XXVI

En ce même après-midi, Benedetti, directeur de la section d'information au Secrétariat de la Société des Nations, réunissait à son cocktail mensuel une cinquantaine de chers amis. Des quelques idées que contenait la petite cervelle de Benedetti, la mieux ancrée était que dans la vie il importait avant tout d'avoir beaucoup de relations, de rendre toutes les invitations et de ne pas se faire d'ennemis. D'où les cocktails mensuels dans son immense salon. Immense, oui, mais une affreuse petite chambre à coucher donnant sur une courette noire. Avant tout, paraître.

Verres givrés en main et y contemplant les glaçons flottants, les invités importants étaient, selon leur tempérament, furieux ou mélancoliques lorsqu'ils étaient abordés ou happés au passage par un invité moins important et en conséquence inutile à leur ascension mondaine ou professionnelle. Le regard vague et l'esprit absorbé par des méditations stratégiques, feignant d'écouter le raseur qui, tout ravi de sa capture, faisait le charmant et le sympathique, ils n'en supportaient l'improductive compagnie que provisoirement et en attendant mieux, c'est-à-

dire la fructueuse prise de quelque supérieur. Ils la supportaient soit parce qu'elle leur procurait un plaisir pas-302

sager de puissance et d'affable mépris, soit parce qu'elle leur donnait une contenance et les préservait de la solitude, plus redoutable encore que d'être vu en conversation avec un inférieur, ne connaître personne étant le plus grand des péchés sociaux. D'ailleurs, causer avec un moindre ne discréditait pas si l'on savait prendre un air protecteur et suffisamment distrait, le bout d'entretien étant alors attribué à la bienveillance. Mais encore fallait-il n'en pas abuser, le terminer rapidement et se réhabiliter sans retard par une conversation avec un supérieur.

C'est pourquoi les importants, tout en marmonnant de vagues

«oui oui, certainement», avaient des yeux inquiets et mobiles, surveillaient la bourdonnante cohue et, sans en avoir trop l'air, la balayaient d'un regard circulaire et périodique, phare tournant, dans l'espoir du poisson de choix, un surimportant à harponner dès que possible.

Sous les rires, les sourires et les plaisanteries cordiales, un sérieux profond régnait, tout d'inquiétude et d'attention, chaque invité veillant au grain de ses intérêts mondains. Remuant le glaçon de son verre ou se forçant à sourire, mais triste en réalité et dégoûté par l'inévitable inférieur qui lui cassait les pieds, chaque important se tenait prêt à s'approcher tendrement d'un surimportant enfin repéré, mais hélas déjà pris en main par un raseur, rival haï, surveillait sa proie future tout en feignant d'écouter le négligeable, se tenait sur le qui-vive, les yeux calculateurs et distraits, prêt à lâcher le bas de caste après un hâtif « à bientôt j'espère» (ne pas se faire d'ennemis, même chétifs) et à s'élancer, chasseur expert et prompt à saisir l'occasion, vers le surimportant, bientôt libre, il le sentait soudain. Aussi, ne le lâchait-il plus des yeux et tenait-il prêt un sourire. Mais le surimportant, pas bête, avait flairé le danger.

S'étant brusquement

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débarrassé de son actuel raseur et faisant mine de n'avoir pas vu le regard et le sourire de l'humble important, regard d'aimante convoitise et sourire de vassalité à peine esquissé mais tout prêt à s'élargir, le surimportant, feignant donc la distraction, s'esbignait en douce et disparaissait dans la foule buvante et mastiquante, tandis que le pauvre important, déçu mais non découragé, triste mais tenace et ferme en son propos, s'apprêtait, débarrassé de son casse-pieds personnel, à forcer et traquer une nouvelle proie.

Cependant, ayant échappé au danger de dévalorisation sociale, le surimportant s'approchait adroitement d'un encore plus important, un sursurimportant, hélas entouré d'une cour approbatrice. Les yeux déjà humides d'obéissance, le visage déjà passionnément modeste et tendre, il se disposait à son tour à harponner dès que possible mais dignement, non par fierté d'âme mais parce qu'il est préjudiciable de se déprécier. Il attendait l'occasion de capture, le moment où le sursurimportant se serait enfin débarrassé du cercle des adorateurs épanouis, et il détestait ces concurrents qui s'éternisaient, réchauffés par le soleil de puissance. Doux et patient comme le phoque devant le trou creusé dans la glace et où va peut-être apparaître le poisson, il attendait et préparait en sa sociale caboche un sujet de conversation vif et amusant, susceptible d'intéresser le sursurimportant et de lui en valoir la sympathie. De temps à autre, il fixait ses yeux sur les yeux du convoité dans l'espoir que celui-ci le reconnaîtrait enfin, lui sourirait de loin, ce qui lui permettrait de s'approcher tout naturellement et de se joindre, à son tour fémininement jouissant, au cercle des autres vassaux.

Mais les supérieurs reconnaissent rarement les inférieurs.

Comme tous les inférieurs, futurs cadavres appliqués à réussir, sentaient confusément l'ennui bien-304

veillant (« Ah ? très intéressant, bravo, je vous félicite.») ou distrait («Peut-être, oui, en effet, c'est une idée à creuser. ») ou haineux («Je ne sais pas, je n'ai pas eu le temps.») des supérieurs qu'ils tâchaient de séduire et comme, d'autre part, ces supérieurs n'arrivaient pas toujours à lier conversation avec des sursupérieurs, soit parce que ceux-ci étaient déjà accaparés par d'autres futurs cadavres également appliqués à être trouvés sympathiques par le sursupérieur qu'ils combinaient d'inviter à leur prochain cocktail, soit encore par écœurante disette de personnalités vraiment importantes («Décidément, disaient alors certains des invités, de retour chez eux, décidément, chérie, c'était lamentable chez Benedetti, personne d'intéressant, rien que des embêteurs, il faudra songer à couper les ponts.») une mélancolie secrète mais profonde régnait dans cette volière striée de rires et d'aimables bavardages. Les lèvres étaient gaies, mais les yeux étaient soucieux et chercheurs.

La tristesse n'était cependant pas universelle car il y avait des égaux qui, s'étant flairés égaux, trouvaient profit à converser, profit mineur évidemment, et qui ne valait pas celui qu'eût procuré un entretien avec un supérieur, mais que faire?

Antennes en action, les deux présumés égaux échangeaient, sans en avoir l'air et comme en passant, des noms de relations importantes pour s'informer réciproquement de leur position dans le monde, de leur standing, comme ils disent. Si le résultat était satisfaisant, le moins égal des deux invitait l'autre ou essayait de l'inviter pour augmenter son capital de connaissances, mais aussi et surtout, car les sociaux sont insatiables, pour être invité à son tour chez l'interlocuteur et y connaître ainsi d'autres égaux ou, mieux encore, des supérieurs qu'il inviterait ou essayerait d'inviter dans le même but que ci-dessus et ainsi de suite.

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Aucun de ces mammifères habillés et à pouce opposable n'était à la recherche d'intelligence ou de tendresse. Tous étaient en ardente quête d'importances mesurées au nombre et à la qualité des relations. C'est ainsi qu'un Juif converti et homosexuel (qui connaissait les parentés, les alliances et les maladies de tout ce qui comptait dans la haute société européenne, où il avait pu enfin entrer après vingt ans de stratégies, de flatteries et de couleuvres avalées) enregistrait avec ravissement que son interlocuteur était reçu chez une reine en exil «si adorable et si musicienne». Ayant situé sa nouvelle connaissance et l'estimant profitable et en conséquence invitable, il l'invita. C'est à ces misères que passent leur temps ces malheureux qui vont si vite crever et pourrir, sous terre puants.

En cette volière, le sexuel primait parfois, atténuant ou supprimant le social. C'est ainsi que dans un coin discret un ambassadeur chauve (qui avait été pendant quarante ans le valet flatteur de ses supérieurs afin de progressivement monter et arriver, décati et bourré de colibacilles, à de l'importance) parlait avec empressement à une jeune interprète, idiote en quatre langues, pourvue de mamelles non encore tombantes et exposant ses grotesques fesses par le moyen d'une jupe exigée étroite, et c'était son but de vie à cette mignonne qui riait, charmée de sa provisoire puissance. Car l'action du sexuel est passagère tandis que souveraine et durable celle du social.

Avide de relations et de personnalités, une journaliste grecque faisait la spirituelle et la dégourdie, disait bonjour cousine à une princesse russe pour faire intime, puis criait au correspondant du Times bonjour grand homme, j'ai adoré votre papier d'hier, puis allait rôder autour de deux ministres qui se prenaient

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au sérieux. L'ambassadeur chauve, ayant obtenu un rendez-vous de la porteuse de grosses fesses, écoutait gravement le porcelet Croci, un petit ministre plénipotentiaire. Haïssant cet effronté qui se laissait donner indûment de rExccllencc, il feignait la distraction pour le forcer à répéter sa question.

L'ayant ainsi humilié, il répondait avec une politesse exagérée ou encore, en guise de réponse, posait une question sur un tout autre sujet. Près d'eux, sans cesser de sourire, une vache rousse et molle engueulait tout bas son mari, un long singe voûté, crépu et angoissé, lui reprochant de n'avoir pas osé aborder un haut-commissaire maintenant accaparé par Mrs Crawford, une milliardaire américaine qui en quelques mois avait su attirer dans son salon les grands noms de la politique internationale par le moyen d'une cuisine raffinée, car il n'y a qu'à leur donner de bonnes choses à manger, et les importants accourent. La comtesse Groning montrait des dents aimables, tendait une main précise, décochait un guttural bonjour et, friande de secrets, demandait à Benedetti charmé s'il était vrai que le délégué anglais avait frappé du poing sur la table, à la séance privée du Conseil. La réponse ayant été affirmative, elle fermait les yeux de jouissance politique, dégustait le tuyau. Une grosse Libanaise acheteuse d'un mari idiot mais baron de Moustier — et présidente d'une société littéraire qu'elle avait fondée pour augmenter ses relations élégantes —

racontait avec ferveur la conférence d'un duc académicien qu'elle était allée entendre afin de l'aborder à la fin de la conférence et de pouvoir désormais dire qu'elle connaissait ce cher duc si simple, si amical, et de le dire en passant, comme de juste. Ému de causer avec l'impassible Guastalla, un incapable marquis et protégé dont on ne savait que faire et qu'on avait en conséquence nommé conseiller spécial du secrétaire général, Petresco se hâtait de parler des vacances qu'il passe-307

rait peut-être chez les Tirulesco, dans leur propriété de Sinaia, mais il y faisait si chaud en été qu'il n'avait pas encore décidé malgré l'invitation réitérée du ministre, ce qui amenait un sourire amical sur les lèvres de son interlocuteur. Sur quoi, saisissant l'occasion d'être originale, battant des mains pour faire enfant gâtée et gamine primcsautière, Mme Petresco s'écriait qu'elle voulait aller chez son cher Titu et pas ailleurs, et tant pis s'il faisait chaud à Sinaia, chez son cher Titu et pas ailleurs, chez son flirt Titu et pas ailleurs, voilà ! et continuait à battre mutinement des mains et à glapir son Titu afin de charmer le considérable Guastalla. Abandonnés par un ministre des mutilés qui devait sa carrière politique à sa jambe de bois, deux époux s'entre-haïssant mais associés d'ascension s'apprêtaient à arraisonner de conserve l'ambassadeur d'un petit État nouvellement créé, ancien journaliste pelliculeux, qui se regardait dans une glace et n'en croyait pas ses yeux. Chargée de dix lourdes bagues, une vieille poétesse anglaise méprisait, solitaire, et rajustait son consolateur chapeau médiéval à long voile noir, genre reine mère empoisonneuse et Catherine de Médicis. Apercevant Solal, le ministre Croci s'élança, se déclarant si heureux de bavarder avec ce cher ami. En réalité, il était venu dans l'espoir de pêcher quelque éphémère secret politique pour le communiquer à Rome et s'attirer du mérite.

Se faire valoir, décrocher une ambassade, monter sur l'échelle dont tous dégringolent, précipités dans le trou creusé en terre.

Pour s'en débarrasser, Solal inventa un tuyau confidentiel que le petit porc enregistra avidement, pomme d'Adam tumultueuse.

Après des gracieusetés, il s'en fut, fou de joie, accompagné par un cancer insoupçonné. L'ascenseur tardant à monter, il dévala l'escalier, impatient de communiquer l'important dessous des cartes à son ministre. Il tenait son ambassade ! Vite chiffrer lui-même le télé-

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gramme, avec la mention Très Secret pour Son Excellence seulement ! Ou plutôt non, prendre plutôt l'avion pour Rome ! Bon prétexte pour un contact personnel avec le grand patron ! Ayant enfin capturé l'ambassadeur chauve, la baronne de Moustier lui citait, de sa voix vibrante de nombreux polypes nasaux, une pensée de ce cher duc si simple, si amical, à savoir qu'il était aussi important d'être un bon jardinier qu'un bon duc et pair.

Comme c'était beau et comme c'était vrai ! salivait-elle en souriant de toute âme à l'Excellence qui, pas dupe de cette intrigante, la lâchait sans autre pour s'approcher timidement de Lord Galloway auquel, après des regards prudents en tous sens, la déléguée roumaine confiait tenir de source sûre qu'au Conseil d'après-demain le délégué italien ne parlerait pas de revendications nationales, comme l'année dernière, mais simplement d'aspirations nationales, nuance d'importance capitale et présageant un tournant de la politique fasciste, affirmait-elle, bajoues majestueuses et péremptoires, sa petite main en canti-nière contre sa hanche colossale. L'entendant, un journaliste aux écoutes tressaillait et bondissait téléphoner ce scoop formidable, cognant en sa hâte un vieux professeur à l'Université de Zurich qui guettait, en vue d'un ruban rouge avant de mourir, l'attaché culturel français auquel, afin de marquer sa distinction sociale, Mme Petresco disait comment allez-vous?

sans prononcer la consonne de liaison, tout comme Lady Cheyne. Contre qui s'est-il marié? demandait, pour être amusante et parisienne, la journaliste grecque à la baronne de Moustier, qui faisait une tête morose et, sans plus s'occuper de cette petite intrigante qui n'était rien ni personne, ne quittait pas des yeux l'inaccessible Lady Cheyne à qui la comtesse Groning parlait avec enthousiasme de Lord Bal-four. Quel être merveilleux, ce cher Arthur, et quel grand homme vraiment, elle avait passé une semaine

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exquise chez lui en Ecosse. Oui, elle dînait avec lui et Anna de Noailles ce soir, un génie, cette chère Anna, et quelle adorable amie !

Quatre invités, conscients de leur insignifiance, n'osaient même pas essayer de se faire des relations. Intouchables, ils restaient entre eux et parlaient à voix basse. Us se savaient parias ajamáis, mais se gardaient de se l'avouer et formaient un petit groupe persifleur et désabusé. Pour se sentir moralement supérieurs, ils commentaient ironiquement, dans leur coin de désastre, les invités brillants qu'ils enviaient. Ces tristes lépreux, cyniques malgré eux, petite tribu solidaire dans un coin près d'une fenêtre, qui faisaient les gais et se bourraient de sandwiches, étaient d'obscurs subordonnés de Bene-detti : la secrétaire eczémateuse de la section d'information, l'archiviste portugais, le commis belge et une dactylp, sorte d'obèse petit rat musqué. Benedetti les avait invités parce qu'un autre de ses principes était qu'un chef doit soigner sa popularité et être aimé de ses collaborateurs, même infimes. Il n'invitait d'ailleurs les quatre déshérités qu'une fois par an et ne doutait pas qu'ils sauraient se tenir à leur place, près de la fenêtre.

Pour se consoler, la secrétaire à eczéma parlait une fois de plus de son père qui avait été consul quelque part au Japon et qui, en cette qualité, avait eu l'honneur d'héberger un académicien nommé Farrère dont, en conséquence, elle avait fait relier les œuvres complètes. Deux ou trois fois par semaine, elle sortait son consul de père et son académicien de Farrère. Chacun de nous a ainsi sa petite monture sociale qu'il chevauche dès qu'il peut, sa petite couronne rédemptrice qu'il sort le plus vite possible.

Le plus malheureux des invites était Jacob Finkel-stein, docteur en sciences sociales, un petit famélique,

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correspondant peu rémunéré d'une agence de presse juive.

Benedetti l'invitait aussi une fois par an pour ne pas se mettre à dos les sionistes dont, comme tout antisémite, il s'exagérait morbidement l'influence aux États-Unis. À chaque cocktail, Benedetti invitait ainsi un impossible qu'on ne revoyait qu'un an plus tard. De cette manière dilués, les impossibles ne nuisaient pas à ce que Benedetti, qui se piquait de littérature, appelait le climat de son cocktail.

Nul invité ne parlait à Finkelstein, zéro social qui ne pouvait être utile à personne et, plus grave encore, qui ne pouvait nuire à personne. Pas dangereux, donc pas intéressant, pas à ménager, pas à aimer ou à feindre d'aimer. Les quatre parias de la fenêtre tenaient eux-mêmes à distance ce bas de caste dégradant.

Ignoré de tous et dépourvu de congénères, le pauvre lépreux faisait alors le pressé pour se donner une contenance, sa participation au cocktail consistant à fendre bravement, à intervalles réguliers, la jacassante cohue. La tête baissée, comme alourdie par son nez, il traversait en hâte et d'un bout à l'autre l'immense salon, heurtant parfois des invités et sans nul résultat s'excusant. Faisant ainsi de foudroyantes diagonales, il camouflait son isolement en feignant d'avoir à rejoindre d'urgence une connaissance qui l'attendait là-bas, à l'autre extrémité. Son manège ne trompait d'ailleurs personne. Lorsque Benedetti le rencontrait et s'il ne pouvait feindre de ne pas le voir, il le tenait à distance par un gai «ça va?» prophylactique et l'abandonnait aussitôt à ses trottes affairées. Alors, une fois de plus, le docteur en sciences sociales et rapide Juif errant se mettait en marche, reprenait en terre d'exil un de ses inutiles voyages et se dirigeait avec la même hâte vers le buffet où l'attendait un sandwich consolateur, son seul contact social et son seul droit en ce cocktail. Pendant deux heures, de six

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heures à huit heures, le malheureux Finkelstein s'imposait ainsi une marche de plusieurs kilomètres, qu'il se défendait d'avouer à sa femme, en rentrant chez lui. Il aimait sa Rachel et gardait pour lui ses tristesses. Pourquoi ces infatigables traversées et pourquoi rester si longtemps parmi les méchants? Parce qu'il tenait à son droit au cocktail annuel, parce qu'il ne voulait pas être vaincu, et aussi parce qu'il attendait un miracle, une conversation avec un frère humain. Cher Finkelstein, inoffensif et si prêt à aimer, Juif de mon cœur, je t'espère en Israël maintenant, parmi les tiens, parmi les nôtres, désirable enfin.

À sept heures et demie, Sir John Cheyne, secrétaire général de la Société des Nations, fit une apparition légèrement éméchée. Ballerine soudain, Benedetti se précipita, le visage illuminé d'amour. Cet amour n'était pas simulé, Benedetti étant social au point de sincèrement admirer et aimer tout puissant susceptible de lui être utile. On n'exprime efficacement, et par conséquent avec le maximum de profit, que les sentiments sincères. De plus, on a la conscience en paix. Trop salaud pour être malhonnête, Benedetti était persuadé, même seul devant sa glace, d'aimer le secrétaire général et de le trouver grand homme. Il avait tout aussi sincèrement aimé et vénéré le précédent secrétaire général.

Mais lorsque ce dernier démissionna, il l'oublia à l'instant, trop plein qu'il était de son enthousiasme pour Sir John dont la photographie remplaça aussitôt dans son bureau celle du prédécesseur.

Sir John devisait maintenant avec Benedetti et le tenait familièrement par le bras. Cet attouchement du grand homme remplissait le subordonné d'une reconnaissance éperdue.

Comme Adrien Deume, quelques semaines auparavant, il allait, vierge bouleversée, au bras du supérieur adoré, troublé par tant de bonté et

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de simplicité, fier et pudique, sanctifié par le bras magistral, levant parfois ses yeux vers le chef, des yeux religieux. Car sous son amour intéressé pour le grand patron, il y avait un autre amour, un amour horrible, un amour vrai et désintéressé, l'abject amour de la puissance, l'adoration femelle de la force, une vénération animale. Assez, assez de cette bande, je les ai assez vus.

Belle Du Seigneur
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