CHAPITRE 3
Premier accroc Le premier électeur venu vous le dirait : annoncer la simple éventualité d’un nouvel impôt à quelques jours d’un scrutin décisif est plus qu’étrange, dangereux, voire suicidaire ! C’est pourtant ce que va faire le gouvernement dirigé par François Fillon, dont la nomination coïncide avec le lancement de la campagne des législatives.
A priori, la victoire des partisans de Nicolas Sarkozy ne fait aucun doute. Il en est ainsi depuis la naissance de la Ve République : les électeurs confirment toujours leur vote de la présidentielle, le renforcent même parfois.
Les résultats du premier tour confirment cette règle non écrite : sept ministres sont aussitôt élus ou réélus. Le Parti socialiste fait pâle figure. Les premières « projections » de l’institut CSA ne lui accordent pour le deuxième tour que 90 députés au maximum, alliés compris. Contre 440 pour l’UMP, où la perspective d’une telle marée d’équinoxe fait rêver candidats et militants.
Nicolas Sarkozy, qui d’ordinaire ne lâche jamais le pied lors d’une campagne, n’entend pas intervenir entre les deux tours. Il a simplement demandé aux Français, lors d’un unique déplacement au Havre, de lui donner une majorité à la mesure de ses ambitions de réforme. Tout en clamant : « La France, ce n’est pas la droite, la France, ce n’est pas la gauche, la France c’est tous les Français, disait le général de Gaulle. » Il laisse donc François Fillon et ses ministres achever le travail.
Mais voilà que se produit, dès le soir du premier scrutin, un incident de parcours. Que l’on n’attendait pas, bien sûr, et dont on ne mesure pas aussitôt les conséquences.
Comme d’ordinaire, ce dimanche-là, se poursuivent sur les plateaux de télévision les rituelles et souvent ennuyeuses séances de commentaires et de débats. Sur TF1, Laurent Fabius, qui n’a rien à dire pour sauver la face d’un Parti socialiste exsangue, titille Jean-Louis Borloo, pour l’heure ministre de l’Economie et des Finances. « Où le nouveau pouvoir va-t-il dénicher les milliards d’euros nécessaires au financement de son programme, sans compter le remboursement de la dette ? », lui demande-t-il. Réponse du ministre : « On va regarder l’ensemble des sujets, y compris l’éventualité de la TVA sociale. »
Ravi, Fabius saute sur l’occasion : « La TVA est un impôt sur la consommation, donc forcément impopulaire. D’autant que l’on s’apprête à accorder des allègements fiscaux aux plus aisés. »
Un boulevard s’ouvre donc à la gauche, qui n’en attendait pas tant. François Hollande et Ségolène Royal s’y engouffrent dès le lendemain. Sur l’air de « la TVA antisociale ». Henri Emmanuelli, toujours prêt à bondir, dresse, virulent, un parallèle entre cette éventuelle augmentation de TVA et ce que l’on commence à appeler le bouclier fiscal. « Nicolas Sarkozy, tonne-t-il, gouverne pour les riches. » Un refrain qu’il fredonnera pendant cinq ans.
A Matignon on crie « au feu ».
De quoi s’agit-il ? L’idée est simple : la protection sociale, cette grande fierté française, est financée par des cotisations payées à la fois par l’employeur et le salarié. Baisser ces cotisations allégerait les charges du premier, concurrencé par des pays où le coût du travail est faible, et augmenterait le pouvoir d’achat du second. Mais comment dès lors financer le maintien de la protection ? Par l’impôt ! En l’occurrence la TVA. « Nous n’avons pas le droit, dit le Premier ministre, d’ignorer une idée qui pourrait sauver ou créer des centaines de milliers d’emplois en France. » Il ajoute, quand même prudent, qu’elle ne serait pas retenue s’il était démontré qu’elle entraînerait « une augmentation injuste des prix ».
Injuste ou juste, c’est le mot « augmentation » qui frappe l’opinion.
Alors s’ouvre une de ces polémiques dont le quinquennat de Nicolas Sarkozy semble avoir le secret. Le PS maintient évidemment la pression. Personnellement plus dubitatif que le Président, François Fillon se montre publiquement favorable à une expérimentation. Interrogé le 12 juin par David Pujadas, sur France 2, il tente de calmer le jeu : « Le taux de la TVA n’augmentera pas pour financer les dépenses de l’Etat, assure-t-il. Nous ne voulons pas que la TVA soit une sorte d’expédient pour financer des dépenses qu’il faut au contraire réduire. Ce que nous disons simplement, et nous ne sommes pas les premiers à le dire54… C’est qu’il faut réfléchir à une façon de lutter contre les délocalisations. La protection sociale va coûter de plus en plus cher… Si on fait porter le coût de cette protection sociale sur le capital, le capital se délocalise aussi. Donc il reste cette proposition : transférer les cotisations sociales sur la TVA.
— Tout cela sans augmentation du taux ? demande David Pujadas.
— Alors, si on transfère une partie des cotisations sociales, on augmente le taux…
— De combien à peu près ?
— Ça dépend de l’effort que l’on veut faire sur les cotisations sociales.
— Par exemple, cinq points ? L’ordre de grandeur pourrait être celui-là ?
— Il pourrait être celui-là… C’est pour cela que Nicolas Sarkozy m’a demandé d’engager une vraie concertation avec les partenaires sociaux, je suis prêt à le faire avec l’opposition. »
Et ainsi de suite…
L’erreur est évidemment d’avoir approuvé un tel chiffre. Qu’a-t-il dit là ! Quelle bourde ! « François a complètement dérapé » reconnaissent ses proches. Nicolas Sarkozy, qui regarde la prestation de son Premier ministre, explose de rage. Les socialistes ont trouvé leur nouveau slogan : « Votez contre la TVA à 24,6. » Bien joué ! Les candidats UMP en campagne dans leurs circonscriptions bombardent l’Elysée de messages alarmistes. Le Président décide alors d’intervenir pour indiquer qu’aucune décision ne serait prise avant la fin de l’été. Et pour affirmer qu’il n’acceptera pas une hausse de la TVA qui entamerait le pouvoir d’achat. Il le dit avec autant plus de force qu’on vient de lui montrer un sondage (non publié) : 60 % des Français se disent hostiles à une telle mesure.
Puisque le projet, de l’aveu même du Président, n’est pas officiellement abandonné, François Fillon demande à Eric Besson d’étudier ses conséquences possibles et à Jean-Louis Borloo d’en préciser l’affectation à la protection sociale. Qu’ils rendent leurs rapports dans six semaines !
Le 17 juin, retour aux urnes pour le deuxième tour. Pour 60 % des Français seulement. Le taux d’abstention, premier chiffre connu, est en effet plutôt élevé, ce qui n’est pas une bonne indication. Et bientôt la cascade des résultats confirme la tendance. Curieux spectacle : sur les plateaux télévisés, la majorité – qui garde certes la majorité – se montre embarrassée. Et c’est la gauche qui jubile. Car elle obtient 227 sièges. Dont 184 pour le PS, soit 43 députés de plus que dans la législature précédente. Et le double de ce que lui laissaient prévoir les résultats du premier tour ! Sans doute a-t-elle bénéficié d’un report de voix du MoDem. Car François Bayrou, qui avait d’abord présenté des candidats partout55, enregistre un piteux résultat : quatre élus en tout et pour tout.
C’est la polémique fiscale qui a corrigé sévèrement les résultats de la majorité présidentielle : 346 sièges, soit une centaine de moins que prévu par les sondages et, pour l’UMP, trente de moins que dans la précédente assemblée !
Ce soir du deuxième tour, Nicolas Sarkozy ne décolère pas. Il juge « mauvais », sans exception, les ministres, y compris le premier d’entre eux, qui défilent sur les plateaux de télévision. Et il en tire très vite la conclusion : « Si je ne fais pas les choses moi-même, ça ne marche pas. »
La plupart des députés réélus pensent, eux – et le clament – qu’ils ne doivent leur succès qu’à leurs qualités et à leur travail sur le terrain. François Fillon relativise : « Si Nicolas n’avait pas été élu à la présidentielle, la plupart auraient été battus. »
Une fissure se crée donc, dès les premières semaines, entre la majorité et le Président. Elle laissera des traces : cette histoire de TVA sociale sera souvent rappelée par les parlementaires de l’UMP. Même après la mise aux oubliettes du rapport d’Eric Besson et l’enterrement définitif du projet, à l’automne, par Nicolas Sarkozy.
Pour l’heure, il s’agit de remanier, comme prévu, le gouvernement. Moins prévue était la défaite d’Alain Juppé à Bordeaux. Un nouveau coup dur pour le numéro deux du gouvernement et qui fait du bruit. Juppé en tire la conséquence : il quitte un gouvernement dont il était le seul chiraquien estampillé. Qui va le remplacer à la tête du grand ministère qu’on lui avait taillé sur mesure ? Jean-Louis Borloo, à la grande stupéfaction de la majorité, laquelle le juge – à tort – responsable de ses premières désillusions électorales. Lui-même n’est guère satisfait de ce changement de poste56. « C’est Fillon qui a gaffé et c’est moi qui suis puni », se plaint-il. Mais c’est une punition promotion, qui le hisse au rang de numéro deux du gouvernement, avec titre de ministre d’Etat. Quand même, c’est la mort dans l’âme qu’il quitte Bercy. Pendant quelques semaines, il déprime avant de rebondir tout feu tout flammes : il a un projet, il va sauver la planète, il fait le plus beau métier du monde. Youpi ! Il sera le maître d’œuvre du Grenelle de l’environnement lancé par Juppé.
Reste à le remplacer aux Finances. Nicolas Sarkozy a songé à son ami Henri de Castries, le président d’Axa, inspecteur des Finances, bardé de diplômes, mais il a décliné l’offre. Ce sera donc Christine Lagarde. La voilà propulsée ministre de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi. Elle n’a pas le titre de ministre des Finances car l’Elysée ne veut pas blesser le ministre du Budget, Eric Woerth, qui guignait le poste. Pendant deux ans, il n’y aura donc pas de ministre des Finances. La ministre récupérera le titre après la démission d’Eric Woerth !
Elle n’a aucune expérience des affaires politiques, mais cette avocate qui dirigeait deux ans plus tôt le grand cabinet américain de Chicago Baker et McKenzie (et qui fut classée par la presse des USA parmi les cent femmes les plus influentes du monde) sera plus à l’aise, croit-on, à Bercy qu’au ministère de l’Agriculture, où elle affirmait pourtant « se plaire beaucoup ». Nicolas Sarkozy avait depuis longtemps remarqué la qualité de ses interventions57. Il était aussi très bluffé par… sa pratique de l’anglais.
A tous ceux qu’il rencontre, il déclare alors : « Elle sera la seule femme à la réunion de l’Ecofin, ça aura de la gueule. Si elle m’écoute, elle peut aller très loin. » Sous-entendu : jusqu’à Matignon.
Il ne soupçonne évidemment pas que la crise économique va lui donner un rôle de premier plan58. Il lui assigne une vaste mission. Rétablir les comptes extérieurs, fusionner l’ANPE et l’UNEDIC, mettre en œuvre la loi TEPA… et réaliser enfin le plein emploi !
D’autres nominations suscitent de nombreux commentaires. D’abord, celles de plusieurs femmes. A commencer par l’arrivée au Quai d’Orsay de Rama Yade, promue secrétaire d’Etat en charge des Droits de l’homme. Benjamine du gouvernement à 30 ans, elle est noire et belle : « Il y aura désormais deux femmes noires sur la scène internationale, Rama et Condi Rice, la Secrétaire d’Etat de George Bush », clame enthousiaste le Président. Autre symbole fort : l’arrivée de Fadela Amara, présidente de « Ni putes ni soumises » et militante des cités, au secrétariat d’Etat à la Ville. « La diversité », comme on dit, est enfin représentée. Ce qui suscite des commentaires laudateurs.
Ouverture toujours : dans l’après-midi du deuxième tour, le Président a lui-même appelé le socialiste Julien Dray, coordinateur de la campagne de Ségolène et ami de longue date : « Je te donne ce que tu veux », mais sans lui faire de proposition précise. On n’en finirait pas de citer tous les socialistes ainsi approchés : de Manuel Valls au fabiusien Bartolone en passant par Claude Allègre ou Malek Boutih. Tous refusent. Flattés quand même.
Nicolas Sarkozy fait en sorte que cela se sache. Histoire de flanquer la pagaille rue de Solférino, sans doute. Mais pas seulement. Il cherche toutes les occasions de montrer son absence de sectarisme, sa volonté de rassembler. Il l’a expliqué à Dominique Paillé, défait dans les Deux-Sèvres, qu’il nomme secrétaire adjoint de l’UMP : « J’ai gagné parce que j’étais le candidat de la créativité, du mouvement. Pour gouverner, il faut une assise toujours plus large. Je dois être à l’origine de cette évolution. » Avant même la formation du premier gouvernement, il avait sollicité – en vain – Anne Lauvergeon, l’ancienne sherpa de François Mitterrand devenue PDG d’Areva. Il lui en voudra toujours un peu. Il avait aussi reçu Hubert Védrine, ex-ministre des Affaires étrangères de Lionel Jospin.
Jack Lang avait proposé ses services, il téléphonait régulièrement à Brice Hortefeux. On lui trouve un lot de consolation : une place au Comité de réflexion sur la modernisation des Institutions présidé par Edouard Balladur. Nicolas Sarkozy fait campagne auprès de ses homologues européens pour que Dominique Strauss-Kahn accède à la direction du FMI. « Il en a les capacités », plaide-t-il. Le mandat du directeur du FMI étant de cinq ans, il espère ainsi se débarrasser d’un adversaire. Lorsqu’il le reçoit avant son départ pour Washington, connaissant sa réputation établie de séducteur insatiable, il lui recommande la prudence. « Tu sais, les Américains ne sont pas comme les Français. » Un conseil judicieux qui ne sera, hélas, pas écouté !
Le sénateur maire de Mulhouse, Jean-Marie Bockel, qui avait soutenu Ségolène Royal, est chargé de la Coopération et de la Francophonie. Un mois avant le scrutin il avertissait qu’il ne fallait pas « diaboliser Sarkozy ». Une déclaration concertée, bien sûr. « Cela faisait deux ans que Nicolas Sarkozy me demandait de le rejoindre. »
Devenu ministre, Bockel confie au Parisien le 29 juin : « De gauche je suis, de gauche je reste. » Très bien. Seulement l’Alsace, la région qui a le plus voté pour Nicolas Sarkozy (65 % de suffrages), apprécie peu d’être représentée au gouvernement par un socialiste, fût-il considéré comme blairiste.
La présidence de la Commission des finances revient au député socialiste de l’Isère, Didier Migaud. Voilà pour l’ouverture. Moins resserrée que prévu (31 membres), moins paritaire qu’annoncé mais politiquement plus bigarrée, cette équipe Fillon 2 porte indéniablement la griffe Sarkozy : mélange d’expérience et de nouveauté, de confirmations et de vraies surprises (il y en aura d’autres comme l’entrée au gouvernement après la Coupe du monde de rugby du sélectionneur du XV de France, Bernard Laporte).
Qu’on y prenne garde pourtant : médiatiquement forte, cette équipe est politiquement faible. Les nouveaux ministres, en effet, ne représentent, pour la plupart, aucun courant structurant de la vie politique. Le chef de l’Etat fédère autour de lui des sarkozystes de la première heure, des juppéistes (Woerth), un raffarinien (Dominique Bussereau), un libéral (Hervé Novelli, ministre des PME), des centristes en rupture de ban, une poignée de socialistes en déshérence et des personnalités inclassables.
Les parlementaires UMP, eux, sont désappointés. Ils se sentent méprisés. « Il n’y a qu’avec les siens que le Président n’est pas très ouvert », grognent certains. Les militants sont encore plus choqués par la place faite à des personnalités de gauche qui les ont souvent brocardés sur le terrain. « Le Front national s’était effondré. Nommer des gens de gauche a décontenancé notre électorat. C’est le péché politique originel du quinquennat », s’insurge Lionnel Luca, député des Alpes-Maritimes.
Nicolas Sarkozy, qui le sent bien, réagit vite. Avant même que le Premier ministre ne prononce son discours de politique générale, il reçoit à l’Elysée les 344 députés et les 160 sénateurs de la majorité dont il veut contenir les humeurs peccantes. Mais il enfonce le clou : « On ne fait pas de grandes réformes avec une petite équipe, explique-t-il, je me suis exonéré de toutes mes amitiés, de toutes mes attaches partisanes. Si je suis allé chercher des personnalités si différentes, c’est parce que je ne supportais plus l’idée que la France soit diverse à la base et ne porte pas cette diversité au sommet. » Il veut surtout éviter que l’opposition taxe son gouvernement d’« Etat-UMP » comme jadis, elle avait qualifié d’« Etat-RPR » celui de Jacques Chirac. Mais il ne les convainc pas. Ça ne passe pas.
Mais voici plus fort encore : le 18 juillet, devant deux mille cadres de l’UMP réunis au Carrousel du Louvre, il promet de poursuivre l’ouverture pour les municipales. « Il faudra ouvrir les listes et les renouveler de la manière la plus large possible afin d’occuper tout l’espace. L’ouverture n’est pas un choix, c’est un devoir. » Il confie aussi à Jacques Attali, l’ancien collaborateur de François Mitterrand, la direction d’une commission sur la libération de la croissance : « Tout ce que vous préconiserez, promet-il, je l’appliquerai. » Michel Rocard, ancien Premier ministre, se voit dans le même temps confier le parrainage d’un comité chargé d’organiser la concertation sur la revalorisation du métier d’enseignant.
Son entourage est lui aussi mobilisé pour « vendre l’ouverture ». En rappelant par exemple les tentatives de Valéry Giscard d’Estaing, en 1974, qui avait fait entrer Jean-Jacques Servan-Schreiber – pour neuf jours seulement (JJSS, ministre des Réformes, avait dû démissionner, pour cause de déclaration non autorisée sur les essais nucléaires). Et aussi Françoise Giroud, la directrice de L’Express qui avait appelé à voter Mitterrand. Giscard avait même fait approcher Pierre Mauroy via son ami Michel Poniatowski, ministre de l’Intérieur, qui l’avait reçu à Beauvau.
En 1988, le deuxième gouvernement Rocard comptait quinze ministres ou sous-ministres issus de l’opposition. Une ouverture très mal acceptée par les socialistes. L’ex-UDF Jean-Pierre Soisson, nommé ministre de l’Emploi, raconte que pendant plusieurs mois Lionel Jospin, ministre de l’Education nationale, refusait de le saluer.
Autre rappel : maire de Neuilly, Nicolas Sarkozy s’était toujours montré très généreux avec l’opposition – pourtant ultra-minoritaire dans son conseil municipal. « Beaucoup plus qu’avec nous », se plaignaient ses coéquipiers RPR.
« Pour faire les grandes réformes, répète-t-il à chaque occasion, il faut rassembler les gens. »
Encore faudrait-il éviter de les brutaliser. Le 30 mai, les télévisions montrent un Nicolas Sarkozy assis devant un parterre solennel de robes rouges rehaussées d’hermine. Il est venu assister à l’installation du nouveau premier président de la Cour de cassation, Vincent Lamanda. Il écoute les discours de tous ces magistrats qui n’en finissent pas de le remercier d’être là. A quoi songe-t-il ? On le saura quatre mois plus tard : le 7 octobre il accepte d’être interviewé par Michel Drucker, qui consacre son émission « Vivement Dimanche » à Rachida Dati. Le Président revient alors sur cette séance de la fin mai. « J’ai voulu être là pour bien montrer la confiance que je fais à l’institution judiciaire. Je regardais la salle. Je voyais 98 % d’hommes qui se ressemblaient tous. Même costume, même origine, même formation, même moule… la tradition des élites françaises, respectable bien sûr. Aussi, voir Rachida assise dans son grand fauteuil rouge au milieu de tous ces hommes, franchement, j’étais ému. » Et d’ajouter : « Je n’ai pas envie d’avoir autour de moi des gens sortis du même moule, les mêmes personnes alignées comme des petits pois, de la même couleur, du même calibre, de la même saveur. Ça n’est pas comme cela que je vais rassembler la France… Si la diversité ne vient pas par le bas, il faut que je l’impose par le haut. Si je veux être sévère avec les voyous, il faut aussi qu’il y ait des symboles comme Rachida. »
Très content de sa formule, celui qui doit être le garant de l’unité et de l’indépendance de la magistrature, reparlera des petits pois devant les députés.
Quand éclateront, quatre ans plus tard59, les manifestations des magistrats sur tout le territoire, le terme « petits pois » sera inscrit sur leurs pancartes. Le monde judiciaire n’a jamais digéré cet hymne à la macédoine60.
Nicolas Sarkozy a le chic pour se faire des ennemis. Il s’en fera d’autres.
Dans l’immédiat, les réactions ulcérées des plus importants « petits pois » ne simplifient pas la tâche de Rachida Dati, affairée à un vaste programme de mutation des procureurs généraux, un programme qui doit féminiser la hiérarchie. « Pourrait-on vous suggérer d’adopter des méthodes moins brutales ? », lui demande Philippe Bilger, avocat général à la cour d’appel de Paris.
Nicolas Sarkozy a décidé de dépoussiérer, de dynamiter les rituels antédiluviens à ses yeux. « Il veut casser tous les codes » explique sa conseillère Catherine Pégard.
Tous, y compris les moins importants. Qui sont parfois les plus significatifs. A l’Elysée, les huissiers n’ont pas le temps de se lever qu’ils le voient débouler en bras de chemise, parfois même en short et baskets Nike grimpant quatre à quatre les escaliers, téléphone à l’oreille. Les amis, les politiques, les journalistes qui le tutoyaient sont invités à ne pas changer leurs habitudes. « Je ne veux pas être un Président glacé qui finit par être glaçant, clame-t-il, il faut mettre de la vie au plus haut niveau du pouvoir. »
Lors de sa première interview télévisée, le 20 juin, recevant à l’Elysée PPDA et Claire Chazal, il s’installe avec eux autour d’une table basse – il a lui-même réglé la mise en scène. On le voit assis jambes écartées, le pied gauche posé sur le genou droit (à moins que ça ne soit l’inverse), le dos calé contre le dossier du fauteuil, à la manière du bon copain qui vous convie à prendre un pot en fin de soirée pour raconter ce qu’il a en tête. Jamais un Président n’avait affiché une telle décontraction. Conséquence : jamais un journaliste ne s’était montré aussi désinvolte. « On vous a vu au G8, très à votre aise avec les chefs d’Etat et de gouvernement, presque même un peu excité, comme un petit garçon qui est en train d’entrer dans la cour des grands », ose PPDA, qui a sans doute perdu ce soir-là sa place de présentateur vedette de TF1.
Autre changement : l’Elysée annonce que le Conseil des ministres ne sera plus figé et formel. Le Président souhaite instaurer, chaque mercredi, outre les communications et nominations rituelles, une partie D comme « débats ». Sur un thème choisi. Les ministres pourront tous s’exprimer. La partie D fera vite long feu.
Autre rupture : il n’y aura plus d’amnistie pour les infractions au code de la route, alors que chaque élection présidentielle s’accompagnait d’une vague de clémence envers les petits contrevenants. Et il n’y aura plus de grâce présidentielle pour les condamnés en fin de droit. (Ce que regretteront beaucoup d’avocats, alors que les prisons sont pleines.) Pour l’heure, ce comportement plaît aux Français. 69 % d’entre eux se déclarent satisfaits. Ils jugent le style présidentiel plus proche, plus direct.
La France est encore sous le charme.

54. Dominique Strauss-Kahn l’avait proposé en 2005 aux universités du PS. Manuel Valls, candidat socialiste aux primaires, en vantera lui aussi les vertus.Nicolas Sarkozy a réouvert le débat à haut risque à Bordeaux en novembre 2011 : « Nous devons repenser le financement de notre système social. » Il en a reparlé dans son discours de Toulon le jeudi 1er décembre. Pour en lancer la réforme le 29 janvier 2012.Laurence Parisot, la patronne du MEDEF réclame, elle aussi, une nouvelle formule de TVA sociale, qu’elle défendra, dit-elle, « bec et ongles ».
55. Ce qui lui permettra de bénéficier d’un confortable financement public pour son parti. Une voix rapporte douze euros par an durant cinq ans.
56. Il sera resté quatre semaines à Bercy. Un record de brièveté à ce poste.
57. Elle était ministre du Commerce extérieur dans le gouvernement Villepin.
58. Mieux même : international. Qui aurait pu parier qu’elle succéderait à Dominique Strauss-Kahn au FMI ?
59. En janvier 2011.
60. Dans un entretien au Monde publié le 14 novembre 2011, Philippe Bilger y revient : « Le tournant, c’est dérisoire, est venu lorsqu’il a traité les magistrats de la Cour de cassation de petits pois, et ceux-ci n’ont pas réagi. C’était la première seconde de l’humiliation que l’on a continué à subir… Sur le plan de l’Etat de droit, il est devenu une sorte de Caligula aux petits pieds. » (Une comparaison audacieuse. Caligula, empereur romain, tyran sanguinaire, souhaitait que le peuple romain n’eût qu’une tête, afin de la trancher d’un seul coup. Il mourut assassiné.)