a fait que rapetisser. Il a donc prêché dans le désert.

Il pouvait peu, mais il a essayé. Même si sa passion de la communication l'a gâchée, là est sans doute la plus belle page du sarkozysme. Elle a mis au jour son caractère, sa créativité, son insolente ténacité et sa capacité, jusqu'à certaines limites, à entraîner les autres. De là à en faire un prophète qui avait tout prévu, il y a un pas que nous ne franchirons pas.

L'Histoire retiendra en effet que ni Sarkozy ni aucun dirigeant européen n'a demandé aux États-Unis de garantir les crédits dès 2007 quand a éclaté la crise des « subprimes ». Il fallait couper le feu. Occupée par ses petites affaires, la vieille Europe a laissé courir.

Elle aurait sans doute pu arracher sans trop de difficulté cette garantie des crédits par l'État américain à un George Bush au bout du rouleau. Et si ç'avait été le cas, les banques, détentrices de ces crédits, n'auraient pas été prises de panique l'année suivante.

Ce n'est pas tout. Après que la crise, venue de Wall Street, a fait boule de neige, la vieille Europe est tout de suite apparue comme la grande perdante. Elle a payé pour les autres. Tandis que l'Amérique et la Chine tentaient de retrouver la croissance d'antan sur son dos, par la dévaluation compétitive, elle n'a finalement tiré aucun avantage du talent et du panache de l'homme qui a arrêté la mer.

Il est venu, il a vaincu. Mais il n'a pas engrangé…