LXXXVIII

Deux heures plus tard, après le dîner, ils s'installèrent chez elle, et il y eut un silence qu'elle remplit en lui offrant une cigarette, puis en la lui allumant avec un bouleversant souci de perfection. La malheureuse fait tout ce qu'elle peut, pensa-t-il.

Tiens, elle prend une cigarette pour elle, maintenant. Pour mettre de la vie, de l'aisance. Cette robe du soir à moi seul destinée. Drôle de couple, elle en inutile accoutrement social dans le genre Buckingham Palace et moi en robe de chambre rouge et pieds nus dans des mules.

— Ces vieilles d'en bas étaient nauséabondes, dit-elle après un nouveau silence. Je ne comprends pas pourquoi nous sommes restés à les écouter. (Toi, soif de social, même sordide. Moi, dégustation du malheur.) Au fond, je me rends compte que je deviens sauvage, que je déteste les gens. Je ne me sens bien qu'avec vous. Vous êtes le seul existant. (Et le beau valet de tout à l'heure? Lorsqu'il est sorti, tu t'es regardée dans la glace de la cheminée. Ton petit inconscient a voulu voir si tu as été trouvée belle. Tant mieux, que tu aies au moins ce petit bonheur d'avoir plu à un autre.) J'irai demain à Saint-Raphaël faire réparer le gramophone, dit-elle après un troisième silence. S'ils ne peuvent pas le réparer tout de suite, j'en achèterai un autre. (Il lui baisa la main.) J'en pro-861

fîterai pour tâcher de trouver le Concerto de Mozart pour cor et orchestre, si peu connu et pourtant si beau. Vous connaissez?

—Oui, mentit-il. La partie de cor est admirable.

Elle l'approuva d'un sourire. Le sourire terminé, elle dit qu'elle avait oublié de lui montrer une surprise pour lui, du nougat oriental qu'elle avait trouvé hier dans un petit magasin de Saint-Raphaël.

—On appelle cela du halva, je crois. (Elle pro nonça ralva pour faire couleur locale, ce qui agaça Solal tout autant que le cela, jugé plus noble qu'un simple ça.) J'ai pensé que cela vous ferait plaisir.

Invasion des cela, pensa-t-il. Elle lui demanda s'il voulait goûter du halva. Il dit que volontiers, mais plus tard. Alors elle annonça une autre surprise, une cafetière électrique, achetée hier aussi, avec tout ce qu'il fallait, le café moulu, le sucre, les tasses, les cuillers. Ainsi elle pourrait lui préparer elle-même du café, meilleur que celui de l'hôtel. Il la félicita, dit qu'il avait justement envie de café.

—En ce cas, j'ai droit à un petit baiser, dit-elle.

(Chute de la livre palestinienne, pensa-t-il en lui don nant le petit baiser. On se donnait de plus en plus des petits baisers. Sincères, d'ailleurs, ceux-là.) Animée, elle s'affaira, monta la cafetière selon les indications du prospectus. Lorsqu'il commença à boire, elle le regarda pour voir s'il appréciait. Excellent, dit-il, et elle aspira par les narines une fois de plus. Mais lorsque le café fut bu, il fut bu, et il ne resta rien d'autre à boire, ni à faire, et il y eut un silence. Alors, elle proposa de lui lire les deux derniers chapitres du roman commencé l'autre jour. Il accepta avec empressement.

Confortablement assise — pour mettre une atmosphère de bien-être, de naturel et de bonheur, pensa-t-il — elle ôta la mule du pied nu qu'elle se mit à lui masser tout en lisant. Comme d'habitude, elle tâcha

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d'animer les dialogues, s'appliquant à prendre un ton martial lorsque le héros du roman parlait Voilà comment elle les aimait, pensa-t-il, affirmatifs et alpinistes. Voilà ce qu'il lui aurait fallu en réalité, un pasteur moderne et énergique, ou un secrétaire de légation jouant au polo, ou quelque lord explorateur de l'Himalaya. Pas de chance, la pauvre.

Lorsque la lecture fut terminée, on passa aux commentaires inutilement pénétrants du roman, tout en fumant des cigarettes chères. Puis elle proposa de commencer un autre roman, du même auteur. Il fit signe que non. Il en avait assez des romans-

épures, intelligents à vomir et plus secs que caroubes. Alors, elle proposa de lui lire une biographie de Disraeli. Ah non, pas ce rusé bonhomme, sans nul autre talent que sa ruse, et qui avait su ne pas gâcher sa vie, lui. Après un silence, elle parla du temps maussade qu'il avait fait aujourd'hui, ce qui l'amena à dire qu'elle se réjouissait que ce fut bientôt le printemps, dans une dizaine de semaines en somme, ce qui l'amena à parler de l'émotion étrange, presque religieuse, qu'elle éprouvait à voir les petites pousses vertes sortir de terre, humblement désireuses de vivre. Il approuva d'un grand hochement, tout en pensant que c'était la troisième fois depuis leur arrivée à Agay qu'elle avait recours aux pousses vertes et à l'émotion presque religieuse. Pas facile de renouveler le stock. Pitié, une fois de plus, ce qui n'arrangeait rien. Elle faisait de son mieux pour partager avec lui. D'accord, partageons. Il fit donc le partageur et le compréhensif, affirma que lui aussi était ému par les petites pousses vertes. Maintenant, elle allait probablement développer le thème des corbeaux à l'intelligence si méconnue, thème qu'il se tint prêt à saluer au passage. Mais les corbeaux lui furent épargnés, et il y eut un silence.

Quoi faire maintenant? Lui donner un baiser tumultueux, de l'espèce genevoise? Non, danger. Si baiser

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passionné, auquel elle répondrait consciencieusement, sans doute par sentiment du devoir, l'inconvénient serait qu'elle se demanderait alors pourquoi pas de suite. Donc baiser sentimental sur les paupières seulement. Il le lui donna et elle lui en exprima sa gratitude par un terrible mignon merci d'écolière.

Ensuite, il y eut un silence. Ne trouvant ni sujet nouveau de conversation, ni manière nouvelle de lui dire-soit qu'elle était belle, soit qu'il l'aimait, et qui étant nouvelle serait ressentie par elle, il décida de procéder tout de même à un baiser ardent et de longue durée. Ce qu'il fit tout en s'étonnant, une fois de plus, de cette coutume entre les hommes et les femmes, coutume assez comique en somme, et quelle idée de se joindre ainsi avec fureur par des orifices destinés à l'alimentation. La jonction terminée, le silence revint et elle lui sourit, docile, parfaite, prête à tout, aux baisers ou aux dominos, aux souvenirs d'enfance ou au lit. Parfaite, oui, mais en jouant aux dominos l'autre soir, elle avait mordu sa lèvre pour ne pas bâiller.

— Si on faisait une partie de dominos? proposât-elle d'un air enjoué. Je tiens à ma revanche. Je suis sûre que je gagnerai ce soir.

Revenue du salon avec la boîte des jeux, elle sortit les dominos qu'ils disposèrent. Mais au premier jouble-six posé par elle, la musique reprit au rez-de-chaussée. De nouveau, les heureux dansaient, narguaient les deux solitaires. Sa pauvrette, bannie de cette allégresse. Il dit qu'il n'avait pas envie déjouer, repoussa les dominos qui tombèrent à terre. Elle se leva pour les ramasser. Vite, n'importe quoi pour faire concurrence au social d'en bas, pour empêcher cette malheureuse de penser au contraste entre leur avitaminose aux dominos et l'insultante joie qui montait, la salubre joie des idiots agglomérés qui maintenant applaudissaient et riaient. N'importe quoi, mais du vivant, de l'intéressant, du pathétique. La gifler? Ces 864

beaux yeux qui attendaient lui en ôtèrent le courage. Le mieux et le plus simple évidemment serait de la désirer, et la suite.

Hélas. Si facile à Genève. Il se leva brusquement, et elle tressaillit.

— Et si moi homme-tronc? demanda-t-il, et elle humecta ses lèvres sèches de peur.

— Je ne comprends pas, dit-elle en essayant de sourire.

— Assieds-toi, ma noble, ma fidèle amie. Tu n'as pas froid, tu es bien, tout fonctionne? L'homme-tronc, nous y viendrons tout à l'heure. Mais d'abord, réglons un autre problème. L'autre jour, avant de sortir pour faire du cheval, puisque tu y tiens tant, tu t'es approchée de moi, et tu as lissé les revers de mon veston, et tu m'as dit que j'étais beau, que le costume de cheval m'allait bien. Eh bien?

— Mais je ne comprends pas.

— Il est beau, mon aimé, le costume de cheval lui va si bien, ainsi as-tu dit, et tu as recommencé tes manigances de revers caressés. Réponds !

— Mais que dois-je répondre?

— Tu reconnais avoir dit ces mots?

— Mais oui. Quel mal y a-t-il ?

— Un grand mal ! Donc ce n'est pas moi que tu aimes, mais un homme, et beau par-dessus le marché ! Ainsi donc, si tu ne m'avais pas rencontré, tu te serais extasiée devant un autre de même longueur et tu lui aurais dit les mêmes abominables mots !

Roucoulante, la tête renversée, les yeux stupidement levés vers le blond gaillard autoritaire et la pipe au bec, lui caressant horriblement les revers, toute prête à ouvrir la bouche ! Silence

! — Mais je ne parle pas.

— Silence tout de même ! Et voilà le type ôte sa pipe et toi pas dégoûtée de ce sale goût de jus de tabac sur ses lèvres ! Oui, je sais, c'est un conditionnel qu'il faut, mais cela revient au même ! Qui ne serait pas

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dégoûtée est déjà pas dégoûtée ! Et tu m'as dit aussi que les bottes m'allaient bien ! Excitées toutes par les bottes ! Les bottes, vigueur, gloire militaire, victoire du fort sur le faible, toute la gorillerie chérie ! Adorateurs de la nature et de sa sale loi que vous êtes tous, vous autres ! Mieux encore, pour cette païenne, les bottes évoquent la puissance sociale ! Oui, le cavalier, c'est toujours un monsieur bien, un gentilhomme, un important de la tribu, en fin de compte un descendant des barons du moyen âge, un chevalier, un monté à cheval, un dépositaire de la force, un noble ! Noble, ce sale mot double, révélateur de l'abjecte adoration de la force, sale mot qui signifie à la fois oppresseur des humbles et homme digne d'admiration ! Je l'ai déjà dit?

C'est possible. Les prophètes aussi rabâchaient. Bref, elle est toute cuite pour être fasciste, l'admiratrice des bottes!

Chevalier, chevaleresque, homme d'honneur, pouah ! Demandez à Mangeclous de vous dire ce qu'il y a sous l'honneur, cet honneur dont vous faites tant de chichis. Silence !

«Pauvre Deume, si bon, si doux, qu'elle a abandonné pour moi, pour moi faisant le fort au Ritz, le désinvolte gorille, et humiliant le gentil Deume ! C'est la honte au cœur que je l'humiliais au téléphone, mais il le fallait puisqu'elle exigeait d'être achetée au sale prix ! Comique, je parlais contre la force et la virilité, et c'est par la force et la virilité que je l'ai conquise, honteusement conquise! La honte qui me mord chaque fois que je me rappelle mon brio de gorille au Ritz, ma parade de coq de bruyère, mon animale danse nuptiale ! Mais que faire? Je lui avais offert un vieux, un doux et un timide, et elle n'en avait pas voulu, et elle lui avait lancé un verre ou je ne sais quoi à la figure ! Silence !

«Est-ce que je suis fou, est-ce que je déraille avec mon histoire d'adoration animale de la force, de la force qui est pouvoir de tuer? Mais non, je la revois,

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oui, vous, oui, toi, je la revois si troublée et respectueuse devant la cage du tigre, l'autre jour, à Nice, au cirque, pendant l'entracte

! Quel éclair sensuel dans ses yeux ! D'émoi, elle m'a serré fort la main, faute sans doute de pouvoir serrer celle du tigre ! Oui, d'accord, c'est la patte qu'il fallait dire. Excitée, troublée par le tigre, oui, comme la bonne femme Europe par le taureau ! Pas bête, Jupiter, il connaissait les femmes ! La vierge Europe aux longues tresses a sûrement dû dire au taureau, les yeux chastement baissés : vous êtes un fort, vous, mon chou. Et cette autre bonne femme espagnole dans une pièce, qui dit à son chéri qu'il est son lion superbe et généreux! Son lion! Ainsi donc, le mot qui à cette ignoble Doña Sol de la poix et du goudron, le mot qui lui a semblé le plus aimant des mots, le plus admiratif, le plus aimable, c'est le mot qui désigne une bête à énormes canines et griffes et grand pouvoir de tuer! Vous êtes mon lion superbe et généreux ! Ô immonde créature !

« D'ailleurs, celle-ci, la silencieuse devant moi, faisant la noble, n'a-t-elle pas eu l'audace l'autre jour à Nice, devant la cage, de me dire qu'elle aimerait toucher le pelage du tigre!

Toucher! Donc attirance sexuelle! Avec les mains commence le péché! Silence ! Et qui sait, elle préfère peut-être le pelage du tigre au pelage de Solal ! Et tous vos flirts avec tous les chats que vous rencontrez ! Le chat d'hier, tigre en réduction, funeste aux oiseaux, vous l'avez caressé sur le ventre avec un plaisir significatif! Silence, fille de Moab ! Mais les limaces, non, elle ne les caresse pas, elle s'en écarte avec dégoût ! Pourquoi ce dégoût, pourquoi pas de flirts avec les limaces? Parce que molles et non érectilcs, les limaces, parce que sans muscles et sans canines, les limaces, parce que faibles et incapables de tuer !

Mais un tigre, ou un généralissime, ou un dictateur, ou un Solal faisant l'insolent et le dynamique au Ritz, à la bonne heure, et on fond

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devant lui, et on lui baise la main, le premier soir, en attendant de lui tripoter les revers ! Toujours la sale adoration du pouvoir de tuer, la sale adoration de la sale virilité ! Silence !

» Lèvres frémissantes, il considéra la coupable, s'empara de la cravache qui traînait, en fouetta un fauteuil si fort qu'elle tressaillit.

— Et si je me les faisais enlever? demanda-t-il. Réponds !

— Je ne comprends pas, murmura-t-elle.

— Manœuvre dilatoire ! Tu as très bien compris ! Si donc je me les faisais enlever, ces deux affreux petits témoins, est-ce que tu me caresserais encore les revers avec amour, tu sais, l'amour Mozart, l'amour Voi che sapete? Est-ce que ton âme aimerait toujours mon âme? Réponds !

— Écoutez, aimé, ne parlons pas de cela.

— Pourquoi?

— Mais vous savez bien.

— Explique pourquoi.

— Parce que c'est une hypothèse tellement irréelle.

— Irréelle dans l'œil de votre sœur, enfin de votre cousine plutôt. Irréelle? Qu'en savez-vous, madame? Et qui vous dit que je n'ai pas la tentation d'en finir avec cette virilité ?

— Aimé, ne parlons plus de tout cela.

— Bref, vous refusez de vous compromettre. Gloire donc aux deux petites pendeloques chères aux Ophélies, et conservons-les précieusement ! (Il la considéra, et ses yeux brillèrent du plaisir de connaissance.) Je sais si bien à quoi vous pensez en ce moment! Esprit juif dissolvant ou esprit juif destructeur, n'est-ce pas? C'est ainsi que vous autres, la cervelle emmitouflée dans le confortable cocon d'idéal, c'est ainsi que vous vous débarrassez de la désobligeante vérité ! Lucifer, l'ange porteur de lumière, vous en avez fait le diable! Mais venons-en à l'homme-868

tronc. M'aimeriez-vous toujours si moi devenu homme-tronc?

Soudaine pénétration de douleur. L'autre soir, à Nice, les couleurs amenées pour la nuit sur ce torpilleur français. Le drapeau religieusement descendu, et lui enviant les marins figés au garde-à-vous, enviant l'officier qui saluait tandis que dans le crépuscule lentement descendaient les couleurs.

Adieu, la France, il n'en était plus. Quelques jours après leur arrivée, la lettre sur papier famélique du commissariat de police de Saint-Raphaël informant le sieur Solal qu'un décret publié au Journal Officiel lui retirait la nationalité française ; que le motif du retrait n'avait pas, aux termes de la loi, à être indiqué, l'intéressé disposant toutefois d'un délai de deux mois pour faire appel; que ledit décret étant exécutoire nonobstant appel, le susnommé était invité à se présenter au commissariat pour restitution de ses papiers d'identité français et notamment de son passeport. Il la connaissait par cœur, cette lettre. Ensuite, sa visite au commissariat. Assis sur un banc ignoble, il avait attendu longtemps la bonne volonté d'un commissaire bedonnant. Le petit sourire de plaisir avec lequel ce miteux aux ongles sales avait examiné le passeport diplomatique. Et maintenant pour tout papier un permis provisoire de séjour et un titre d'identité et de voyage pour apatrides. Il n'était plus rien, plus rien qu'un amant. Et que faisait-il en ce moment? Il essayait de lutter contre leur avitaminose et il faisait souffrir une malheureuse. Humble et soumise, une fois de plus respectant son silence, sa croyante qui avait tout quitté pour lui, indifférente aux jugements du monde, qui ne vivait que pour lui, sa désarmée, ridicule de grâce et de faiblesse lorsqu'elle marchait nue, si belle et promise à la mort, dure et blanche en son cercueil. Oh, ces rires en bas, ces applaudissements qu'elle écoutait.

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— J'attends la réponse. L'homme-tronc !

— Mais je ne comprends pas.

— J'explique. Si moi soudain plus beau du tout, si moi devenu affreux, si moi soudain homme-tronc à la suite d'une opération indispensable, quels seraient vos sentiments à mon égard?

Des sentiments d'amour? J'attends la réponse.

— Mais je n'ai rien à répondre. C'est une idée tellement absurde.

Il accusa le coup. Fini, le respect des premiers temps. Il était un homme absurde maintenant. Il décida de saisir le prétexte de cette offense pour s'en aller. Ainsi elle viendrait bientôt lui demander pardon et il y aurait réconciliation et redorure pendant une heure ou deux.

— Bonne nuit, dit-il en se levant, mais elle le retint.

— Écoute, Sol, il faut que je te dise que je ne suis pas très bien, je n'ai pas dormi cette nuit, finissons-en, je sens que je n'aurai plus la force de te répondre, je n'en peux plus. Écoute, ne gâchons pas cette soirée. (En admettant que nous ne la gâchions pas, il y en a trois mille six cent cinquante autres à ne pas gâcher, pensa-t-il.) Écoute, Sol, je ne t'aime pas parce que tu es beau, mais je suis heureuse que tu sois beau. Ce serait triste si tu devenais laid, mais laid ou beau tu seras toujours mon aimé.

— Pourquoi ton aimé si sans jambes ni doigts de pied?

Pourquoi tellement ton aimé?

— Parce que je t'ai donné ma foi, parce que tu es toi, parce que tu es capable de poser des questions aussi folles, parce que tu es mon inquiet, mon souffrant.

Il s'assit, décontenancé. La flèche avait porté. Zut, voilà qui était de l'amour tout de même. Il se gratta la tempe, fit des grimaces de va-et-vient avec sa bouche fermée, s'assura de l'existence de son nez, l'interrogea. Puis, s'approchant du gramophone, il en tourna

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rêveusement la manivelle. S'apercevant soudain qu'elle tournait sans résistance, il se rappela le ressort cassé, lança un regard méfiant. Non, elle n'avait pas remarqué. Il racla sa gorge pour se donner de l'assurance, se leva. Eh non, elle mentait sans le savoir. Si elle croyait qu'elle l'aimerait même atroce et tronc, c'était tout simplement parce qu'en ce moment il était beau, honteusement beau.

Dieu, à quoi s'occupait-il? Il y avait de par le monde des mouvements de libération, des espoirs, des luttes pour plus de bonheur parmi les hommes. Et lui, à quoi s'occupait-il ? À

créer un lamentable climat passionnel, à désennuyer une malheureuse avec du tourment. Eh oui, elle s'ennuyait avec lui.

Mais au Ritz, le premier soir, elle ne s'était pas ennuyée. Oh, son éblouissement de bonheur au Ritz, le premier soir. Et qui l'avait ainsi éblouie? Un nommé Solal qu'elle ne connaissait pas. Et maintenant il était un homme qu'elle connaissait, et qui avait eu un éter-nuement marital, cet après-midi, après le coït, un éter-nuement qu'elle avait affreusement entendu dans le silence du répit. Eh oui, elle l'avait d'avance trompé avec le Solal du premier soir, le sans étemuement du Ritz, le poétique.

Solal cocu de Solal, murmura-t-il, et il tira sa crinière annelée à droite et à gauche pour faire deux cornes, salua le cocu dans la glace cependant qu'elle grelottait, les yeux baissés. Eh oui, elle l'avait trompé avec lui-même puisqu'elle avait osé l'aimer dès le premier soir ! Elle avait trompé le connu de maintenant avec l'inconnu du Ritz! Le premier étranger venu, un Solal quelconque, et qui n'était pas le vrai Solal, elle lui avait baisé la main! Et pourquoi? Pour tout ce qu'il méprisait, pour d'animales raisons, les mêmes que du temps de la forêt préhistorique ! Et dès le premier soir, à Cologny, elle avait accepté de coller sa bouche contre la bouche d'un inconnu ! ô la sans-871

vertu! Ô les sans-vertu qui aimaient les hommes!

Incroyables, si fines, elles aimaient les hommes, de toute évidence elles aimaient les hommes, les vantards et grossiers, les pleins de poils! Incroyable, elles acceptaient la sensualité des hommes, la voulaient, s'en gorgeaient !

Incroyable, mais vrai ! Et personne ne s'en scandalisait !

Il se tourna vers elle, fut épouvanté par l'expression si pure de ce visage aux paupières baissées. Pure, par-dessus le marché, la baiseuse de l'inconnu du Ritz, un Juif sorti d'on ne savait où ! Langueuse et languière presque tout de suite avec l'inconnu ! Oh, elles le rendraient fou à force de n'y rien comprendre, le rendraient fou, ces madones soudain bacchantes ! Des paroles si nobles quand elles étaicnt'habillées ! Et tout à coup, dans l'égarement des nuits, des mots qui te tueraient raide mort, pauvre petit Salomon !

—Écoute, chéri, ne restons pas ici, faisons quelque chose, descendons.

Une lame de malheur le transperça. Ces paroles tendres étaient une condamnation. Ne restons pas ici, faisons quelque chose ! Donc être ensemble était ne rien faire. Faisons quelque chose. Mais faire quoi ? Eh bien continuer.

—Revenons à notre homme-tronc. Je pose de nou veau la question, qui n'est pas absurde du tout. (Il parla lentement, savourant chaque mot.) Une gangrène gazeuse de premier ordre qui obligerait les médecins à me couper les bras et les jambes et les cuisses aussi, bref à faire de moi un homme-tronc, par surcroît pustuleux et puant par l'effet de la gangrène, sourit-il avec douceur, avec la plénitude du bonheur. Cela peut arriver, il y a des maladies de ce genre. Eh bien, si moi devenu petit tronc et immobile paquet fétide et punáis, m'aimeriez-vous toujours dans le genre poétique et air de Chérubin et Concerto brandebourgcois, et me donneriez-vous des baisers sublimes et perforants? Répondez !

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— Assez, assez, supplia-t-elle. Assez, je n'en peux plus, je suis si fatiguée. Dis tout ce que tu veux, je ne parlerai plus.

— Greffier, ordonna-t-il, l'index pointé, notez que l'accusée se dérobe une fois de plus! En réalité, ma chère, moi petit tronc nauséabond, vous vous arrangerez pour trouver que je n'ai plus la même âme, qu'elle s'est détériorée, et vous ne m'aimerez plus, plus jamais ! Pas juste pourtant. Est-ce ma faute, cette gangrène gazeuse? Pauvre petit méphitique paquet de moi sur une table, sans bras, sans jambes, sans cuisses, mais encore muni du principe de virilité pour votre malheur et dégoût, oui, pauvre de moi, tout petit, tout carré sur ma table, avec une tête douloureuse, et un coup de poing suffira pour me faire tomber et je ne pourrai plus me ramasser tout seul !

Eh, mon Dieu, même pas besoin de me faire tronçonner, quelques dents manquantes suffiront pour que votre âme ne trouve plus de plaisir à mon âme.

Il se frotta les mains, sourit au bon tour à lui jouer. Bonne idée, oui, dès demain matin se faire raser le crâne par un coiffeur, puis se faire arracher toutes les dents par un dentiste !

La tête qu'elle ferait lorsqu'il arriverait en forçat hilare, avec un grand sourire vide ! Comme hommage à la vérité cela vaudrait le coup !

—Aimé, assez de tout cela. Pourquoi vouloir tout détruire?

(Il eut un rire désespéré. Celle-ci aussi, une antisémite!) Aimé, supplia-t-elle. (Oh, avec son aimé, celle-là, son aimé qui aurait si bien pu être un autre !) Aimé, laissez tout cela. Ne voulez-vous pas me parler un peu de votre enfance, de votre oncle que vous aimez tant. Comment est-il ? Décrivez-le-moi.

—Très laid, coupa-t-il. Rien à faire.

Cette démangeaison de beauté qu'elles avaient toutes !

L'autre jour, elle lui avait dit vos beaux yeux. Lui fallait-il maintenant être jaloux de ses propres

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yeux? Vos beaux yeux, cela voulait dire plus tard, mon cher, quand ils seront ternes et chassieux, fini ! Il se leva.

—Oui, angéliques traîtresses, toutes, qui soudain découvrent avec des langueurs qu'elles n'aiment plus !

Et alors, c'est le coup de l'araignée ! Le refrain bien connu de l'araignée ! Cher homme-tronc, disent-elles au pauvre colis sur sa table, pourquoi mentir si je ne t'aime plus? Que ma bouche comme mon âme reste pure, qu'elle ne souille point d'une inutile injure le noble souvenir des bonheurs révolus ! (Elle mordit sa lèvre pour réprimer un triste fou rire à la vision de la poétesse haranguant son amant-tronc.) Le coup de l'araignée! Mais qui sait, continua-t-il mélodieuse ment, peut-être continueriez-vous à m'aimer, quoique tronc, ce qui serait encore pire, d'ailleurs. Car vous seriez l'héroïne qui se sacrifie à son tronc, qui tâche de ne pas trop respirer près du tronc parce qu'il pue, qui le lave, qui le transporte, qui le dépose avec amour sur le siège du cabinet, sainte et souriante. Mais en réalité il vous casserait les pieds, ce sale tronc ! Et sous votre héroïque conscient, votre inconscient plein de bon sens souhaiterait qu'il claque, cet inutile cube, et qu'on en finisse ! Voilà, ma chère amie, voilà !

Sûr de lui, haut dans sa longue robe de chambre rouge, il croisa les bras en signe de défi, attendant la réplique qu'il pulvériserait. Mais elle gardait la tête baissée, silencieuse. Alors, il décroisa ses bras, prit un ton aimable et doctoral, doucereux.

— Il y a un autre problème que nous n'avons pas élucidé hier soir. Je vais me permettre de te le soumettre.

— Oh non, s'il te plaît, non, assez ! Regarde-moi, je t'aime, tu le sais. Alors, pourquoi me tourmenter, pourquoi te tourmenter?

Aimé, embrasse-moi.

L'embrasser, oui, sur les joues, en la serrant fort, il en avait soudain envie, tellement envie. Oui, mais

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après les embrassades, il y aurait toujours la musique en bas et eux deux avec leurs dominos. La tendresse n'était pas une occupation absorbante, les embrassades n'étaient pas de taille à lutter contre les applaudissements qui venaient d'éclater, le tango terminé et redemandé par les heureux. Donc il fallait continuer.

—Le problème, c'est ta sensualité, dit-il.

Hochant la tête d'un air significatif, il la considéra.

Bien sûr, ces derniers temps à Agay, elle n'avait été que théoriquement sensuelle, s'était efforcée de l'être sans s'apercevoir qu'elle l'était moins. Mais à Genève, lorsqu'il était nouveau, tout neuf, elle était terriblement sensuelle ! Donc susceptible de l'être avec un autre nouveau ! À Genève, les baisers qu'elle aimait lui donner, tourneuse de langue en hélice folle !

Toujours la considérant, il la revit dans leurs nuits des débuts, râlant, approuvant, soudain hardie de paroles, de gestes, de reins. Et même ici, à Agay, parfois. L'autre soir, après une scène, lorsqu'il lui avait dit que c'était fini et qu'il lui avait demandé pardon, elle avait fait du vrombissement lingual, tout comme autrefois. Eh oui, une scène faisait de lui un nouveau, pour une heure ou deux. Par conséquent, murmura-t-il, et il lui lança un regard de fou. Elle humecta ses lèvres. Ne pas protester, le laisser dire, ne pas le contrarier.

—Sensuelle, donc condamnée à l'infidélité!

annonça-t-il. Par conséquent, il s'en passera de belles lorsque je serai mort ! Eh oui, moi disparu, il y aura le désespoir, bien sûr, et tu songeras au suicide, et tu retourneras à Genève en grande douleur. Et alors là, quoi? Là, ma chère, tu reverras sûrement Christian Cuza, tu te rappelles, mon dernier chef de cabinet, celui que je t'ai présenté, le beau Christian noncha lant et rêveur, et prince roumain par surcroît. Oui, tu le reverras puisque je t'en ai parlé avec sympathie et qu'il m'aimait sincèrement. Et tu en supporteras la 875

présence parce qu'avec lui tu pourras parler de moi, parce que Cuza seul pourra te comprendre, comprendre le trésor que tu as perdu. Bref, la douceur de partager ta détresse, les heures d'amitié à communier dans le cher souvenir, les photos du défunt contemplées ensemble sur un canapé, l'un près de l'autre, mais avec dix centimètres suspects de vide entre vous deux, dix centimètres de pudeur qui ne présagent rien de bon!

Qu'en dis-tu? Tu fais la morte? À ta guise ! Alors, un soir d'été, avec des éclairs de chaleur dans le ciel, puis les gargarismes du tonnerre, tu auras une crise de sanglots en évoquant quelque geste vivant du pauvre claqué. Alors Cuza te consolera, te dira qu'il est ton frère et que tu peux compter sur lui. Il le croira, c'est un honnête garçon, et il m'était très attaché.

Et voilà, il te prendra la taille pour mieux sentir et te faire sentir que tu peux compter sur lui. Et toi, en avant les sanglots ! Et tout à coup, parce que le bon Cuza a rapproché sa joue pour te consoler, tout à coup les baisers triple turbine à toute vapeur, les mêmes que pour moi, mais agrémentés de larmes ! (Pour ne pas voir les baisers, il ferma les yeux, puis les rouvrit.) Cette sincère crise de sanglots, ton inconscient l'a voulue pour déclencher le Christian trop lent à l'action ! Tu ne me crois pas? Libre à toi ! Et le plus terrible, c'est que tu donneras à Cuza non seulement ton corps, ce à quoi je me résigne, mais ta tendresse aussi, ce qui est insupportable ! Mais ainsi sont-elles.

Leur douceur, le plus précieux d'elles, elles ne la donnent qu'à un manieur et si préalablement maniées ! Pauvre cadavre de Solal, si vite oublié !

Il lui lança un regard de reproche. Eh oui, sensuelle, hélas! À

preuve son maintien toujours décent en dehors de ses tourbillons linguaux, ce maintien pudique devant les autres hommes, le maintien ne me touchez pas, signe de peur des autres hommes, tous dangereux si en âge de servir, de la servir.

Insuppor-

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table sa réserve, insupportable cette modestie qu'elle avait en ce moment sur sa chaise, genoux insupporta-blement rapprochés! De quel droit faisait-elle la convenable puisqu'elle était la même qui avec Cuza passerait des larmes à la confusion des langues tandis que lui, pauvre cocu souterrain, serait tout seul à s'embêter entre quatre planches ! Bien sûr, elle aurait des tourments de conscience, tous les Auble s'en payaient, bien sûr, mais elle trouverait quelque noble justification à ses gigotages sur une tombe, et elle se débrouillerait pour faire coopérer le pauvre mort à son cocufiage !

C'est lui, c'est mon Solal, c'est notre Solal qui nous a réunis, dirait-elle, et le tour serait joué, et tout de suite après elle dirait à Cuza les mêmes paroles qu'à l'ancien vivant. J'aime que tu me déshabilles, j'aime que tu me voies nue, lui dirait-elle. Oh, assez, trop pénible.

— D'ailleurs, nul besoin d'attendre que je sois mort, lui sourit-il tristement sans s'apercevoir qu'elle tremblait de tous ses membres. Si j'y mets du mien, tu sauras me tromper même de mon vivant ! Je n'aurais qu'à te forcer à passer toute une nuit dans un lit étroit, nue auprès d'un jeune athlète nu, et on verra bien ! Oh, ces deux allongés ! Oh, ce lit si étroit ! Et moi artisan de mon malheur! Bien sûr, tu résisteras à la tentation, bien sûr tu te voudras fidèle, mais ce lit sera si étroit, et par conséquent ta cuisse délicieusement contre la cuisse athlétique

! Alors, que se passera-t-il, mignonne? Réponds!

— Laisse-moi tranquille ! cria-t-elle.

— Que se passera-t-il?

— Je m'en irai ! cria-t-elle. Je ne resterai pas dans ce lit !

Il éclata d'un rire de douleur. Ainsi donc, peur de la tentation !

Ainsi donc, incapable de garder son calme à côté d'un jeune athlète ! Il virevolta, considéra la spécialiste en coups de reins à lui provisoirement réservés.

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— J'ai maintenant une autre question à te poser, commença-t-il avec douceur. Dis-moi, chérie, si tu devais être violée, par qui préférerais-tu être violée, par un beau ou par un laid? C'est une supposition. Des bandits qui t'auraient capturée et qui te donneraient le choix, des bandits assis en rond dans la grotte, tous velus. Alors dis-moi, par qui, un laid ou un beau? Il est absolument indispensable que tu sois violée, c'est un ordre du chef des brigands. Un ordre, que faire? Mais il veut bien te donner le choix. Alors, un laid ou un beau?

— Mais tu es fou ! Quelle idée, mon Dieu !

— C'est l'idée du chef des brigands. Le laid ou le beau?

Allons, mon ange, sois gentille, réponds.

—Je ne veux pas répondre ! C'est .absurde !

Haha, elle biaisait de nouveau ! Elle ne voulait pas avouer! Soudain il eut une autre vision. Ariane et un jeune pasteur marié, échoués dans une île déserte, après un naufrage !

Évidemment, elle nierait s'il lui disait qu'au bout de trois mois, elle et son pasteur, en cadence sur le lit de feuilles de la cabane construite par le pasteur ! Non, deux mois suffiraient. Un mois même, si nuit d'été et brise tiède et odeur de la mer et cabane confortable et pas de rhume de cerveau et un tas d'étoiles au ciel ou un coucher de soleil cramoisi avec nuages verts et roses, elle adorait ça.

—Quinze jours suffiront!

Et même si pas d'île déserte, même si elle devait rester fidèle ajamáis, elle avait tant de moyens d'être infidèle. Les coquines au moins trompaient clairement. Elles couchaient avec un autre, c'était net, presque honnête, en tout cas pas hypocrite. Mais avec celle-ci, même si jamais d'île déserte, il y avait tant de traquenards, tant de possibilités de petits adultères rusés ! Un coup d'œil suffisait ! Un coup d'œil vers une statue grecque, vers un Algérien aux belles dents, vers une danseuse espagnole, vers un régiment défi-878

Iant, vers un boyscout, vers quelque arbre d'allure virile, sans oublier les tigres! Et les chatouillants ciseaux du coiffeur, dangereux aussi ! Sûrement générateurs d'agréables frissons sur la nuque ! Impossible d'aimer en paix cette femme ! La cloîtrer et l'entourer de bossus non coiffeurs? Il lui resterait les rêves, les souvenirs! Eh non, il n'exagérait pas! Infidèles, toutes, au moins par l'inconscient. Il était si accablé que ce fut sans conviction qu'il posa une fois de plus la question calabraise.

—L'homme laid, répondit-elle, de guerre lasse, pour en finir.

Insupportable, ce mot homme dans la bouche de cette femme ! Quelle audace ! Oh, la sale odeur de ce mot plein de poils dans une si belle bouche ! Quoi, laid? Naturellement, elle sentait que l'homme beau était pour elle un danger, un attirant danger! Il la voyait, palpitante sous le beau Calabrais à bas verts et à souliers de feutre à pointe recourbée ! Ce jeune Calabrais sentait mauvais ! Mais elle, pas dégoûtée par le Calabrais ! Toutes si indulgentes pour la grossièreté masculine et ses attributs ! Il baissa les yeux pour ne pas voir la cantinière des brigands. Le gros nez du jeune Calabrais surtout lui était insupportable, ce nez douloureusement significatif, cet énorme nez prometteur! L'indulgence des femmes pour la virilité, pire, leur adoration de la virilité et de ce qui en était le signe et l'animale affirmation, cette répugnante indulgence l'indignait, le scandalisait. Il ne pouvait y croire, devait pourtant se rendre à l'évidence. Ces êtres si fins et si doux aimaient cela, cette grossièreté ! Alors, pourquoi dans la rue ou dans les salons faisaient-elles les mignonnes avec tant de petits gestes ? Cette tromperie le rendait fou. Assez !

—Allons, c'est fini cette fois. Je suis gentil main tenant. Et même je baise ta main, tu vois. Embrasse-moi. Le cou, à gauche. À droite aussi. Merci. Allons, 879

sortons, il ne pleut plus. Oui, je garde ma robe de chambre.

D'ailleurs, il est tard, il n'y aura plus personne en bas.

Marchant docilement à son côté, le long du couloir, elle se sentit piteuse, vidée de son âme, un mannequin en robe du soir.

Dans l'ascenseur, elle fit un triste petit sourire au visage réconfortant du bon nègre, et Solal accepta en silence ce quart d'adultère. Puis, comme elle baissait les yeux, il se plut à penser qu'elle maîtrisait ainsi l'attrait qu'elle éprouvait. Eh oui, toutes les femmes aimaient les nègres clandestinement. Le nègre était leur idéal secret. Seul un per-vertissement social, seules des habitudes héritées, les empêchaient de faire des gigotages en blanc et noir. Tant pis, c'était ainsi. Le vieil ascenseur s'arrêta enfin. Dans le hall des gens causaient paisiblement, faisaient des patiences, ne vivaient pas d'amour.

— Remontez, dit-il au nègre.

— Cette robe te va très bien, sourit-il pour être bon, assis à la turque sur le canapé. Et maintenant je t'écoute, chérie. Le roman de Conrad donc. Relis le début.

Elle prit le livre, éclairât sa gorge, s'appliqua.

Malheureusement pour elle, le roman commençait mal, car le héros était un énergique capitaine au long cours. Soucieuse de lire avec des intonations justes, elle lui donna des accents virils. Et Solal souffrit. Haha, une voix grave, une voix chaude

! Plus que jamais elle avouait comment elle les aimait, comment il les lui fallait!

—Assez, glapit-il avec un fausset insupportable.

Assez, je réclame un minimum de décence ! Mais sois tranquille, tu peux m'aimer encore, ajouta-t-il de sa voix normale. Je peux encore tuer et engendrer mon homme ! Tout fonctionne, sois tranquille, je vaux trois capitaines! Bien, revenons au naufrage. île déserte 880

donc. Et si le seul rescapé avec toi était le valet de chambre de tout à l'heure, ou encore un pasteur, ou même un regrettable rabbin, et que jamais, plus jamais, toi et ton compagnon de naufrage ne puissiez sortir de votre île? Alors?

— Aimé, je t'en supplie, je suis si fatiguée.

— En effet, à quoi bon t'interroger? Jamais tu ne me répondras loyalement, jamais tu ne me donneras la satisfaction d'admettre la vérité qui crève les yeux pourtant ! Je sais si bien ce qui se passera. Les premiers temps, rien, évidemment. Tu me resteras fidèle car espoir d'être recueillie par quelque navire. Donc signaux avec de grands feux la nuit, et le jour quelque drapeau hissé, un drapeau fabriqué avec le maillot du valet de chambre qu'en conséquence le soleil bronzera délicieusement. Donc les premiers temps rien. D'autant plus qu'un valet de chambre, quelqu'un avec qui on ne peut pas parler de Proust, quelle horreur! Mais quelques semaines plus tard, lorsque plus d'espoir de navire sauveur et que tu seras sûre que lui et toi ajamáis condamnés à rester dans l'île déserte, à vivre ensemble, loin des hommes et des règles, alors tu commenceras à te coller des fleurs tahitiennes sur les cheveux ! (Emporté par la joie de vérité, il allait et venait, ne s'apercevait pas qu'elle tremblait de tous ses membres.) Et tu lui cuisineras de bons petits plats avec les poissons qu'il aura péchés et un tas d'herbes aromatiques que tu iras cueillir en sarong ! Une vie encore innocente mais une vie d'homme et de femme déjà ! Je sais tellement que je dis la vérité ! On me croit fou et je ne suis pas fou ! Et enfin, enfin, enfin, lors d'une nuit odorante ce qui devra survenir surviendra dans la cabane de palme, et en avant, et en arrière! Ou bien encore, poursuivit-il harmonieusement et avec un grand sentiment, ou bien encore, à la fin d'une belle journée, vous serez assis l'un à côté de l'autre, pieds nus et vous tenant la main, assis au bord 881

de la mer indigo et grenat et vous contemplerez le soleil se coucher dans un tas de couleurs poétiques et encourageantes, et voilà, et voilà, cette femme qui ne vit que pour moi, et elle le croit, mettra sa tête fleurie sur l'épaule bronzée et luisante du valet de chambre ou du rabbin devenus l'un ou l'autre son seigneur, tout comme moi, son homme dans la nuit tiède et les senteurs des palétuviers. Tvaïa gêna, lui dira-t-elle !

s'exclama-t-il, et il alla devant la fenêtre.

Le front contre la. vitre et les yeux fermés, il la voyait qui avait maintenant sa tête contre une poitrine immense et lisse. Et voilà, dans son île parfumée, elle l'avait complètement oublié!

Et voilà, avec le type les mêmes baisers qu'avec lui les premiers temps! Des baisers encore pires peut-être, à cause du climat, des baisers à langue que veux-tu, d'une obscénité rare ! Il commençait à la désirer lorsque, se retournant, il aperçut les saccades de la malheureuse étendue à terre, qui sanglotait, la tête contre le tapis.

Il la prit dans ses bras, la souleva, la déposa sur le lit, la recouvrit d'un manteau de fourrure car elle claquait des dents.

Sur la pointe des pieds, il alla à la salle de bains, en revint avec une bouillotte chaude qu'il introduisit sous la fourrure. Il éteignit le lustre, alluma la lampe de chevet, s'agenouilla, n'osa pas lui baiser la main, lui murmura de l'appeler si elle avait besoin de lui, et il s'en fut, peu fier, sur la pointe des pieds.

Au salon, près de la porte doucement refermée, il se tint debout dans l'obscurité, allant et venant, guettant des bruits, contemplant leur pauvre vie, fumant des cigarettes et parfois appuyant le bout incandescent contre sa poitrine. Enfin, il se décida, ouvrit avec précaution, s'approcha du lit, se pencha sur l'innocente qui dormait, débarrassée de son malheur, sa femme qu'il faisait souffrir, celle qui lui avait donné sa foi, la danseuse émerveillée du Ritz, l'enthousiaste

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de partir et de vivre ajamáis avec lui, sa naïve, sûre d'un bonheur éternel, son amaigrie. À genoux, les joues illuminées de larmes, il veilla sur son innocente qui dormait, enfantine, sa femme qu'il faisait souffrir. Plus jamais, plus jamais, plus jamais je ne te ferai du mal, lui disait-il en lui-même, de toutes mes forces je t'aimerai, et tu seras heureuse, tu verras.

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Le lendemain matin, après un rasage mélancolique, il alluma une cigarette pour renaître à l'optimisme, se força à sourire pour croire qu'il avait trouvé la solution. Oui, en finir avec ce social sans cesse coudoyé qui leur rappelait leur solitude de bannis, murés dans leur amour. S'ils avaient une demeure à eux, loin des hommes, il n'y aurait plus le contraste, le rappel de la vie du dehors. Ils seraient dans leur monde à eux et, ne voyant personne, ils n'auraient besoin de personne. Et de cette demeure il ferait, essayerait de faire un sanctuaire où il pourrait lui ménager une vie d'amour parfait.

Absurde, mais l'amour était tiré et il fallait le boire, et l'important était de la rendre heureuse, se dit-il, entré en coup de vent, chapelet tournoyant pour faire enthousiaste et décidé. Il l'embrassa aussitôt sur le front, sur les yeux, sur les mains, pour la contaminer d'espoir.

— Salut à mon ange, la bien-aimée ! Fini, tu sais, je suis guéri, plus de scènes, plus jamais ! Toutes choses sont nouvelles et gloire à Dieu au haut des cieux! Et puis autre chose, annonça-t-il avec une exaltation bien imitée, en lui prenant les deux mains. Écoute, veux-tu que nous ayons notre maison à nous ?

Celle que tu as admirée l'autre jour?

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— Près de la Baumette? Celle qui est à louer?

— Oui, mon amour.

Elle se blottit contre lui, eut l'impalpable rire tremblé du Ritz.

Une maison à eux ! Et qui avait un si beau nom, la Belle de Mai

! Il la considérait, attendri par cette élasticité, ce jeune pouvoir d'espoir. Elle bondit hors du lit.

—Je veux la voir tout de suite ! Laisse-moi me baigner. Va, mon chéri ! Fais venir le taxi en atten dant! Je serai vite habillée !

Lorsque le taxi s'arrêta devant la Belle de Mai, elle eut le coup de foudre pour la villa adossée à une petite pinède et dont la pelouse descendait jusqu'à la mer. Oh, ces quatre cyprès !

Après avoir fait, avec maintes exclamations, le tour de cette merveille, elle revint vers lui en courant, couvrit sa main de baisers, se plaignit de ce qu'il n'admirait pas assez, de ce qu'il ne disait pas avec assez d'enthousiasme que cette Belle de Mai était un domaine de féerie, déclara qu'elle s'y sentait déjà tellement intégrée, lut à haute voix l'écri-teau accroché à la grille. Pour louer, s'adresser à Me Simiand, notaire à Cannes.

Elle le tira par la main pour le faire aller plus vite, s'engouffra dans le taxi, baisa les poignets de soie. Imitant la pouponnette du Royal, elle chantonna qu'elle voulait la Belle de Mai, na, la Belle de Mai, na et na !

Le tirant encore par la main, elle gravit deux à deux les marches de l'escalier qui menait à l'étude du notaire. Oh, il n'y avait que cette villa qui fût digne d'eux ! Elle poussa la porte avec force, s'adressa au plus âgé des employés. «

Monsieur, c'est pour louer la Belle de Mai.» Le vieux principal, une longue anguille fumée à haut faux col de celluloïd, demanda ce que c'était que ça, la Belle de Mai. Elle expliqua, dit que son mari et elle trouvaient cette villa très sym-88S

pathique et qu'ils aimeraient la louer. Le hochement de tête du principal l'effraya. Est-ce qu'elle était déjà louée? «Je ne sais pas, madame.»

Ils s'assirent. «Et si nous l'achetions?» lui souf-fla-t-elle. Il n'eut pas le temps de répondre car Mc Simiand apparut sur le seuil de son cabinet, bien étrillé et parfumé à la fougère royale. Il s'effaça avec cette élégante réserve qui lui valait la considération de ses concitoyens jusqu'au jour où, quelques années plus tard, il fut inculpé d'abus de confiance et d'escroquerie. Assise devant le bureau Empire, un peu tremblante, elle sortit son petit topo, fit de la propriété à louer une description ravissante qu'approuva le jeune notaire.

—Je m'y suis sentie immédiatement intégrée, redit la pauvrette. (Heureuse, toute rafraîchie d'avoir des rapports avec un autre que moi, pensa Solal.) Ces quatre cyprès qui la flanquent sont une merveille, sourit-elle mondainement. (Un tout petit adultère, pensa Solal.) Ce.n'est pas loué, j'espère?

—Eh bien, nous sommes en pourparlers, madame.

Solal vit le jeu mais n'intervint pas. Le loyer en serait augmenté, mais peu importait. Donner quelques billets de plus pour qu'elle eût la joie d'un simili-entretien avec quelqu'un d'autre que le maître d'hôtel ou le coiffeur, quelqu'un presque de son milieu, ce n'était pas cher. Allons, profite, ma chérie.

—Mais rien n'est signé encore? dcmanda-t-elle.

—Non, mais les aspirants locataires sont des amis personnels de la propriétaire.

Elle eut envie de lancer quelque chose d'audacieux dans le genre que les affaires étaient les affaires. Elle n'osa pas et se contenta de dire qu'elle serait disposée à offrir davantage que ces autres personnes, enfin un peu plus. Lui, il regarda sa naïve, destinée à être roulée. Qui la défendrait plus tard, lorsqu'il ne serait plus là?

—Ce n'est pas notre habitude, madame, dit le

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notaire avec une froideur impressionnante. Le prix demandé aux autres personnes est de quarante-huit mille francs par an. En toute conscience, nous ne pouvons vous demander davantage.

C'est le juste prix. (Il demande d'habitude la moitié et ne trouve pas preneur, pensa Solal.) Mais les autres personnes hésitent, tergiversent, discutent.

— Très bien sourit-elle. Mais vous ne trouvez pas que c'est un peu cher?

— Non, madame.

— Et vous êtes sûr que la maison est bien à tous points de vue? demanda cette femme d'affaires. Parce que nous n'avons pas encore visité l'intérieur.

— Absolument sûr, madame. (Elle eut une petite aspiration satisfaite, sentit que c'était une occasion à saisir.)

— Nous acceptons, dit-elle.

Le notaire s'inclina, et elle se dit qu'en somme ce n'était pas cher. D'ailleurs, tout était bon marché en France, puisqu'on n'avait qu'à diviser par six. Huit mille francs suisses, ce n'était pas cher. Très bien, bonne affaire. Le notaire conclut en disant que la clef se trouvait chez le gérant qui habitait tout près, même rue, numéro vingt, et qui leur ferait signer l'engagement de location, étant bien entendu que le loyer d'une année serait versé intégralement d'avance.

Le gérant était un obèse bandit verbeux, dont la table était garnie d'un obus de 75, du portrait du maréchal Foch et d'une statuette de la Sainte Vierge, le tout pour inspirer confiance. Le notaire venait de lui téléphoner et il savait à qui il avait affaire.

Tandis que son acolyte muet et myope calligraphiait en face de lui sous le plafond enfumé et bas, il évoqua pendant plus d'un quart d'heure et à grand renfort de clichés diverses questions immobilières compliquées qui ne concernaient nullement la Belle de Mai. Il annonça

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enfin que, malheureusement pour madame et monsieur, leurs concurrents lui avaient téléphoné ce matin qu'ils acceptaient le loyer de quarante-huit mille, ce que Me Simiand ignorait. Et naturellement, comme ils étaient des amis de la propriétaire.

Oh, mon Dieu, murmura-t-el le. Il y aurait peut-être un moyen d'en sortir, ajouta le gérant. Oui, les concurrents se faisaient tirer l'oreille pour prendre à leur charge l'impôt foncier qui n'était pourtant que de six mille francs. Le bandit immobilier aurait articulé un chiffre supérieur sans l'attitude impénétrable du mari, dont il se demandait s'il était une moule ou s'il réservait un éclat au dernier moment.

—D'accord, dit-elle.

Le gérant introduisit son petit doigt dans son oreille et demanda à Ariane si les cinquante-quatre mille francs pouvaient être versés immédiatement. Elle se tourna vers Solal qui sortit son carnet de chèques.

— Il y aura naturellement les honoraires de rédaction de l'engagement de location, notre commission, les frais d'enregistrement et divers menus débours.

— Oui, dit-elle, bien sûr. Alors, peut-on signer tout de suite le contrat? Parce que nous aimerions avoir la clef pour voir l'intérieur.

Elle descendit en hâte du taxi, poussa la grille, ouvrit la porte, s'arrêta, émerveillée par le grand hall et la galerie qui en faisait le tour. Oh, elle ferait de la Belle de Mai une demeure exquise où il ferait bon vivre. Et il faisait si beau aujourd'hui.

Le premier décembre et un si chaud soleil ! Elle lui prit les mains et, rejetant la tête en arrière, le força à tourner avec elle jusqu'au vertige. Elle s'arrêta, soudain envahie par une tendresse de pitié. Il avait tourné maladroitement, comme un enfant qu'on initiait à un jeu merveilleux, et elle pensa qu'il n'avait jamais dû jouer dans son enfance.

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Ils allèrent de pièce en pièce. Décidée, sa voix sonnant haut dans les chambres vides qui faisaient écho, elle indiqua où seraient les deux chambres à coucher, le salon, la salle à manger. Constatant qu'il y avait deux salles de bains, elle s'exclama. Vraiment cinquante-quatre mille francs, donc neuf mille francs en réalité, ce n'était pas beaucoup. Après une rapide visite de la cave et du grenier, elle décida qu'il fallait retourner à Cannes pour choisir les meubles et les tapis ou, en tout cas, se faire une idée.

— On y passera tout l'après-midi, n'est-ce pas? lui dit-elle dans le taxi. Ce ne sera pas de trop parce qu'on aura tant de choses à décider. Mais d'abord on déjeunera. J'ai une faim imposante! Dis, aimé, on n'ira pas au Moscou, cette fois. Dans un petit bistrot, tu es d'accord? Je commanderai une énorme omelette aux fines herbes pour commencer, ou bien au lard, si tu me promets de ne pas me mépriser. Dis, tu es content? Moi aussi, tellement !

Au Royal, ce soir-là, ils parlèrent beaucoup de leur Belle de Mai, en louèrent les agréments, commentèrent les meubles déjà achetés, dessinèrent des plans, s'embrassèrent fort. À minuit, ils se séparèrent. Mais peu après, il entendit timidement frapper, aperçut une feuille glissée sous la porte, la ramassa, lut. «Plairait-il à mon seigneur de venir partager la couche de sa servante?»

Une heure plus tard, tandis qu'il dormait contre elle, elle réfléchissait activement dans l'obscurité. Oui, un intérieur très noble, très beau, puisqu'ils y passeraient toute leur vie. Deux salles de bains, c'était parfait, la chambre de Sol communiquant avec la salle de bains. L'ennui était qu'il n'y avait qu'un cabinet, ce qui serait gênant. Oui, faire mettre un water-closet dans chaque salle de bains pendant l'absence de Sol. Oui, l'éloigner pendant l'installation de la villa pour

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pouvoir s'occuper en paix de diverses choses pas très poétiques.

Oui, absolument, un water-closet dans chaque salle de bains, c'était la solution. Pas de gênantes promiscuités.

À huit heures du matin déjà, baignés et habillés, ils descendirent. Après avoir pris leur petit déjeuner dans la salle à manger, à l'étonnement du personnel, ils sortirent. Le tenant par le bras, elle reprit le vouvoiement.

—Aimé, il faut parler sérieusement maintenant Voilà, j'aimerais que vous ne vous occupiez de rien et que vous ne voyiez pas l'installation se faire petit à petit. Vous comprenez, je veux que ce soit un coup de baguette magique pour vous, que vous ne veniez que lorsque tout sera prêt. Je vais télégraphier à Mariette pour lui demander de venir tout de suite. Elle viendra.

Elle fait tout ce que je veux. Mais il ne faudrait pas que vous restiez à Agay parce que sans cela nous aurions toujours la tentation de nous voir.

Et puis, mais elle ne lui en parla pas, il y avait l'importante question des deux water-closets à faire installer, et il ne fallait absolument pas qu'il fut au courant ni qu'il vît arriver les deux cuvettes de faïence, même de loin. Et puis, aussi, elle voulait pouvoir être un peu souillon et décoiffée pendant ces jours de préparatifs et bavarder sans surveillance avec Mariette, et frotter aussi et laver, ce serait amusant.

—Alors, chéri, vous partirez ce soir pour Cannes, voulez-vous? Vous irez au meilleur hôtel, naturelle ment, vous me direz lequel. Je vous téléphonerai dès que ce sera prêt ici. Je pense que dans deux semaines tout sera fini. On ne s'écrira pas et ce sera exquis quand vous reviendrez! Maintenant, une chose très importante, chéri. J'ai décidé d'être votre ministre des finances. Je ne veux pas que vous ayez à vous occuper de choses matérielles. Maintenant que nous avons notre maison à nous, c'est moi qui réglerai toutes les dépenses.

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Il fut convenu qu'il lui remettrait un chèque chaque mois et qu'elle se chargerait de tout. Mais elle ne lui dit pas qu'elle avait l'intention d'écrire à ses banquiers de Genève et de leur demander d'envoyer cent mille francs français, après avoir vendu le nombre nécessaire de titres. Ainsi, avec le truc ministre des finances, elle participerait aux dépenses sans qu'il s'en doutât. Était-ce trop, cent mille francs français? Non, puisque divisé par six. Oh oui, de cette demeure elle ferait un sanctuaire où ils mèneraient une vie toute d'amour. Elle lui prit la main, le regarda de toute âme.

— Aimé, c'est une nouvelle vie qui commence, notre vraie vie, n'est-ce pas?

xc

Comme le temps passe, quatre de février aujourd'hui, février de tous les mois le plus court et le moins courtois comme dit le proverbre, deux mois déjà que je suis arrivée à ce Agay, pauve Mariette on pense à elle que quand on a besoin d'elle, elle a eu la chance que j'étais juste encore à Genève, elle m'aurait térégraphié une semaine plus tard elle m'aurait plus trouvée vu que je voulais aller chez ma sœur me promener un peu à Paris étant portée sur la famille, même que le matin du térégramme je me disais avant que le térégramme arrive je me disais Mariette faut que tu prennes quand même un peu de bon temps rapport à l'âge que bientôt c'est le moment de me prendre les mesures pour la caisse que des fois il me vient une mérancolie que vous pouvez pas savoir la force qu'elle a, prête à partir que j'étais à cause que j'avais déjà quitté de chez la Chameau vu que monsieur Adrien bien guéri partait en Afrique en voyage de la politique c'était surtout pour lui que je restais mais entendre la Chameau toutes les heures du temps dire pis que prendre de madame Ariane moralité femme de mauvaise vie ça alors non, ça m'a fait peine de quitter pour monsieur Hippolyte lui jamais un mot contre madame Ariane, qu'est-ce que vous voulez l'amour ça se commande pas, l'amour est 892

enfant de poème comme dit la chanson, mais enfin du moment que monsieur Adrien partait en Afrique j'avais le droit de ma conscience pour moi d'aller me promener un peu à Paris me changer les idées du coup que j'ai eu du grand drame pensez le voyant la tête en sang, parce que tard dans la nuit j'ai eu l'idée tant pire il faut que j'alle voir un peu de quoi ça retourne, un pressentiment comme on dit vu que le matin quand j'étais arrivée comme d'habitude me doutant de rien sachant pas qu'il était arrivé il m'avait dit qu'il avait pas besoin de moi madame Ariane étant partie pour toujours et il m'a fermé la porte au nez mais en tristesse pas en colère, toute la journée je suis restée à me dire j'y retourne ou j'y retourne pas mais j'osais pas vu la tête qu'il avait et puis contre les onze heures de la nuit tant pire j'y vais et alors vite je m'habille chapeau sur la tête j'ai mis mon noir le joli je prends la clef qu'elle m'en avait donné une pour pas sonner le matin, j'entre grand silence personne en bas, bon je monte, personne dans sa chambre, j'entre dans sa chambre de bain, à genoux par terre le pauvre tout cadavre la tête en sang sur le tabouret pauvre agneau, oh là là j'ai des élancements, le revolver par terre et moi chassant pas quoi faire, la police que j'ai voulu appeler tout de suite d'abord au téléphone mais c'est une sale bête la mécanique me tremblait dans la main alors vite je suis été appeler ma copine donc la femme de chambre d'à côté les voisins, vilaine comme tout mais gentille bien causante, elle tout de suite un manteau sur sa chemise de nuit courant avec moi à la maison du drame pour téléphoner à la police, oh elle est instruite espliquant bien, puis au docteur justement celui de Cologny tout près, le docteur Saladin, bel homme, enfin pour vous la faire courte le docteur a vu tout de suite qu'il était pas mort mais quand même le soigner en grande vitesse, alors vite l'ambulance, enfin c'est mon idée de venir qui l'a sauvé, vous y

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avez sauvé la vie madame le docteur Saladin m'a dit testuel, pensez moi l'émotion tout ce grand drame de l'amour mais ma capacité aussi d'avoir vite les idées qu'il faut disant à la femme de chambre de vite télégraphier à la Chameau de revenir subito presto, elle était en Belgique soignant une vieille riche probabe pour se faire mettre sur le testament perd pas la boule je vous garantis, mais enfín elle est arrivée tout de suite parce que faut lui laisser ça que son Didi c'est son grand amour, fallait l'entendre dire pis que prendre de madame Ariane à monsieur Hippolyte, une trigressc, forcément que j'ai dû tout y raconter à madame Ariane étant au courant de rien vu qu'on savait pas son adresse, elle à peine que je suis arrivée me demandant tout de suite comment va monsieur Adrien, enfin de l'avoir quitté, elle chassant pas le drame du désespoir d'amour, me demandant de sa santé avec l'œil de la honte mais tendresse quand même, alors qu'est-ce que vous voulez moi forcément lui disant bien tout qu'elle s'en doutait pas, la tête en sang, enfin tout complet, la balle dans la tempe, pensez, mais enfin pas entrée profond, ce qu'elle a pu pleurer, les paupières enfles, les yeux rouges que vous auriez dit arrosés avec de la paprique, la forte, se mouchant tout le temps de remords, forcément question conscience que c'était sa faute à elle, le salaire du péché comme on dit, enfin je l'ai consolée, il va bien maintenant madame, j'y ai même dit un mensonge que soi-disant il avait grossi, elle m'a dit surtout que monsieur chasse rien, rien y dire du drame, alors comme je vous disais son térégramme m'a tout changé mes plans vu que après Paris chez ma sœur je comptais me replacer rapport à l'argent forcément et puis la merancolie quand j'ai rien à faire, que j'aurais jamais aimé être princesse, oh je vais me faire une goutte de café, et alors je me pensais qu'au retour de chez ma sœur qui a une bonne situation concierge

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chez l'Aga Khan je me replacerais, même qu'avant de partir à Paris voir ma sœur qu'on s'aime attachées pire que jumelles et puis pour l'affaire de l'Espagnol aussi que je voulais la voir pour discuter avec elle à cause que ma nièce s'est fait remplir par un Espagnol un garçon de café tout noir paraît qu'il est comme un Arabe et maintenant qu'il l'a bien remplie il veut pas la marier sont tous les mêmes alors me disant faut que j'y aile pour arranger les choses en l'insultant ce négrillon paraît qu'il est vilain plein de poils même qui lui sortent des oreilles, elles aiment ça, c'est la jeunesse d'aujourd'hui, si vous aviez vu mon mari, alors comme je vous disais même qu'avant de partir à Paris régler la situation de ma nièce je me pensais d'aller dire à monsieur Agrippa qu'à mon retour de ma sœur et de sa fille lâchement abandonnée, ma nièce donc, j'étais libre pour son service mais à condition qu'il balance l'Euphrosine parce que me faire commander par cette trois fois rien non alors, mais voilà que juste arrive le térégramme de madame Ariane que question préférence elle ira toujours première lui ayant talqué son derrière quand elle était bébé, à peine que j'ai reçu le térégramme je me suis pensé d'aller vite y dire à monsieur Agrippa l'adresse de sa nièce et puis je me suis pensé minute papillon premier c'est délicat vu que monsieur Agrippa c'est la correction et deuxième peut-être qu'elle veut pas que personne chasse même pas son oncle mais après elle m'a dit qu'elle avait écrit à son oncle qu'il était au courant de tout, le pauvre ce qu'il a dû souffrir dans sa correction religion et tout d'apprendre les cabrioles d'amour de sa nièce chérie, enfin pour vous en revenir au commencement avec ma capacité de faire vite, rapide comme je suis, le deuxième jour de recevoir le térégramme j'étais déjà ici aidant madame Ariane en tout pour tout, donnant conseil pour les meubes tapis fournitures, les draps qu'elle a voulu les plus fins, voyez

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dépenses, alors lui pendant ce temps invisibe, vu qu'elle y a dit de rester à Cannes, enfin grand seigneur délicat devant pas savoir, souffrant trop de voir récurer, mais elle est allée deux fois à Cannes, non je suis une menteuse, trois fois elle y est allée, pour faire l'amour forcément quoique disant que c'est pour discuter des meubes, mais pas plus de trois fois vu qu'elle était en grande faveur de tout bien préparer ici pour son mignon chéri, rien que la beauté, enfin théâtre, ce qui a pris le plus de temps c'est les deux water causettes en plus, taisez-vous me faites pas rire, je vous raconterai, moi j'aime pas ici, c'est triste toute cette eau de la mer en hiver, heureusement qu'ils ont le chauffage central parce que Côte d'Azur soi-disant qu'il fait toujours chaud, c'est pas vrai, avec ce vent faites-moi confiance qu'il fait pas chaud à ce Agay, et puis on est trop près de la mer, moi ce bruit de la mer je peux pas m'habituer, c'est comme les chansons des morts la nuit, c'est pour elle que je suis venue, heureusement qu'à mon hôtel où j'ai ma chambre, ils ont accepté rien que chambre sans nourriture, oh c'est petit, faisant classe ouvrière, ils ont que six chambres et puis le café en bas, heureusement que c'est un peu loin de la mer, il y a pas ce bruit des vagues faisant musique des fantômes, c'est elle qui a voulu que je sois pas ici la nuit, disant que y a pas la place, oui que y aurait la place mais la vérité moi je sais, voulant roman d'amour en grand secret avec son trésor de grande beauté, sans personne pour les surveiller la nuit dans leur nid des caresses, enfin rêve d'amour rêve d'ivresse, je vais tout vous raconter, j'ai le temps ayant tout préparé, et puis sont à la promenade, Roméo et Juillette, mais il y en a du travail ici, même que Noël j'ai travaillé même chose que les jours habitués, même les dimanches je viens, vu que tout doit être en majesté pour son prince de la passion, enfin cinéma, pauve Didi on en faisait pas autant pour toi,

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quoique à bien réfréchir si j'e venais pas ici le dimanche je m'embêterais dans ma chambre, ayant pas fait des connaissances à l'hôtel j'ai pas envie c'est des ordinaires, comme je vous disais chaque jour messe d'amour ici, deux curés d'amour, et puis aux petits soins pour lui, toujours à me dire faites anttention que monsieur voye pas ça, chasse pas ça, faites anttention ci, faites anttention ça, que monsieur aime pas ci, aime pas ça, ah oui alors pauve Didi on faisait pas tant de mignonnances pour lui, toujours poli pourtant, me pariant gentiment, tandis que le prince de beauté il me parle pas beaucoup, il me regarde même pas, vous verrez que l'oncle, monsieur Agrippa donc, il y laissera tout à elle, villa et tout dans son testament, la villa donc de Champel, elle la vendra vous verrez, osant pas vivre à Genève, elle en aura des mille et des mille étant que c'est la villa ancien temps grand gala et puis toute cette campagne et puis beau quartier ça coûte le terrain, mais elle en aura pas tout le prix de valeur étant que notaires banque et compagnie savent se sucrer, sont gourmands, à mon idée monsieur Agrippa il en a pas pour longtemps, maigre comme je sais pas quoi, on dirait une asperge sauvage, les longues vertes toutes minces qu'elles sont plus fines de goût que les asperges éduquées, pour moi de voir son comportement il a dû jamais toucher une femme, oui il en a pas pour longtemps, et voyez total même les docteurs ils crèvent malgré leurs airs de savoir, que quand c'est le moment c'est le moment, ah là là pauve Mariette ton tour viendra, tu as pas assez profité de ta jeunesse et maintenant des grosses jambes enfles voyez éléphant du cirque, alors comme je vous disais à peine qu'elle m'a térégraphié je suis arrivée, le quatre décembre donc, on s'y est mises toutes les deux, le dix-huit tout était tip top à force des bonnes mains à droite à gauche queje fermais les yeux pour pas savoir combien, toutes les deux travaillant pire 897

que négresses foncées, tout bien, sauf la cuisine trop blanche faisant hôpital, j'aime pas, et puis ce fourneau électrique ça va pas tellement pour la grande friture, et puis on peut pas régler fin finet pareil qu'avec le gaz, et puis ça met du temps à venir chaud, et puis la plaque reste chaude terribe quand on en a plus besoin, non j'aime pas, enfin jui ai rien dit, qui paye commande comme disait monsieur Pasteur, le salon, la salle à manger tout bien dans le genre sérieux, mais manquant des petits riens, des biberots faisant intime un peu gai, la chambre de monsieur, tapis blanc velours blanc j'aime pas, et puis pour l'éclairage des ampoules qu'on voit pas où elles sont, et son lit tout bas que ça me fait mal au dos de me pencher pour le faire, un vrai sacrophage, grandiose qu'on pourrait y coucher deux chameaux et gros encore, faut pas chercher à comprendre, enfin le bon de cette maison c'est qu'elle est tout rez-de-chaussée, pas d'escayers, ça m'arrange pour mes varices, donc le dix-huit une heure avant qu'il arrive vous êtes contente de votre chambre à l'hôtel Mariette qu'elle me fait, taisez-vous c'était pour préparer son coup de me renvoyer, oui j'y fais mais franchise sur la langue j'y fais j'aurais préféré me loger ici d'autant que ça va vous faire des frais cet hôtel, oui mais y a pas de place ici elle me fait, moi j'y ai rien répondu mais c'est pas vrai que y a pas de place, premier y a la chambrette débarras, et deuxième le grenier qu'on aurait pu l'arranger coquet sauf que pour y monter c'est putôt échelle que escayer, allez va tu es qu'une petite tartufle jui fais dedans moi, c'est tout du soi-disant, la vérité c'est que tu me veux pas surveillant les bécots en grand secret quand il arrivera, eh bien Mariette monsieur arrive dans demi-heure alors je vous donne congé jusqu'à demain, mais je peux rester jui fais, alors elle c'est un jour spécial elle me fait, y a deux semaines qu'on s'est pas vus monsieur et moi, j'aurais pu y dire et les trois fois que 898

vous y êtes allée, mais j'ai gardé ma convenance, très bien jui dis en dignité, vous dînerez à l'hôtel elle me fait, je suis pas pour le gaspillage jui fais poliment, vous savez mon air de grandeur, je me prendrai un bout de fromage en partant jui fais, vous comprenez blessée à l'orgueil, balancée comme une étrangère, que dans mon lit le soir, c'est mon cinéma mon lit, je m'étais pensé on sera toutes les deux à recevoir monsieur, moi un peu de la famille, bien habillée, lui disant charmée parce que par le fait je l'avais pas encore vu ce grand chéri, alors d'un coup j'ai mis mon chapeau le joli à paillettes noires qui brillent, j'ai noué fort les brides que j'ai risqué m'étrangler, elle a tout remarqué, et puis j'ai pris mon réticule des perles noires avec souvenir de l'exposition écrit en perles blanches, bonne nuit jui ai dit, d'un air d'allusion vous comprenez, affrontée que j'étais, venue toute courante de Genève à peine qu'elle m'a térégraphié, vite mettre mon chapeau et prendre le train queje l'ai presque manqué, parce que pour moi vous étiez de la famille, baignée et chessée quand elle était bébé, tapant son joli petit cul de bébé et même l'embrassant son petit cul, qu'il a fait des progrès depuis, eh bien je suis pas été traitée de la famille, me renvoyer comme une esclave de l'Afrique, un jour spécial s'il vous plaît, vu qu'on s'est pas vus depuis deux semaines, t'avais qu'à le voir tous les jours, ton marquis de l'amour, mais non, madame a voulu faire tout théâtre, monsieur grand délicat doit pas voir ci, doit pas voir ça avant que tout soye bien rectal, moi que j'avais apporté pour lui exprès de Genève mon plus fort travail du temps de la fabrique, que même le patron m'avait fait compliment, un cendrier pâte porcelaine, tout de l'artistique, avec un serpent tout autour on aurait dit qu'il était vivant et une grenouille avec sa bouche ouverte pour les cendres des cigarettes, oui chessée avec du talc matin et soir, alors pour la punir

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j'ai mangé en bas au café de l'hôtel, un souper fin bec pour la punir, sardines à l'huile et saucisson à l'ail pour commencer, et après des pieds de porc panés, ils en avaient justement, ils avaient aussi du poulet froid mais j'ai pas voulu, le poulet c'est fade, la bonne partie du poulet, c'est rien que le croupier, enfin c'est passé jui ai pardonné, ce qu'elle est cinéma quand même cette petite, vous pouvez pas savoir, tenez pour vous dire, il y avait deux chambres de bains, elle dit qu'on dit salle de bains, moi je dis chambre parce que c'est une chambre, une salle c'est quand c'est grand, je sors pas de delà, enfin bon, une chambre de bains pour monsieur communiquant avec la chambre de monsieur, et l'autre chambre de bains pour madame enfin luxe infernal comme on dit, seulement la chambre de bains pour madame communiquant pas avec la chambre de madame, et puis à part il y avait un cabinet, un water causette comme on dit, tout blanc grand confort tout mosaïque que vous auriez pu manger par terre, eh bien non ça lui a pas suffi elle a voulu un water causette esprès pour chacun, alors elle en a fait mettre un dans chaque chambre de bains, ça fait qu'avec celui-là à part qu'il y avait déjà et qu'on s'en sert pas, et celui-là pour le service à la cave pour moi, il y a maintenant quatre water causettes, taisez-vous me faites pas rire, et vous savez pourquoi, moi j'ai compris tout de suite, les water causettes dans les deux chambres de bains c'est pour que chacun chasse pas que l'autre est allé faire ses besoins, les grands et même les petits, croyant que l'autre est seulement allé se laver les mains au lavabo ou se tremper dans la baignoire vu que le bruit des robinets ça couvre tout, et puis c'est pas tout elle a fait ouvrir son mur pour faire porte communicante de sa chambre avec sa chambre de bains où qu'il y a donc le water causette, c'est pour cacher encore plus qu'elle va faire ses besoins vu qu'on la verra même pas entrer dans la chambre de

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bains, ni vu ni connu je t'embrouille je fais mes besoins sans que tu le chasses, eh bien moi je dis que y a pas honte à faire ses besoins c'est le bon Dieu qui a voulu ça, que même le roi et sa reine ils font leurs besoins et moi aussi, mon mari il savait quand j'y allais et quand même on s'aimait je vous garantis, mais elle non, ses besoins en grand secret politique et puis cette chasse d'eau des water causettes qu'elle a fait mettre spécial grand luxe faisant pas de bruit, c'est pour qu'il entende pas, c'est pour la poésie, elle aurait dû faire mettre une musique mécanique chantant une étoile d'amour une étoile d'ivresse pour quand on appuierait pour l'eau de la sache d'eau, ça aurait fait encore plus poésie, vous vous rendez compte le travail que ça a fait il y en a trois qui sont venus de Nice, même travaillant le dimanche, pensez la dépense que je fermais les yeux pour pas voir les pourboires qu'elle leur y donnait pour s'attirer leur bonté, forcément ça a pris du temps, l'ouverture dans le mur de madame pour faire porte avec la salle de bains et puis les water causettes à installer, les gros tuyaux à mettre sous les carrelages des chambres de bains, en Suisse ils disent catelles, ça veut rien dire, savent pas le français, sauf ma copine la femme de chambre que je vous disais, elle est bien instruite, quand elle vous parle c'est du miel dans l'oreille, et aussi sous le beau parquet du vestibule, et puis tout remettre en place, et tout ça pour qu'il chasse pas qu'elle fait ses besoins, comme je vous le disais chaque jour messe de la beauté cinéma, enfin paradis d'amour, ton cœur a pris mon cœur dans un jour de folie comme dit la poésie de monsieur Victor Hugo, paraît qu'à quatre-vingts ans encore il crachait pas dessus tout barbette blanche qu'il était ayant une jeunette enfermée rien que pour lui, toute sa vie il a aimé ça relevant les jupes à toutes, même que sa femme de colère elle lui en a fait porter des grosses pour le punir, c'est marqué dans un livre 901

de l'hôpital qu'on m'avait prêté, elle a fricoté avec un qui était aussi dans les écritures, monsieur Sainte-Vache il s'appelait, drôle de nom, et puis couchés l'après-midi à faire des sauts d'amour en grand secret dans leur lit grand des kilomètcs qu'on dirait la place de la Concorde et ça se dit vous comme évêque et cardinal, et ces bains toute la journée, sans compter les bains de la mer, les jours de soleil ils y vont même que c'est l'hiver, d'abord moi j'aime pas toute cette mer, on peut pas en boire on peut pas se savonner dedans le savon prend pas, ça mousse pas, oh j'aime pas ce pays, c'est tout pierre et compagnie, côte de la poussière moi je l'appellerais, et puis plein de moustiques, à quoi ça sert les moustiques, c'est venu au monde pour embêter les personnes, et puis ce vent vous entendez, ça fait que se lamenter, enfin comme dit le proverbre quand le vent oublie février il arrive sûrement en mai, les proverbres ils sont tous vrais, c'est la connaissance des vieux, moi je les sais tous, à la Saint-Crépin des mouches c'est la fin, d'un beau mois de janvier Dieu veuille nous préserver, Noël sans neige d'hiver long cortège, en décembre frimas prépare des fruits en amas, sol gelé garde le blé, chêne longtemps feuille hiver très fort gelé, à la Saint-Simon une mouche vaut un mouton, quand octobre entre par le beau il sort dans l'eau, tous les autres je les sais aussi, je vous les dirai une autre fois, j'ai pas l'âme à ça aujourd'hui ayant le cafard comme on dit, et puis je perds la tête avec toutes ces sonnettes, elles me font maboule, oui je viens maboule dans cette maison des poupées d'amour qu'ils doivent se voir comme au théâtre, seulement quand sont bien fignolés, elle m'a écrit toutes les sonnettes sur ce carton que vous voyez là juste dessus cette sale bête de fourneau électrique, trois courtes et une longue, trois longues et une courte, deux longues, une longue, deux courtes, si elle croit que c'est commode de faire la différence quand 902

on est pas jeune, y a des sonnettes pour moi et puis des sonnettes pour eux et des fois que c'est pour eux je crois que c'est pour moi, et je cours voir ce qu'elle veut et voilà que c'est pas pour moi, y en a pour quand le prince adoré appelle pour qu'elle vienne y parler mais seulement derrière la porte, y en a pour quand elle y demande si elle peut circuler sans qu'il la voye vu qu'elle est pas encore assez pomponnée, y en a pour quand il y répond d'accord, y en a pour quand il y dit de rentrer chez elle vu que lui il doit aller se chercher un livre au salon et qu'il est pas visibe comme ils disent, étant qu'il est pas encore rasé, alors elle sonne en réponse pour y dire qu'elle est d'accord de rentrer dans sa chambre, y en a pour y dire à elle que maintenant il est rentré dans sa chambre et que maintenant elle peut circuler malgré qu'elle soye laide vu qu'il la verra pas, et ça me fait sauter chaque fois ces sonnetteries, des fois au commencement je me fermais la bouche avec la main tellement ça me faisait peur, mais c'est pas possibe c'est la maison des fantômes électriques je me disais, mais maintenant je suis habituée, ça me fait rigoler, je me danse une polka dans ma cuisine quand il y a leurs sonnetteries, vous vous croireriez dans une fabrique des sonnettes qu'on est en train de les essayer pour voir si elles marchent bien, y en a pour quand il rentre de sa promenade, c'est le bel homme ça y a pas c'est le bel homme, et alors il sonne quatre coups à la porte d'entrée pour qu'elle se cavale se cacher si elle est pas assez empoudrée, y en a pour quand elle demande si elle peut venir y parler derrière la porte, la porte de sa chambre à lui donc, mais sans qu'il la voye parce qu'elle est pas encore assez toute belle, y en a pour quand il y répond d'accord, et ça veut dire qu'il reste prisonnier d'amour embouelé dans sa cage des fois jusqu'au déjeuner pendant que madame elle fait la patronne en blouse blanche vous diriez une infirmière 903

de l'hôpital que jamais je voudrais mourir à l'hôpital, sont méchants indifférents au genre humain se croyant supérieurs parce qu'ils sont pas malades mais attendez un peu votre tour viendra, et puis des fois sur la figure elle se met un masque qu'on appelle, pour se faire jolie, elle me fait peur quand elle se promène avec sans parler, on dirait de la boue couleur bateau de guerre comme on en voit d'ici, moi je suis contre la guerre, ça sert qu'à faire des malheureux des deux côtés, et les gros ils restent planqués ils y crient aux jeunes allez les mignons courage faut mourir pour la patrie bravo faut être des zéros pour défendre la patrie on vous fera une belle tombe avec un réchaud à alcool dessus toujours allumé pour vous faire belle jambe, et nous les gros on se planque pépère, et puis la sonnetterie trois longues pour quand elle m'appelle pour y faire sa chambre, mais elle sans sortir pour ne pas risquer d'être vue par le chéri vu que lui il est rasé tout prêt et il y a dit qu'il est prêt et visibe mais elle pas visibe vu que pas encore assez belle de la tête, alors trois longues, et tout le reste queje me rappelle jamais, et puis si elle a le rhume de cerveau, pensez elle sort plus pour qu'il la voye pas vilaine, elle le voira plus jusque le rhume est fini, alors j'y porte manger dans sa chambre sur un plateau, elle aussi prisonnière d'amour, et puis des fois que les sonnettes marchent pas à cause l'électricité manquante, allez demander à monsieur si je peux circuler, parce que vous comprenez elle veut pas être vue pas assez pomponnée, et lui même chose, alors faut que je galope à l'un et à l'autre glissant sur mes pantoufes pareil le cheval des courses que des fois je me crie hue hue pour me cou-rager et vite y dire à madame qu'elle sorte pas vu que monsieur doit circuler, même que des fois ça me fait du bien de glisser, ça m'enlève ma mérancolie, et puis galoper toute glissante pauve Mariette dire à monsieur que madame est d'accord de pas sortir tout de

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suite mais que monsieur y fasse dire quand elle pourra sortir vu que madame doit faire des courses à Cannes et bien y dire que c'est urgent étant désolée et pas oublier d'y dire étant désolée, parce que c'est tout à la politesse des rois et marquis, le matin tout le temps des entrées et des sorties, comme dans la ménagerie du cirque où ils tirent les grilles des cages pour faire sortir pour faire entrer, étant que le lion doit jamais être avec le trigre, doivent pas se causer entre lions et trigres, sont ennemis de naissance, oh des fois ce que je peux rigoler, une fois qu'elle avait à y dire une chose pressée en particuyer que ça pou vait pas attendre mais les deux étaient pas encore assez jolis vu que c'était bonne heure le matin, alors vite elle a mis sa robe d'amour et elle est entrée chez lui à reculculons pour y parler en grand secret, moi remarquant tout sans en avoir l'air forcément et regardant un peu par le trou de la serrure pour me tenir au courant, alors elle entrée à reculculons et y parlant à lui en y tournant le dos, comme ça vous comprenez elle le voyait pas étant laid et lui il la voyait pas étant laide, ou putôt il la voyait bien mais de derrière, ça se remarque pas le derrière, c'est pas aussi important que le devant, surtout la figure, mais cette manière c'est pas souvent, juste deux fois seulement, vu que vous comprenez ils aiment pas que l'autre chasse que l'autre est pas implacable comme ils disent, ça veut dire tout parfait des pieds à la tête, une autre fois je l'ai vue elle, toujours le trou de la serrure, qu'est-ce que vous voulez c'est quand même mon droit et devoir sacré de faire anttention qu'il lui arrive rien de mal à elle si jamais ils se disputeraient, et puis c'est pas toujours rigolo ici, des fois il me vient le noir, je me sens seule ignorée, du genre humain comme on dit, enfin bref je l'ai vue elle avec un bandeau sur les yeux, devant y parler à lui mais pas le voir, et lui il la guidait genre une aveugle pour qu'elle s'assoye sur

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une chaise, un bandeau parce que cette fois elle était visibe mais c'était lui qui était pas visibe comme ils disent, et alors elle sur sa chaise avec le bandeau sur les yeux vous auriez dit une sornambule voyante des rues quand elles vous disent la bonne aventure des fois c'est vrai ça arrive ce qu'elles vous disent surtout madame Petroska elle est forte, mais alors de la voir toute sérieuse parlant avec le bandeau sur les yeux j'en pouvais tellement plus queje suis allée me rigoler à l'office dans le grand tuyau vide-ordures bien ouvert que j'ai mis ma tête dedans pour me rigoler tranquille sans qu'ils m'entendent, peut-être qu'une fois faudra aussi que je me mette un bandeau sur les yeux comme madame Petroska pour pas voir monsieur, ça sera commode pour passer la caustique et y bloquer son parquet, mais la fois qu'il est parti en voyage faites-moi confiance qu'elle s'est bien régalée avec moi à la cuisine, une bonne choucroute avec côtelettes fumées saucisses lard salé et tout qu'elle s'en est léché les babouines, mais me disant que jamais monsieur doit savoir qu'elle a mangé de la choucroute, et toujours à faire les langoustes combattantes dans le grand lit que j'entends bien les bruits, un peu ça va mais trop c'est trop, et ces draps du grand lit qu'il faut changer deux trois fois la semaine qu'on est trois moi et les deux dames du dehors à laver les jours de la lessive, et remarquez que quand on est seules elle et moi le matin elle est mignonne, on rigole copines comme cul et chemise, elle causante qu'on dirait qu'on l'a vaccinée avec l'aiguille du grapho-phone, pas fière, mais quand je les sers à tabe les deux, elle me regarde avec l'air de princesse me considérant moins que pelure de patate, je vous garantis qu'elle est pas commode quand son grand frisé est là, l'autre jour elle est venue rouge comme l'homard en colère montant sur ses chevaux de bois parce que jui ai dit à tabc que le plombier y avait tout bien

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arrangé à son water causette, m'aurait étranglée, et puis je dois pas lui dire rien à tabe, même pas qu'il reste plus d'oignons, et puis quand je sers je dois me tenir de tousser, et puis défense de venir en pantoufes pour servir, défense de dire un petit mot sur le rôti, même s'il est trop cuit que c'est pas ma faute, ils étaient en retard probabe d'avoir trop sauté dans le lit impérial, enfin faire une figure comme les garçons des grands hôtels, la figure sérieuse je me la fais avant d'entrer à la salle à manger je me prépare fermant la bouche en grande tristesse que des fois au contraire j'ai une envie terribe de me bidonner queje viens toute rouge en entrant, et alors eux à tabe malgré que tout à l'heure ils ont fait les cent coups dans le lit, à tabe des politesses que ça me met en dehors de moi, des non merci, se parlant même chose que deux présidents de la république, elle mangeant des petites bouchées de rien du tout, mais le matin si on prend ensemble le café au lait elle se fait des tartines qu'elles feraient peur au popotame, et elle ferme la porte de la cuisine quand elle prend le café avec moi vu qu'elle a peur qu'il la voye en déshonneur de déjeuner avec sa vieille Mariette que j'y changeais ses langes quand elle était petite, et puis d'un coup des fois elle arrive en vitesse affolement, vite que jui repasse tout de suite une de ses robes de soie que jamais ça doit être froissé, ces robes de la passion c'est comme des chemises et en même temps comme des robes d'invitation grand honneur je vous les ferai voir, et puis en avant la musique du graphophone que ça me donne la mort dans l'âme quand ils sont enfermés dans leur chambre pour dire leur messe, mais y aura pas d'enfant, pas de danger, je sais ce queje sais et j'ai pas les yeux dans ma poche, et puis quand ça a fini ses micmacs ça dort, puis ça se réveille, puis ça prend des bains, puis ça sort faire la promenade toujours habillés du dimanche, et alors pauve Mariette va vite faire 907

l'ordre dans la chambre impériale, et puis des fois quand je vais prendre son linge sale à elle faut queje le cache sous mon tablier crainte que le roi des rois il sorte de sa chambre à ce moment-là et qu'il voye son linge sale à elle malgré qu'il est toujours propre, pauve Didi tu avais du bon quand même, et puis si je prends le linge sale de monsieur faut jamais qu'elle le voye avant que je le mette dans la machine à laver, ces nouvelles vous savez j'aime pas j'aimais mieux les lessiveuses ancien temps c'était chrétien, il est jamais sale non plus le linge sale de monsieur, et puis faut jamais que j'y parle de linge sale à elle quand il est là lui ou s'il peut entendre, défendu de dire sale, si c'est absolument nécessaire dites linge utilisé elle me fait, et si une fois elle m'aide quelque chose pour le ménage, plier les draps ou n'importe, faut que ça soye toujours en cachette, et quand c'est pas le lit c'est le bain, marmotte, poisson et compagnie, et rien que des mots qu'il y a dans les livres, des politesses des sourires qu'on dirait qu'ils sont malades, jamais une dispute une intimité, peut-être qu'ils vont faire cinéma d'amour et reufeuleumeuleu comme ça jusqu'à ce qu'ils ayent la barbe blanche tous les deux, moi je dis que c'est pas honnête, c'est pas une vie, et pour un homme c'est malsain, un homme ça a pas la force de la femme, c'est reconnu par la médecine, et puis ce que jui pardonne pas à elle c'est qu'elle est tellement gentille avec moi quand on est seules, parlant de la maison que je sais bien m'organiser, que je fais bien la poussière, la poussière c'est une guerre qu'il faut contre tous les jours, enfin s'intéressant à tout comme une dame mais si le trésor arrive c'est fini je suis plus qu'une créature du mépris, elle faisant tout de suite sa statue ancienne, j'existe plus, et puis ce que j'aime pas c'est qu'ils s'embrassent jamais devant moi, ça a l'air de dire toi tu es pas digne, enfin moi je m'étais imaginée autrement que ça, si j'avais pas de l'amitié 908

pour elle je resterais pas une heure de plus, pourquoi qu'ils se disent jamais des mots gentils devant moi, au lieu que ça s'en vont faire les évêques de l'amour dans leur sacrophage, et moi toujours enfermée dans la cuisine en prison pendant qu'ils se racontent des devinettes dans la chambre du roi Charlemagne, et quand ils sont enfermés tout le temps la musique du graphophone que si jamais ils ont un enfant ça sera un grand musicien d'opéra garanti sur facture, et puis tout ce colin-maillard entrez mais fermez les yeux je suis pas visibe tournez-vous, si c'est ça l'amour moi j'en veux pas, avec mon défunt on aurait fait nos petits besoins ensembe pour pas se quitter et moi je dis que c'est ça l'amour, bon les voilà.

Belle Du Seigneur
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