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Chagrin d'amour

« Souvent femme varie, bien fol qui s'y fie. »

François Ier

Un an plus tôt, je m'étais moi-même fait plaquer du jour au lendemain par ma dernière épouse. Je vécus donc en empathie le chagrin d'amour de Nicolas Sarkozy. Il aimait trop Cécilia et il en mourut pendant plusieurs semaines. Les yeux rougis, tout en se repassant indéfiniment et dans tous les sens le film de sa rupture.

Nous avions toujours la même conversation. « Je ne comprends pas », répétait-il. Il ne comprenait pas comme je ne comprenais toujours pas, dans mon propre cas. Nous, les hommes, avons une si haute idée de nous-mêmes que nous ne pouvons imaginer que notre femme puisse nous quitter.

En l'écoutant parler, j'avais des bouffées de sympathie : il était si touchant. Il venait de découvrir que l'amour est une fleur fragile qu'il faut arroser tous les jours. Il disait qu'il s'en voudrait jusqu'à son dernier souffle d'avoir considéré que cette fleur était éternelle et qu'elle n'avait besoin de rien. Or, tout passe, tout lasse, tout casse. Les fleurs, en particulier. On s'en occupe quand on peut, alors qu'on ne devrait jamais cesser de le faire : c'est tout le reste qui est une perte de temps.

Entre brûlés de l'amour, on se comprenait. Je croyais m'entendre et j'avais envie de le serrer dans mes bras : que l'amour l'anéantisse à ce point, c'était la preuve qu'il valait le détour, que c'était un type bien, il n'y avait pas à tortiller.

Il avait changé. D'abord, il n'avait plus aucune vanité ni dignité. Il était prêt à reprendre demain une femme, qui l'avait fait cocu devant la terre entière : rien d'autre n'avait d'importance. Ensuite, son visage s'était un peu ramolli. La texture en avait rosi et ses yeux s'étaient enfoncés dans ses orbites assombries. Tels sont les effets du chagrin d'amour qui dure toute la vie – jusqu'au coup de foudre suivant.

« Y a bien eu un déclic ? demandai-je.

— Non, rien. C'est arrivé comme ça. »

Il tenait sans cesse des propos du genre : « Il a fallu qu'elle parte pour que je me rende compte que l'amour était la seule chose qui compte dans la vie. J'ai trop privilégié l'ambition. Si je devais choisir entre ma carrière et son retour, je n'hésiterais pas une seconde. » Ou bien : « Une femme ne comprend jamais qu'on n'aime qu'elle, même quand on va voir ailleurs. Mais aller voir ailleurs, ce n'est pas tromper. Tromper, c'est partir. »

Je n'aurai jamais le fin mot de cette histoire, mais comme certains de ses proches, et non des moindres, j'ai subodoré un moment que Cécilia était partie après que des services de police lui eurent fait parvenir ce qu'on appelle une note blanche, c'est-à-dire non signée, faisant état d'une escapade de son époux dans un hôtel du Sud – à Nice ou en Corse, les versions divergeaient.

Cécilia et lui ont toujours démenti cette thèse et je ne vois aucune raison de ne pas les croire. Lui, surtout. Ce serait en effet une raison supplémentaire de noircir le portrait de Villepin, Fouché de Chirac, qui occupait alors le ministère de l'Intérieur et semblait prêt à tout pour abattre son rival à l'élection présidentielle de 2007.

Nicolas Sarkozy n'a jamais été blanc-bleu et Cécilia était une femme jalouse, très jalouse. A-t-elle su quelque chose qu'elle n'aurait pas dû savoir ? Impossible de s'en tenir à une vérité entre les foutaises, les racontars et les conjectures. Rien n'interdit cependant de penser qu'elle est tout simplement tombée sous le charme de Richard Attias, publicitaire au grand cœur et à l'œil de velours.

L'affaire a été rondement menée. Les coups de foudre n'attendent pas.

C'est Laurent Solly, chef de cabinet de Sarkozy, sorte de d'Artagnan moderne, la grâce incarnée, qui, le 22 mai 2005, lui a annoncé la nouvelle :

« Votre femme vient de partir en avion… »

Le ciel est tombé sur la tête de Sarkozy et la disgrâce de Solly a commencé ce jour-là.

Ce 22 mai 2005, en se rendant au colloque des Prix Nobel de la Paix, à Petra, en Jordanie, sous l'égide d'Élie Wiesel, Maurice Lévy, le patron de Publicis, croise Cécilia, seule, dans l'avion. Il est un peu étonné et puis n'y pense plus. Quand il arrive à l'hôtel, elle l'appelle et lui propose de prendre un verre, le soir.

« Voilà, lui annonce-t-elle tout à trac quand ils se retrouvent. J'ai trouvé l'homme de ma vie, j'ai décidé de quitter Nicolas.

— Mais tu ne peux pas faire ça !

— C'est décidé, je te dis.

— Attends un peu. Il y a les élections dans deux ans.

— Je ne veux pas devenir la première dame de France. »

Quand il apprend que l'heureux élu est Richard Attias, l'un de ses proches collaborateurs, Maurice Lévy pète les plombs. Attias travaillait à l'UMP, donc pour Sarkozy, son président, et dans le métier de la communication comme dans les autres, il n'est pas bien vu de prendre la femme du client.

L'humanité n'a pas attendu Roméo et Juliette pour savoir que l'amour, fort comme la mort, brûle toujours ses vaisseaux. Il a déjà brûlé ceux de Cécilia Sarkozy et de Richard Attias qui, ce soir-là, dorment dans la même chambre.