XXVII

Dans sa chambre, assise devant le bonheur-du-jour, Mme Deume achevait la mise à jour de sa correspondance tout en se sustentant de craquelins cruellement croqués. Elle venait de signer sa dernière lettre, adressée à un couple ami de Lausanne, et qui se terminait par sa formule préférée, à savoir : « De ménage à ménage, nous vous adressons nos bien affectueux messages. »

(Elle avait adopté ce « de ménage à ménage » depuis qu'elle l'avait lu au bas d'une lettre de Mme Rampai. «C'est original, avait-elle coutume de dire, c'est concis, et ça dit bien ce que ça veut dire. » À quoi son mari ajoutait : « Et puis c'est zoli, ça rime.

»)

L'enveloppe dûment léchée, elle reprit son tricot cependant que M. Deume, juché sur une chaise, posait son niveau à bulle d'air sur le dessus de l'armoire à glace afin de s'assurer qu'elle était bien d'équerre. Eh non, sapristi, pas d'aplomb ! Vite, mettre une cale sous le pied de gauche! Revenu à terre, il se frotta les mains, ravi d'avoir quelque chose d'utile à faire. Arrivée à un morceau droit, facile à exécuter, Mme Deume se sentit en disposition causante.

— Qu'est-ce que tu es allé faire en bas tout à l'heure, que tu y es resté si longtemps?

— C'était pour la carafe d'hier. Avec du gros sel et du vinaigre z'ai bien fait partir le vilain dépôt et 314

puis en secouant bien z'ai donne une finition avec ma provision de coquilles d'œuf bien écrasées et un peu d'eau ! Tu verras comme la carafe est venue zolie brillante !

— Décidément, tu es la femme de la maison, dit-elle avec un sourire supérieur, et elle donna une tape sur la main du petit conjoint, puis bâilla. Mercredi déjà, comme le temps passe vite, dire qu'il y a déjà trois jours que nous avons eu les Kanakis. Très réussi, ce dîner, tu ne trouves pas? J'en garde un souvenir rayonnant.

— Ah oui alors, ça sûrement, dit M. Deume penché sur sa boîte à outils, très occupe.

— Et remarque que madame Kanakis m'a téléphoné le lendemain déjà pour me dire combien elle avait été charmée et puis d'avoir fait ma connaissance, enfin la personne comme il faut, connaissant ses règles sur le bout des doigts, on sent qu'elle a une belle âme, j'ai beaucoup joui avec elle.

— Sûrement, dit M. Deume. (Eh bien lui pas du tout, elle avait de trop grands airs, cette personne, et puis elle n'avait fait que parler de musiques que personne ne connaissait. Ah, voilà une bonne cale, juste la bonne épaisseur.)

— Et monsieur Kanakis, quel homme charmant, bien élevé, vraiment le grand monde. Tu as remarqué qu'il m'a fait baisemain ?

— Oui, z'ai remarqué, dit M. Deume, à genoux devant l'armoire.

— J'ai trouvé ça tellement jeuli, on sent que c'est un être lumineux. Enfin, on s'est bien débarrassés de ce menu de chez Rossi, sauf qu'il reste encore du foie gras et du caviar.

— Très bien, dit M. Deume, absorbé par les derniers coups mignons de marteau contre la cale de bois.

De nouveau grimpé sur sa chaise et le niveau à bulle d'air remis sur l'armoire, il constata qu'elle était 315

d'aplomb maintenant. Parfait, parfait, murmura-t-i!, et il considéra avec plaisir ses initiales qu'il avait pyro-gravées la veille sur le manche de son cher marteau. Il descendit, posa le niveau sur le marbre de la table de nuit. Eh là, saperlipopette, mais la table de nuit non plus n'était pas d'aplomb ! Comment avait-il pu vivre tant d'années auprès d'une table pas d'équerre?

D'autant que, enfin, bref, il aurait pu arriver des accidents fâcheux, vu que c'était une table de nuit. Allons, vite un petit coin ! Non, pas un coin de bois, ça ferait trop épais.

— Dis, Antoinette, tu aurais peut-être un petit bout de carton pour mettre sous la table de nuit qui pence?

— Tu m'as fait perdre mon compte, dit-elle en s'arrêtant de tricoter. Tu es toujours à me parler quand il ne faut pas, c'est décourageant. Non, je n'ai pas de bout de carton, ajouta-t-elle pour le punir.

Il sortit sur la pointe des pieds. Revenu de même, il plaça sous un pied de la table de nuit un carton plié en deux, fît un essai qui lui donna satisfaction. Désemparé par ce rapide succès, ne sachant plus que faire, il croisa ses mains derrière son dos et considéra son épouse qui, ayant abandonné son tricotage, savourait le petit plaisir confortable — que seuls connaissent les munis, sûrs du lendemain — de couper à l'avance les pages d'un ouvrage intitulé «La Liberté Interieure», cadeau de Mme Ventradour, et qu'elle se réjouissait de commencer ce soir à tête reposée, d'autant que chère Emmeline lui avait dit que c'était un livre tellement bienfaisant, qui faisait penser. Oui, ce soir, dans son lit et les pieds sur une bonne bouillotte. La sentant rassérénée, il osa lui adresser la parole.

— Dis, Antoinette, qu'est-ce qu'on fait pour la question du gruyère qui n'a pas de goût?

— Tu le rapporteras à l'épicier, dit-elle sans s'arrêter de couper. Je n'ai pas envie de garder une livre

316

de gruyère sans goût. Et qu'il te rende l'argent, deux septante-cinq.

— C'est qu'il va me regarder avec un air face si ze le lui rapporte.

— Sois un peu viril, Hippolyte, s'il te polaît.

— Tu ne pourrais pas y aller, toi?

— Non. J'ai ma rigidité qui est revenue. (Lorsqu'elle n'avait pas envie de travailler ou qu'elle préférait laisser à d'autres une tâche désagréable, elle sentait de bonne foi sa jambe droite devenir raide.)

— Alors, on pourrait envoyer cette femme de ménaze qui commence demain matin?

— Non, tu iras, dit-elle, et elle frisotta la petite touffe de poils jaillissant du grain de beauté qui ornait son menton, puis elle soupira d'aise. Je dois dire que je suis assez contente de m'être débarrassée de cette pauvre Martha. Avec ce mal au dos, on ne sait pas jusqu'où ça aurait pu nous mener.

— Écoute, francement, moi z'aurais préféré qu'on la garde zusque qu'elle soit guérie, médecin et tout.

— Mais mon pauvre ami, elle n'aurait jamais guéri chez nous.

C'est la famille qu'il faut dans ces cas-là. Mais oui, le repos au sein de sa chère famille qui l'entourera de soins, qui la cajolera, pauvre chère. Le moral est tellement important pour le physique. Si elle est heureuse moralement, ses vertèbres se remettront bien plus vite. Et puis enfin s'il faut qu'elle se fasse opérer, c'est quand même juste que ça soit la famille qui prenne ses responsabilités. L'ennuyeux, c'est qu'il faudra se contenter de cette femme de ménage jusqu'au retour de Mariette. Je dois dire que j'ai été très déçue par ce télégramme de Mariette. Il avait été convenu qu'elle prenait un long congé jusqu'au premier juillet pour soigner sa sœur. Eh bien qu'est-ce que nous lui avons demandé dans notre télégramme ? De revenir une vingtaine de jours avant la date convenue, vu la circonstance des vertèbres de Martha.

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— Mais c'est à cause de la pneumonie de sa sœur.

— Ces domestiques n'en font pas d'autres. Moi je dis que c'est un manque de tact et de dévouement, elle qui est soi-disant si attachée à la femme d'Adrien, qui a servi tant d'années chez cette mademoiselle Valérie d'Aublc, eh bien elle aurait pu faire preuve d'un peu plus de bonté. D'ailleurs, je me demande si sa sœur est si malade que ça. Les gens des basses classes c'est tellement douillet, ça ne sait pas supporter la souffrance. Des bronchites j'en ai eu, moi, et je n'ai pas fait tant d'esclandre.

— Sauf que évidemment sa sœur c'est une double pneumonie.

— Bronchite et pneumonie, c'est du pareil au même. Enfin n'en parlons plus, ce manque de conscience ça me dépasse.

Oui vraiment, parlons d'autre chose. Pour en revenir à la fameuse lettre de ce monsieur Solal, au fond elle n'était pas si aimable que ça, plus j'y pense. D'abord, elle est adressée à elle, il me semble que ça aurait été naturel qu'il m'écrive à moi, enfin, passons, mais à part ça, elle a un genre qui ne me plaît pas. Ce commencement, tu te rappelles? Excuses, simplement, sans même sincères, comme ça se fait. Et puis «les faire agréer autour de vous», c'est une allusion à moi et à toi. Il aurait bien pu me mentionner nommément puisque je lui ai parlé au téléphone. Et puis il parle d'un malaise subit, sans aucune précision. C'est cavalier, je trouve, qu'est-ce que tu en dis?

— Le fait est, dit M. Deumc.

— Et note bien que pour regrets, il ne s'est même pas donné la peine de mettre vifs.

— Ça sûrement, dit M. Deume.

—Et puis il finit par des hommages, sans mettre respectueux. Évidemment, c'est une jeune femme, mais quand même. Et puis cette façon de les inviter à dîner, à son hôtel en leur fixant une date, vendredi 318

huit juin, à huit heures, donc après-demain. À prendre ou à laisser, en somme. Qu'est-ce que tu en dis?

— Z'en dis qu'il est haut placé et que forcément.

— Je le sais bien, soupira-t-elle. Mais que veux-tu, l'éducation, c'est l'éducation. Et cette façon de ne pas nous inviter, nous, tu trouves ça normal, toi?

— Il ne sait peut-être pas que nous habitons avec Didi.

— Il le sait parfaitement ! Puisque je me suis présentée au téléphone ce soir-là, et j'ai même dit que mon mari et.moi, enfin quelque chose dans ce genre. Note bien que ça m'est égal, d'abord parce que j'ai l'habitude de me sacrifier, et ensuite parce que de toute façon nous serons partis après-demain, et puis moi, la cuisine d'hôtel, merci bien, mais c'est le procédé. Enfin, il s'est excusé, les apparences sont sauves.

— Et puis c'est lui qui a fait avancer Didi.

— U lui a rendu justice, un point c'est tout. (Pour ponctuer cette affirmation, elle se remit voracement à son tricot. Le rang terminé, elle se gratta l'intérieur de l'oreille avec l'aiguille libre.) Quant à la femme de Didi, c'était un feu de paille, et rien d'autre !

Ses belles résolutions, disparues, envolées ! Soi-disant faire des courses pour lui, repasser ses pantalons, et ainsi de suite, il n'en est plus question ! Hier, elle a passé tout l'après-midi à prendre un bain de soleil au jardin, au su et au vu des gens qui passaient sur le chemin ! Ça nous fera une jolie réputation chez les voisins ! Et j'ai constaté que le « Veille et Prie » que je lui ai donné, pas une page de coupée ! C'était bien la peine de lui céder ma chambrette d'en bas pour que madame s'en fasse son salon ! Son salon particulier, ma chère ! Et pour ça, pas de paresse, oh elle a su se dépêcher et l'installer en vitesse, son salon, avec toutes les vieilleries de sa tante que je ne les voudrais pour rien au monde! Un tapis tout usé! Elle a même fait descendre son piano! Et descendre aux frais de Didi, 319

bien entendu ! Et puis ne répondant pas quand je lui demande en souriant gentiment comment elle va au point de vue spirituel ! Une mijaurée insolente ! Eh bien, tu ne dis rien?

La sonnerie du téléphone retentit au rez-de-chaussée. Ravi de la diversion, il se précipita. Lorsqu'il revint, essoufflé d'avoir gravi les marches trois à trois, il annonça que c'était Mme Ventradour. Elle s'empressa.

La porte refermée, il se laissa choir sur un fauteuil.

Providentiel, ce téléphone. S'il durait un peu longtemps, ça lui changerait les idées et peut-être qu'elle ne lui reparlerait pas d'Ariane. En dire du mal pour faire plaisir à Antoinette, non, il ne pouvait pas! Ariane si gentille avec lui hier, quand elle était rentrée juste après le départ du monsieur anglais, qui avait pris si bravement les choses en main, vite cacher les boîtes de conserve vides, vite mettre tout en ordre à la cuisine, vite aller en ville en taxi pour acheter les mêmes conserves, les mêmes bouteilles de bordeaux ! Et puis lui donnant le bon conseil de dire qu'on avait apporté cette lettre et rien de plus.

Heureusement qu'Antoinette était rentrée tard de chez la Gantet. Qu'est-ce qu'il aurait pris si elle les avait surpris, le monsieur anglais et lui, avec bordeaux et cassoulet, et puis chantant ! Gentil, ce monsieur, ils avaient passé un bon moment ensemble, et puis ils s'étaient embrassés avant de se quitter. En somme, il n'avait jamais eu un vrai ami dans sa vie.

Il aimerait bien le revoir, sauf que c'était un milord, trop haut placé pour lui. Eh bien, ce serait quand même un beau souvenir, ce goûter. Il se moucha, regarda son mouchoir, le plia, se força à penser à autre chose. Oui, acheter un tournevis aimanté, ça serait bien pratique. Qu'est-ce qu'elle pouvait bien raconter à la Ventradour? Il ouvrit doucement la porte, se pencha sur la rampe, écouta.

320

— Quel dommage, chère, que vous ayez manqué la causerie de Jeanne Gantet, c'est une personne tellement intellectuelle, toujours la repartie brillante. Elle nous a donc parlé des rapports entre la science et la religion, toutes sortes de choses auxquelles on ne pense pas, par exemple le téléphone qui nous permet de demander un soutien spirituel à une amie plus développée religieusement en cas de crise morale desséchante, et puis les chemins de fer qui permettent les congrès religieux, et puis la radio avec ses émissions réconfortantes! Nous étions toutes sous le charme. Quelle réponse aux incroyants qui prétendent qu'il n'y a pas de rapports entre la science et la religion ! Enfin, je suis contente que tout aille bien pour vous. Eh bien nous, chère, nous avons eu bien des aventures ces jours derniers. Tout nous est tombé dessus! D'abord, l'évier de la cuisine bouché, il n'y a rien eu à faire avec les ingrédients chimiques, il a fallu faire venir le plombier. Et puis notre Martha qui est partie avant-hier.

Pardon? Non, non, je ne l'ai pas renvoyée, elle nous a quittés de sa propre volonté. C'est-à-dire que sa colonne vertébrale lui faisait mal depuis qu'elle était tombée en voulant accrocher un tableau, vous savez comment sont ces filles, toujours à avoir de ces idées, oui donc en voulant accrocher un grand tableau, l'autre soir, lorsque nous attendions à souper, enfin à dîner, monsieur le sous-secrétaire général de la Société des Nations, un grand ami de mon Adrien. La pauvre chère n'a fait que se traîner depuis et forcément son rendement s'en est ressenti.

Alors, prise de compassion, je lui ai conseillé d'aller se reposer dans sa famille, se retremper dans son bercail.

D'ailleurs, dès le début, je lui avais dit que je ne l'engageais que provisoirement en attendant le retour de notre Mariette. Oh, ce n'est pas une grande perte. Outre que cette pauvre enfant était bien maladroite dans son travail, et pourtant toute la peine que je me

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suis donnée pour la former, elle n'avait aucune éducation, je ne suis pas arrivée à la styler. Par exemple, toujours cette manie de frapper avant d'entrer au salon. Que de fois je lui ai charitablement fait remarquer que c'est seulement pour les chambres à coucher qu'une personne bien élevée frappe avant d'entrer. Et puis un manque de tact ! Imaginez-vous qu'un jour je la trouve tout en larmes et naturellement je l'interroge en lui prenant les mains pour la mettre en confiance, imaginez-vous qu'elle a eu le front de me dire qu'elle s'ennuyait de ses vaches !

Oh, je lui ai pardonné de bon cœur, vu que je n'oublie pas qu'elle sort d'un miyeu simple. Enfin, j'espère que les entretiens sérieux que j'ai eus avec elle lui seront en bénédiction, cette pauvre petite était si peu développée religieusement. En tout cas, j'ai fait de mon mieux pour l'élever spirituellement, surtout par la prière en commun, oui. Nous aurons quelqu'un à partir de demain, une personne qui n'a pas l'air fameuse et qui ne pourra rester que le matin, étant déjà prise l'après-midi. Avec cette difficulté de trouver du personnel, il faut être reconnaissant de ce que Dieu nous envoie comme domesticité, même si ce n'est pas de premier ordre. Naturellement, dès que cette pauvre Martha a décidé d'aller se retremper dans son miyeu, j'ai tout de suite télégraphié avec réponse payée à notre Mariette qui est donc à Paris et qui devait donc reprendre son service chez nous en tout cas le premier juillet, en lui demandant de reprendre dès à présent, vu les événements. Nous avons reçu un télégramme disant qu'elle ne peut pas vu que sa sœur qui est concierge fait une double pneumonie et qu'elle ne pourra pas venir avant début juillet. Ces domestiques n'en font pas d'autres. Enfin, nous sommes à leur merci. Mais, chère, je parle, je parle et je ne vous ai pas encore dit le grand événement ! Imaginez-vous que nous partons pour Bruxelles après-demain, mes parents van Offel, du château van 322

Offel, me réclamant d'urgence! Mais oui, hier au courrier de midi, voilà que je reçois une missive de chère Élise van Offel, donc la junior, m'appelant littéralement au secours ! Sa belle-mère a eu une attaque, elle a tout un côté paralysé, ils l'ont prise chez eux, vu son état. Mais Wilhelmine van Offel senior, donc la chère malade, ne s'entend avec aucune infirmière et me réclame à cor et à cri, vu que je l'ai déjà soignée dans le temps.

Moi naturellement, n'écoutant que mon cœur, j'étais prête à partir hier déjà illico, bien entendu avec Hippolyte qui ne peut pas se passer de moi, mais pas de places de wagon-lit avant après-demain. Pour un voyage de nuit, je prends toujours un wagon-lit, c'est un principe dans la famille. Nous avons donc retenu deux places pour le train de vendredi soir dix-neuf francs quarante-cinq, pardon dix-neuf heures quarante-cinq qui nous amènera à Bruxelles, Dieu voulant et sauf imprévu toujours à redouter, samedi matin huit heures cinquante. Nous resterons peut-être trois mois, peut-être moins, tout dépendra de l'évolution de la maladie, la chère malade devant en tout cas d'après le docteur s'envoler fin août au plus tard. Enfin, tout reste dans l'incertain, entre les mains de Celui pour qui tout est certain. De toute façon, je ne peux pas laisser dans l'embarras chère Élise qui était donc une demoiselle van der Meulen, les gros raffineurs. Oh oui, il y aura quand même une infirmière, moi étant là surtout pour le réconfort spirituel, et puis diriger l'infirmière. J'en profiterai pour mettre à jour tous mes tricotages et surtout les chaussettes pour mon mari qui les use, c'est terrible, je ne sais pas comment il s'arrange. Pardon? Non, moi, après le talon, je tricote les pieds en deux parties jusqu'aux diminutions, je fais deux bandes de la longueur désirée, parce que vous comprenez, le dessus du pied étant rarement usé, je n'ai qu'à refaire la bande de dessous et les diminutions 323

lorsque la semelle est à remplacer, ça économise du temps et de la laine. Mais dites-moi, chère, j'y pense tout à coup, j'aimerais tellement vous voir avant notre caviar, pardon la langue m'a fourché, je voulais dire avant notre départ. Est-ce que vous nous feriez le plaisir de venir déjeuner demain jeudi ? Ça ne va pas jeudi ? Alors au moins vendredi, jour de notre départ ? Vous êtes prise à midi? Eh bien tant pis, venez pour le souper. Ah bon, je suis bien contente ! Mais écoutez, chère, venez de bonne heure pour qu'on ait un peu de temps pour un bon échange, vu que notre train part à dix-neuf heures quarante-cinq, donc huit heures moins le quart. Venez à quatre heures, voulez-vous? On se mettra à table à cinq heures et demie tapantes, ce sera un goûter-souper, à la fortune du pot, vu nos circonstances. Donc à vendredi, chère, je me réjouis beaucoup, et merci encore pour la bonne idée de la taie d'oreiller pour les choses qui craignent, je l'ai déjà mise à exécution, c'est merveilleux comme protection !

Voilà, alors je vous dis les bons messages d'Hippolyte qui me fait signe de vous les dire. Je vous aurais dit aussi ceux de mon Adrien s'il avait été là, mais la vérité avant tout, n'est-ce pas, chère? Enfin, disons que s'il avait été là il m'aurait sûrement demandé de vous dire ses meilleurs messages. Alors voilà, je vous laisse, chère, donc à après-demain quatre heures, je me réjouis, et en attendant, chère, un sourire bien lumineux.

De retour dans la chambre, Mme Deume s'assit sur le fauteuil Voltaire, reprit son tricot, le posa presque aussitôt et regarda bleu clair son mari qui frémit et se composa un visage innocent.

— Tu as remarqué l'air que Didi avait ce matin? Oh, il a bien essayé de me le cacher mais on ne trompe pas un cœur de mère ! Cet air, je sais bien pourquoi, va ! C'est parce que hier, elle n'a pas voulu

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aller avec lui à la grande réception de ce monsieur Benedetti !

Ah, c'est du joli, cette personne ! (Elle croqua un craquelin avec un sinistre craquement d'effrayant attachement à ellemême.) Je te garantis que tout à l'heure, à table, si madame daigne descendre, je te garantis que quand je lui dirai que nous aurons Emmeline Ventradour après-demain pour un goûter-souper, elle ne dira pas un mot, pour montrer que ça n'intéresse pas madame la princesse! (Pépiements dentaires pour extraire des bribes de craquelin.) En tout cas, la campagne Ventradour je te prie de croire que c'est quand même autre chose point de vue dimension que la petite campagne de sa tante, qui nous a filé sous le nez d'ailleurs, vu que c'est l'oncle qui en a hérité pour en priver mon pauvre Didi ! Et elle a eu le front de me dire qu'elle trouvait ça juste ! Enfin, je dois l'aimer et je prierai pour elle !

Belle Du Seigneur
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