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La malédiction de l'Élysée

« Il y a des gens qui parlent, qui parlent jusqu'à ce qu'ils aient enfin trouvé quelque chose à dire. »

Sacha Guitry

Comme journaliste, je vais partout où je peux tomber sur une information mais je n'ai jamais prisé les entretiens avec les chefs d'État : j'en suis généralement rentré bredouille. En petit comité ou pas, c'est toujours la barbe. Ces gens-là s'écoutent parler en prenant la pose devant leurs conseillers pâmés.

Dans le genre, François Mitterrand était le moins mauvais. Sa soupe était plus pimentée, on attendait toujours la vanne mais quand elle tombait, je ne supportais pas la trombe de rires courtisans qui suivaient. Je préférais le tête-à-tête.

Avec Chirac, c'était un cauchemar. Alors qu'il pouvait être si drôle quand il voulait, le flot des mots qui coulaient de sa bouche présidentielle était devenu si insipide qu'il fallait, même quand on se trouvait seul avec lui, batailler contre le sommeil. Il luttait contre sa nature, il se bridait de partout, il n'y avait rien à en tirer.

C'est la malédiction de l'Élysée. Notre système monarchique tire ses grands hommes vers le bas. Entourés à peu près seulement de valets, de louangeurs et de faux dévots qui prétendent les protéger contre le monde entier, ils ont l'esprit qui se ramollit, et leur douce hébétude n'est pas sans rappeler celle des reines des fourmis. Encore qu'elles seraient sûrement plus intéressantes à écouter si elles avaient été dotées de la parole.

Sarkozy, pourtant matamore du verbe, n'est pas le moins ennuyeux de ces personnages illustres qu'il m'a été donné d'entendre. Il ne raconte rien. Spécialisé dans le registre saoulant de l'auto-justification et de l'auto-célébration, il ne cherche qu'à convaincre et c'est toujours le même disque.

En vidant mes vieux carnets, je ne trouve rien qui mérite vraiment d'être retenu : c'est un mélange de platitudes et de satisfecit, de la bouillie pour les chats. À part ces quelques observations non dénuées d'humour, généralement involontaires :

« Angela Merkel fait les courses au supermarché. Je n'ai jamais fait les courses au supermarché, même quand j'étais étudiant, et les gens ne m'ont pas élu pour que j'aille faire les courses au supermarché. »

« Je ne lis pas la presse parce que je ne veux pas être troublé. Je veux me protéger pour rester en contact avec les gens, les comprendre. C'est ça, mon métier. »

« La France est de retour. Kennedy, c'était rien à côté. Je suis dans la presse internationale tous les jours. L'homme de l'année en Chine et en Espagne. »

« Je crois être le premier président qui, au bout d'un an, n'a retiré aucun de ses textes. »

« Après plusieurs mois de pouvoir, Giscard était à la peine. Mitterrand traînait la patte. Moi, ça marche. C'est ça qui impressionne, à l'étranger. »

Je pourrais continuer encore longtemps à exhumer de mes cahiers à spirale des citations de ce genre, mais elles sont très répétitives. Du radotage.

Il me paraît plus judicieux de m'interroger sur la motivation qui pousse Nicolas Sarkozy à tenir toujours le même discours vantard devant tous ses interlocuteurs, journalistes ou pas. Il y a quelque chose qui en dit long sur son anxiété, son hypersensibilité aux critiques et son obsession maladive du paraître ou de la gloriole.

Il faut tout faire soi-même, aime-t-il répéter. En l'espèce, même sa pub. Même sa propre apologie, alors qu'à l'Élysée, il est déjà gâté et même gavé, en la matière.

C'est ce qui rend si pathétique, voire touchant, cet homme qui parle, parle, parle à perdre haleine, en privé, à la télévision, partout, pour assurer ses prochains qu'il fait de son mieux et qu'il est même assez génial.

Je suis sûr qu'il parle encore dans son sommeil. Quand il ne parlera plus, il faudra s'inquiéter : c'est sans doute qu'il sera mort.