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Vent d'Est

« Il y a plus de Français qui sont des étrangers que d'étrangers qui sont des Français. »

Archibald Davenport

Grand serviteur de l'État puis glorieux capitaine d'industrie, Jérôme Monod est l'un des esprits les plus fins de la Ve République qu'il a traversée avec un œil pétillant d'ironie. On lui attribue ce mot sur Nicolas Sarkozy : « C'est un immigré de l'Est en partance pour les États-Unis, qui s'est arrêté par hasard à Paris. »

Son tropisme américain fut longtemps tel que, pour un peu, Sarkozy aurait donné le sentiment d'être seulement de passage en France. Il a dans la tête des rêves pleins d'espèces sonnantes et trébuchantes qu'il semble prêt à accomplir partout sur la planète. Aux États-Unis surtout. En somme, il est de son temps, celui de la mondialisation, mais une mondialisation plus américaine qu'asiatique.

Contrairement à ses prédécesseurs, il sait qu'il n'est pas un pur produit de la culture française. La plupart des gens, dit-on, sont moyennement intelligents et moyennement incultes. Sarkozy est un cas : il est à la fois très intelligent et d'une inculture encyclopédique, jusqu'à ce que Carla Bruni entre un jour dans sa vie et commence à combler les trous.

Un soir, avant la campagne présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy appelle son vieil ami Alain Minc :

« Tu ne vas pas être content. J'ai embauché Henri Guaino. »

Guaino-le-souverainiste, qui rêve de frontières toujours plus hautes et plus fortes ? Minc a un haut-le-cœur :

« Évidemment, je ne suis pas content. Pourquoi fais-tu ça ?

— Qu'est-ce que tu veux, je suis un immigré.

— Moi aussi. »

Alors, Sarkozy :

« Mais toi, t'as des diplômes. Moi, j'ai besoin de quelqu'un qui m'apporte Jules Michelet et Victor Hugo. »

Aussi loin qu'il s'en souvienne, Nicolas Sarkozy, le « petit Français de sang mêlé », s'est toujours senti immigré. Un immigré « sans famille ». Jusqu'à ce qu'il s'en trouve une, de substitution, avec Isabelle et Patrick Balkany.

Là est le vrai secret de sa relation avec les Balkany. On n'a rien compris si on n'y voit qu'un acoquinage politicien ou une association de malfaiteurs de la banlieue ouest de Paris, du côté de Neuilly et Levallois. Avec eux, Sarkozy s'est simplement choisi une famille, une vraie, sur laquelle il peut toujours compter, surtout quand tout va mal.

Nicolas Sarkozy a rencontré Patrick Balkany en janvier 1977, lors d'une réunion de la section RPR de Neuilly-Puteaux. À la sortie, il s'est dirigé vers lui :

« Tu t'appelles Balkany… T'es hongrois ?

— Mon père est hongrois.

— Le mien aussi. »

Sur quoi, ils sont allés au café d'à côté et ne se sont plus jamais quittés. Archétype du juif ashkénaze, Patrick Balkany est un colosse protecteur, extraverti et généreux : c'est le grand frère hongrois. Archétype de la juive séfarade, sa femme Isabelle est un personnage vif, drôle et possessif : c'est la mama. Tous les deux s'avancent toujours précédés d'un grand rire. Ils ont tout de suite adopté Nicolas Sarkozy et lui ont apporté la chaleur familiale dont il semble avoir tant manqué pendant son enfance. Ils ont passé ensemble des vacances entières et beaucoup de dîners du dimanche soir. Les apparences sont trompeuses : chez ces gens-là, l'amitié est vraiment désintéressée. C'est pourquoi ils font définitivement partie de la fratrie. Au point que lors de la cérémonie d'intronisation, ils étaient placés avec la famille.

« On lui a fait un cocon », dit Patrick Balkany. « J'aimais déjà les restaurants et je ne pouvais pas me les payer, confie, en écho, Nicolas Sarkozy. Ils ont fait table ouverte pour moi. »

On a tout dit sur les Balkany. Qu'ils étaient sulfureux, vulgaires et ostentatoires. S'il fallait trouver une incarnation du « bling-bling », les deux feraient très bien l'affaire. Ils aiment les grandes marques et les hôtels de luxe. Mais il y a un autre aspect de leur personnalité qui a cimenté leur amitié avec Sarkozy. Ils ne sont pas d'ici. « Quand on était mômes, disent-ils, on était tous des immigrés. »

Nicolas Sarkozy restera toujours un fils d'immigré. Un hors venu, comme les Balkany. On peut tourner la chose dans tous les sens, c'est une des principales caractéristiques de sa personnalité, qui a fait dire à l'historien Max Gallo : « J'ai voté pour lui parce qu'il était immigré. »

Ce président de nulle part n'a même pas cherché à se réinventer des racines dans une région de France. Il s'assume. C'est ce qui rend si suspect, parfois, le discours des sarkophobes. Inutile de chercher beaucoup pour trouver, chez certains d'entre eux, des relents de xénophobie, voire d'antisémitisme. Même s'ils sont toujours subtils, ils expriment bien ce qu'il y a de plus rance dans l'idéologie nationale.

C'est pourquoi on a du mal à comprendre comment un homme comme lui, avec son histoire et ses ascendants, a pu ouvrir la chasse aux Roms en plein été 2010…