Tourments « A toi je peux le dire, c’était le
jour le plus triste de ma vie. » Cet aveu, lâché un soir de
septembre 2007 devant une amie très chère dans un moment d’abandon,
Nicolas Sarkozy ne le fera plus jamais à personne.
Il disait vrai pourtant. Mais qui aurait pu le
croire ? Ce triste jour étant, figurez-vous, le 6 mai 2007. Celui
de son élection à la présidence de la République. Le jour du
couronnement de son ambition. Et quel couronnement ! Il en rêvait
depuis ses vingt ans. Sans même oser imaginer un tel
triomphe.
François Mitterrand et Jacques Chirac avaient dû
s’y reprendre par trois fois avant d’accéder à l’Elysée, lui est
élu dès le premier essai. Valéry Giscard d’Estaing avait dû se
contenter d’une chiche victoire : 424 000 voix d’avance sur
François Mitterrand. Plus de deux millions de voix le séparent,
lui, de Ségolène Royal.
Un tel score aurait dû le rendre euphorique, ce
jour-là au moins.
Tous les grands chefs de guerre ont connu, c’est
vrai, le goût amer des lendemains de victoire. Mais en ce 6 mai
2007, ce n’est pas le poids des responsabilités à venir qui assaille et inquiète le nouveau
Président. C’est le désastre de sa vie privée.
Les militants qui l’applaudissent à son arrivée,
en fin d’après-midi, à son quartier général de campagne de la rue
d’Enghien, vous en parlent encore. La famille, les amis, arrivés
par grappes, ne l’ont pas davantage oublié. Tous sont sidérés. Ça
n’est pas un vainqueur jubilant qu’ils applaudissent ou embrassent,
mais un homme au sourire contraint, au front crispé. Ils sont venus
à la fête, ils découvrent un héros cafardeux, comme perdu au milieu
de leur liesse dévote. Cécilia ne se trouve pas à ses côtés.
Le vainqueur du 6 mai est un vaincu de
l’amour.
Depuis des mois, contre toute raison, il avait
voulu s’en persuader : s’il était élu – et il le serait, il le
savait – Cécilia ne pourrait plus partir. Elle lui avait pourtant
dit en mars sa volonté de divorcer, au moment même où il quittait
le ministère de l’Intérieur pour se lancer dans la campagne
présidentielle : « Dès que tu seras élu, je me tire » et, afin de
rendre plus évidente sa détermination, elle avait aussitôt confié
l’affaire à une avocate, Me Michèle
Cahen.
Mieux, joignant le geste à la parole, elle
l’avait chassé du domicile conjugal. En y mettant les formes, il
est vrai.
Quelques semaines plus tôt, ils avaient vendu
leur appartement de l’île de la Jatte et loué un meublé, toujours à
Neuilly, rue Deleau. Depuis le début de l’année, Cécilia y vivait
avec sa fille Jeanne-Marie et leur fils Louis. Durant toute la
campagne, Nicolas Sarkozy fut donc hébergé Villa Montmorency
(XVIe arrondissement de Paris) chez un
ami du couple : Dominique Desseigne, le patron du groupe Barrière
(palaces, casinos, et… le célèbre Fouquet’s). Elle avait tout arrangé, expliquant à celui-ci
: « Rends-nous ce service, Nicolas doit se concentrer, la famille
le perturbe ; chez toi, il sera au calme, protégé. » Elle avait
même pris soin de visiter sa future chambre, apporté ensuite, sur
la suggestion de l’hôte, des photos des jours heureux. Et même,
comme une épouse attentionnée, donné quelques conseils sur le
régime alimentaire nécessaire à son mari. Lequel, bientôt arrivé
là, ne laissait rien deviner de ses soucis conjugaux. Le matin au
petit déjeuner, il évoquait le rôle qu’il aimerait voir jouer à
Cécilia et parlait de sa famille comme de son « entourage
prioritaire ».
Parfois, au retour de ses harassantes journées,
Cécilia venait dîner là en compagnie du jeune Louis. Mais pas une
fois elle ne l’avait accompagné dans son périple provincial.
Restait, c’est vrai, le téléphone. Ils se parlaient plusieurs fois
par jour : « Quand je voulais envoyer un message à Nicolas, je
passais par Cécilia », raconte Michèle Alliot-Marie.
C’est qu’il ne disait mot, à personne, de cette
séparation. Pas même à sa mère, ni à ses fils : « Mon frère et moi
ignorions où il habitait pendant la campagne », témoigne Jean
Sarkozy1 ; pas même à ses amis, ni à ses plus proches
collaborateurs : Claude Guéant, qui dirigeait sa campagne, Franck
Louvrier, chargé de sa communication, qui ne le quittait pas d’un
pouce. Lesquels pourtant n’étaient pas dupes.
Comment l’être en le voyant arriver le matin,
l’œil éteint et les traits tirés ? Il avait d’évidence peu dormi,
sans doute parce qu’il
bataillait au téléphone avec Cécilia.
Ils s’interrogeaient : allait-il tenir le coup ?
Ils s’émerveillaient chaque jour de le voir reprendre souffle et
couleurs devant micros et caméras, comme lors des réunions de
travail, quand le taux d’adrénaline remontait. Pourtant, Claude
Guéant l’affirme sans détour : « Il a fait une campagne en dessous
de ses capacités ; il n’était pas toujours aussi présent qu’il eût
été normal qu’il fût. » Et Franck Louvrier de renchérir : « La
campagne la plus difficile était celle qu’il cachait, celle que
personne ne pouvait deviner. » Personne ? Des députés et des élus
locaux UMP, étonnés et vexés, notaient qu’à la fin des meetings,
sitôt descendu de la tribune, leur candidat s’isolait au téléphone
et quittait les lieux, l’air morose et parfois hagard, sans même
leur dire un merci ou un adieu.
Cécilia avait choisi son QG du 18 de la rue
d’Enghien. Un grand loft Arts-Déco, jadis propriété du couturier
Paco Rabanne. Un grand bureau avait été aménagé pour elle tout près
du sien. Mais elle n’y était apparue que trois ou quatre fois à
peine, laissant l’usage du lieu à ses protégés : José Frèches,
ex-conseiller de Jacques Chirac2 ; Roger
Karoutchi, le fidèle des Hauts-de-Seine ; François de La Brosse, le
mari de Conrada, l’amie intime des jours anciens, revenue dans ses
bonnes grâces après dix années de boycott ; Jérôme Peyrat enfin, un
autre chiraquien qui l’avait bien accueillie à l’UMP lorsqu’elle y
travaillait aux côtés de son mari.
Ces quatre-là non plus ne pouvaient s’y tromper
: le couple se désintégrait : « Cécilia ? Mais elle est passée hier
», répondaient-ils pour décourager la curiosité des journalistes. Lors du meeting de fin de
campagne du 29 avril à Bercy, elle n’avait pas daigné se montrer
non plus, évoquant des obligations familiales : la préparation de
l’anniversaire de Louis.
Restait à sauver les apparences.
Pour masquer leur séparation, le dimanche du
premier tour, Nicolas Sarkozy doit imaginer un stratagème : se
cacher dans une voiture banalisée pour entrer dans le garage de la
rue Deleau afin de pouvoir sortir avec sa femme par la grande porte
devant laquelle attendaient son chauffeur et un essaim de paparazzi
et de caméras. Bien joué. Ni vu ni connu : le couple arrive tout
sourire au bureau de vote.
Le 6 mai en revanche, elle refuse tout net de se
prêter à ce triste jeu. Non, elle ne veut pas l’accompagner, elle
ne veut pas d’image. Non et non ! Est-ce clair ? Il se rend donc
aux urnes en compagnie de Judith et Jeanne-Marie, les deux filles
qu’elle avait eues de Jacques Martin et que, devant les tiers, il
appelait toujours « nos filles ».
Maintes fois, lors de ses allées et venues entre
New York et Paris, de juillet 2005 à avril 2006, Cécilia lui avait
reproché de ne pas les avoir traitées comme des Sarkozy. Il lui
avait alors proposé de les adopter, même si leur père vivait
encore… Ce que ses fils à lui n’avaient guère apprécié.
En le voyant le 6 mai aller voter avec elles,
Jean Sarkozy crut que cette fois, cela se ferait. Qu’il allait les
légitimer. Son père, il est vrai, n’avait cessé de multiplier les
gestes envers elles. Il avait acheté un appartement à Judith,
l’aînée, avec les droits d’auteur de son livre Témoignage3. « C’est Cécilia qui a
trouvé le titre »,
expliquait-il dans les rédactions pour la valoriser. Une éclatante
déclaration d’amour, publiée quand elle revint de New York avec
leur jeune fils. Il était lui-même allé les rechercher – un
aller-retour vite fait – pour les ramener Place Beauvau, au
ministère de l’Intérieur que Jacques Chirac avait dû se résoudre à
lui laisser après le désastre du référendum sur la Constitution
européenne. Et si Nicolas Sarkozy avait accepté d’y revenir –
contre l’avis de ses amis – c’était avec l’espoir d’y retrouver le
bonheur des années passées où ils avaient donné l’image – vraie à
l’époque – d’un couple fusionnel.
Pour mieux dire ce bonheur, il confessait
d’abord son malheur. L’amour l’emportait sur l’amour-propre : «
Jamais, écrivait-il, je n’avais connu une telle épreuve. Jamais, je
n’avais imaginé en être aussi profondément bouleversé. L’épreuve,
c’est l’absence et non la blessure de vanité. » Voilà pour le
passé. Et voici pour l’avenir : « Aujourd’hui Cécilia et moi nous
nous sommes retrouvés pour de vrai, sans doute pour toujours. Si
j’en parle, c’est parce que Cécilia m’a demandé d’en parler pour
nous deux. » Des paroles d’amoureux.
Jamais homme politique d’une telle stature
n’avait ainsi ouvert son cœur au public. Jamais homme politique
rompu aux acrobaties verbales et sachant le poids des mots ne
s’était montré aussi impudique.
Comment, ce dimanche 6 mai, n’aurait-il pas
repensé jusqu’à l’obsession à ses propos et à leurs risques ?
Comment n’aurait-il pas reçu comme un soufflet le refus de Cécilia
d’aller voter avec lui et, bien pire, de s’abstenir ? Une
catastrophe : il connaissait trop le monde médiatique pour savoir
que cette abstention serait bien vite connue. Elle le fut.
Il
suffisait à quiconque d’aller consulter les registres électoraux.
Un rédacteur du Journal du Dimanche,
soupçonneux comme on doit l’être dans ce métier, le fit et
l’écrivit. Mais à la dernière minute, le directeur de la rédaction,
Jacques Espérandieu, décida de ne point publier l’information, au
motif que ses journalistes n’avaient pu – ultime vérification –
joindre l’intéressée.
Quand la rumeur est lancée, elle court. Surtout
lorsque Internet s’en mêle. Dès le lendemain, le site Rue89
racontait toute l’histoire. En ajoutant que le silence du
JDD avait été exigé par Arnaud
Lagardère, le propriétaire du journal. Le soir même, Jacques
Espérandieu, interrogé par l’AFP, expliquait qu’il avait pris cette
décision « en son âme et conscience », soulignant qu’il s’agissait
d’une affaire privée. Mais il avouait aussi avoir reçu « quelques
coups de téléphone ». Alors ? Autocensure ou censure ?
L’affaire suffit, quoi qu’il en soit, à créer
des remous dans la presse. Dès le 15 mai, Le
Monde tranchait en titrant : « Nicolas Sarkozy inquiète les
médias. » Première polémique du quinquennat. Plusieurs quotidiens
soulignant aussitôt les troublantes relations d’amitié entre le
nouveau Président et certains propriétaires de journaux, radios ou
chaînes de télévision : Arnaud Lagardère, mais aussi Martin
Bouygues, Serge Dassault, Vincent Bolloré, Bernard Arnault. Allez
donc lutter contre un tel soupçon !
Avant que l’abstention de Cécilia soit par tous
confirmée, les proches du Président eux-mêmes refusaient d’y
croire. C’était trop énorme. Près de dix-neuf millions de Français
s’étaient déplacés pour le porter au pouvoir, mais non celle qui
avait gravi avec lui chaque marche de son ascension – les dernières
il est vrai, avec quelque discrétion. Quand même, il fallait oser
!
Un acte
d’incivisme sans précédent, à ce niveau, allait prêter dans le
petit monde parisien à de multiples interprétations : crise
d’angoisse ? Désinvolture ? Egoïsme ? Désarroi ? Message adressé à
l’amant Richard Attias qui avait mal accepté d’être plaqué ? Une
explication s’imposait, qui fit le tour des chancelleries : c’était
un acte de rupture. Une de ces surprenantes situations dont les
Français, paraît-il, ont le secret.
Surpris, certains n’auraient pas dû l’être. «
First Lady, je ne m’y vois pas, ça me rase », avait-elle confié
deux ans plus tôt. Mais ses confidents ne l’avaient crue qu’à demi.
Surtout depuis son retour à Paris, avec cette allure de « revenez-y
» que son mari avait voulu transformer en succès. Devant des tiers,
il l’inondait de mots tendres et de compliments, il la couvrait de
cadeaux. Il ne s’imaginait pas sans elle à l’Elysée. Elle serait sa
Jackie Kennedy.
Las ! Elle ne changeait pas d’avis. Surtout,
elle en aimait un autre. Elle voulait partir. Et sur le chemin de
sa liberté, elle n’allait cesser de semer des cailloux, parfois
aussi gros que son abstention du 6 mai.
Quatre jours avant la victoire, elle lui avait
encore imposé une rebuffade. Peu avant le débat télévisé qui allait
l’opposer à Ségolène Royal – rituel de fin de campagne que l’on
croit désormais décisif – elle lui avait promis d’y assister. Mais
se faisait attendre. Cinq minutes avant l’entrée sur le plateau de
l’émission, son portable à la main et devant ses amis désolés, il
la suppliait de venir, tempêtait, rageait même. Mais non, c’était
non. Toujours non.
Quelques proches de Nicolas Sarkozy jugent que
ce coup de colère-là eut néanmoins un effet bénéfique. Son
agressivité ayant été déchargée et son stress évacué, le candidat
était apparu plus détendu que d’ordinaire. Morne presque. « Ce soir, tu dois chercher le match
nul, si tu agresses Ségolène ou si tu l’écrases, tu feras peur »,
lui avaient-ils conseillé. Son calme les avait donc rassurés. Les
militants UMP, en revanche, ne l’avaient pas reconnu. Le jugeant
ramolli, ils bombardaient le siège de SMS inquiets ou déçus.
Après le débat, Nicolas Sarkozy avait invité son
entourage à dîner au restaurant Caviar Kaspia, place de la
Madeleine et, bien sûr, Cécilia ne les avait pas rejoints.
Au lendemain du premier tour encore, elle avait
répété à Isabelle Balkany, l’amie de toujours : « Je veux me tirer.
» A quoi celle-ci, interloquée, avait rétorqué : « Es-tu bien sûre
d’être attendue ? »
Bonne question. A l’époque, Richard Attias se
montrait beaucoup en compagnie de l’actrice Mathilda May. Mais,
allez donc comprendre : le dimanche de l’élection, après ce refus
d’accompagner son mari au bureau de vote, elle était apparue au
déjeuner organisé à Neuilly par leurs amis Cromback. Ils étaient
tous là : Dadue, la mère, Pal le père, ses fils à lui, ses filles à
elle, ses deux frères, leurs femmes, leurs enfants, les vieux
copains. Tous euphoriques bien sûr. Mais lui, arrivé le premier,
restait tendu, le regard éteint. Cécilia, affable certes, mais
l’esprit visiblement ailleurs, ne le rassura qu’à demi. Il la
couvait du regard et d’une voix humide de tendresse, lui faisait
mille grâces. Elle ne réagissait guère. Il réussit quand même à
tromper son monde. « Nous ne pouvions imaginer combien il
souffrait, nous pensions à la chance de Cécilia, à laquelle il
offrait un destin hors du commun », dit leur hôtesse Agnès
Cromback, directrice générale de Tiffany. Un destin dont Cécilia
voulait moins que jamais. La suite de cette extravagante journée
allait le montrer.
Premier
accroc salle Gaveau, où les militants attendent leur idole depuis
des heures. Il arrive enfin, accompagné des deux filles de Cécilia,
décidément vouées à jouer depuis le matin les remplaçantes. Alors
que les caméras filment son parcours depuis le QG, les
téléspectateurs s’étonnent de ne pas apercevoir Cécilia dans sa
voiture mais deux jeunes blondes inconnues qui gesticulent,
cigarette à la main et portable à l’oreille. A l’arrivée, devant
son auditoire qui l’acclame, il parle comme il sait le faire,
l’envoûte presque, lui promet la rupture avec les idées, les
habitudes et les comportements du passé : « Je vais réhabiliter le
travail, l’autorité, la morale, le respect. » Mais c’est une autre
rupture, bien sûr, qui le hante.
Deuxième accroc : le soir même, cette réception
privée du Fouquet’s restée dans les annales comme le péché originel
du sarkozysme4. C’est elle, Cécilia, qui avait choisi
l’endroit, au cœur du Triangle d’Or du luxe parisien, le village où
elle avait grandi. Elle avait tout organisé. Voulait-elle ainsi
honorer le propriétaire du célèbre palace qui avait hébergé son
mari pendant la campagne5 ? Peut-être, sans doute.
Mais les vraies raisons étaient ailleurs. Absorbé par la campagne,
le candidat lui avait laissé carte blanche. Et c’est elle seule qui
avait dressé la liste des invitations. Et quel panel ! Une centaine de personnes. La
famille au grand complet bien sûr, dont Rachida « sa sœur de cœur
», les vieux amis, plus une poignée de politiques : Jean-Pierre
Raffarin, François Fillon, mais aussi des amis du show-biz : Johnny
Hallyday et Laeticia, Christian Clavier, Marie-Anne Chazel, Jean
Reno, Arthur. Des sportifs comme Basile Boli et Richard Virenque.
Et surtout une brochette de patrons pesant leurs milliards d’euros
: Bernard Arnault (LVMH), Antoine Bernheim (Assurances Generali),
Patrick Kron (Alstom), Vincent Bolloré (président du groupe
éponyme), Martin Bouygues (idem), Henri Proglio (Veolia), Stéphane
Courbit (ex-président d’Endemol), Serge Dassault, Jean-Claude
Decaux et ses fils, le milliardaire canadien Paul Desmarais, le
milliardaire belge Albert Frère… Les Français peuvent parfois
absoudre les hommes politiques de mettre les doigts dans la
confiture. Ils ne leur pardonnent jamais d’être du côté de ceux qui
mènent la danse.
On notait, en revanche, quelques absents de
marque. Les collaborateurs les plus proches du nouveau Président
n’avaient pas reçu de carton d’invitation : Brice Hortefeux,
Laurent Solly, Franck Louvrier, Frédéric Lefebvre, Pierre Charon.
Une équipe d’hommes prêts à tout pour aider leur mentor et baptisé
« la Firme » par la presse, par référence au roman de l’Américain
John Grisham qui met en scène un groupe de personnages de cette
trempe. Lors de la fugue new-yorkaise de Cécilia, ils avaient été
présents, disponibles jour et nuit. Ils avaient entouré, occupé,
diverti, rassuré, dorloté leur chef (Pierre Charon encore plus que
les autres). « Ce soir-là, nous n’avons même pas eu droit à une
coupe de champagne », déplore l’un d’eux.
Car Cécilia
les détestait. Ils le lui rendaient bien, toute révérence gardée.
Leurs propos, acerbes le plus souvent, lui avaient été répétés
durant ses absences et avec excès par quelques bonnes langues : à
commencer, racontaient-ils en la fustigeant, par Rachida Dati,
qu’ils désignaient comme leur ennemie prioritaire.
Cécilia leur en voulait donc. Elle avait
d’ailleurs de longue date dénoncé ce qu’elle jugeait être leur
mauvaise influence sur son mari. Toujours jalouse, très jalouse
même, elle les soupçonnait d’avoir organisé pour lui – qui ne
savait rester seul – ce que l’on appelle gentiment des « incartades
».
Après son retour à Paris, ses rapports avec eux
s’étaient dégradés davantage encore. Elle se sentait jugée, jaugée,
lisait l’opprobre et même l’absence de respect dans leurs yeux. Et
leur chef les morigénait : « C’est dur pour Cécilia d’affronter vos
regards. » Elle ne supportait pas qu’ils aient si vite fait le
deuil de son départ pour New York. Et pis, qu’ils s’en soient si
ouvertement réjouis. La terre avait tourné sans elle. Nicolas ne
s’était pas effondré. N’ayant pas retrouvé toute sa place, elle
n’avait plus qu’un but : évincer, punir ceux qui avaient –
jugeait-elle – tiré profit de son absence. Aussi, pour célébrer la
victoire, avait-elle préféré le Fouquet’s au QG de son mari, d’où
elle n’aurait pu les évincer. La vengeance froide d’une femme
blessée. Un mobile intime, aux effets politiques
dévastateurs.
Demeure une question : pourquoi donc était-elle
rentrée au bercail ? Avec la volonté sincère, semble-t-il, d’y
rester. Au moins dans les premiers temps. Son départ pour New York
? « Un pétage de plombs, une erreur », avait-elle affirmé à une
amie.
Lui,
Nicolas, voulait absolument croire définitives leurs retrouvailles.
Ils avaient l’un et l’autre – lui plus qu’elle bien sûr – souffert
de leur séparation. Mais ils n’avaient jamais cessé de se parler.
Plusieurs fois par jour même. Elle lui adressait des SMS qui
étaient des déclarations d’amour. Il les montrait aux amis : « Vous
voyez, elle m’aime, elle s’ennuie à New York. » Il évoquait d’un
ton navré et compréhensif ses angoisses et son devoir de la
protéger.
Il allait donc mettre toute son énergie à la
reconquérir, ignorant cette règle élémentaire du jeu de l’amour :
suis-la, elle te fuit ; fuis-la, elle te suit. Quand elle repartait
rejoindre Attias à New York, il enjoignait au consul de France de
lui envoyer une voiture à l’aéroport. Quand elle revenait à Paris,
il l’emmenait faire du shopping faubourg Saint-Honoré. « Il en fait
trop, beaucoup trop », déplorait la famille. Mais tel est Nicolas
Sarkozy.
Seulement voilà : l’absence vous change. Cécilia
n’était plus la femme des premières années, celle qui, du matin au
soir, l’accompagnait, s’occupait de lui, remplissait son agenda,
organisait les dîners, choisissait ses costumes, l’encourageait, le
conseillait. Celle qu’il interrogeait à tout bout de champ, en
guettant son approbation : « Tu es d’accord Cécilia ? », « Qu’en
penses-tu Cécilia ? ». Celle dont le jugement lui importait avant
tout autre. « Va voir Cécilia », suggérait-il à ses visiteurs.
Celle aussi qui le tempérait, qui « corrigeait ses trop pour que ne
subsistent que les très », comme l’écrit joliment Anna
Bitton6. Celle enfin qui l’isolait de l’entourage et
se faisait craindre.
Retour à Paris, elle était autre. Elle avait
goûté à la liberté, elle ne voulait plus être « la femme de ». Une
simple potiche aux yeux du
public, pensait-elle. Elle ne partageait plus son ambition. « Tout
ce qu’elle aimait avant New York elle ne l’aimait plus après »,
avouait son mari. Elle voulait juste être libre. « Vous entendez ?
Libre ! », disait-elle à ses amies, libre d’aller et de venir, avec
l’envie de prendre un travail, de gagner sa vie – corollaire de la
liberté –, d’acquérir un nouveau statut. Oui, être une femme comme
une autre, qui « fait ses courses avec son caddie ». Ah ! Le caddie
! Les bonnes amies y décelaient en pouffant le caprice enfantin
d’une femme qui avait toujours vécu avec la carte de crédit de ses
maris.
Elle avait été tentée, c’est vrai, de mener une
carrière personnelle. De se faire élire sur une liste aux
régionales en Ile-de-France comme la proposition lui en avait été
faite par Jean-François Copé en 2004. Ou, pourquoi pas, conquérir
la mairie de Neuilly ? Elle y avait vraiment songé. Et avait même
organisé des réunions. Mais son mari s’y opposait, craignant,
disait-il, qu’à travers lui, elle ne devienne une cible désignée.
Et surtout, réflexe machiste, il la voulait pour lui tout seul. Et
c’est lui qui en avait fait l’annonce à la presse7 : non, elle ne se lancerait pas dans une
carrière politique. Cécilia en avait souffert. Atteinte,
confiait-elle d’un ton grave, « d’une meurtrissure à l’âme ». Elle
s’en était plainte : « Moi, on ne m’a pas aidée. »
« Ma priorité, ce sont mes enfants »,
expliquait-elle désormais. Comprenez : pas lui. Ou, plus rude
encore : « Avec Nicolas, j’ai toujours mis un oreiller sur une
partie de moi-même. » Si elle était revenue, c’était seulement –
laissait-elle entendre – pour qu’on ne lui impute pas la
responsabilité d’un éventuel échec électoral. Jalouse, elle n’aurait pas supporté non
plus que durant son absence, une autre femme prenne sa place. Et,
pis encore, que Nicolas menace de l’épouser. Et prenne déjà ses
dispositions pour le faire. Il avait même osé lui fixer une date
limite : « Reviens, sinon je l’épouse… » Mais aussi : « Si tu
reviens, j’annule tout. » Elle était donc rentrée. L’amour-propre
dure plus longtemps que l’amour.
A son retour, elle avait fait le vide autour
d’eux. Banni les fils, les frères, la sœur, la mère : « Elle a
cassé la famille », déplorait Dadue. Même traitement pour les amis
de toujours, ceux qui avaient été les témoins de la liaison de son
mari ou, pire, qui avaient reçu le couple. Et lui, espérant encore
des jours meilleurs, l’acceptait sans murmure. « Pour qu’elle
reste, je suis prêt à sacrifier tout le monde », avouait-il à
Pierre Charon. Il connaissait le caractère de sa femme, sa façon de
détester le lendemain ce qu’elle adorait encore la veille. Ses
bouderies avec les amis qui pouvaient durer des mois, voire des
années et qui un jour cessaient. Elle les rappelait et la relation
reprenait. Sans explication. De cette cyclothymie, les propres
frères de Cécilia avouaient avoir souffert, la jugeant «
irrationnelle dans ses sentiments ». Mais pour que Cécilia demeure
auprès de lui, Nicolas acceptait tout. Ses caprices devenaient des
ordres. Le mâle dominant validait toutes les fatwas de « la part
non négociable de moi-même », ainsi qu’il l’avait qualifiée
jadis.
Le plus étonnant restait à venir : ce jour de
l’élection, elle avait décidé de ne pas participer à la soirée du
Fouquet’s, dont elle avait pourtant réglé tous les détails. Elle
l’en avait averti le matin même : « Je ne viendrai pas, je n’ai
plus rien à y faire. » Il s’était emporté : « Tu ne peux pas me
faire ça. » Eh bien si, elle comptait le faire. Et elle faillit tenir parole. En cette soirée
glorieuse où tout l’aréopage qu’elle avait sélectionné s’abîmait en
courbettes, elle n’arrivait pas. Et lui évidemment n’avait qu’une
obsession : qu’elle soit à ses côtés. Il harcelait les amies, les
filles de Cécilia : « Appelez-la, dites-lui de venir. » Toutes la
bombardaient donc de SMS. Une folle soirée, où l’on attendait la
reine. Qui finit par arriver. Mais sans couronne, beauté sans
maquillage, au moment même où le Président, ne l’espérant plus,
partait à la rencontre de la foule impatiente (35 000 personnes)
qui l’attendait place de la Concorde depuis plus de trois
heures.
Cette fête avait été organisée par Pierre Charon
et Frédéric Lefebvre. Les téléspectateurs, qui s’interrogeaient sur
l’absence de Cécilia, finirent par l’apercevoir sur la tribune, un
peu en retrait, amaigrie, pâle, les yeux embués de larmes qui ne
semblaient pas être de joie, vêtue d’un pantalon et d’un pull
vagues qui n’étaient pas de circonstance. Etrange spectacle pour un
triomphe.
Michèle Alliot-Marie avait joint et levé leurs
mains, façon de mimer un amour dont la journée avait sans doute
scellé la mort.
De retour à la soirée du Fouquet’s, Cécilia
pleurait encore. Ce qui restait d’invités comprit qu’ils
dormiraient là. Ils s’éclipsèrent, saisis de doutes et de
questions.
Ils ignoraient bien sûr que le couple ne vivait
plus ensemble depuis des mois et que le nouveau Président,
organisant une fois encore les apparences, avait fait apporter à
l’hôtel bagages et vêtements collectés dans deux lieux distincts
avant leur départ prévu pour le lendemain. Tard dans la nuit en
effet, Cécilia avait consenti à l’accompagner dans une croisière
que leur offrait Vincent Bolloré au large de l’île de Malte. Croisière de luxe qui apparaîtrait
comme la deuxième erreur du quinquennat.
Pourquoi Malte ? Dans les derniers jours de la
campagne, Nicolas Sarkozy avait laissé entendre à des journalistes
qu’après le scrutin, il aimerait se recueillir au monastère de
Lérins, sur l’île Saint-Honorat. Il avait même employé le mot «
retraite », au risque de susciter les plaisanteries de ceux qui ne
l’imaginaient pas prostré dans la prière et le jeûne. « Parce qu’il
dégage beaucoup d’énergie, on le croit superficiel. Mais c’est
faux, il était sincère », témoigne Nathalie Kosciusko-Morizet. Il
irait ensuite, ajoutait-il, se reposer quelques jours en famille.
Il songeait à la Corse, une île qu’il a toujours aimée. Il avait
même fait retenir des chambres à la Cala Rossa (4 étoiles, Relais
et Châteaux, étoilé Michelin, proche de Porto Vecchio). Mais la
Corse est le pays de Marie-Dominique, sa première épouse. Et puis,
il y avait passé un week-end avec son amie journaliste, pendant le
séjour new-yorkais de Cécilia. Elle ne voulait donc pas aller en
Corse. Ce soir-là, d’ailleurs, elle n’avait envie de rien.
Malte, proposé au débotté par Vincent Bolloré,
lui plut. D’autant qu’un bateau naviguant en pleine mer ne serait
pas une cible facile pour les paparazzi, qu’elle redoutait. Et le
jeune Louis, dit-on, en rêvait. Dans la nuit donc, branle-bas de
combat pour les filles de Cécilia et aussi les fils de Nicolas, qui
n’avaient pas vu leur père durant toute la campagne. Pour assurer
l’ambiance, on mobilisa même, à 2 heures du matin, un couple d’amis
: Mathilde Agostinelli, patronne de la communication chez Prada et
son époux Roberto. Rendez-vous au Bourget en fin de matinée.
La surprise est le succès de ce projet de
dernière heure. Tous ceux qui en furent parlent de « retrouvailles
familiales », de « parenthèse
magique » et même de « bonheur ». Il y avait le bateau blanc, la
mer toute bleue, un grand soleil et surtout la gaieté partagée.
Nicolas et Cécilia composaient en riant le gouvernement.
Echangeaient des noms, en écartaient d’autres. Cécilia poussait
Rachida Dati à la Justice. Et aussi Roger Karoutchi, Christine
Lagarde, Xavier Bertrand, Xavier Darcos, David Martinon qui avait
toujours gardé le lien avec elle. « C’est la dernière fois où j’ai
vu Nicolas heureux avec Cécilia », note Mathilde Agostinelli.
Cécilia de son côté adressait des SMS à une amie journaliste qui
laissaient croire à une réconciliation. « On a le droit au bonheur
», ou « Je vais essayer ».
Et au retour, elle essaya, c’est vrai. « Elle a
vraiment voulu donner une chance à leur couple », atteste une de
ses amies. Jusqu’à la cérémonie d’investiture, elle continua même à
peser sur la composition du gouvernement. François Fillon se
souvient d’une réunion à la Lanterne au cours de laquelle elle
opposa un « Il n’en est pas question » sans appel à la nomination
de Brice Hortefeux à la Défense.
Elle intervient aussi dans la composition du
cabinet présidentiel. Ecartant Laurent Solly, Frédéric Lefebvre,
Pierre Charon. Et faisant entrer ses protégés : François de La
Brosse, Jérôme Peyrat. Choisissant d’y ajouter Catherine Pégard,
rédactrice en chef au Point qui venait
pourtant d’accepter de travailler avec François Fillon. Cécilia
comptait aussi évincer Franck Louvrier, collaborateur de longue
date, chargé de la communication de son mari. « S’il n’accepte pas
d’être sous les ordres de David Martinon, il ira ailleurs. » Son
critère de choix était toujours l’attitude des uns et des autres
envers elle lorsqu’elle était à New York. Ainsi pour Emmanuelle
Mignon, qui deviendrait directeur de cabinet : « Comment s’est-elle comportée, celle-là,
quand je n’étais pas là ? » Et pour Claude Guéant : « Il s’est
toujours bien conduit avec moi. » Henri Guaino ? « Lui au moins, il
ne fait pas partie de la bande. » Pour s’occuper de sa
communication personnelle, elle avait fait engager Carina Alfonso
Martin, une jeune attachée de presse de Disneyland qui l’y avait
toujours reçue avec beaucoup d’égards. Un lieu dont Cécilia
raffolait et où elle avait emmené maintes fois Louis et…
Nicolas.
C’est elle enfin qui voulut mettre en scène la
cérémonie d’intronisation officielle du 16 mai. En écartant une
fois encore les collaborateurs honnis. Brice Hortefeux, l’ami de
trente ans, fut le seul à être repêché et invité in extremis par un coup de fil du Président. Les
collaborateurs agréés par la Première dame reprirent soudain
espoir. Surtout lorsqu’ils apprirent qu’à sa demande, la garde
républicaine jouerait Asturias, en
hommage à son arrière-grand-père, le compositeur espagnol Isaac
Albéniz. Ils crurent y voir le signe qu’elle demeurerait auprès de
son mari.
Le jour venu, ils admirèrent la mise en scène :
l’arrivée de la Première dame dans la cour de l’Elysée, superbe
dans sa robe Prada en satin ivoire, tenant la main du jeune Louis,
entourée de ses deux filles à elle et de ses deux fils à lui, du
même âge, quatre blonds qui se ressemblaient comme frères et sœurs.
Un côté Grimaldi Casiraghi à l’Elysée.
Il avait été prévu que Pierre et Jean se
rendraient à l’Elysée en compagnie de leur grand-mère Dadue.
Changement de programme de dernière heure : « Cécilia nous a
appelés la veille pour nous dire qu’elle viendrait nous chercher »,
raconte Jean Sarkozy. C’est qu’elle avait écrit le scénario d’une
fête de famille recomposée. Elle l’interpréta avec talent, prenant
la pose sur le tapis rouge,
s’y attardant, offrant au monde une image qui ravit le Président. «
J’ai mis vingt ans pour que ces quatre-là s’aiment », confiait-il
le soir même à un ami. Beau spectacle. Le quinquennat commençait
comme une série télévisée.
Certains détails auraient pourtant dû les
éclairer. Ils auraient notamment dû noter qu’au déjeuner presque
intime qui suivit la cérémonie, pour lequel elle avait une fois
encore dressé la liste des invités et fait les tables, elle avait
placé à la droite de son mari Son Excellence, l’ambassadrice de
Jordanie, une amie de Richard Attias. La bonne manière qui lui
était faite devait rappeler à celui-ci leur escapade à Pétra deux
ans plus tôt.
Rien n’était donc oublié, mais elle attendit
encore. Non parce qu’elle avait découvert les commodités du
pouvoir, mais parce qu’elle devait encore fléchir l’homme qu’elle
aimait. Celui-ci avait en effet pris ses distances, affirmant aux
journalistes que son aventure avec Cécilia « appartenait au passé
», qu’elle lui avait valu trop de problèmes. Il ne voulait plus,
assurait-il, « se brûler avec des êtres de feu ». Non, il n’y
reviendrait pas. Etait-ce clair ?
Elle, Cécilia, chantait de son côté sa petite
chanson. Si elle voulait partir, plaidait-elle, c’était seulement
en raison d’un autre amour, celui de la liberté.
La vérité est tout autre. Elle avait essayé de
reprendre la vie commune, mais ça n’avait pas marché. La porcelaine
était trop fêlée. Elle n’aspirait plus qu’à reconquérir son amant,
recouvrer sa confiance. Lequel s’estimait trahi depuis qu’elle
avait déserté New York d’où elle était partie « comme une voleuse
». Voulait-il des preuves de son amour toujours ardent ? Eh bien,
elle allait lui en offrir. Non pas des petits gestes comme l’honneur fait à l’ambassadrice de
Jordanie, mais des preuves « planétaires », confia-t-elle
alors.
Elle tint promesse.
Première preuve : le 6 juin, un mois seulement
après l’élection. Nicolas Sarkozy doit participer à un sommet du G8
en Allemagne, à Heiligendamm. Il va y rencontrer pour la première
fois Vladimir Poutine. Elle consent à l’accompagner et fait
sensation en descendant de l’avion en tailleur pantalon blanc signé
Saint Laurent. Quelle allure ! Mais, petit indice chargé de sens :
elle retire prestement sa main quand, sur la passerelle, son mari
tente de la saisir. Le soir, au dîner officiel, elle fait plus.
Très remarquée dans une robe noire à bretelles de chez Alaïa, bras
nus et ballerines plates, elle ne porte pour tous bijoux qu’un
bracelet et une petite chaîne en or du joaillier Dinh Van sur
lesquels figurent deux cœurs enlacés : des cadeaux de Richard
Attias ! Et voici que le lendemain matin, elle abrège les
mondanités, et tire sa révérence sous un prétexte qui ne trompe
personne : la préparation de l’anniversaire – les vingt ans – de sa
fille Jeanne-Marie. Comme si elle devait aller confectionner
elle-même les pâtisseries. Pour ce retour impromptu à Paris, elle
utilise un avion de la République, l’appareil de réserve qui
accompagne tout déplacement présidentiel. Rien que pour elle et son
garde du corps. La France profonde s’étonne de cette nouvelle
entorse aux bonnes règles. Et de cette humiliation infligée au
Président en pareille occasion. Le soir, au journal de 20 heures,
les télévisions montrent Nicolas Sarkozy cheminant aux côtés de
Vladimir Poutine, portable à l’oreille et en grande conversation,
tendre soudain son téléphone au président russe : « Je lui ai passé
Cécilia », expliquera-t-il plus tard aux journalistes. Tout faire
pour sauvegarder les apparences.
Un mois
plus tôt, il présidait au Havre une réunion organisée par l’UMP
pour les très prochaines législatives (sa seule contribution à la
campagne, tant une belle victoire est assurée). Il a demandé à
Isabelle Balkany de l’accompagner. Elle raconte : « Quand
l’hélicoptère amorçait sa descente, j’étais éblouie par le
spectacle de la foule qui l’attendait, le déploiement des forces,
les officiels au garde-à-vous, je lui ai dit : “Tu te rends compte,
Nicolas, ça y est, tu es Président.” Et il m’a répondu : “Oh, tu
sais, c’est tellement dur avec Cécilia.” J’ai senti qu’il était en
grande souffrance et qu’il avait beaucoup de mal à se projeter dans
son nouveau rôle. »
Que Cécilia reste auprès de lui tourne à
l’obsession. Les ministres en témoignent : « Il était dans
l’action, mais on le sentait l’esprit complètement tourneboulé par
ses tourments intimes et surtout toujours prêt à mordre. » Ce qui
éclaire d’un autre jour ce curieux propos, ressassé, telle une
antienne, devant tous ses visiteurs à l’Elysée : « Je ne ferai
qu’un quinquennat, je veux réformer la France et ensuite je
gagnerai beaucoup d’argent. » Comme si le pouvoir était son
purgatoire avant le paradis ? Après la soirée du Fouquet’s et la
croisière à Malte, ces propos en choquent plus d’un. Entre la ville
et la Cour, les commentaires vont bon train : « C’est son côté
bling-bling8, show off, vulgaire », tranchent les
uns. Quand d’autres glosent sur ses blessures d’enfance : « Il a
souffert du manque de moyens. » Mais tous s’accordent pour trancher
: ces choses-là ne se disent pas. Ce ne sont pas des paroles
d’homme d’Etat.
Ses plus
anciens amis en portent témoignage : « Nicolas a toujours eu peur
de manquer », d’où, parfois, des achats compulsifs « jusqu’à dix
chemises Lacoste ! ». Mais l’argent n’a jamais été sa motivation,
il a choisi la politique en sachant très bien que l’on n’y fait pas
fortune. Ce qui ne l’empêchait pas, c’est vrai, de déplorer souvent
devant des tiers que les ministres soient moins bien payés que les
présentateurs de télé. Pas suffisant, de toute manière, pour
devenir riche. « Dans le privé, comme avocat, je gagnerais dix fois
plus », lançait-il aussi. Après l’acquisition de leur appartement
sur l’île de la Jatte, il confiait à des journalistes : « Je n’ai
plus un sou pour le meubler. »
Alors, l’argent… Dans son panthéon personnel
figurent, c’est vrai, ceux qui ont fait fortune en partant de rien.
Ayant accompli la performance d’être élu Président à la première
tentative, il ne doutait pas de ses capacités à faire aussi bien
qu’eux, s’il le décidait.
« L’argent représente pour lui la liberté »,
résume Franck Louvrier. Une liberté qu’il allait perdre pendant
cinq ans ?
En réalité, en se laissant ainsi aller devant
ses visiteurs, le Président s’adressait moins à eux qu’à sa femme.
Quand un couple se défait, celui qui est quitté se bâtit toujours
un roman pour justifier son échec. Et lui, il voulait s’en
convaincre : s’il avait eu les moyens d’offrir à Cécilia la maison
de campagne dont elle rêvait depuis si longtemps, elle n’aurait pas
eu envie de partir. Des maisons ? Elle en avait visité un peu
partout en France9. « Nicolas n’a jamais eu la frappe financière pour
répondre à ses désirs », note une de leurs amies devant laquelle
Cécilia souvent s’était plainte. « Nous n’avons jamais eu une
maison à nous pour ranger nos bottes. » « Nicolas, qui n’a jamais
su ce qu’était l’argent, croyait qu’Attias était milliardaire »,
renchérit un proche. Question : une maison, si fastueuse soit-elle,
aurait-elle empêché leur séparation ? Voire ! Devenu Président,
Nicolas Sarkozy offrait à celle qui était encore son épouse la
jouissance de trois lieux de rêve pour cinq ans : le palais de
l’Elysée et son service cinq étoiles, la résidence de la Lanterne,
dans le parc de Versailles. Car c’était pour elle qu’à peine élu il
en avait évincé illico presto le Premier ministre, jusque-là
toujours bénéficiaire du lieu10. Et pour l’été, enfin,
le fort de Brégançon sur la Méditerranée. Ensuite ? Eh bien il
gagnerait de l’argent, « promis, juré, je serai riche. Cécilia
attends-moi, sois patiente ! Je ne ferai qu’un quinquennat ».
Mais la belle allait s’éloigner chaque jour
davantage.
Le 14 Juillet, elle fait encore son devoir. Elle
apparaît à la tribune officielle, en robe Dior sans manches,
imprimée grisouille, à l’unisson de son humeur sans doute. D’une
main, elle tient celle du jeune Louis et de l’autre son BlackBerry
qu’elle regarde presque davantage que le défilé. A l’évidence, elle
attend des messages.
Dans la joyeuse cohue de la réception qui suit à
l’Elysée, elle se montre distante et marque un mouvement de recul
lorsque son mari rend un hommage appuyé à sa beauté. « Ce n’est pas
la peine », lâche-t-elle. La veille et ce matin-là encore, elle lui
a redit sa volonté de
divorcer. Il confie alors à des journalistes : « Je n’ai qu’un
problème : Cécilia. » Mais il ajoute, comme rêvant encore le
résoudre : « Nous nous installerons à l’Elysée en septembre.
»
Le même soir, nouvel accroc. C’est elle qui a
organisé avec Jean-Claude Camus, l’imprésario des stars, le concert
de Michel Polnareff au Champ-de-Mars. Offert officiellement par
l’Elysée et en réalité payé par le ministère de la Culture. Or,
elle refuse d’y apparaître aux côtés de son mari, qui s’y rend donc
accompagné de… Judith, la fille de Cécilia. Comment s’y
tromperait-il ? Ne lui a-t-elle pas répété jour après jour sa
volonté de divorcer ? Il persiste pourtant à faire le sourd et le
dos rond. Il mène jour après jour un combat désespéré pour la
retenir et l’impliquer. José Manuel Barroso, qui reçoit sa visite à
Bruxelles, raconte : « Comme je félicitais Nicolas d’avoir mis le
drapeau européen à côté du drapeau français pour la photo
officielle, il m’a répondu : “C’est une idée de Cécilia, tiens je
vais l’appeler et te la passer pour que tu la félicites.” »
Tout faire donc pour l’associer.
Et puisqu’il avait avancé durant la campagne
l’idée qu’elle pourrait le représenter à l’étranger, être sa
messagère, il tient à lui offrir des rôles plus spectaculaires. Il
veut lui éviter de se morfondre dans le rôle classique de la
Première dame vouée aux bonnes œuvres et aux visites d’écoles.
C’est ainsi qu’il évoque, lors du passage à Paris du président
mexicain Calderon, au début du mois de juin, la possibilité que
Cécilia, qui parle l’espagnol, aille en personne préparer sa visite
à Mexico. Or, voilà qu’une autre occasion se présente. Aussi
surprenante que remarquable. Il s’agit en effet de libérer des
femmes qui vivent un calvaire en Libye. Un rôle à la mesure de
Cécilia, veut croire le Président.
L’intermède libyen Lors de son discours
d’intronisation comme candidat officiel de l’UMP, le 14 janvier
2007, Nicolas Sarkozy l’annonçait sans détour : « Si les Français
me choisissent comme Président, la France sera aux côtés des
infirmières bulgares condamnées à mort en Libye11. » Il l’avait répété le soir même de son
élection.
Elles sont cinq. Cinq infirmières ainsi qu’un
médecin palestinien accusés d’avoir ensemble sciemment inoculé le
virus du sida à plus de quatre cents enfants libyens. Ils
croupissent depuis huit ans dans les geôles de Kadhafi. On leur a
extorqué sous la torture des aveux écrits en arabe sans qu’ils
puissent être assistés d’un traducteur indépendant ni d’un avocat.
Les infirmières et le médecin ont été battus et violés. Ils vivent
un cauchemar. Et tous ont été par deux fois condamnés à mort. Mais
les exécutions n’ont pas suivi. Le dictateur libyen préfère garder
ses otages comme monnaie d’échange. Or, il est maintenant décidé à
y procéder. La chute de Saddam Hussein l’a impressionné. Il ne
voudrait pas avoir à subir le même sort que lui. Surtout, il se
sent trop isolé dans le jeu international. Il ambitionne de
retrouver un rôle à sa mesure.
Durant l’été 2003, Kadhafi a multiplié les
gestes. D’abord en annonçant qu’il renonce aux armes de destruction
massive. Puis, dans la foulée, au terrorisme en reconnaissant la
responsabilité de son pays – jusque-là niée malgré l’irréfutabilité des preuves – dans
l’attentat de Lockerbie : le 21 décembre 1988, un Boeing 745 de la
Pan Am avait explosé au-dessus de ce petit village écossais. On
avait dénombré 270 victimes. L’année suivante, un DC-10 de la
compagnie française UTA avait subi le même sort au-dessus du désert
du Ténéré (Niger) : 170 morts. Pour cet attentat aussi, Kadhafi a
fini par passer aux aveux.
Des gestes auxquels les pays occidentaux se
montrent sensibles.
Après vingt-quatre années de rupture, les
Etats-Unis rétablissent une relation diplomatique avec la visite du
Secrétaire d’Etat adjoint William Burns.
L’Union européenne, au nom du « droit à la
rédemption », décide de lever l’embargo commercial qui frappait la
Libye depuis quinze ans. Et bientôt celui sur les ventes d’armes.
Pas mécontente, il est vrai, d’y faire des affaires. Tous les chefs
d’Etat et de gouvernement s’y bousculent presque. Dans l’ordre :
l’Espagnol José Maria Aznar, l’Anglais Tony Blair, l’Italien Silvio
Berlusconi, l’Allemand Gerhard Schröder. Jacques Chirac, qui ne
veut pas être en reste, s’envole le dernier fin novembre 2004 pour
Tripoli en expliquant : « La Libye est un marché prometteur, il
faut y investir. » (La France ne se classe qu’au 6e rang des partenaires commerciaux de la Libye.)
Mais Kadhafi, qui a déjà été reçu à Bruxelles, rêve d’être invité à
Paris. Quelques mois après la visite du président français, ses
services en avaient fait la demande au Quai d’Orsay. « Libérez
d’abord les infirmières », leur avait-il été répondu.
« J’ai rencontré Kadhafi quatre fois en tête à
tête, il ne comprenait rien au sida. Mais il voulait donner les
infirmières à la France. Il me l’a dit plusieurs fois. J’avais
transmis le message à Jacques
Chirac qui m’avait répondu : “Je laisse cela à mon successeur” »,
révèle Patrick Ollier, le président de l’amicale parlementaire
franco-libyenne qui ajoute : « J’en ai parlé à Nicolas le jour de
son investiture. »
Dans un discours prononcé à Alger en mars 2005,
celui qui se fait appeler « le Guide », ébauche les termes d’un
échange possible : « Chaque officiel qui vient me voir, dit-il,
demande à repartir avec le personnel médical, mais personne ne se
préoccupe de nos enfants. »
Traduction évidente : les enfants libyens
d’abord.
A Bruxelles, Benita Ferrero-Waldner, ex-ministre
des Affaires étrangères d’Autriche, devenue commissaire européenne
aux Relations extérieures, reçoit le message cinq sur cinq. Et
décide d’agir vite, d’autant que la Bulgarie vient d’entrer dans
l’Europe. La voilà partie quelques semaines plus tard pour la
Libye, en faisant d’abord étape à Benghazi.
C’est en effet dans cette ville, très disputée
pendant la guerre entre Anglais et Italiens, que sont soignés les
enfants. Et Kadhafi choie d’autant plus leurs familles que la
région lui est hostile12 (elle sera la première à
se rebeller en février 2011). Chaque famille a reçu un logement –
leurs voisins les rejettent comme des pestiférés –, une voiture et
un salaire pour le père. Mais on leur répète que les infirmières
travaillaient pour la CIA et le Mossad. Toujours l’accusation
d’empoisonnement volontaire. Quarante-sept des enfants sont hélas
décédés. Le sort des autres n’est pas brillant. Ils sont expulsés
des écoles. Les médecins de la ville refusent de les opérer par peur de la contagion. A
l’hôpital, les conditions d’hygiène sont déplorables et les
équipements sanitaires indigents, alors que le pays regorge de
dollars.
Mme Ferrero-Waldner s’engage à remettre
l’hôpital aux normes occidentales et à former du personnel. Mais
les familles, qui ont compris les jeux et les enjeux, veulent que
leurs enfants soient soignés en Europe. Les parents sont en effet
autorisés à les accompagner. Les ambassades prenant en charge tous
leurs frais (autour de 5 000 euros par mois). Un pactole dans un
pays où le salaire mensuel d’un professeur d’université ne dépasse
pas 800 euros.
La commissaire européenne assure aux familles
que les nouvelles thérapies permettront aux enfants de mener une
vie normale. Et pour démontrer qu’elle ne craint pas la contagion,
elle en prend un sur ses genoux alors que les mères n’osent plus
toucher leurs enfants malades. Effet symbolique garanti.
Après quoi, accompagnée de l’ambassadeur Marc
Pierini, représentant de l’Union européenne auprès de la Libye, lui
aussi très actif sur le dossier, elle s’envole pour Tripoli. Mais
Kadhafi n’est pas encore disposé à libérer les infirmières.
Prétexte invoqué : les condamnations à mort décidées par la Cour
suprême. Pour « restaurer l’honneur des familles », cette cour
réclame en effet la « Diyya » : le prix du sang, qui, selon le
droit coranique, peut être compensé par un versement d’argent. Dix
millions de dollars par victime. Voilà ce que réclament alors les
Libyens. Le chiffre n’a pas été fixé au hasard. Il est exactement
celui que la Libye a versé à chaque famille des morts de l’attentat
de Lockerbie.
Mais aucun
des Etats européens ne veut entendre parler du montant de cette
indemnité, ni même d’indemnité tout court. Ce qui serait
reconnaître une culpabilité alors que la faute a été commise par
l’Etat libyen.
En novembre 2005, un groupe de négociateurs
britanniques, américains, bulgares et libyens réunis à Londres
décide de contourner l’obstacle en créant un fonds international
dit « de Benghazi » (en réalité une ONG de droit libyen), chargé de
collecter des dons publics ou privés en faveur des familles. Ce
fonds est présidé par Marc Pierini. Mais en décembre 2006, jugeant
que les promesses de dons (autour de 200 000 euros) sont trop
faibles, le colonel Kadhafi s’emporte. La négociation est bloquée.
Et le restera jusqu’en février 2007… Alors que la France est en
pleine campagne présidentielle. Quoi qu’il en soit, un premier
geste libyen est adressé à l’Union européenne. Le fils du Guide,
Saïf al-Islam Kadhafi, président de la fondation Kadhafi pour le
développement, adresse à Benita Ferrero-Waldner une nouvelle
demande. Il attend des Européens une aide sur le plan clinique pour
les enfants, la création d’une logistique hospitalière moderne à
Benghazi et surtout – condition expresse mais voilée du règlement
final – le retour de la Libye sur la scène internationale.
Le voilà invité à Bruxelles, où il se voit
offrir neuf millions d’euros pour la coopération médicale.
L’Allemagne, qui préside l’Union européenne, y ajoute un million
d’euros. Le fonds international de Benghazi promet, lui, deux cent
soixante mille euros à chaque famille. La question de
l’indemnisation n’est pas résolue pour autant. Mais les affaires
sont les affaires, sept accords commerciaux sont alors
signés.
Un mois après l’élection de Nicolas Sarkozy, les
11 et 12 juin 2007, Benita Ferrero-Waldner et Frank-Walter Steinmeier, le ministre des Affaires
étrangères allemand (qui s’est lui aussi beaucoup investi dans le
dossier des infirmières), retournent en Libye, confiants dans une
issue heureuse qu’ils espèrent imminente. Ils ont invité Bernard
Kouchner à se joindre à eux. Mais le ministre a décliné leur offre
: il se trouve à Khartoum, trop occupé, leur explique-t-il, par
l’organisation de la conférence sur le Darfour. Seulement Kadhafi
n’a pas l’intention de faire une fleur à l’Allemagne, qui ne vend
des armes qu’aux pays de l’OTAN. Le ministre et la commissaire
repartiront en ayant rencontré le fils Saïf al-Islam, mais sans
avoir vu le père, dont dépend le dénouement de l’affaire.
Les choses progressent néanmoins. La fondation
Kadhafi annonce qu’elle a décidé de faire son affaire de
l’indemnisation des familles. En clair, les Libyens acceptent de
payer, car Kadhafi veut se réinsérer dans le concert des
nations.
C’est à ce moment que Nicolas Sarkozy va entrer
dans le jeu. C’est bien ce qu’attend le Libyen.
Lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, le
nouveau Président avait noué un dialogue avec les Libyens sur les
questions de lutte contre le terrorisme. Claude Guéant, son
directeur de cabinet, était chargé de cultiver ses contacts. Et
voilà que quatre jours seulement après le deuxième tour, le chef
des renseignements libyens, Moussa Koussa13, rend visite à celui-ci pour lui signifier
la volonté de Kadhafi d’ouvrir des relations nouvelles avec son
Président. Et il ajoute, mine de rien, que la France pourrait jouer
un rôle dans la libération des infirmières. Une offre qui ne tombe pas dans
l’oreille d’un sourd. Nicolas Sarkozy et le colonel Kadhafi se
téléphonent dès le 28 mai. Ils évoquent les problèmes du Darfour,
les perspectives de l’Union méditerranéenne et bien sûr le sort des
infirmières.
Le 10 juillet, Claude Guéant reçoit du colonel
libyen une invitation en bonne et due forme. Pas question de
tarder. « Ce serait une bonne idée que Cécilia vous accompagne »,
lui glisse Nicolas Sarkozy. Voilà donc l’occasion rêvée de lui
offrir un beau rôle. Envoyer sa femme en émissaire, c’est utiliser
la coutume arabe selon laquelle on adresse à celui que l’on veut
honorer la personne qui vous est la plus chère. En dépêchant son
épouse comme émissaire personnel, le président apportait aux
discussions franco-libyennes le lustre espéré par Kadhafi.
Le 12 juillet, l’équipe française s’envole donc
pour Tripoli. A bord, Claude Guéant, Cécilia et le jeune Boris
Boillon, conseiller technique à l’Elysée chargé de l’Afrique du
Nord et bon connaisseur du Moyen-Orient14 ainsi que
leurs gardes du corps.
Dès leur arrivée, Kadhafi les reçoit sous sa
tente plantée devant les ruines de ce qui fut son palais avant les
bombardements américains de 1986. Le sort des infirmières est bien
sûr évoqué d’emblée. Le chef de l’Etat libyen repousse froidement
les arguments des Français sur l’origine de l’infection des
enfants. Toutes les expertises médicales occidentales ont démontré
que c’est l’utilisation d’aiguilles souillées qui a provoqué la
contamination des enfants. Il ne veut rien entendre. C’est que la veille encore, et comme
par hasard, la Cour suprême, lors d’un nouveau procès en appel, a
confirmé une fois de plus le verdict de mort. Les Français
insistent pour que la sentence soit commuée en prison à vie, le
Guide rétorque qu’il n’y peut rien, la sensibilité de son opinion
publique, leur assure-t-il, est trop à vif.
Après quoi la délégation se rend à la prison
pour visiter les infirmières, avant de s’envoler pour Benghazi afin
de rencontrer les enfants malades et leurs familles. Retour à
Tripoli. Cécilia Sarkozy obtient un nouvel entretien avec le
colonel Kadhafi. En tête à tête cette fois, dans son bunker. On
serait impressionné en si petit comité. Plus tard, elle racontera :
« Kadhafi, je l’ai pris au collet, je ne l’ai plus lâché15. » Et encore : « Très vite, j’ai eu la
mainmise sur Kadhafi, j’ai senti que j’avais un pouvoir sur
lui16. » Seul résultat : Kadhafi invite Cécilia à
rencontrer sa fille Aïcha. « Tu es une femme courageuse, je
voudrais qu’elle te ressemble17. » Mais celle-ci, comme
son père, se borne à insister sur la sensibilité de l’opinion
libyenne. Les Français regagnent Paris pour la fête
nationale.
Bredouilles ? En apparence, oui. En réalité, les
Libyens bougent. Et vite ! Ils ont déjà précisé aux familles le
montant de l’indemnisation : un million de dollars par victime.
L’argent – soit 460 millions de dollars – est emprunté le 15
juillet par le Fonds international de Benghazi au Fonds de
développement économique sur lequel la Libye dépose ses avoirs liés
aux recettes pétrolières. Les Européens n’auront donc pas à verser le moindre centime d’euro.
Les familles sont indemnisées dès le lendemain, le 16 juillet. Dès
lors, elles n’exigent plus l’application de la peine de mort. Le 17
juillet, le Haut Conseil de justice libyen commue la peine de mort
en réclusion à perpétuité. Contrepartie : les prisonniers doivent
s’engager à ne pas poursuivre l’Etat libyen. C’est-à-dire à
renoncer à leur droit légitime de réclamer une vraie justice. Une
nouvelle humiliation ! Mais tous signent, bien sûr. Car ils l’ont
compris : on s’achemine vers une libération. Quand ? Bientôt !
Prudent, Marc Pierini s’est assuré que leurs passeports sont prêts.
Le 18, la demande d’extradition des infirmières et du médecin (qui
a pris leur nationalité) est transmise aux autorités libyennes.
Manque seulement la signature du procureur de Tripoli et… bien
entendu l’accord du Guide.
Parce qu’il s’agissait d’une invitation
personnelle de Kadhafi, l’Elysée n’avait pas jugé bon d’avertir, ni
d’associer, les représentants de l’Union européenne. Du coup, le
déplacement de Cécilia Sarkozy et de Claude Guéant suscite un vif
agacement à Bruxelles. On y voit un coup des Français pour
récupérer sans effort particulier le patient travail accompli
depuis trois ans. Benita Ferrero-Waldner se montre la plus vexée de
ne pas avoir été tenue au courant. Cécilia lui téléphone pour la
rassurer. « Pourquoi ne travaillerions-nous pas ensemble ? »,
suggère la commissaire. De son côté, Nicolas Sarkozy appelle le
colonel Kadhafi. Il veut le remercier et surtout l’inviter à
franchir le dernier pas : la libération. Il reçoit aussi la
commissaire européenne qui l’encourage : « Tout ce qui peut
débloquer la situation est bienvenu. » Elle lui rappelle toutefois
« le travail d’équipe depuis longtemps entamé ».
La religion
du Président est faite. Il faut repartir pour Tripoli, et vite, le
fruit est mûr. Sans y avoir été invités « mais en les prévenant »,
selon l’expression de Claude Guéant18. Voilà les
Français en route pour la Libye accompagnés cette fois de Benita
Ferrero-Waldner.
Ils disposent d’un nouvel atout, capital :
Nicolas Sarkozy a programmé un voyage en Afrique. Or, le colonel
Kadhafi, qui le lui a fait savoir, aimerait que Tripoli soit sa
première escale. Façon d’illustrer son retour sur la scène
internationale. La réponse de l’Elysée est catégorique : pas
question tant que les infirmières n’auront pas été libérées.
Commence alors un long film aux péripéties
multiples. A son arrivée, au début de l’après-midi du 22 juillet,
Cécilia – pantalon et blouse blanche, son éternel BlackBerry à la
main – est accueillie au pied de l’avion par la femme du Guide,
Madame Kadhafi en personne. C’est un signe de bon augure, bien sûr.
Suivent un passage à l’hôtel et une heure d’attente. Puis une
invitation à la libyenne : une visite touristique du superbe site
archéologique de Sabrata, à 60 kilomètres de la capitale. Une façon
de montrer qui est maître du jeu et du calendrier. Benita
Ferrero-Waldner raconte : « Dans la voiture, Cécilia était très
nerveuse. Elle avait cru que la libération des infirmières se
ferait dans l’après-midi et qu’elle pourrait rentrer aussitôt à
Paris. Je lui ai dit que nous étions entre leurs mains, que c’était
leur tactique habituelle et qu’il fallait se montrer
patients19. »
De retour à
Tripoli, les négociations commencent enfin entre la délégation
française et, côté libyen, le ministre des Affaires étrangères
Chalgam20, le secrétaire d’Etat aux Affaires
européennes et le directeur de la fondation Kadhafi. Elles seront
ponctuées de nombreux apartés. « Ils voulaient rouvrir tous les
dossiers des relations entre l’Europe et la Libye », soupire
l’envoyée de Bruxelles. Vers 2 heures du matin, les conversations
tournent court. Fin du premier acte.
Quelques heures plus tard, Nicolas Sarkozy
relance Kadhafi et joue son atout maître : il ne viendra pas en
Libye tant que les infirmières n’auront pas été libérées. L’ayant
dit, il se munit d’une autre carte : il demande au Premier ministre
du Qatar d’entrer dans le jeu. La Libye ne pouvant être insensible
à l’intervention d’un Etat qui dispose de relais considérables dans
le monde arabe. Notamment via la chaîne Al Jazira, devenue le média
de référence au Moyen-Orient.
Le lundi matin, la délégation attend toujours.
Les Libyens voulant ainsi notifier qu’ils ont, et eux seuls, la
solution. L’après-midi, Cécilia est enfin invitée à rencontrer
Kadhafi. Nouveau tête-à-tête sans interprète ! Elle a raconté
s’être présentée à lui comme une mère qui veut le bien des enfants.
Elle lui redit aussi tout le bénéfice qu’un tel geste lui vaudrait
dans la communauté internationale. Que son image s’en trouverait
améliorée dans le monde.
Il s’agit en réalité d’un grand jeu de rôles. Ne
prêche-t-elle pas un homme déjà convaincu, qui lui aurait néanmoins assuré : « Tu es la clé,
je te le jure, tu vas repartir avec elles21. »
Dès lors, Cécilia peut se prévaloir de lui avoir
soutiré son accord. Ouf ! Mission accomplie. « J’ai fait le grand
casse du siècle, Kadhafi n’avait aucune intention de libérer ces
filles. C’est moi qui ai mené les négociations22. »
La partie paraît alors terminée, le succès
assuré ? Pas encore. Si l’accord du Guide est indispensable, il
n’est pas suffisant. Il faut y mettre les formes. Et que chaque
administration procède aux formalités nécessaires. Or, il y a des
réticences à vaincre, dans l’entourage même de Kadhafi. Les
négociations reprennent dans la soirée – cette fois au restaurant
marocain de l’hôtel Corinthia – et avec de nouveaux interlocuteurs
: le Premier ministre Baghdadi et le chef du protocole… qui
traînent les pieds. « Nous avons alors soupçonné qu’ils
souhaitaient libérer les infirmières, mais seulement à l’occasion
de l’escale du Président à Tripoli », indique Claude Guéant.
Bientôt en effet, prétextant la fatigue de tous, les Libyens
demandent que les négociations soient reportées au lendemain matin
8 heures. Les infirmières, ajoutent-ils, pourraient être libérées
vers 10 heures. Ces changements fréquents de position, assortis
d’un long délai, sont un grand classique des négociations
libyennes. Quand même, trop c’est trop ! La délégation, qui craint
d’être menée en bateau, refuse le report au lendemain. On est au
bord de la rupture.
« Vous ne respectez pas la parole de votre
Guide, vous ne respectez pas mon mari, insiste alors Cécilia. Si
vous ne voulez pas faire ce
que le Guide vous a dit de faire, eh bien nous allons repartir et
votre problème – car c’est votre intérêt que l’on sorte les
infirmières – ne sera pas résolu. » Le Premier ministre Baghdadi
accepte alors de faire rédiger dans la nuit les décrets
d’extradition. Et il fait appeler les fonctionnaires du ministère
de la Justice et des Affaires étrangères.
Fin de la partie ? Trop simple. Pas
encore.
Vers 2 heures du matin, rien n’a bougé. Il
manque toujours un papier. « Nous sentions une réelle mauvaise
volonté en dépit de la promesse de Kadhafi », dit Claude Guéant.
Alors avec Cécilia, ils vont tenter un coup de poker sous forme
d’ultimatum : « Si dans deux heures le problème n’est pas réglé,
nous partons. » Bien plus, joignant le geste à la parole, la
délégation décide de quitter l’hôtel pour l’aéroport suivie par le
Premier ministre libyen et le chef du protocole. Pendant ce temps,
Marc Pierini se rend à la prison dont il connaît le directeur de
longue date. Celui-ci lui affirme n’avoir reçu aucune instruction
mais ajoute, prudent : « Vous pouvez attendre dans la cour jusqu’à
4 ou 6 heures du matin. » Plus tard, devant la commission d’enquête
parlementaire française, Marc Pierini notera : « Sur le moment, je
n’ai prêté aucune attention au détail de cet horaire, or le
personnel médical sera justement réveillé à 4 heures et arrivera à
l’aéroport à 6 heures. »
L’attente se poursuit. Claude Guéant décide
d’envoyer l’ambassadeur de France Jean-Luc Sibiude et les deux
policiers qui accompagnent la délégation en reconnaissance à la
prison. « Cécilia dévoile son plan à ses hommes et leur lance sur
le ton du défi : “C’est le moment de prouver que vous en avez.” Il
ne faudra pas le leur dire deux fois. Les bodygards font sauter les
verrous des cellules de
Djoudeida avec leurs armes de poing23. »
La réalité est moins rocambolesque. Les trois
hommes se forgent sur place une certitude : les choses bougent,
mais traînent encore. Cécilia Sarkozy et Benita Ferrero-Waldner,
aussi nerveuses l’une que l’autre, multiplient les allers et
retours entre le salon VIP de l’aéroport et leur avion. Cécilia est
en permanence au téléphone avec son mari qui de son côté passe de
multiples coups de fil, notamment à l’émir du Qatar24. « Quand Cécilia parlait du Président elle
disait toujours “mon mari, mon mari”. On sentait entre eux un
accord profond, physique même, comme des équipiers engagés dans une
partie capitale », témoigne Boris Boillon.
Ils vont l’emporter. L’équipe envoyée à la
prison leur apprend que des véhicules 4 × 4 viennent d’arriver
devant la porte. Tous commencent à respirer, enfin !
A 5 h 30, les infirmières et le médecin sont en
effet libérés. Exactement après la prière de l’aurore, qui pour
bien des musulmans, ponctue le début de l’activité du jour. Mais
c’est une libération grincheuse. Quand, à 6 heures, les Bulgares
arrivent sur le tarmac pour monter dans l’avion, le Premier
ministre libyen a déjà quitté les lieux, comme s’il ne voulait pas
assister à leur départ. Boris Boillon, qui voulait prendre des
photos, est ceinturé par des militaires qui entourent l’avion armes
au poing. La caméra d’un collaborateur de Benita Ferrero-Waldner
lui est arrachée et confisquée. « Jusqu’au dernier moment, la
situation pouvait dégénérer. C’était du romanesque puissance vingt
», commente Boris Boillon.
On embarque
enfin. L’Airbus A319 de l’armée de l’air française est autorisé à
décoller. C’est seulement quand le pilote annonce qu’il est sorti
de l’espace aérien libyen que les applaudissements éclatent. Tout
le monde pleure. « Voilà qui donne un sens à l’existence », lâche
Cécilia. « L’émotion l’avait complètement lessivée », dit Claude
Guéant.
Un beau résultat. Jean-Luc Sibiude le dit tout
net : « Avec un pouvoir atypique et aussi déroutant, nous étions à
la merci d’imprévus, un échec de dernière minute était
possible25. » Avec cette libération très
spectaculaire, Nicolas Sarkozy replaçait la France dans le jeu
libyen au nez et à la barbe de ceux qui s’étaient le plus investis
dans le dossier. « Pourquoi la France devrait-elle s’interdire
d’avoir une relation forte et globale avec la Libye ? Les
Américains n’ont-ils pas signé avec elle un accord de coopération
nucléaire ? Et les Britanniques n’y envoient-ils pas leurs
industriels de l’armement ? », s’interroge-t-il le 25 juillet
devant la presse.
Mais il offrait surtout à Kadhafi un retour dans
le jeu international « avec le meilleur deal », reconnaît Benita
Ferrero-Waldner26.
Comme promis en effet, le lendemain, Nicolas
Sarkozy, accompagné des ministres Bernard Kouchner, Jean-Marie
Bockel et Rama Yade, fait escale à Tripoli avant de se rendre au
Sénégal puis au Gabon. Les entretiens avec Kadhafi ouvrent la voie
à des accords commerciaux. (On en compte une demi-douzaine, l’un
d’eux concernant des installations nucléaires civiles.) Ils sont
signés, pour l’image, devant le Mémorial des bombardements
américains de 1986 : la villa en ruine qu’occupait la famille du Colonel, devant laquelle
une sculpture en tôle soudée représente une main de fer – symbole
de la révolution populaire libyenne – qui écrase un avion de guerre
de l’agresseur américain27.
En contrepartie, le Guide libyen obtient de
Nicolas Sarkozy ce que Jacques Chirac lui avait refusé en 2005 :
une visite d’Etat en France. « Après le dîner avec Kadhafi, le
Président est venu nous voir. Il exultait. Il nous vantait le rôle
de Cécilia. Il en faisait des tonnes. Il était heureux », raconte
Bruno Jeudy, envoyé du Figaro.
Le lendemain matin, les Français s’envolent pour
Dakar. Nicolas Sarkozy doit prononcer un discours devant les
étudiants de l’université Cheikh Anta Diop.
Comme toujours ou presque, c’est Henri Guaino
qui doit écrire le texte. En l’occurrence, plutôt le réécrire. Le
premier projet de discours, élaboré par la cellule diplomatique de
l’Elysée, n’a pas plu au Président. Comme toujours ou presque, il
écrit sous la pression de l’urgence. Le discours n’était pas achevé
au départ de Paris. Il ne l’est toujours pas le lendemain matin. Il
arrive feuille par feuille, par fax, dans l’avion durant le trajet
Tripoli-Dakar.
Le thème général en a, bien sûr, été fixé
auparavant avec le Président. Il s’agit d’inciter les jeunes
africains à regarder en face la réalité, dresser un vrai bilan des
relations franco-africaines. En reconnaissant les fautes et les
crimes de la colonisation, bien sûr, mais en soulignant aussi ses
aspects positifs et en refusant de s’attarder sur le passé. « Nul
ne peut demander aux fils de se repentir des fautes de leurs pères.
»
Le texte,
par ailleurs, exalte les richesses de la culture africaine, en la
sublimant même : « L’art moderne doit presque tout à l’Afrique. »
Mais il ajoute : « L’homme africain n’est pas assez entré dans
l’Histoire, le paysan africain ne connaît que l’éternel
recommencement du temps, rythmé par la répétition sans fin des
mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout
recommence toujours, il n’y a place ni pour l’ouverture humaine ni
pour l’idée du progrès. »
Ces phrases, d’une insigne maladresse,
condescendantes, offensantes même, ont bien sûr attiré l’attention
du staff élyséen chargé de relire le discours. (Jean-David Levitte,
le sherpa, Bruno Joubert, chargé des questions africaines, Cédric
Goubet, le chef de cabinet). Seulement, une heure avant l’arrivée à
Dakar, aucun d’eux ne veut se risquer à alerter le Président. Et
surtout pas celui dont la prose avait été retoquée. Encore marqué
par l’interminable suspense de la négociation libyenne, ils le
savent tendu et surtout ils craignent ses emportements. « Notre
rôle n’était pas de l’insécuriser », dit l’un d’eux. Ils ne
tiennent pas non plus à provoquer le courroux d’Henri Guaino,
toujours prompt à menacer de démissionner quand on met en cause ses
écrits. « A se mettre en congé de sa grandeur », moque l’un d’eux.
C’est donc motus et inch’Allah ! Si ça n’est pas une faute
professionnelle, c’est, pour le moins, une grosse erreur…
Comme ils le craignaient, la phrase commence par
blesser l’auditoire. La presse africaine réagit au canon. Bientôt,
l’onde de choc va parcourir le continent. Quelques intellectuels
africains lancent l’accusation habituelle de néocolonialisme et
relèvent que ces phrases s’inspirent de l’ouvrage La Raison dans l’Histoire, dans lequel le
philosophe allemand Hegel évoquant l’Afrique au début du
XIXe
siècle écrivait : « L’Afrique
est le pays de la substance immobile et du désordre éblouissant,
joyeux et tragique de la création. »
En France, la presse : « En infériorisant la
jeunesse africaine, il s’est aliéné l’élite de demain », lit-on
dans Libération. Les intellectuels
prennent le relais. Honte au Président. Bernard-Henri Lévy, qui
dénonce un « discours raciste ignoble », se voit en retour traité
de « petit con prétentieux » par Henri Guaino. Quelques mois plus
tard, Ségolène Royal ira demander pardon aux Africains, au nom de
la France, pour « ces paroles humiliantes ». Martine Aubry lui
apporte bien sûr son appui. Mais dans un article publié par
Le Monde, Jean Daniel, conscience
morale du Nouvel Observateur,
reprochera à Mme Royal d’avoir omis de lire la première partie du
discours, qu’il a, lui, fort appréciée. Il la qualifie de «
profession de foi anticolonialiste, comme on n’en avait jamais
entendu dans la bouche d’un homme d’Etat français ». Beau
compliment ; venant d’une plume d’ordinaire critique envers Nicolas
Sarkozy.
Le président sénégalais Abdoulaye Wade, qui
qualifie d’« inacceptable » la phrase sur l’homme africain, veut
bien considérer que « Nicolas Sarkozy est un ami de l’Afrique »,
mais… qu’il a été « victime de son nègre ». Lui seul pouvait le
dire. Une manière de clore le débat qui ne manque pas d’humour. Le
président sud-africain Thabo Mbeki écrit à Nicolas Sarkozy pour le
féliciter de la teneur de son discours. Il sera bien le
seul28.
Quand, deux ans plus tard, le 11 juillet 2009,
Barack Obama s’adressera aux Africains à Accra, Nicolas Sarkozy
retrouvera avec bonheur dans ses propos – petite phrase sur l’homme
africain exceptée – l’exact écho de son discours de Dakar : « L’Afrique a sa
part de responsabilité dans son propre malheur. La colonisation
n’est pas responsable des guerres sanglantes que se livrent les
Africains entre eux, ni du fanatisme, ni de la corruption. » Les
deux Présidents proclament le même souci d’intégrer l’Afrique au
monde.
Finalement, la libération des infirmières
bulgares sera très peu mise au crédit du Président. L’opinion
française est plus encline à s’émouvoir sur le sort d’une autre
prisonnière, la Franco-Colombienne Ingrid Betancourt, retenue par
les FARC depuis six ans29.
Demeurait pour Nicolas Sarkozy l’espoir d’un
autre bénéfice, celui-là bien plus capital à ses yeux : que Cécilia
prenne goût à son rôle de Première dame de la République.
Raté.
Le divorce Que la Première dame ait été très
satisfaite de son intervention auprès de Kadhafi, elle le proclame
volontiers. Allant jusqu’à la qualifier de « moment le plus dur et
le plus intense qu’il m’ait jamais été donné de vivre30 ». Ou encore : « J’ai sauvé seule six vies
humaines, il n’y a pas beaucoup de gens qui peuvent en dire
autant31. » « Cécilia a vécu cet épisode avec un
enthousiasme mystique », note une de ses amies. Nicolas Sarkozy
s’en réjouit et le crie haut et fort : « Elle a été formidable,
exceptionnelle. » Devant les caméras de télévision, il loue « son courage », « son
travail remarquable ». Il insiste sur son rôle décisif. C’est qu’il
espère encore la retenir. Et puis, comme le souligne un familier :
« Nicolas a besoin d’avoir auprès de lui une femme qu’on admire et
qu’il admire. »
Pourtant, à l’arrivée de l’avion qui ramène les
infirmières à Sofia, Cécilia semble se cacher. Sur une image du
groupe, on l’aperçoit au troisième rang, moulée dans un polo blanc,
le visage chiffonné par l’absence de sommeil et les larmes. Elle
refuse de s’exprimer devant les caméras et les micros, nombreux
bien sûr, qui se tendent vers elle. « Elle était très fatiguée.
Elle trouvait que cette histoire avait trop duré. Elle n’avait
aucune intention de jouer les bienfaitrices et de rouler des
mécaniques. Je n’ai pas senti chez elle une vocation de grande dame
de l’humanitaire, comme avait pu souhaiter l’être Danielle
Mitterrand32 », constate Benita Ferrero-Waldner
qui se trouvait à ses côtés.
« Cécilia n’a pas joué le jeu. Elle n’a pas
voulu assumer, faire ce cadeau à Nicolas », déplore un conseiller
de l’Elysée.
Le Financial Times
lui consacre néanmoins sa Une. Et son mari s’en émerveille : «
C’est formidable, non ? », répète-t-il en boucle. Le Time Magazine souligne avec quelque ironie que «
vouloir reconquérir un amour perdu en envoyant sa femme chez
Kadhafi est une tentative unique dans les annales de l’amour
courtois ». Dans son ensemble, la presse française applaudit, mais
sans enthousiasme. Elle est surtout intéressée par le rôle
politique ainsi attribué à une femme qui n’est pas élue et qui
n’appartient pas au corps des serviteurs de l’Etat. Elle parle de «
confusion des genres »,
s’interroge davantage sur le flou juridique du statut nouveau qui
lui est conféré.
Bref, c’est la légitimité de son intervention en
politique qu’elle met en cause comme auparavant à Neuilly, à Bercy
ou à Beauvau. Toujours le même refrain. Cécilia, qui jadis se
plaignait tant de ne pas figurer sur les photos, ne supporte plus
désormais la lumière.
« Quoi que je fasse, on me critique »,
lâche-t-elle. Non décidément, le statut dont rêvait pour elle
Nicolas ne l’intéresse pas. Elle répète à qui veut l’entendre que
ce n’est pas « la vraie vie ».
L’opposition martèle que la diplomatie doit
rester l’affaire des diplomates. Et demande aussitôt la formation
d’une commission d’enquête parlementaire – à laquelle l’Elysée
donne son feu vert illico – afin de mesurer ce qu’a obtenu la Libye
dans cette affaire. En clair, si la France a payé et combien. Au
nom de la « séparation des pouvoirs », Nicolas Sarkozy refuse que
son épouse y soit auditionnée. « Elle a fait un travail
remarquable. Si quelqu’un a à rendre compte, c’est moi, qui l’ait
envoyée », explique-t-il à la télévision.
« On ne m’empêchera jamais d’essayer de soulager
la misère du monde dans quelque pays que ce soit », déclare en écho
Cécilia Sarkozy33. Comprenez : elle entend poursuivre
sa mission. Mais ce sera seule, et à son initiative, sans avoir de
comptes à rendre à quiconque. Elle estime avoir fait son devoir. En
cette fin juillet, elle juge que sa tâche est terminée.
Un mois plus tôt, une polémique l’a
définitivement convaincue qu’elle n’a décidément rien à faire à
l’Elysée. Fin juin, Le Canard enchaîné
révélait que Cécilia Sarkozy possédait une carte bleue dont les
dépenses seraient prélevées
sur le compte du Trésor public ouvert à la Présidence. Le député
apparenté PS, René Dosière, spécialiste du budget de l’Elysée,
avait aussitôt écrit à François Fillon pour s’étonner de cette
pratique. « Ces sommes n’étant soumises à aucun contrôle, ne
peuvent que susciter l’inquiétude de ceux qui se préoccupent de la
bonne gestion des fonds publics. »
Les épouses des anciens Présidents faisaient
régler leurs frais de représentations et dépenses personnelles par
l’aide de camp du Président, le seul à disposer d’une carte bleue.
Dépenses qui n’étaient jamais quantifiées ni justifiées
publiquement. En donnant l’usage de cette carte à sa femme, le
Président cherchait-il à l’enrôler auprès de lui ? « Non, c’était
pour avoir une traçabilité des dépenses », assure Franck Louvrier.
Le journal L’Humanité dénonce
sur-le-champ une pratique qui « réintroduit la confusion entre le
patrimoine de l’Etat et celui qui le préside ». On apprenait que
depuis le 16 mai, Cécilia avait utilisé cette carte deux fois :
deux déjeuners pour des montants de 129 et 272 euros. Le 4 juillet,
Cécilia avait rendu sa carte. Afin de clore la polémique, Nicolas
Sarkozy demandait à Philippe Séguin que les fonds alloués à la
présidence de la République soient désormais soumis à des règles de
transparence. Une première dans l’Histoire. Jusque-là, ce budget –
qui s’élevait à 32 millions d’euros pour l’année 2007 – ne faisait
l’objet d’aucun contrôle. A l’instar du budget du Parlement ou du
Conseil constitutionnel, en raison de la séparation des
pouvoirs34 (lesquels ne sont toujours pas
contrôlés).
Retour de
Libye, Cécilia ne remet plus les pieds à l’Elysée. Elle exige même
que son nom disparaisse de l’organigramme. Elle ne veut plus rien.
Nada. Nicolas Sarkozy, que la fin heureuse de l’affaire des
infirmières avait fait rêver, s’en montre d’autant plus déçu. Il
vit désormais un calvaire au quotidien.
« Une femme n’est puissante que par le degré de
malheur dont elle peut punir son mari », a écrit Stendhal. A ce
compte, on peut estimer que Cécilia se trouve alors au zénith de sa
puissance. Ce que va prouver, en août, un nouvel incident. L’acmé
du malheur sera alors atteinte.
Les rumeurs de divorce commencent à circuler
dans Paris. Rumeurs que David Martinon, porte-parole de la
Présidence, fait mine d’ignorer chaque mercredi à l’issue du
Conseil des ministres. Et voilà que le couple présidentiel, comme
pour les démentir, a accepté une invitation de leurs amis Cromback
et Agostinelli. Il s’agit de passer les vacances aux Etats-Unis.
Une innovation qui choque quelque peu l’opinion. Nicolas Sarkozy,
qui aurait préféré la Méditerranée, veut une fois de plus offrir
une satisfaction à Cécilia. Tous – Rachida Dati comprise, qu’elle a
fait inviter – gardent un bon souvenir du séjour. Même si tous
reconnaissent que les rapports souvent tendus entre Nicolas et
Cécilia « plombaient l’ambiance ». Mais chacun faisait mine de
ne rien voir. Surjouant la
gaieté au besoin pour alléger l’atmosphère. La météo du couple
variant d’ailleurs, selon les heures. Certains jours, disent-ils,
Cécilia se montrait très tendre, « amoureuse même de son mari ».
Mais le lendemain, ils la voyaient lointaine, mutique, presque
hostile. Parfois, prétextant la fatigue, elle quittait la table
sitôt le dîner fini. Nicolas donnait le change, en parlant
beaucoup. « Il s’enivrait de mots. » Le groupe regarde des DVD. «
Le matin au petit déjeuner, nous mesurions à leurs mines les
tensions de la nuit », raconte Mathilde Agostinelli qui ajoute : «
En réalité, nous avons sous-estimé son vrai chagrin. »
Or, comme on le sait, ces étranges vacances se
situent à Wolfeboro, dans le New Hampshire, à quelque 82 kilomètres
de la résidence d’été des Bush. Lesquels, ayant été informés de
leur venue bien avant leur arrivée, ont invité le couple
présidentiel à déjeuner.
La veille du jour convenu, Nicolas Sarkozy a
fait un aller et retour imprévu à Paris pour assister aux obsèques
du cardinal Lustiger. Et depuis quarante-huit heures, le petit
Louis, souffrant d’une angine, garde la chambre. Au matin de
l’invitation, Cécilia apparaît la première au petit déjeuner avec
un gros foulard noué autour du cou. « Je n’irai pas chez les Bush
aujourd’hui, j’ai très mal à la gorge, une angine blanche »,
lance-t-elle à la cantonade. Un ange passe. Nicolas arrive, la mine
sombre, Cécilia s’empresse de lui apporter son jus de fruits
préféré.
Les amis comprennent qu’elle lui a fait part de
sa décision, qu’il a tenté de la faire changer d’avis et qu’elle
n’a rien voulu entendre.
« Pour qu’elle vienne, ils voulaient tous nous
amener chez les Bush », dit l’une d’elles. Ce qui, semble-t-il,
déplaît à Cécilia. Rien à faire donc. N’ayant pu réussir à la
fléchir, le Président se rend seul au déjeuner où il arrive avec 45 minutes de retard…
Une méchante entorse au protocole américain ! Accueilli par les
Bush au grand complet, il doit leur expliquer les raisons de
l’absence de son épouse : l’angine. « Nous comprenons, mais nous
sommes déçus. Nous l’attendions avec les enfants, c’est une femme
très dynamique », répond le président américain. Une accolade à son
homologue. Une poignée de main à Bush Sr. (deux hommes que Nicolas
a en grande estime : « Le père et le fils trois fois présidents des
Etats-Unis à eux deux, ça n’est pas rien »). La bise à Laura. Un
baisemain à Madame Mère. Nicolas Sarkozy se prête de bonne grâce au
programme prévu par ses hôtes. Promenade en mer, pique nique à la
bonne franquette avec hot-dog et tarte aux myrtilles.
Les télévisions, qui guettaient cette rencontre,
sont aussi déçues que la famille Bush. L’affront fait à celle-ci
est commenté all around the world. Richard Attias vient de recevoir
une éclatante « preuve planétaire » de l’amour de Cécilia.
N’ayant pas encore tout à fait mesuré les effets
dévastateurs de cette affaire, Nicolas Sarkozy, après avoir pris
congé des Bush, téléphone aux amis pour la minimiser et sans doute
se consoler. A Isabelle Balkany et à Pierre Charon, il sert le même
baratin : « Je souffrais d’une angine la semaine dernière, je l’ai
passée à Louis et Cécilia. »
Or, dès le lendemain, les paparazzi peuvent
zoomer sur une Cécilia flânant, très décontractée, dans les rues de
Wolfeboro pour y faire son shopping. Foulard et mal de gorge
oubliés.
Bien entendu, les jugements sévères du type «
irresponsable » ou « manque d’éducation » se multiplient en France.
Et, bien entendu, ils atteignent également le Président.
« Avec le
Fouquet’s, le yacht de Bolloré, les vacances américaines, Nicolas a
complètement raté son entrée en scène », reconnaît alors l’un de
ses proches qui ajoute : « Ses actes ne correspondaient guère aux
discours de campagne dans lesquels il promettait un style de
présidence irréprochable. »
Nicolas Sarkozy rentre donc à Paris déconfit,
plus irritable que jamais, morose et… résigné au divorce.
Ce qu’explique Alain Minc : « Nicolas avait
accepté ces vacances pour faire plaisir à Cécilia, il espérait
qu’elle jouerait le jeu. Elle l’a au contraire humilié. Ce sont
tous ces chocs successifs qui l’ont peu à peu amené à l’idée de
l’inacceptable. »
Fin août, devant les journalistes, le Président
laisse deviner sa souffrance : « J’aime pas cette vie, j’ai peu
d’amis, je reçois trop de compliments ou trop d’injures. Maintenant
que je suis élu, je suis, c’est vrai, libéré d’un poids, je n’ai
plus ce creux que j’avais à l’estomac. Je vais faire le boulot, me
donner à fond, mais je vous le dis : je ne finirai pas ma vie dans
la politique. »
De son côté, Cécilia prend chaque jour davantage
ses distances, pour couper peu à peu tous les ponts. On la
redoutait régente, faisant et défaisant les carrières, on la
découvre indifférente. On la disait femme de pouvoir, elle ne veut
plus « être dans le film ». On ne la voit plus. Ni à l’Elysée, ni à
la Lanterne où vit son mari. Convoqués par le Président chaque
week-end pour travailler, les ministres et ses collaborateurs l’y
rencontrent toujours seul. Tandis qu’elle, on la signale à Londres,
à Genève ou dans le Midi. Et parfois aussi à Paris.
Qu’y fait-elle ? Du shopping, assurément. Dans
les boutiques chic de la capitale. Les magazines la montrent les
bras toujours encombrés de paquets. On l’aperçoit aussi au volant de sa Mini noire, souvent en
compagnie de sa fille Jeanne-Marie, dont elle prépare les
fiançailles. Ou bien déjeunant dans les restaurants branchés ou
encore prenant le thé avec ses amies au bar du Bristol, à quelques
dizaines de mètres de l’Elysée. Bref, donnant l’image d’une vie
désœuvrée et facile, au gré de ses envies et de ses humeurs. Elle
aurait pu fuir tous ces lieux à la mode, hantés par les paparazzi
dont elle dit pourtant avoir horreur. Mais non : la vérité n’est
jamais simple.
Se serait-elle mise tout à fait hors circuit, on
l’eût vite déclarée trop fragile pour assumer son devoir. Et qui
sait ? Malade. En se montrant au contraire altière, paisible, d’une
minceur idéale – beaucoup trop même –, elle entend faire savoir
urbi et orbi qu’elle maîtrise la
situation et a pris sa décision. Un nouveau message clair à
l’adresse de son amant : « Je t’attends. »
Harcelés, les collaborateurs du Président
s’épuisent à prendre l’air dégagé pour assurer qu’il ne se passe
rien d’étrange à l’Elysée. Le Président, affirment-ils, est
parfaitement calme, zen, accaparé par son travail… Ils ne notent
aucune altération de son physique ni de son caractère. Et s’il
s’emporte très souvent contre eux le matin, comme la rumeur le
propage dans le microcosme, c’est seulement, répètent-ils à l’envi,
parce qu’il s’impatiente de la lenteur des réformes. Rien que de
très ordinaire en somme.
Qui peut les croire ? Chacun sait que son
humeur, sa météo psychologique, dépend de la présence ou de
l’absence de Cécilia. Or, elle n’est plus là. Du tout. Le Président
compense ce vide par un emploi du temps « surbooké ». Les
incertitudes économiques d’ailleurs le servent. Chaque jour, les
Français peuvent l’entendre : « C’est l’offensive permanente,
explique le philosophe Marcel
Gauchet dans L’Express du 23 août : il
submerge ses contradicteurs par une occupation constante de la
scène médiatique, si bien que sa parole prend le dessus… Dans cette
logique, le sujet qui passe mal un jour est compensé par celui qui
arrive le lendemain. » Une logique de désespoir aussi. 4 septembre
: le Président s’adresse aux enseignants dans une longue lettre aux
éducateurs. Le 11 à Rennes, il promet aux agriculteurs de
construire une agriculture de premier plan en France. Le 18, il
s’exprime sur la politique sociale devant les partenaires sociaux
réunis au Sénat. Le 19, il lance la refonte du service public : «
Je veux des fonctionnaires moins nombreux mais plus payés. » Le 20,
interview sur TF1. Et ainsi de suite. Un tourbillon.
Le 24 septembre, Nicolas Sarkozy se rend à
l’Assemblée générale de l’ONU pour y prononcer sa première
intervention. Un baptême du feu. On l’entend alors plaider pour un
« new deal économique et écologique à l’échelle planétaire ». Il
s’agit d’une mise en garde contre la spéculation financière. Il est
très applaudi. Mais en réponse, George Bush qui le félicite, salue…
son action au Darfour. Car ce discours-là est reçu dans
l’indifférence par le monde anglo-saxon. Toutefois, la crise
aidant, il sera mieux entendu et fera même figure de
précurseur.
A sa demi-sœur Caroline – longtemps sa
confidente – qu’il ramène à Paris dans l’avion présidentiel, il ne
dit pas un mot de ses tourments conjugaux. « Il était, au
contraire, très joyeux », note-t-elle.
C’est pourtant à la mi-septembre que Cécilia
révèle ses intentions aux amies : « Je veux divorcer », sans jamais
citer le nom de Richard Attias. Elle reprend juste son habituel
refrain sur les ennuyeux « ors de la République », dont elle n’a
pas besoin.
Le 20
septembre, on l’aperçoit à Lyon aux obsèques de Jacques Martin, son
ex-mari et le père de ses filles. Elle a demandé à Rachida Dati de
l’accompagner, ce que Nicolas n’apprécie guère. La garde des Sceaux
est vivement sermonnée.
Toujours prêt à parler de Cécilia lors de sa
fugue new-yorkaise en 2005, le Président garde désormais le silence
à son propos. Il ne se donne plus la peine de faire semblant. Trop
douloureux. Il est dans l’indicible.
Car Cécilia persiste à l’éviter. Ainsi le
1er octobre, elle est absente lorsqu’il
remet à l’Elysée les insignes de la Légion d’honneur à David Lynch.
Mais on l’aperçoit quelques heures plus tard au Bristol, où le
cinéaste américain offre une réception. Mieux encore : elle ne
l’accompagne même pas en Bulgarie, où elle est pourtant attendue
comme une héroïne. C’est sûrement « le » voyage où elle aurait dû
être à ses côtés. Et lui il est obligé de chercher des excuses qui
ne trompent personne : « Ma femme a été blessée par les polémiques.
» Une occasion de la complimenter à nouveau : « Elle a fait un
travail absolument remarquable, avec beaucoup de courage, de
sincérité, d’humanité. » Les infirmières sont très déçues. La
présence de Sylvie Vartan, née en Bulgarie et invitée personnelle
du Président, ne les console pas. Car c’est elle, Cécilia, et
personne d’autre, qu’elles voulaient revoir. Tout comme la
population, qui se promettait de lui faire la fête. Au nom de la
Bulgarie tout entière et pour remercier la France, le Président
Parvanov remet à son homologue français les grands insignes de la
Stara Planina. Lors de la cérémonie organisée à l’ambassade de
France, chacun peut mesurer combien le Président est perturbé. Il
expédie son discours, remercie à peine les infirmières qui lui ont
remis des cadeaux pour sa femme. Et décide de repartir au plus vite, en dépit de toute
bienséance. « Il avait très mauvaise mine. On le sentait très
malheureux, il était très mal », témoignent les journalistes.
La rumeur du divorce enfle chaque jour
davantage. Elle est bientôt confirmée. Le 15 octobre, Cécilia se
rend au tribunal de Nanterre pour signer la première étape de leur
séparation. Dans la soirée, la présidente des juges aux affaires
familiales, Nicole Choubrac, vient à l’Elysée afin d’obtenir la
signature de son mari. La veille encore, il l’avait suppliée de
réfléchir. En vain. Ce matin-là, il a reçu à l’Elysée des
associations de lutte contre la misère et l’après-midi, Jacques
Attali est venu lui remettre son rapport sur la croissance. Le
lendemain mardi, il se rend à Bordeaux sans que son entourage – la
version officielle – ne décèle chez lui le moindre signe de
faiblesse. Ce jour-là, cependant, David Martinon annonce – nouvel
indice – que le Président se rendra seul la semaine suivante en
voyage officiel au Maroc.
Le mercredi, l’information fuite : le divorce
est révélé par Le Nouvel Observateur. A
la table du Conseil des ministres, le Président écoute
imperturbable l’exposé de Christine Lagarde sur le rapport Attali.
Il conclut par un commentaire enthousiaste : « C’est un travail
formidable. Vous vous rendez compte : Attali travaillait avec
Mitterrand, il a fait un rapport digne de celui de Rueff et
Armand35. » Et les ministres d’admirer cette
capacité à s’enflammer pour un rapport alors que sa vie va
basculer.
L’après-midi, il est reçu par le Conseil économique
et social où il prononce un discours sur la pauvreté et la solitude
qu’elle engendre. Deux phrases font dresser l’oreille : « Il y a
sans doute la bonne solitude, dit-il, celle de la réflexion, celle
qui offre le silence, la sérénité, la liberté. » Passe encore. La
seconde sonne en revanche comme l’aveu d’un homme en détresse : «
Il y a la solitude poisseuse, celle qui oppresse, celle qui naît de
la privation de l’écoute, du soutien du regard de l’autre, celle
qui fait oublier le sentiment d’aimer et d’être aimé. »
Il fixe alors Pierre Charon, son fidèle qu’il
vient de faire entrer dans cette institution, comme s’il ressentait
le besoin d’un appui, d’un réconfort amical.
Mais dans la soirée, endossant sa grande armure
de comédie, il continue à jouer les bravaches devant les dirigeants
de l’UMP. On lui présente un point sur la grève du lendemain. Les
gros bataillons du service public doivent (déjà !) manifester
contre la réforme des régimes spéciaux des retraites. Par trois
fois, ils le voient quitter la réunion pour téléphoner et
remarquent à son retour que son visage est marbré de plaques
rouges, comme toujours quand il est stressé.
C’est vers 13 h 20 le lendemain, 18 octobre, que
tombe sur l’AFP un communiqué de l’Elysée : « Cécilia et Nicolas
Sarkozy se sont séparés par consentement mutuel. » On ne saurait
imaginer phrase plus courte s’agissant d’un tel couple. Le
microcosme parisien est sous le choc. Claude Guéant jure avoir
appris la chose à cet instant seulement. Cécilia, qui déjeune avec
Isabelle Balkany, fulmine quand elle en prend connaissance : c’est
que le mot divorce n’est pas écrit noir sur blanc ! Elle téléphone
aussitôt à l’Elysée pour que le texte soit rectifié d’urgence !
Deux heures plus tard, un nouveau communiqué précise donc que, par séparation, il faut
comprendre divorce. Et David Martinon qui, pressé de questions le
matin même par les journalistes, avait gardé bouche cousue, est
autorisé à préciser que les époux Sarkozy ont divorcé « par
consentement mutuel ».
Tout comme Claude Guéant, la mère de Nicolas
Sarkozy, ses fils, ses frères, sa sœur, son père, apprennent, eux
aussi, la nouvelle… par la presse. Il n’avait fait la confidence de
son divorce à aucun de ses proches. Franck Louvrier, qui
l’accompagne depuis des années, explique : « Nicolas n’est jamais
négatif à son propos. C’est un adepte de la confession positive. Je
ne l’ai jamais entendu dire : “Je suis malheureux, je suis
fatigué.” Il ne se lamente pas, il a horreur que les gens se
plaignent. Il garde pour lui ses cauchemars, c’est sa part de
mystère. »
Le Président n’ouvre jamais son âme. « Plus les
choses le touchent, plus il est secret. S’il parle d’abondance,
c’est souvent pour détourner l’attention », analyse Catherine
Pégard.
Comique involontaire ou maladresse, la
porte-parole du Parti socialiste Annick Lepetit veut voir dans
cette annonce une manœuvre politique : « Choisir ce jeudi, jour de
forte mobilisation sociale contre la réforme des régimes spéciaux
des retraites, pour officialiser un divorce, est-ce vraiment une
coïncidence ? » Elle n’est pas seule à tenir ce langage : « C’est
une opération de com, une manœuvre de diversion délibérée »,
ironise Jean-Claude Mailly, le patron du syndicat Force ouvrière.
Et le très psychologue Noël Mamère : « Quand on connaît le cynisme
du Président, on voit bien que derrière ces événements domestiques
se cache de la manipulation. » Au moment où paraît le communiqué,
Nicolas Sarkozy a quitté la France pour Lisbonne où se tient le sommet européen avec un
ordre du jour important : les Vingt-Sept doivent conclure un accord
sur un nouveau traité simplifié. Un texte qui remplace la défunte
Constitution européenne. C’était son idée pour relancer
l’Europe.
C’est à coup sûr, pour lui, une victoire, il
s’est beaucoup battu pour le faire adopter, avec le concours
d’Angela Merkel. Ses homologues l’en félicitent, bien sûr, mais
lui, ce qui n’est pas son genre, demeure muet, le teint blême. Les
caméras filment une scène qui en dit long. On voit la Chancelière
l’attirer à l’écart du groupe pour lui manifester sa sollicitude.
La presse, et pas seulement française, accorde à l’événement plus
d’importance qu’au traité.
Aux journalistes qui l’interrogent, il répond
sur un ton rageur : « J’ai été élu pour apporter des solutions aux
problèmes des Français, pas pour commenter ma vie privée. Eux (les
participants au sommet), ils ont plus de pudeur que vous et
l’élégance en plus. »
C’est qu’il est à cran. Il rembarre même
violemment devant témoin Jean-David Levitte qui vient lui chuchoter
des informations à l’oreille.
Le lendemain, dans un entretien donné à son
interlocuteur habituel Yves Derai (un ami de Richard Attias), pour
L’Est républicain, Cécilia explique
avoir tout essayé pour relancer son couple mais que « ça n’a pas
été possible ». Elle confesse aussi avoir rencontré « quelqu’un »
en 2005. « Je suis tombée amoureuse, dit-elle. Ce qui m’arrive est
arrivé à des millions de gens. Un jour, vous n’avez plus votre
place dans le couple. Le couple n’est plus la chose essentielle de
votre vie. Ça ne fonctionne plus. Les raisons sont inexplicables. »
Et d’ajouter : « La page se tourne, je ne regrette jamais mes
décisions. »
Les amis sont navrés : « C’est beaucoup de
chagrin pour nous tous. Mais eux seuls connaissent l’énigme de leur
couple. » Il n’y a rien d’autre à dire.
Sauf que dans l’histoire de la Ve République, pour la première fois, un Président
en exercice divorce. Napoléon avait répudié Joséphine. En ce cas
précis, c’est Cécilia qui a voulu partir. Joséphine répudie
Napoléon… Mais le bon peuple s’en moque.
Le psychanalyste Serge Hefez explique dans
Le Point : « Voilà un homme, Sarkozy,
qui a une image de mâle dominant, triomphant, autoritaire, rien ne
lui résiste, sauf sa femme. Mais il n’est pas ridicule. Ce que
révèle l’épisode Cécilia, c’est combien l’image de l’homme a
évolué. A l’heure où la conjugalité est en crise, Sarkozy trompé
n’est pas ridicule. Que Cécilia le trompe, le quitte ne ternit pas
son image virile. On l’imagine blessé dans son amour, on le plaint
éventuellement, mais on ne se moque pas. »
En reprenant sa liberté, Cécilia espère surtout
fléchir enfin son amant. Or, celui-ci, interrogé par les
journalistes, ne paraît toujours pas décidé à revenir vers elle.
A-t-elle conscience de prendre un risque ? « Cécilia a toujours
pensé que les hommes finissent par faire ce qu’elle veut », tranche
une amie du couple.
Puisqu’il faut encore donner des preuves
planétaires à l’amant indécis, elle a élaboré un plan médiatique de
star. La veille de l’annonce de son divorce, elle fait comme par
hasard la Une de Match : un beau
portrait qui met en valeur son regard de chatte égyptienne. « Les
images d’une femme sereine, à la veille des fiançailles de sa fille
Jeanne-Marie », annonce l’hebdomadaire qui écrit aussi : « Cécilia
s’impose comme une redoutable guerrière de l’ombre. Du modèle
franc-tireur. »
Deux jours
plus tard, c’est l’hebdomadaire Elle36, qui lui consacre sa
couverture avec quatorze pages de texte relatant ses vingt ans de
vie avec Nicolas. Avec article, interview et illustrations
évidemment préparés longtemps à l’avance. Dont une série de photos
plus superbes les unes que les autres. Sublimées. L’une d’elles en
pied la montre debout appuyée contre un mur, vêtue d’une robe grise
chic et sobre. Elle est chaussée de talons de 12 centimètres… Façon
de souligner que, désormais, elle ne s’interdit plus rien.
La voilà libre. Enfin.
Et que dit-elle37 ? « J’ai un
respect immense pour Nicolas, pendant vingt ans, je me suis dévouée
dans l’ombre pour lui, je me suis mise entre parenthèses. Nous
étions un couple ordinaire, dans une fonction extraordinaire, avec
une pression extraordinaire et nous n’y avons pas résisté. Je suis
une femme qui n’était pas faite pour vivre dans la lumière, les
ors, les palais. Tout cela me faisait peur. Ce qui me manque
par-dessus tout, c’est d’aller faire des courses au supermarché
(encore le caddie !), avec mon fils Louis… Je pars pour rien ni
personne » (Ouais !). Et d’affirmer comme une vérité – la sienne en
tout cas – « Aujourd’hui, Nicolas n’a plus besoin de moi, je lui
souhaite de trouver la sérénité. Il a droit au bonheur, il le
mérite, et moi je ne peux pas le rendre heureux si je ne vais pas
bien personnellement. »
La décision de Cécilia, téméraire à coup sûr,
lui vaut l’admiration de bien des femmes et de beaucoup d’hommes :
« Elle a du cran », admire Philippe Séguin. Les mœurs ont évolué. Le divorce est fréquent,
presque toujours admis et souvent approuvé. Mais s’il s’agit d’une
attitude moderne aux yeux des uns, d’autres la critiquent, « compte
tenu des circonstances et de ses responsabilités ». Cependant
l’époque est révolue où l’on se sacrifiait au nom du devoir.
Danielle Mitterrand, dont le mari vivait dès qu’il le pouvait en
compagnie de Mazarine et de sa mère Anne Pingeot, Bernadette
Chirac, qui n’a jamais caché son agacement devant les succès
féminins de son époux, n’ont pas divorcé.
Lorsqu’il se présentait comme le candidat de la
« rupture », Nicolas Sarkozy pouvait-il imaginer que Cécilia, sans
laquelle, à ce qu’il disait, « la victoire n’était pas possible »,
en ferait une réalité ?
Il n’a consenti qu’à grand-peine à ce divorce
(il gardera d’ailleurs son alliance jusqu’à la fin des formalités
juridiques, en décembre). Sa santé même en pâtit. A peine rentré de
Lisbonne, cet homme qui n’est jamais malade doit passer quelques
heures au Val-de-Grâce, pour faire soigner un mauvais phlegmon à la
gorge. Simple coup de froid ? Voire ! Sa vie partait en vrille.
Sous le choc, ses défenses immunitaires l’ont lâché.
Il trouve quand même la force le lendemain, dans
la soirée, de s’adresser à l’état-major de l’UMP. C’est Jean-Pierre
Raffarin qui a eu l’idée de cette réunion pour célébrer l’adoption
du mini-traité européen à Lisbonne. Une victoire pour la France et
son Président lequel, le visage chamboulé, s’efforce de parler de
bonheur : « Je suis heureux, mes amis. C’est de l’UMP que tout est
parti. Je n’ai pas fait le traité pour cela, mais si cela me permet
de revenir ici devant vous, cela en valait la peine. » Et de se
lancer dans un plaidoyer sur l’Europe que ses auditeurs jugent brillantissime. Et très
vite, il s’éclipse38.
Mais il n’attend pas la fin de leurs
applaudissements. Qui pourrait imaginer qu’il a un cathéter posé
sur son poignet ? On doit lui administrer des antibiotiques à haute
dose. Il le porte encore le lundi matin en s’envolant pour le
voyage officiel au Maroc. Un trajet durant lequel, contrairement à
ses habitudes, il n’invite pas les ministres à le rejoindre à
l’avant de l’appareil. Tous sont frappés par sa très mauvaise mine,
ses traits tirés, une lassitude qu’il ne parvient pas à masquer. «
C’était un homme brisé », disent-ils. Tout juste arrivé, il fait
repousser son rendez-vous avec le Premier ministre et annuler le
dîner prévu avec des artistes marocains. Il préfère passer la
soirée en compagnie de ses fils.
Accompagné de son épouse, le Roi vient lui
témoigner son affection. Cécilia absente, c’est Rachida Dati qui,
le lendemain, est invitée à la table royale lors du dîner d’Etat.
Elle joue, de fait, les Premières dames remplaçantes. « De quoi lui
donner des idées », commentent quelques ministres jaloux, voire
perplexes…
Cent cinquante-six jours après son entrée en
fonctions, après onze ans de mariage et vingt ans de vie commune,
Nicolas Sarkozy, 52 ans, se retrouve seul. Six ans plus tôt, dans
son livre Libre, il écrivait : « Je
reste convaincu que réussir sa vie c’est d’abord réussir sa vie de
famille. C’est sans doute la plus belle ambition, le grand rêve que
l’on peut souhaiter à chaque jeune. » Comment cet homme qui ne se
vit bien qu’en couple, n’aurait-il pas un grand sentiment d’échec ? Cécilia s’en est allée,
emmenant avec elle Louis et les filles. C’est tout son îlot
affectif qui sombre.
Lors de la première réunion du matin qui suit le
divorce, il déclare aux membres de son cabinet : « Mes états d’âme
sont sans importance, la vie continue, je suis chef d’Etat, je me
dois aux Français. » Alors, pour noyer son chagrin, il ne va plus
arrêter. Autrement dit, il va continuer. On va l’entendre tous les
jours. Le 25 octobre, il lance le Grenelle de l’environnement –
préparé par Jean-Louis Borloo, une réussite. Il promet à la tribune
que la France sera leader en matière d’énergies renouvelables. «
Elle sera exemplaire. » L’ex-vice-président des Etats-Unis, Al
Gore, invité à la réunion, saisi par l’euphorie, s’exclame : « Il
faut un Grenelle mondial. »
Une nouvelle vie commence.
Comme pour tirer un trait sur le passé, Nicolas
Sarkozy lâche en confidence à Claude Guéant : « Qu’est-ce qu’elle
m’en a fait voir Cécilia, qu’est-ce que j’ai enduré avec elle ! » «
Il me l’a répété plusieurs fois », précise même celui-ci.
Le Président demande à tous ses collaborateurs
de ne plus avoir aucun contact téléphonique avec son
ex-femme.
Pour le staff élyséen, ce divorce est une
délivrance. C’est la fin d’un cauchemar. « Il était temps,
l’atmosphère devenait irrespirable à l’Elysée », confie l’un
d’eux.
Dans la majorité, quelques élus compatissent à
son malheur. Ainsi le très chiraquien François Baroin : « Ce que
Cécilia lui a fait subir, je ne le souhaiterais pas à mon pire
ennemi. » D’autres se réjouissent, ainsi Lionnel Luca : « Le départ
de Cécilia a été une bonne nouvelle pour nous tous. »
1. Qui avait pris ses distances avec son père depuis
plusieurs mois : venu vivre avec lui au ministère de l’Intérieur
quand Cécilia était à New York, il n’avait pas apprécié,
lorsqu’elle était revenue, qu’on lui demande sans trop de formes de
partir et de laisser la chambre à Jeanne-Marie, la fille de
Cécilia.
2. Nommé commissaire de l’Exposition universelle de
Shanghai.
3. Editions XO, 2006.
4. Interrogé sur le sujet en juillet 2009 par Denis
Olivennes pour Le Nouvel Obs, Nicolas
Sarkozy explique : « Je n’avais pas mes habitudes au Fouquet’s…
Cela correspondait à une époque de ma vie personnelle qui n’était
pas facile, où j’avais à me battre sur plusieurs fronts. Je n’avais
pas attaché à cette soirée une importance considérable. J’ai eu
tort. »Quatre ans plus tard, le 28 avril 2011, Le Point enquête à la Une : « Les amis du Fouquet’s
». Ceux qui en ont profité et les autres… « Décidément, ils ne me
lâcheront pas », soupire Sarkozy.
5. « Le cocktail a été payé par l’UMP », assure Eric
Woerth, le trésorier.
6. In Cécilia, Editions
Flammarion, 2008.
7. Interview de Bruno Jeudy au Parisien.
8. Mot popularisé par le titre Bling Bling du rappeur B.G. des Cash Money
Millionaires. Plusieurs journaux s’en disputent la paternité dès
mai 2007 : Marianne, Le Point et Libération.
9. Après la vente de leur appartement de l’île de la
Jatte, Cécilia était allée visiter la maison de Jean Drucker dans
les Alpilles, à Mollégès du côté de Saint-Rémy-de-Provence. Et
c’est finalement Jean-Michel Goudard, conseiller en communication
de son mari, qui en a fait l’acquisition.
10. Avec l’accord de Dominique de Villepin, Premier
ministre jusqu’à l’intronisation officielle du Président.
11. Depuis juin 2005, lors des réunions du Conseil
des ministres européens, la France soulignait l’importance de cette
affaire alors que le sujet était rarement à l’ordre du jour. En
décembre 2005, Philippe Douste-Blazy avait été le premier ministre
européen à rendre visite aux infirmières. Et en mars 2006,
trente-cinq enfants et leurs familles avaient été accueillis pour
être soignés en France.
12. Au début des années 90, il avait écrasé dans le
sang une rébellion islamiste.
13. Nommé quelques mois plus tard ministre des
Affaires étrangères. Il sera l’un des premiers à abandonner le
navire. Depuis mars 2011, il réside à Londres.
14. Il sera nommé ambassadeur en Irak. Puis en
Tunisie après la chute de Ben Ali, où il connaîtra des débuts
difficiles : chahuté par les journalistes, ses réponses seront
jugées pour le moins fort peu diplomatiques.
15. In Ruptures, Yves
Derai et Michaël Darmon, Editions du Moment, 2008.
17. Idem.
18. Témoignage devant la commission d’enquête
parlementaire. Elle sera présidée par le socialiste Pierre
Moscovici avec pour rapporteur l’UMP Axel Poniatowski, président de
la Commission des affaires étrangères. Rapport qui sera publié en
janvier 2008.
19. Conversation avec l’auteure.
20. Nommé quelque temps après ambassadeur à l’ONU
par Kadhafi, il sera le premier en février 2011 à réclamer à l’ONU
des sanctions contre lui.
22. Idem.
24. Invité officiel de Nicolas Sarkozy le 14
Juillet.
25. Déclaration à la commission d’enquête
parlementaire.
26. Entretien avec l’auteure.
27. Sculpture détruite et piétinée par la foule
quatre ans plus tard.
28. Nicolas Sarkozy, accompagné de Carla, lui rendra
visite en février 2008.
29. Le soir de son élection, Nicolas Sarkozy lançait
: « La France n’abandonnera pas Ingrid Betancourt. » Les 17 et 25
mai 2007, il s’entretenait de son sort avec le président colombien
Alvaro Uribe.
30. Interview de Valérie Toranian pour Elle, 19 octobre 2007.
32. Conversation avec l’auteure.
33. Interview d’Yves Derai, L’Est républicain, 4 septembre 2007.
34. Il l’annonçait le 12 juillet à Epinal : « Je
prendrai des initiatives pour que le budget de l’Elysée obéisse à
des conditions de transparence indispensables. » Depuis 2008, les
comptables de la Cour des comptes passent plus de six mois par an à
l’Elysée. Ils épluchent tous les comptes. « Ce ne sont pas des
rigolos », selon le mot de Didier Migaud, successeur de Philippe
Séguin qui veut bien louer les efforts de l’Elysée. Nicolas Sarkozy
acquitte de sa poche toutes ses dépenses personnelles : invitations
de sa famille ou de ses amis, achats divers jusqu’au dentifrice.
Les collaborateurs payent désormais leurs repas à la cantine. Et
ceux de leurs amis lorsqu’ils font des invitations. Le nombre des
voitures mises à la disposition du personnel de l’Elysée a été
réduit de moitié. La garden-party du 14 Juillet a été
supprimée.
35. Le rapport émanant d’un comité présidé par
l’économiste Jacques Rueff et l’ingénieur Louis Armand avait été
commandé par le général de Gaulle au début de la Ve République pour définir les obstacles à
l’expansion économique. Il était devenu une référence dans le débat
politique français.
36. Qui réalise là sa plus grosse vente depuis
trente ans. 600 000 numéros vendus, les kiosques étaient en rupture
de stock au bout de deux jours.
37. Interview de Valérie Toranian pour Elle, 19 octobre 2007.
38. La visite de Nicolas Sarkozy au siège de l’UMP
constitue une première. Jacques Chirac Président n’est jamais
revenu au siège du RPR, et François Mitterrand n’est retourné rue
de Solférino qu’après avoir quitté l’Elysée.