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Le Forum était beaucoup plus calme que la veille, lorsque j’avais rencontré Sosia. L’air était aussi plus frais, surtout sous la longue arcade où les prêteurs louaient des coffres à des citoyens anxieux. La famille Camillus faisait affaire avec un curieux bonhomme originaire de Bithynie – un type souriant qui avait placé toute sa fortune en surcharge pondérale. Sosia lui chuchota à l’oreille le code confidentiel identifiant son coffre ; notre gai luron l’ouvrit. C’était une boîte assez grande. Le couvercle bascula en arrière ; Sosia s’écarta sur le côté. Petro et moi pûmes jeter un coup d’œil à l’intérieur. Mes propres économies auraient fait pâlir les siennes. Son oncle avait certes pris la sage précaution de lui louer un solide coffre, mais elle possédait tout au plus une dizaine de pièces d’or et quelques bijoux, assez jolis, mais que sa tante n’estimait pas de son âge. Un point de vue plutôt discutable… Je trouvais Sosia bien assez mûre à mon goût.

L’objet de nos recherches était enveloppé dans une pièce de velours que retenait un lien de chanvre. Comme le banquier nous observait avec toute la curiosité d’un Bithynien, Petro m’aida à extraire l’objet sans le découvrir. C’était vraiment très lourd. Heureusement, j’avais emprunté une carriole à mon beau-frère, le plâtrier, qui se trouvait au chômage, comme à son habitude. (Les murs de Rome n’étaient pas tous splendides et costauds, loin s’en faut, mais les gens préféraient contempler des planches à nu, plutôt que d’embaucher ce porc fainéant et bigleux.) Nous sommes partis tant bien que mal, la charrette grinçant sous la charge.

— Ne vous faites pas mal, suggéra gentiment Sosia.

Petro lui fit un clin d’œil.

— Il est moins gringalet qu’il en a l’air ! Il doit faire de la musculation en cachette avec ses copains gladiateurs. Montre-nous tes muscles, beau gosse !

— Il faudra que tu m’expliques un jour, rétorquai-je essoufflé, pourquoi Victorina t’appelle « Primevère »…

Il resta silencieux, mais je le vis rougir. Juré.

 

Rome présente l’avantage d’être une ville cosmopolite. Deux hommes et une jeune fille pouvaient s’aventurer dans une taverne avec leur charrette sans susciter le moindre commentaire. Nous avons choisi un établissement situé dans une ruelle ombragée. Une fois à l’intérieur, je dénichai une table dans un coin sombre, tandis que Petro allait commander les tourtes. Il fallut nous y prendre à deux pour hisser bruyamment le précieux objet sur la table. Nous fîmes glisser délicatement le velours.

— Par Bacchus ! s’exclama Petronius.

Je comprenais mieux pourquoi l’oncle Decimus s’était bien gardé de déclarer ce bébé-là !

 

Sosia Camillina n’avait pas la moindre idée de ce dont il pouvait s’agir. Petro et moi ne le savions que trop bien. Nous nous sentions vaguement angoissés. Néanmoins, avec son estomac d’acier, Petro mordit à pleines dents dans une tourte aux légumes. Plutôt que de me laisser gagner par des souvenirs malheureux, j’en fis de même. La mienne était au lapin, avec des foies de volaille et une pointe de genièvre – pas mauvais. Nous avions abandonné l’assiette de charcuterie à Sosia.

— C’était vraiment un trou perdu, ce poste-frontière ! se souvint Petro avec effroi. Coincé sur l’estuaire de la Sabrina, du mauvais côté de la frontière… Rien de mieux à faire que de compter les coracles voguant dans la brume en gardant l’œil ouvert au cas où les petits hommes noirs se seraient décidés à envahir… Grands dieux, Falco, tu te rappelles la pluie !

Comment ne pas s’en souvenir ! Le lugubre crachin britannique ne s’oublie pas.

— Mais qu’est-ce donc, Falco ? s’impatienta Sosia.

Me plaisant à faire durer le suspense, je répondis :

— Sosia, ceci est un cochon d’argent.