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La bonne vague

« Il y a des politiciens qui, si leurs électeurs étaient cannibales, leur promettraient des missionnaires pour le dîner. »

Henry Louis Mencken

C'est un jour d'été, moins d'un an avant son élection à la présidence de la République. J'ai rendez-vous avec le futur candidat à l'Élysée dans son bureau du ministère de l'Intérieur. Par la porte-fenêtre, le jardin nous appelle. Il fleure bon le gazon coupé et tout chante dans l'air mou, la fontaine, les oiseaux, les mouches, les feuilles des arbres.

Ne pouvant résister à l'attrait du jardin, Sarkozy finit par se lever et me fait signe de le suivre : « On sera mieux dehors pour parler. » Parler avec Sarkozy consiste, en vérité, à l'écouter parler. C'est pourquoi il a si souvent fait le bonheur des journalistes, contrairement à Mitterrand qui prenait plaisir à les interroger indéfiniment, pour les flatter et les embobiner, sur la géopolitique et l'avenir du monde, de sorte qu'ils ressortaient de leurs entretiens avec lui bredouilles sauf les plus vaniteux, qui, bien sûr, étaient conquis.

Après avoir chaussé ses Ray-Ban, demandé un Coca light, allumé un gros cigare et posé ses pieds sur une chaise, il m'explique pourquoi il sera élu à coup sûr :

« Depuis que je suis sorti du peloton, j'entends les malins me dire : “Attention, tu t'es échappé devant, tu vas prendre plein de vent dans la gueule.” Je leur réponds : “Les gars, j'ai déjà été derrière. Figurez-vous qu'il y a aussi du vent derrière.” Maintenant, dis-toi bien, ça va s'accélérer, je vais creuser l'écart.

— Pourquoi ?

— Parce qu'il y a aujourd'hui quatre thèmes porteurs pour être élu président : la sécurité, l'immigration, le pouvoir d'achat et l'éducation. J'en tiens déjà deux, les deux premiers. Je piquerai le troisième, le pouvoir d'achat. La gauche dit : “Travaillez moins pour gagner moins.” Moi, je vais dire : “Travaillez plus pour gagner plus.” Et l'affaire sera faite.

— Pourquoi ça marcherait ?

— Parce que c'est un discours qui porte, je l'ai déjà testé en province. C'est ce que les gens veulent entendre. Je parlais de vélo tout à l'heure, mais je crois que pour la politique, c'est la métaphore du surf qui convient le mieux. Je suis comme un surfeur qui cherche la bonne vague. Quand je suis dessus, plus rien ne m'arrête. Eh bien, avec le pouvoir d'achat, il y a une chose dont je suis sûr : je l'ai trouvée, la vague. »

La vague… Je suis alors sidéré par sa candeur, son machiavélisme, son ton aussi, celui du directeur de la centrale d'achat d'une chaîne d'hypers. La politique est un marché, il a bâclé son offre. Je sais bien que les politiciens valent souvent mieux que ce qu'ils disent, mais bon, tout Sarkozy est là, dans ce mélange de cynisme et de trivialité. Paraphrasant Churchill, Nixon aimait dire que le peuple suit l'homme d'État alors que le politicien, lui, suit le peuple. À l'aune de cette définition, Sarkozy est un politicien qui prépare la prochaine élection et non pas les générations à venir. Il voit court. Inutile de chercher à le classer, il ne cesse de s'adapter à l'air du temps. Il n'est ni jacobin ni bonapartiste ni atlantiste ni gaulliste ni ultralibéral. Pour les besoins de sa cause, il est simplement prêt à revêtir alternativement tous les oripeaux. Ceux qui cherchent à le réduire à un système seront un jour ou l'autre démentis, voire ridiculisés.

Longtemps, il ne s'est passionné que pour l'étape suivante, comme il l'a confié un jour au philosophe Michel Onfray1 : « Quand j'étais jeune militant, au fond de la salle, je voulais être devant. Quand j'étais devant, je voulais être sur la scène. Quand j'étais sur la scène, je voulais être à la tribune. Quand je me suis trouvé à la tribune, j'ai eu envie de plus, de mieux, de la marche d'après. Je suis fait comme ça… »

Et maintenant qu'il est en haut des marches, l'œil rivé sur l'horizon de la prochaine élection présidentielle, il ne songe qu'à sa popularité et il est prêt à tout pour la gagner. Au meilleur comme au pire. Quitte, s'il le faut, alors qu'il est au plus bas dans les sondages, à lancer, pendant l'été 2010, une croisade nationale contre les Roms. Une communauté impopulaire qu'il stigmatisera au point d'organiser à son sujet une réunion sous son autorité, au palais de l'Élysée.

C'est le politicien le plus talentueux, et de loin, de sa génération, capable de modeler à sa guise le débat et le paysage national. Mais si on gratte, on peine à trouver dessous l'homme d'État au service de convictions fortes, fussent-elles impopulaires. Il adoptera toujours celles qui servent ses intérêts du jour avant de les jeter et de passer à d'autres, dans un tourbillon infernal qui, souvent, étourdit ses adversaires.

Toujours en campagne, le président surfeur cherche l'occasion qui lui permettra de rebondir, de recruter, de rassembler à nouveau. Un coup, il attend tout du rôle qu'il surjoue sur la scène médiatique internationale, mais non, il lui faudra vite déchanter, les Français s'en fichent. Alors, va pour la sécurité, l'identité nationale ou autre chose, comme s'il fallait sans cesse donner des os à ronger au peuple pour l'occuper ou le séduire.

Le président surfeur n'a qu'une ambition : plaire. Il n'est jamais que dans la conquête, même quand il vient d'être élu avec 53 % des suffrages. La tragédie de Sarkozy, c'est celle des rois qui voulaient être aimés. C'est pourquoi il supporte si mal la critique, à peine l'approbation. C'est pourquoi il surréagit à tout ce qui se rapporte de près ou de loin à sa personne.

1 Philosophie Magazine, avril 2007.