Premier accroc Le premier électeur venu vous le
dirait : annoncer la simple éventualité d’un nouvel impôt à
quelques jours d’un scrutin décisif est plus qu’étrange, dangereux,
voire suicidaire ! C’est pourtant ce que va faire le gouvernement
dirigé par François Fillon, dont la nomination coïncide avec le
lancement de la campagne des législatives.
A priori, la
victoire des partisans de Nicolas Sarkozy ne fait aucun doute. Il
en est ainsi depuis la naissance de la Ve République : les électeurs confirment toujours
leur vote de la présidentielle, le renforcent même parfois.
Les résultats du premier tour confirment cette
règle non écrite : sept ministres sont aussitôt élus ou réélus. Le
Parti socialiste fait pâle figure. Les premières « projections » de
l’institut CSA ne lui accordent pour le deuxième tour que 90
députés au maximum, alliés compris. Contre 440 pour l’UMP, où la
perspective d’une telle marée d’équinoxe fait rêver candidats et
militants.
Nicolas Sarkozy, qui d’ordinaire ne lâche jamais
le pied lors d’une campagne, n’entend pas intervenir entre les deux
tours. Il a simplement demandé aux Français, lors d’un unique déplacement au Havre, de lui donner
une majorité à la mesure de ses ambitions de réforme. Tout en
clamant : « La France, ce n’est pas la droite, la France, ce n’est
pas la gauche, la France c’est tous les Français, disait le général
de Gaulle. » Il laisse donc François Fillon et ses ministres
achever le travail.
Mais voilà que se produit, dès le soir du
premier scrutin, un incident de parcours. Que l’on n’attendait pas,
bien sûr, et dont on ne mesure pas aussitôt les conséquences.
Comme d’ordinaire, ce dimanche-là, se
poursuivent sur les plateaux de télévision les rituelles et souvent
ennuyeuses séances de commentaires et de débats. Sur TF1, Laurent
Fabius, qui n’a rien à dire pour sauver la face d’un Parti
socialiste exsangue, titille Jean-Louis Borloo, pour l’heure
ministre de l’Economie et des Finances. « Où le nouveau pouvoir
va-t-il dénicher les milliards d’euros nécessaires au financement
de son programme, sans compter le remboursement de la dette ? »,
lui demande-t-il. Réponse du ministre : « On va regarder l’ensemble
des sujets, y compris l’éventualité de la TVA sociale. »
Ravi, Fabius saute sur l’occasion : « La TVA est
un impôt sur la consommation, donc forcément impopulaire. D’autant
que l’on s’apprête à accorder des allègements fiscaux aux plus
aisés. »
Un boulevard s’ouvre donc à la gauche, qui n’en
attendait pas tant. François Hollande et Ségolène Royal s’y
engouffrent dès le lendemain. Sur l’air de « la TVA antisociale ».
Henri Emmanuelli, toujours prêt à bondir, dresse, virulent, un
parallèle entre cette éventuelle augmentation de TVA et ce que l’on
commence à appeler le bouclier fiscal. « Nicolas Sarkozy,
tonne-t-il, gouverne pour les riches. » Un refrain qu’il fredonnera
pendant cinq ans.
A Matignon on crie « au feu ».
De quoi
s’agit-il ? L’idée est simple : la protection sociale, cette grande
fierté française, est financée par des cotisations payées à la fois
par l’employeur et le salarié. Baisser ces cotisations allégerait
les charges du premier, concurrencé par des pays où le coût du
travail est faible, et augmenterait le pouvoir d’achat du second.
Mais comment dès lors financer le maintien de la protection ? Par
l’impôt ! En l’occurrence la TVA. « Nous n’avons pas le droit, dit
le Premier ministre, d’ignorer une idée qui pourrait sauver ou
créer des centaines de milliers d’emplois en France. » Il ajoute,
quand même prudent, qu’elle ne serait pas retenue s’il était
démontré qu’elle entraînerait « une augmentation injuste des prix
».
Injuste ou juste, c’est le mot « augmentation »
qui frappe l’opinion.
Alors s’ouvre une de ces polémiques dont le
quinquennat de Nicolas Sarkozy semble avoir le secret. Le PS
maintient évidemment la pression. Personnellement plus dubitatif
que le Président, François Fillon se montre publiquement favorable
à une expérimentation. Interrogé le 12 juin par David Pujadas, sur
France 2, il tente de calmer le jeu : « Le taux de la TVA
n’augmentera pas pour financer les dépenses de l’Etat, assure-t-il.
Nous ne voulons pas que la TVA soit une sorte d’expédient pour
financer des dépenses qu’il faut au contraire réduire. Ce que nous
disons simplement, et nous ne sommes pas les premiers à le
dire54… C’est qu’il faut réfléchir à une façon de
lutter contre les délocalisations. La protection sociale va coûter de plus en plus cher… Si on
fait porter le coût de cette protection sociale sur le capital, le
capital se délocalise aussi. Donc il reste cette proposition :
transférer les cotisations sociales sur la TVA.
— Tout cela sans augmentation du taux ? demande
David Pujadas.
— Alors, si on transfère une partie des
cotisations sociales, on augmente le taux…
— De combien à peu près ?
— Ça dépend de l’effort que l’on veut faire sur
les cotisations sociales.
— Par exemple, cinq points ? L’ordre de grandeur
pourrait être celui-là ?
— Il pourrait être celui-là… C’est pour cela que
Nicolas Sarkozy m’a demandé d’engager une vraie concertation avec
les partenaires sociaux, je suis prêt à le faire avec l’opposition.
»
Et ainsi de suite…
L’erreur est évidemment d’avoir approuvé un tel
chiffre. Qu’a-t-il dit là ! Quelle bourde ! « François a
complètement dérapé » reconnaissent ses proches. Nicolas Sarkozy,
qui regarde la prestation de son Premier ministre, explose de rage.
Les socialistes ont trouvé leur nouveau slogan : « Votez contre la
TVA à 24,6. » Bien joué ! Les candidats UMP en campagne dans leurs
circonscriptions bombardent l’Elysée de messages alarmistes. Le
Président décide alors d’intervenir pour indiquer qu’aucune
décision ne serait prise avant la fin de l’été. Et pour affirmer
qu’il n’acceptera pas une
hausse de la TVA qui entamerait le pouvoir d’achat. Il le dit avec
autant plus de force qu’on vient de lui montrer un sondage (non
publié) : 60 % des Français se disent hostiles à une telle
mesure.
Puisque le projet, de l’aveu même du Président,
n’est pas officiellement abandonné, François Fillon demande à Eric
Besson d’étudier ses conséquences possibles et à Jean-Louis Borloo
d’en préciser l’affectation à la protection sociale. Qu’ils rendent
leurs rapports dans six semaines !
Le 17 juin, retour aux urnes pour le deuxième
tour. Pour 60 % des Français seulement. Le taux d’abstention,
premier chiffre connu, est en effet plutôt élevé, ce qui n’est pas
une bonne indication. Et bientôt la cascade des résultats confirme
la tendance. Curieux spectacle : sur les plateaux télévisés, la
majorité – qui garde certes la majorité – se montre embarrassée. Et
c’est la gauche qui jubile. Car elle obtient 227 sièges. Dont 184
pour le PS, soit 43 députés de plus que dans la législature
précédente. Et le double de ce que lui laissaient prévoir les
résultats du premier tour ! Sans doute a-t-elle bénéficié d’un
report de voix du MoDem. Car François Bayrou, qui avait d’abord
présenté des candidats partout55, enregistre un piteux
résultat : quatre élus en tout et pour tout.
C’est la polémique fiscale qui a corrigé
sévèrement les résultats de la majorité présidentielle : 346
sièges, soit une centaine de moins que prévu par les sondages et,
pour l’UMP, trente de moins que dans la précédente assemblée
!
Ce soir du
deuxième tour, Nicolas Sarkozy ne décolère pas. Il juge « mauvais
», sans exception, les ministres, y compris le premier d’entre eux,
qui défilent sur les plateaux de télévision. Et il en tire très
vite la conclusion : « Si je ne fais pas les choses moi-même, ça ne
marche pas. »
La plupart des députés réélus pensent, eux – et
le clament – qu’ils ne doivent leur succès qu’à leurs qualités et à
leur travail sur le terrain. François Fillon relativise : « Si
Nicolas n’avait pas été élu à la présidentielle, la plupart
auraient été battus. »
Une fissure se crée donc, dès les premières
semaines, entre la majorité et le Président. Elle laissera des
traces : cette histoire de TVA sociale sera souvent rappelée par
les parlementaires de l’UMP. Même après la mise aux oubliettes du
rapport d’Eric Besson et l’enterrement définitif du projet, à
l’automne, par Nicolas Sarkozy.
Pour l’heure, il s’agit de remanier, comme
prévu, le gouvernement. Moins prévue était la défaite d’Alain Juppé
à Bordeaux. Un nouveau coup dur pour le numéro deux du gouvernement
et qui fait du bruit. Juppé en tire la conséquence : il quitte un
gouvernement dont il était le seul chiraquien estampillé. Qui va le
remplacer à la tête du grand ministère qu’on lui avait taillé sur
mesure ? Jean-Louis Borloo, à la grande stupéfaction de la
majorité, laquelle le juge – à tort – responsable de ses premières
désillusions électorales. Lui-même n’est guère satisfait de ce
changement de poste56. « C’est Fillon qui a
gaffé et c’est moi qui suis puni », se plaint-il. Mais c’est une
punition promotion, qui le hisse au rang de numéro deux du
gouvernement, avec titre de ministre d’Etat. Quand même, c’est la mort dans
l’âme qu’il quitte Bercy. Pendant quelques semaines, il déprime
avant de rebondir tout feu tout flammes : il a un projet, il va
sauver la planète, il fait le plus beau métier du monde. Youpi ! Il
sera le maître d’œuvre du Grenelle de l’environnement lancé par
Juppé.
Reste à le remplacer aux Finances. Nicolas
Sarkozy a songé à son ami Henri de Castries, le président d’Axa,
inspecteur des Finances, bardé de diplômes, mais il a décliné
l’offre. Ce sera donc Christine Lagarde. La voilà propulsée
ministre de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi. Elle n’a pas
le titre de ministre des Finances car l’Elysée ne veut pas blesser
le ministre du Budget, Eric Woerth, qui guignait le poste. Pendant
deux ans, il n’y aura donc pas de ministre des Finances. La
ministre récupérera le titre après la démission d’Eric Woerth
!
Elle n’a aucune expérience des affaires
politiques, mais cette avocate qui dirigeait deux ans plus tôt le
grand cabinet américain de Chicago Baker et McKenzie (et qui fut
classée par la presse des USA parmi les cent femmes les plus
influentes du monde) sera plus à l’aise, croit-on, à Bercy qu’au
ministère de l’Agriculture, où elle affirmait pourtant « se plaire
beaucoup ». Nicolas Sarkozy avait depuis longtemps remarqué la
qualité de ses interventions57. Il était aussi très
bluffé par… sa pratique de l’anglais.
A tous ceux qu’il rencontre, il déclare alors :
« Elle sera la seule femme à la réunion de l’Ecofin, ça aura de la
gueule. Si elle m’écoute, elle peut aller très loin. » Sous-entendu
: jusqu’à Matignon.
Il ne
soupçonne évidemment pas que la crise économique va lui donner un
rôle de premier plan58. Il lui assigne une vaste
mission. Rétablir les comptes extérieurs, fusionner l’ANPE et
l’UNEDIC, mettre en œuvre la loi TEPA… et réaliser enfin le plein
emploi !
D’autres nominations suscitent de nombreux
commentaires. D’abord, celles de plusieurs femmes. A commencer par
l’arrivée au Quai d’Orsay de Rama Yade, promue secrétaire d’Etat en
charge des Droits de l’homme. Benjamine du gouvernement à 30 ans,
elle est noire et belle : « Il y aura désormais deux femmes noires
sur la scène internationale, Rama et Condi Rice, la Secrétaire
d’Etat de George Bush », clame enthousiaste le Président. Autre
symbole fort : l’arrivée de Fadela Amara, présidente de « Ni putes
ni soumises » et militante des cités, au secrétariat d’Etat à la
Ville. « La diversité », comme on dit, est enfin représentée. Ce
qui suscite des commentaires laudateurs.
Ouverture toujours : dans l’après-midi du
deuxième tour, le Président a lui-même appelé le socialiste Julien
Dray, coordinateur de la campagne de Ségolène et ami de longue date
: « Je te donne ce que tu veux », mais sans lui faire de
proposition précise. On n’en finirait pas de citer tous les
socialistes ainsi approchés : de Manuel Valls au fabiusien
Bartolone en passant par Claude Allègre ou Malek Boutih. Tous
refusent. Flattés quand même.
Nicolas Sarkozy fait en sorte que cela se sache.
Histoire de flanquer la pagaille rue de Solférino, sans doute. Mais
pas seulement. Il cherche toutes les occasions de montrer son
absence de sectarisme, sa volonté de rassembler. Il l’a expliqué à Dominique Paillé,
défait dans les Deux-Sèvres, qu’il nomme secrétaire adjoint de
l’UMP : « J’ai gagné parce que j’étais le candidat de la
créativité, du mouvement. Pour gouverner, il faut une assise
toujours plus large. Je dois être à l’origine de cette évolution. »
Avant même la formation du premier gouvernement, il avait sollicité
– en vain – Anne Lauvergeon, l’ancienne sherpa de François
Mitterrand devenue PDG d’Areva. Il lui en voudra toujours un peu.
Il avait aussi reçu Hubert Védrine, ex-ministre des Affaires
étrangères de Lionel Jospin.
Jack Lang avait proposé ses services, il
téléphonait régulièrement à Brice Hortefeux. On lui trouve un lot
de consolation : une place au Comité de réflexion sur la
modernisation des Institutions présidé par Edouard Balladur.
Nicolas Sarkozy fait campagne auprès de ses homologues européens
pour que Dominique Strauss-Kahn accède à la direction du FMI. « Il
en a les capacités », plaide-t-il. Le mandat du directeur du FMI
étant de cinq ans, il espère ainsi se débarrasser d’un adversaire.
Lorsqu’il le reçoit avant son départ pour Washington, connaissant
sa réputation établie de séducteur insatiable, il lui recommande la
prudence. « Tu sais, les Américains ne sont pas comme les Français.
» Un conseil judicieux qui ne sera, hélas, pas écouté !
Le sénateur maire de Mulhouse, Jean-Marie
Bockel, qui avait soutenu Ségolène Royal, est chargé de la
Coopération et de la Francophonie. Un mois avant le scrutin il
avertissait qu’il ne fallait pas « diaboliser Sarkozy ». Une
déclaration concertée, bien sûr. « Cela faisait deux ans que
Nicolas Sarkozy me demandait de le rejoindre. »
Devenu ministre, Bockel confie au Parisien le 29 juin : « De gauche je suis, de
gauche je reste. » Très bien.
Seulement l’Alsace, la région qui a le plus voté pour Nicolas
Sarkozy (65 % de suffrages), apprécie peu d’être représentée au
gouvernement par un socialiste, fût-il considéré comme
blairiste.
La présidence de la Commission des finances
revient au député socialiste de l’Isère, Didier Migaud. Voilà pour
l’ouverture. Moins resserrée que prévu (31 membres), moins
paritaire qu’annoncé mais politiquement plus bigarrée, cette équipe
Fillon 2 porte indéniablement la griffe Sarkozy : mélange
d’expérience et de nouveauté, de confirmations et de vraies
surprises (il y en aura d’autres comme l’entrée au gouvernement
après la Coupe du monde de rugby du sélectionneur du XV de France,
Bernard Laporte).
Qu’on y prenne garde pourtant : médiatiquement
forte, cette équipe est politiquement faible. Les nouveaux
ministres, en effet, ne représentent, pour la plupart, aucun
courant structurant de la vie politique. Le chef de l’Etat fédère
autour de lui des sarkozystes de la première heure, des juppéistes
(Woerth), un raffarinien (Dominique Bussereau), un libéral (Hervé
Novelli, ministre des PME), des centristes en rupture de ban, une
poignée de socialistes en déshérence et des personnalités
inclassables.
Les parlementaires UMP, eux, sont désappointés.
Ils se sentent méprisés. « Il n’y a qu’avec les siens que le
Président n’est pas très ouvert », grognent certains. Les militants
sont encore plus choqués par la place faite à des personnalités de
gauche qui les ont souvent brocardés sur le terrain. « Le Front
national s’était effondré. Nommer des gens de gauche a décontenancé
notre électorat. C’est le péché politique originel du quinquennat
», s’insurge Lionnel Luca, député des Alpes-Maritimes.
Nicolas
Sarkozy, qui le sent bien, réagit vite. Avant même que le Premier
ministre ne prononce son discours de politique générale, il reçoit
à l’Elysée les 344 députés et les 160 sénateurs de la majorité dont
il veut contenir les humeurs peccantes. Mais il enfonce le clou : «
On ne fait pas de grandes réformes avec une petite équipe,
explique-t-il, je me suis exonéré de toutes mes amitiés, de toutes
mes attaches partisanes. Si je suis allé chercher des personnalités
si différentes, c’est parce que je ne supportais plus l’idée que la
France soit diverse à la base et ne porte pas cette diversité au
sommet. » Il veut surtout éviter que l’opposition taxe son
gouvernement d’« Etat-UMP » comme jadis, elle avait qualifié d’«
Etat-RPR » celui de Jacques Chirac. Mais il ne les convainc pas. Ça
ne passe pas.
Mais voici plus fort encore : le 18 juillet,
devant deux mille cadres de l’UMP réunis au Carrousel du Louvre, il
promet de poursuivre l’ouverture pour les municipales. « Il faudra
ouvrir les listes et les renouveler de la manière la plus large
possible afin d’occuper tout l’espace. L’ouverture n’est pas un
choix, c’est un devoir. » Il confie aussi à Jacques Attali,
l’ancien collaborateur de François Mitterrand, la direction d’une
commission sur la libération de la croissance : « Tout ce que vous
préconiserez, promet-il, je l’appliquerai. » Michel Rocard, ancien
Premier ministre, se voit dans le même temps confier le parrainage
d’un comité chargé d’organiser la concertation sur la
revalorisation du métier d’enseignant.
Son entourage est lui aussi mobilisé pour «
vendre l’ouverture ». En rappelant par exemple les tentatives de
Valéry Giscard d’Estaing, en 1974, qui avait fait entrer
Jean-Jacques Servan-Schreiber – pour neuf jours seulement (JJSS,
ministre des Réformes, avait dû démissionner, pour cause de déclaration non
autorisée sur les essais nucléaires). Et aussi Françoise Giroud, la
directrice de L’Express qui avait
appelé à voter Mitterrand. Giscard avait même fait approcher Pierre
Mauroy via son ami Michel Poniatowski, ministre de l’Intérieur, qui
l’avait reçu à Beauvau.
En 1988, le deuxième gouvernement Rocard
comptait quinze ministres ou sous-ministres issus de l’opposition.
Une ouverture très mal acceptée par les socialistes. L’ex-UDF
Jean-Pierre Soisson, nommé ministre de l’Emploi, raconte que
pendant plusieurs mois Lionel Jospin, ministre de l’Education
nationale, refusait de le saluer.
Autre rappel : maire de Neuilly, Nicolas Sarkozy
s’était toujours montré très généreux avec l’opposition – pourtant
ultra-minoritaire dans son conseil municipal. « Beaucoup plus
qu’avec nous », se plaignaient ses coéquipiers RPR.
« Pour faire les grandes réformes, répète-t-il à
chaque occasion, il faut rassembler les gens. »
Encore faudrait-il éviter de les brutaliser. Le
30 mai, les télévisions montrent un Nicolas Sarkozy assis devant un
parterre solennel de robes rouges rehaussées d’hermine. Il est venu
assister à l’installation du nouveau premier président de la Cour
de cassation, Vincent Lamanda. Il écoute les discours de tous ces
magistrats qui n’en finissent pas de le remercier d’être là. A quoi
songe-t-il ? On le saura quatre mois plus tard : le 7 octobre il
accepte d’être interviewé par Michel Drucker, qui consacre son
émission « Vivement Dimanche » à Rachida Dati. Le Président revient
alors sur cette séance de la fin mai. « J’ai voulu être là pour
bien montrer la confiance que je fais à l’institution judiciaire.
Je regardais la salle. Je voyais 98 % d’hommes qui se ressemblaient tous. Même costume, même
origine, même formation, même moule… la tradition des élites
françaises, respectable bien sûr. Aussi, voir Rachida assise dans
son grand fauteuil rouge au milieu de tous ces hommes, franchement,
j’étais ému. » Et d’ajouter : « Je n’ai pas envie d’avoir autour de
moi des gens sortis du même moule, les mêmes personnes alignées
comme des petits pois, de la même couleur, du même calibre, de la
même saveur. Ça n’est pas comme cela que je vais rassembler la
France… Si la diversité ne vient pas par le bas, il faut que je
l’impose par le haut. Si je veux être sévère avec les voyous, il
faut aussi qu’il y ait des symboles comme Rachida. »
Très content de sa formule, celui qui doit être
le garant de l’unité et de l’indépendance de la magistrature,
reparlera des petits pois devant les députés.
Quand éclateront, quatre ans plus
tard59, les manifestations des magistrats sur tout
le territoire, le terme « petits pois » sera inscrit sur leurs
pancartes. Le monde judiciaire n’a jamais digéré cet hymne à la
macédoine60.
Nicolas Sarkozy a le chic pour se faire des
ennemis. Il s’en fera d’autres.
Dans l’immédiat, les réactions ulcérées des plus
importants « petits pois » ne simplifient pas la tâche de Rachida
Dati, affairée à un vaste programme de mutation des procureurs
généraux, un programme qui doit féminiser la hiérarchie. « Pourrait-on vous suggérer
d’adopter des méthodes moins brutales ? », lui demande Philippe
Bilger, avocat général à la cour d’appel de Paris.
Nicolas Sarkozy a décidé de dépoussiérer, de
dynamiter les rituels antédiluviens à ses yeux. « Il veut casser
tous les codes » explique sa conseillère Catherine Pégard.
Tous, y compris les moins importants. Qui sont
parfois les plus significatifs. A l’Elysée, les huissiers n’ont pas
le temps de se lever qu’ils le voient débouler en bras de chemise,
parfois même en short et baskets Nike grimpant quatre à quatre les
escaliers, téléphone à l’oreille. Les amis, les politiques, les
journalistes qui le tutoyaient sont invités à ne pas changer leurs
habitudes. « Je ne veux pas être un Président glacé qui finit par
être glaçant, clame-t-il, il faut mettre de la vie au plus haut
niveau du pouvoir. »
Lors de sa première interview télévisée, le 20
juin, recevant à l’Elysée PPDA et Claire Chazal, il s’installe avec
eux autour d’une table basse – il a lui-même réglé la mise en
scène. On le voit assis jambes écartées, le pied gauche posé sur le
genou droit (à moins que ça ne soit l’inverse), le dos calé contre
le dossier du fauteuil, à la manière du bon copain qui vous convie
à prendre un pot en fin de soirée pour raconter ce qu’il a en tête.
Jamais un Président n’avait affiché une telle décontraction.
Conséquence : jamais un journaliste ne s’était montré aussi
désinvolte. « On vous a vu au G8, très à votre aise avec les chefs
d’Etat et de gouvernement, presque même un peu excité, comme un
petit garçon qui est en train d’entrer dans la cour des grands »,
ose PPDA, qui a sans doute perdu ce soir-là sa place de
présentateur vedette de TF1.
Autre
changement : l’Elysée annonce que le Conseil des ministres ne sera
plus figé et formel. Le Président souhaite instaurer, chaque
mercredi, outre les communications et nominations rituelles, une
partie D comme « débats ». Sur un thème choisi. Les ministres
pourront tous s’exprimer. La partie D fera vite long feu.
Autre rupture : il n’y aura plus d’amnistie pour
les infractions au code de la route, alors que chaque élection
présidentielle s’accompagnait d’une vague de clémence envers les
petits contrevenants. Et il n’y aura plus de grâce présidentielle
pour les condamnés en fin de droit. (Ce que regretteront beaucoup
d’avocats, alors que les prisons sont pleines.) Pour l’heure, ce
comportement plaît aux Français. 69 % d’entre eux se déclarent
satisfaits. Ils jugent le style présidentiel plus proche, plus
direct.
La France est encore sous le charme.
54. Dominique Strauss-Kahn l’avait proposé en 2005
aux universités du PS. Manuel Valls, candidat
socialiste aux primaires, en vantera lui aussi les vertus.Nicolas
Sarkozy a réouvert le débat à haut risque à Bordeaux en novembre
2011 : « Nous devons repenser le financement de notre système
social. » Il en a reparlé dans son discours de Toulon le jeudi
1er décembre. Pour en lancer la réforme
le 29 janvier 2012.Laurence Parisot, la patronne du MEDEF réclame,
elle aussi, une nouvelle formule de TVA sociale, qu’elle défendra,
dit-elle, « bec et ongles ».
55. Ce qui lui permettra de bénéficier d’un
confortable financement public pour son parti. Une voix rapporte
douze euros par an durant cinq ans.
56. Il sera resté quatre semaines à Bercy. Un record
de brièveté à ce poste.
57. Elle était ministre du Commerce extérieur dans
le gouvernement Villepin.
58. Mieux même : international. Qui aurait pu parier
qu’elle succéderait à Dominique Strauss-Kahn au FMI ?
59. En janvier 2011.
60. Dans un entretien au Monde publié le 14 novembre 2011, Philippe Bilger y
revient : « Le tournant, c’est dérisoire, est venu lorsqu’il a
traité les magistrats de la Cour de cassation de petits pois, et
ceux-ci n’ont pas réagi. C’était la première seconde de
l’humiliation que l’on a continué à subir… Sur le plan de l’Etat de
droit, il est devenu une sorte de Caligula aux petits pieds. » (Une
comparaison audacieuse. Caligula, empereur romain, tyran
sanguinaire, souhaitait que le peuple romain n’eût qu’une tête,
afin de la trancher d’un seul coup. Il mourut assassiné.)