Angela et moi Le couple franco-allemand ne s’est
pas formé dans un élan de séduction réciproque, il est le fruit
d’une impérieuse raison : celle de deux hommes, le général de
Gaulle et le Chancelier Adenauer qui ont décidé, une fois pour
toutes, de tirer un trait sur les délires sanglants, abjects,
ruineux de leur siècle.
A l’instar de tous leurs illustres
prédécesseurs, le couple Sarkozy-Merkel345 est un
couple d’obligation, contraint de s’entendre, de trouver des
compromis, de réussir, voire à chaque instant de faire comme si,
dans un contexte particulièrement difficile : une crise économique
sans précédent depuis 1929.
« Si Merkel et moi on ne sourit pas, ça devient
un problème planétaire », lance Nicolas Sarkozy, mi-satisfait de
l’importance qui leur est ainsi conférée, mi-résigné par ce travail
de Sisyphe : amener sa partenaire sur ses positions.
Forcément unis, ils sont comme deux joueurs
d’échecs embarqués dans une partie infernale sous les yeux du monde. Lui, est un joueur
d’impulsion, il dit ce qu’il veut et le clame, prévisible donc. «
Il est plus Kasparov que Karpov », dit François Baroin. Elle,
tenace, méfiante, a fait de la lenteur son arme favorite « Jusqu’au
dernier moment, on ne sait jamais quel pion elle va jouer, ni
comment », admire et s’exaspère Xavier Musca.
La crise européenne, pas la crise bancaire de
2008, mais celle qui s’ouvre en 2009 avec l’affaire grecque, sera
dominée par ces différences de caractère.
A peine installé à l’Elysée, Nicolas Sarkozy
avait réussi à l’entraîner dans la mise en œuvre du traité
simplifié pour donner à l’Europe le nouvel élan dont elle avait
besoin. Ils avaient réussi ensemble. En 2008, comme président de
l’Union européenne, il avait dû, en revanche, faire le forcing pour
qu’elle consente à souscrire au plan de sauvetage des
banques.
Dans la crise européenne, dite de l’euro, qui
s’ouvre à la fin de l’année 2009, il n’est plus question de la
bousculer. Il faut au contraire la ménager. L’Allemagne est riche.
Ce qui est vrai dans la vie d’un couple, l’est aussi pour les Etats
dont l’argent vient à manquer.
Tout commence avec l’arrivée au pouvoir du
socialiste Georges Papandréou346 à Athènes, lorsqu’il
découvre une situation dégradée à un point qu’il ne soupçonnait
pas. Une catastrophe. Les chiffres présentés par son prédécesseur
Caramanlis n’ont rien à voir avec la réalité. Le déficit budgétaire
n’est pas de 3,7 % mais de près de 13 % ! La dette pourrait
atteindre 130 % du PIB. Les Européens savaient depuis longtemps que
la Grèce n’aurait jamais dû entrer dans la zone euro et que si elle
y était entrée en 2000, c’était en falsifiant ses comptes. Lorsque les autorités européennes
s’en sont aperçues, il était trop tard. Mais la menteuse ne fut
sanctionnée ni par la Commission Prodi, ni par les marchés. Une
négligence qu’explique un ex-commissaire européen : « La Grèce
c’était 2 % du PIB de la zone euro, personne n’a vu que c’était une
voie d’eau qui risquait de faire couler le bateau. » La Grèce est
un pays qui n’a jamais été géré. Jusqu’en 2010, il n’existait pas
de comptabilité publique informatisée. La fraude fiscale y est
depuis toujours un sport national, la flotte des richissimes
armateurs vogue sous des pavillons de complaisance, l’Eglise
orthodoxe, première puissance financière du pays, ne verse aucun
impôt. Et ses prêtres sont payés sur les deniers publics.
L’importance de l’économie « souterraine » – ce que l’on appelle le
marché noir – est estimée à plus de 20 % du PIB. Il n’y a pas
d’industrie, le pays exporte très peu et le tourisme régresse. Les
ingrédients d’un funeste destin sont ici réunis.
Le 7 décembre 2009, Standard & Poor’s, l’une
des trois grandes agences de notation mondiale, annonce avoir placé
la note de la Grèce sous surveillance avec implication négative,
suscitant aussitôt la défiance des marchés, c’est-à-dire des
prêteurs qui se sont rués sur les titres d’emprunt émis par les
Etats et pas seulement de la Grèce : « Une faillite de la Grèce est
complètement exclue », clame alors Jean-Claude Juncker, le
président de l’Eurogroupe qui veut calmer le jeu. On veut le
croire, mais pour quelques jours seulement.
Car début janvier, l’économiste en chef de la
BCE craque l’allumette qui va mettre le feu. Interrogé par la
presse italienne sur la revente des titres d’emprunt grecs, il
répond : « Les marchés se font des illusions s’ils pensent que les
autres Etats membres vont mettre la main au porte-monnaie pour
sauver la Grèce. »
Le traité
de Maastricht de 1992 interdit en effet à un pays de la zone euro
de prendre en charge la dette d’un autre. Il interdit aussi à la
Banque centrale européenne de se comporter comme… une banque
centrale : à savoir de fournir des liquidités pour renflouer un
pays en difficulté. « La BCE ne sera pas le prêteur en dernier
ressort », disent les textes. Autrement dit : un Etat de la zone
euro qui a des dettes doit les rembourser lui-même.
Cette disposition du traité de Maastricht avait
été exigée par les Allemands, l’abandon du mark, la création de
l’euro était à ce prix. Il s’agissait ainsi d’obliger les pays à
respecter le pacte de stabilité. C’est la France qui avait fixé à 3
% la limite à ne pas dépasser en matière de déficit budgétaire. Un
pays qui manquerait à la règle, devrait expier seul ses péchés.
L’Allemagne a respecté le traité à la lettre. La France,
jamais.
Les créanciers de la Grèce, ceux que l’on
appelle les investisseurs sur les marchés, n’ont jamais lu les
traités. Ils ont toujours cru que les pays de la zone euro seraient
forcément solidaires en cas de défaillance de l’un des leurs.
D’ailleurs, en 2008, lors d’une première alerte sur la Grèce, le
ministre des Finances allemand, le socialiste Steinbruck, avait
déclaré : « Nous ferons ce qui est nécessaire », sans autre
précision. Il laissait ainsi croire qu’il mettrait la main à la
poche. Ce qui avait offert un temps de répit à la Grèce. Menacé par
Standard & Poor’s, Papandréou s’engage en janvier 2009 à
ramener les déficits sous la barre des 3 % avant… 2012. Mais à trop
user du mensonge, l’on n’est plus cru.
Les taux d’intérêt des emprunts s’envolent à
plus de 6 % et les marchés regardent de plus près ce qui se passe
ailleurs, en Espagne, au Portugal. La presse allemande qui se fait
l’écho de l’opinion, suggère que la Grèce sorte de la zone euro : « Allez ouste, dehors ! » Le
ministre des Finances Schauble est bien de cet avis.
« Sortir de l’euro ? Je l’exclus catégoriquement
», déclare alors Papandréou au quotidien Die
Welt. Et avec quelque forfanterie : « Nous allons régler nos
problèmes budgétaires tous seuls, nous n’attendons aucune aide
extérieure. »
Un engagement qu’il ne pourra évidemment pas
tenir. De tels propos sapent la confiance des partenaires européens
plus qu’ils ne les rassurent.
Le 4 février se tient à Paris un sommet
franco-allemand. La Chancelière arrive de très mauvaise humeur.
Elle s’en prend aux Grecs, à leur gestion irresponsable, elle veut
leur tordre le bras : « Qu’ils règlent eux-mêmes leurs affaires
puisqu’ils prétendent en être capables. »
« Tu as raison, lui répond le président
français, mais laisser tomber la Grèce serait une source d’ennuis
pour tout le monde, y compris pour toi. »
Il ne la convainc pas.
Le 11 février ils se retrouvent à Bruxelles pour
un sommet européen à l’issue duquel, comme toujours, ils tiennent
une conférence de presse. Officiellement, ils chantent la même
chanson. « La Grèce doit réduire ses déficits. » Et puis, chacun
intervient à son tour dans une pseudo-improvisation bien
réglée.
Nicolas Sarkozy : « Tous les Etats membres
seront contraints de faire quelque chose (des économies). Nous
sommes une union, il y a des règles à respecter347. »
Angela
Merkel : « Nous avons besoin d’une fiabilité du côté de la Grèce,
il faut rétablir la confiance des marchés. »
Nicolas Sarkozy : « Est-ce que la Grèce est
prête à faire davantage d’efforts ? C’est oui. Faut-il la
solidarité ? (sous entendu : Devrait-on l’aider ?) La Grèce fait
partie de la zone euro. »
Angela Merkel : « La Grèce n’a pas demandé
d’aide financière, elle n’attend pas d’argent. »
Ce dialogue est le révélateur de leur
dissonance.
Nicolas Sarkozy a compris que la Grèce ne s’en
sortirait pas sans aide. D’où l’emploi (prudent) du mot «
solidarité », qu’Angela Merkel refuse de prononcer. Pour elle, il
n’existe qu’un impératif, un seul : que la Grèce fasse le ménage
chez elle et qu’elle respecte le traité.
Leur désaccord va persister plusieurs
mois.
A chaque rencontre, à chaque coup de fil, le
discours du Français ne varie pas. « Angela, tu as juridiquement
raison, mais tu as économiquement tort. »
« Il voulait essayer d’amener la Chancelière à
ouvrir son porte-monnaie », dit un conseiller de l’Elysée.
Sa réponse est invariable : « Nein. » Et de
plaider : « Nicolas, toi tu peux décider tout seul en France, tu es
le roi, mais moi je ne peux rien faire si je n’ai pas l’accord du
Bundestag, de mes partenaires dans la coalition gouvernementale et
je dois aussi compter avec la cour de Karlsruhe. »
Au début du mois de mars, la situation se
détériore en Grèce. Mais Georges Papandréou se dit prêt à faire des
efforts supplémentaires. Il réussit à lever 5 milliards d’euros sur
le marché obligataire. Du coup, l’agence de notation Standard &
Poor’s procède à la « mise sous surveillance négative de la Grèce
». En l’espace de deux semaines, le taux d’emprunt de la Grèce recule de
deux points. Ouf !
Mais ce ouf est de courte durée, car fin mars
c’est à nouveau la débandade sur les marchés et cette fois, c’est
Angela Merkel la fautive. Elle vient pour la première fois de
reprendre à son compte l’idée de son ministre des Finances
Schauble, auquel elle abandonnait jusque-là le rôle de Père
Fouettard : « La possibilité d’exclure en dernier recours la Grèce
de la zone euro », ce pays trop laxiste devrait, dit-elle, se
tourner vers le FMI pour obtenir de l’aide.
« Envisager l’hypothèse de l’exclusion d’un Etat
membre est absurde », rétorque aussitôt Jean-Claude Trichet, qui
craint le pire. De son côté, Nicolas Sarkozy répète sans se lasser
qu’une solution européenne est indispensable. « Un geste de
solidarité précipité n’est pas la bonne réponse », lâche la
Chancelière. Et de fait, pour l’instant, la Grèce n’a rien demandé.
Mais ce qui est dit est dit. Et c’est bien sûr pour satisfaire son
opinion que la Chancelière a parlé ainsi. Des élections régionales
ont lieu en Rhénanie-Westphalie au mois de mai, elles pourraient
bien lui faire perdre la majorité au Bundesrat. Or, la crise
grecque rend presque hystériques ses électeurs. La presse rappelle
que l’Allemagne est le plus gros contributeur au budget européen.
Que grâce à sa puissance économique elle a maintenu la valeur de
l’euro, ce qui a permis aux pays de la zone – dont la France – de
maintenir leur niveau de vie sans effort.
Or, voilà que dans une interview au Financial Times, Christine Lagarde, ministre de
l’Economie, reproche à l’Allemagne de déprimer l’économie du
continent par sa politique de compétitivité forcée. Elle lui
conseille de baisser les impôts. En clair : de faire de la relance
par la consommation. « De
quoi se mêle-t-elle ? » s’indignent les Allemands. Ça n’est
vraiment pas le moment de faire la leçon à l’Allemagne. Il faudrait
plutôt lui rendre justice. Elle seule a respecté le pacte de
stabilité signé en commun. Mme Lagarde ignore-t-elle que Gerhard
Schröder a infligé à l’Allemagne une crise d’austérité sans
précédent avec des remises en cause drastiques des avantages
sociaux348 ? Berlin a misé sur la compétitivité de
son industrie et donc sur l’emploi. Des choix douloureux, admis par
la population. L’exportation est une des bases de la culture
économique allemande. Entre 1996 et 2009, les coûts salariaux n’ont
augmenté que de 5 % avec l’accord des syndicats. Alors qu’en France
ils ont augmenté de 35 %. Résultat : l’Allemagne qui comptait 5
millions de chômeurs en 2005, n’en a plus que 4,4 millions en 2009.
Elle est devenue le deuxième exportateur mondial derrière la Chine.
Une performance : d’un côté 80 millions d’Allemands, de l’autre, un
milliard et demi de Chinois. Mme Lagarde est mal placée pour faire
la morale.
Depuis plus de trente ans, la France a pris le
chemin inverse. Elle a fait le choix de la croissance par la
consommation et non par la production. Dans ce pays instable et
violent, les politiques ont acheté la paix avec les subventions et
la dépense. Ils ont emprunté pour distribuer l’argent qu’ils
n’avaient pas. La politique sociale de la France est la plus
généreuse d’Europe. « L’endettement est à la France ce que le vin
est à l’alcoolique », ironise un grand banquier. Pendant ces
années-là, son périmètre industriel s’est tragiquement rétréci et
son commerce extérieur est en lourd déficit chronique. « Ça n’est
pas le bon modèle pour la survie dans un monde économique globalisé », raille la
presse allemande avec raison.
En mars 2010, Angela Merkel n’a qu’un credo :
rien pour les Grecs. En tous cas, rien avant les élections en
Rhénanie-Westphalie. Or, voilà qu’en avril l’Office européen des
statistiques révèle que leur déficit budgétaire atteint plus de 14
% du PIB. Plus que ne l’avait avoué Papandréou en décembre. Les
agences de notation déclassent aussitôt la Grèce. Les taux
d’emprunt à dix ans bondissent au-dessus de 8,5 % (7 points d’écart
avec l’Allemagne), Papandréou doit trouver d’urgence 8,5 milliards
d’euros pour rembourser un emprunt qui arrive à échéance le 19 mai.
Et il lui faudra 39 autres milliards dans les douze mois
suivants.
Le vendredi 23 avril, il va demander de l’aide.
Il n’a pas d’alternative. Il choisit pour faire la quête un décor
rieur : dans une petite île, devant la mer, sous un ciel d’azur,
façon de minimiser le tragique de la situation ? Il tend sa sébile
à l’Union européenne et au FMI. Car ça urge.
Mais Angela Merkel fait la sourde oreille.
Dominique Strauss-Kahn, puis Jean-Claude Trichet doivent se rendre
à Berlin pour lui dire qu’elle ne peut camper sur son refus. Et
elle finit par céder. « Merkel a mis plusieurs mois avant
d’admettre que laisser tomber la Grèce nuirait aux intérêts de
l’Allemagne », explique un diplomate. On est à deux jours des
élections en Rhénanie-Westphalie qu’elle sait déjà perdues. Elle
fait sien un nouveau credo : il n’est pas question que la Grèce
sorte de l’euro. Et elle convainc le Bundestag d’accorder son feu
vert au plan d’aide. Mais à une condition : que l’argent soit versé
une fois que le programme d’austérité aura été définitivement
arrêté. L’Union européenne et le FMI s’accordent pour un prêt de
45 milliards d’euros sur
trois ans. La France y contribue pour 6 milliards d’euros. Après
plus de dix heures d’âpres négociations, le 10 mai, l’Union
européenne crée pour trois ans un fonds monétaire européen : le
FESF (Fonds européen de solidarité financière). Il sera doté de 500
milliards d’euros que le FMI complètera à hauteur de 220 milliards
pour face à d’autres attaques contre des dettes souveraines. Les
Européens veulent croire que les marchés n’auront plus de raison de
se défier. D’autant moins que la Banque centrale européenne a bougé
elle aussi. Jean-Claude Trichet a racheté de la dette
grecque.
Las ! Les agences de notation ne sont pas
convaincues. Elles doutent de la Grèce mais aussi de ceux qui lui
viennent en aide. La France par exemple. Qui craint de voir sa note
dégradée. « Le triple A est notre trésor », avait lancé Alain
Minc.
La France doit donc montrer qu’elle fait des
efforts pour le conserver. Nicolas Sarkozy lance la réforme des
retraites349. En juin, François Fillon s’engage à
réduire le déficit à 3 % d’ici 2013. S’il ne détaille pas les
mesures qui doivent permettre d’économiser 100 milliards d’euros en
trois ans, le chef du gouvernement avance que cela se fera pour
moitié par des réductions de dépenses. Et pour l’autre moitié par
des hausses de recettes. Le gouvernement mise aussi sur 35
milliards de rattrapage liés à la reprise de la croissance. Les 15
autres milliards correspondant au reste du plan de relance mis en
œuvre en 2009.
« L’objectif de 3 % de déficit en 2013 est
réalisable », affirme aussitôt le gouverneur de la Banque de France Christian Noyer. Mais
Bruxelles se montre dubitative.
La Chancelière n’est pas davantage exempte de
critiques chez elle. Celle que la presse américaine sacrait « Femme
la plus puissante du monde » déçoit par sa frilosité. « Angela
Merkel menace l’avenir de l’Europe avec ses hésitations et sa
politique de blocage », s’emportent les Verts au Bundestag.
L’éditorialiste de la Süddeutsche
Zeitung écrit : « Elle n’est européenne que par l’esprit,
alors que Kohl l’était par les sentiments : si les problèmes de la
Grèce s’étaient posés du temps de Kohl, il aurait réagi
instinctivement, de façon plus généreuse que Merkel. Pour Kohl,
l’Europe était une famille. Il aurait reconnu que les problèmes
grecs coûtent cher au contribuable allemand, mais il aurait ajouté
: quand il s’agit des intérêts européens, ce sont les intérêts
allemands qui sont en jeu. »
Angela Merkel a accepté de bouger. Mais en
contrepartie, elle entend se servir de la crise pour imposer de
nouvelles règles de discipline aux membres de la zone euro. Une
obsession chez elle. Qu’ils prennent donc exemple sur l’Allemagne.
Cette fille de pasteur a une conception morale du respect des
traités. Qui oserait le lui reprocher ?
Le plan européen de secours à la Grèce a, en
revanche, séduit les marchés. Les Dix-Sept s’étant engagés à
accélérer la purge de leurs finances publiques, une certaine
euphorie gagne l’ensemble des Bourses mondiales, les mesures
annoncées par François Fillon dopent le CAC 40 qui gagne plus de
dix points.
Les problèmes de la gouvernance économique
européenne ne sont pas réglés pour autant.
Le lundi 14 juin, Nicolas Sarkozy rencontre à
nouveau Angela Merkel à Berlin. Il a réussi à lui faire accepter de venir au secours de la
Grèce. Mais il échoue à lui imposer ce qu’il prône depuis des mois
: la constitution d’un gouvernement économique de l’euro350. Pourtant il ne manque pas d’arguments : «
Nous avons une monnaie commune et aucun lieu pour la gérer ensemble
», et de citer cet exemple : « En 2004, au moment où l’Allemagne
appliquait le plan Schröder, la France instituait les 35 heures. Si
un gouvernement économique avait alors existé, on aurait pu
prévenir de tels écarts. » A quoi la Chancelière répond : « Il faut
un gouvernement fort qui s’étende aux vingt-sept pays et non pas
aux dix-sept de la zone euro. » Elle ne veut pas, dit-elle, «
diviser le marché commun, séparer l’Union en pays de première et de
deuxième classe ». Façon de dire non. C’est que la presse allemande
lui reproche de se laisser dominer par l’hégémonie française : le
trio Sarkozy, Trichet, Strauss-Kahn.
A l’issue de leur rencontre, Nicolas Sarkozy,
visiblement déçu, déclare pourtant : « On a fait chacun un pas vers
l’autre. »
Que la zone euro doive évoluer, le couple
franco-allemand en est bien conscient.
Quatre mois plus tard, en marge du sommet, avec
le président russe Medvedev, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy se
retrouvent le 28 octobre 2010 en tête à tête à Deauville. Avec
l’ambition de dessiner les grandes lignes d’un compromis
susceptible de déboucher sur une réforme des structures
européennes. C’est une sorte de marché : je te donne ceci, tu me
donnes cela.
Le président français souhaite que le Fonds
européen, créé au mois de mai pour trois ans, devienne permanent,
une sorte de fonds monétaire
continental. Ce qu’elle accepte. Mais sa rigueur morale la pousse à
demander des sanctions automatiques avec convocation devant la cour
de justice européenne pour les pays qui dépasseraient le déficit
budgétaire prévu. De quoi faire dresser les cheveux sur la tête du
président d’un pays qui, en matière de dépassement de déficit
prévu, a de lourds antécédents. Il fait valoir que sanctionner un
pays dont le PIB est en baisse, reviendrait à le pousser un peu
plus vers l’abîme. Il suggère une autre solution : renforcer la
désormais célèbre règle d’or351, l’inscrire dans la
constitution de chaque pays, afin qu’en France le Conseil
constitutionnel soit l’arbitre. La Chancelière accepte. Mais elle
avance une nouvelle idée : un nouveau traité pour renforcer les
sanctions contre les pays qui ne respectent pas les règles
budgétaires. Cette fois, le Président s’affole. L’expérience du
traité de Lisbonne dont la ratification a tant tardé est assez
éclairante. Il suffit que le Parlement d’un pays fasse de la
résistance pour bloquer l’Europe. Non merci ! « Mais Angela, ça va
prendre cinq ans ! » A la rigueur, on pourrait conclure un traité
entre les pays qui le souhaitent, ceux de la zone euro, sans
obliger les Vingt-Sept, leur participation serait volontaire.
Accordé ! En échange, Nicolas Sarkozy doit faire sienne, bon gré,
mal gré, la dernière suggestion de la Chancelière : la «
participation du secteur privé ».
De quoi s’agit-il ? Ces quatre mots signifient
que les banques créancières d’un pays en quasi-faillite, devront
prendre à leur charge une partie de leurs engagements. En clair,
passer un peu l’éponge sur l’ardoise des dettes. Et la Chancelière a ses arguments : « Moi, je
ne peux pas vendre à mon opinion que les Grecs vont utiliser
l’argent qu’on leur alloue pour rembourser en priorité les banques
étrangères qui sont leurs créancières. » Un pur argument de
politique intérieure.
Xavier Musca pique une vraie colère, il perçoit
qu’une telle mesure va aussitôt créer la panique chez les
investisseurs : les fonds de pensions, les assureurs qui achètent
des créances sur la Grèce vont prendre peur, déjà qu’ils ne sont
pas très confiants. Ils vont vendre leurs créances, et s’ils le
font tous en même temps, c’est la dégringolade assurée et ils ne
prêteront plus. « Cette mesure a inoculé le virus mortel de la
défiance des marchés, vis-à-vis de la zone euro », admet un an plus
tard François Baroin, le ministre des Finances. Et Jean-Claude
Trichet, au risque de se faire étriller par Angela Merkel et
Nicolas Sarkozy, ne craint pas d’affirmer : « L’accord de Deauville
est un très mauvais accord. »
Un haut diplomate du Quai d’Orsay explique : «
En demandant que les investisseurs privés trinquent et en refusant
les sanctions automatiques, c’était un accord perdant-perdant.
»
Pendant ce temps, la Grèce continue de courir
vers le gouffre. Un an plus tard, elle s’approche du précipice. En
juin 2011, elle affiche 350 milliards de dette. Athènes crie, une
fois de plus, au secours. La contagion menace. Elle pourrait gagner
l’Irlande, le Portugal, l’Espagne. Il faut un nouveau plan de
renflouement de la Grèce. Début juillet 2011, les ministres des
Finances de la zone euro l’ont chiffré à 110 milliards d’euros. Son
adoption en Allemagne dépend de la condition posée par Angela
Merkel et dont elle ne démord pas : la participation des créanciers
privés. Nicolas Sarkozy n’a pas le choix. Il faut en passer par là. Mais il obtient de
la Chancelière que la participation soit « volontaire ».
Un nouveau plan ? Elle renâcle. Laisse entendre
à quelques jours du sommet du 21 juillet qu’« il ne faut pas en
attendre des miracles ». La veille, Nicolas Sarkozy se rend à
Berlin pour l’amadouer. La Chancelière a toujours en tête une
restructuration de la dette, c’est-à-dire un début de faillite de
la Grèce. Nicolas Sarkozy finit par avoir gain de cause. Le plan
est adopté. Mais pour être mis en œuvre, il doit être validé par
les Parlements des dix-sept pays de la zone euro. Une gageure. Dans
l’idéal, il aurait fallu que le couple franco-allemand impose le
vote chez les Dix-Sept dans les huit jours, pour illustrer la
résolution des Européens. Mais fin juillet… Aucun gouvernement
n’est pressé, les parlementaires songent à leurs vacances. La
France est certes la première à l’adopter quelques jours plus tard.
Mais en Allemagne le Bundestag est en rébellion contre la
Chancelière : pas question de voter avant la fin du mois de
septembre, « après la visite du pape », explique-t-on. Les
Hollandais traînent les pieds, la Slovaquie réserve son vote
jusqu’en décembre. Elle refuse de venir en aide à la Grèce « qui
est plus riche [qu’elle]352 ».
En visite aux Etats-Unis, où on l’interroge sur
ces lenteurs préjudiciables à tout le monde, Jean-Claude Trichet
tente d’expliquer : « C’est le temps de la démocratie. »
Mais les marchés courent plus vite que les
politiques qui révèlent ainsi leur impuissance. Au mois d’août,
c’est la défiance. « Tout s’est cassé à ce moment-là, alors qu’au
début de l’année, les chefs d’entreprise étaient confiants. Il y avait eu 70 000 créations
d’emplois, le mouvement s’est arrêté net. On est entrés en
récession », remarque Raymond Soubie. Les taux d’intérêt de
l’Italie s’envolent à plus de 7 %. Il faut d’urgence éteindre le
feu. « Nous avons réussi à convaincre la BCE qu’il fallait racheter
de la dette italienne et espagnole, il a fallu le demander à
Jean-Claude Trichet », explique Xavier Musca. Ce que le patron de
la BCE va faire, massivement et pour la première fois. En
contrepartie, il écrit une lettre à Silvio Berlusconi et à José
Luis Zapatero pour les sommer de prendre au plus vite des mesures
de rigueur et faire des réformes de structure dans leur pays.
Zapatero s’exécute avec courage.
La décision de Jean-Claude Trichet, contraire au
traité de Maastricht, révulse le très orthodoxe Jürgen Stark,
l’économiste en chef de l’institution, qualifié de « maniaque de la
stabilité » par ses détracteurs. Il ne tolère pas cette trahison.
Il démissionne. C’est pour Nicolas Sarkozy la confirmation d’une
crainte, car le moment approche où il faudra trouver un successeur
à Jean-Claude Trichet qui est en fin de mandat. Le président
français redoute qu’un Allemand à la tête de la BCE soit trop raide
et empêche de prendre les mesures qu’il préconise. Or celui qui est
donné comme favori, Axel Weber, le patron de la Bundesbank, est
très hostile à la ligne française. Nicolas Sarkozy avait prévenu
Angela Merkel dès le mois d’avril : « Je ne veux pas d’un Allemand
à la tête de la BCE. » Et il avançait le nom de Mario Draghi,
ex-directeur du Trésor, gouverneur de la Banque d’Italie. Il serait
croyait-il plus souple, et faisait donc ouvertement campagne pour
lui. Ayant compris qu’il ne serait pas soutenu, Axel Weber se retire de la compétition. Draghi
succédera à Jean-Claude Trichet.
En attendant, les votes des Parlements de la
zone euro, les banques européennes, en France, la BNP, la Société
Générale, le Crédit Agricole, voient leurs titres baisser de 30 à
55 % en trois mois, car elles détiennent des stocks de créances sur
l’Italie et l’Espagne. Christine Lagarde, du haut de son siège au
FMI, où elle vient d’arriver, n’arrange rien en déclarant le 29
août : « Les banques ont un besoin urgent d’être recapitalisées,
c’est la clé pour couper la chaîne de la contagion. » Que
n’a-t-elle dit ? Elle n’a pas mesuré que cette déclaration venant
d’une ex-ministre des Finances de la France allait déclencher une
campagne terrible contre les banques françaises dans la presse
Murdoch : « Comme si nous étions les maillons faibles, les
Américains ne nous prêtaient plus de dollars, j’étais vraiment
furieux contre elle », s’emporte un banquier de la place. Nicolas
Sarkozy ne manquera pas de dire à son ex-ministre tout le mal qu’il
pense de ses propos.
Ça n’est pas tout. Début août, les Etats-Unis
perdent leur triple A. Qui devient la vedette de cet été noir.
Nicolas Sarkozy veut à tout prix garder le sien. Cela tourne même à
l’obsession chez lui. « Il l’a trop sacralisé, il en faisait une
affaire personnelle, il a eu tort353 », dit un
ministre.
« Nicolas
Sarkozy joue sa peau sur le triple A », affirmera même Alain
Minc354, alors que sa perte en janvier
2012355 n’aura pas les conséquences fâcheuses
redoutées.
A la fin de l’été, la lenteur du processus de
ratification du plan d’aide à la Grèce accentue la défiance des
marchés. Les Bourses s’affolent. Berlusconi qui avait annoncé un
plan d’économie de 45 milliards d’euros se rétracte huit jours plus
tard. Sa dette représente 120 % de son PIB. Les critiques de la
troïka (FMI + BCE + Commission européenne) ont jeté une lumière
crue sur l’impuissance d’Athènes à mettre en place ses
recommandations. C’est la pagaille, tout est à refaire. Le plan du
21 juillet est caduque, avant même d’être appliqué. Angela Merkel
et Nicolas Sarkozy se parlent tous les jours, quittent même leurs
lieux de villégiature pour se retrouver le 15 août à Paris. Un
sommet européen est prévu le 23 octobre. A quatre jours du sommet,
la tension est à son comble : « S’il n’y a pas de solution dimanche
tout peut s’effondrer », s’alarme le Président, alors qu’il reçoit
le 19 octobre les députés du Nouveau Centre. Les banques françaises
sont en grande difficulté. « On ne sait pas si l’on passera Noël »,
s’alarment certains dirigeants. Depuis quelques jours, l’agence
Moody’s accentue la pression. Elle avertit qu’elle se donne deux
mois, voire trois pour dire si la France peut garder son triple A.
Or, selon l’Elysée, les interrogations de l’agence portent moins
sur la politique budgétaire de la France que sur les risques
encourus si l’Etat français devait emprunter pour venir à leur
secours.
Panique à
l’Elysée. Nicolas Sarkozy a la solution : que le Fonds européen de
stabilité financière devienne permanent et soit alimenté par la
BCE. Voilà pourquoi ce soir-là, celui qui allait être papa quitte
précipitamment la clinique avant que le bébé n’arrive pour
s’envoler vers Francfort, où le Gotha européen est réuni pour
rendre hommage à Jean-Claude Trichet qui fait ses adieux. Mais
c’est Angela qu’il veut voir en tête à tête pour tenter de lui
faire valider son idée : que le FESF devienne une vraie banque. Ce
qu’Angela Merkel refuse. Elle accepte, en revanche, d’effacer la
moitié de la dette grecque à une condition : que les banques
acceptent cette fois de perdre 50 % sur leurs échanges de titres
(en juillet c’était 23 %). Enorme ! Nicolas Sarkozy rentre très
dépité. Il était absent lorsque la petite Giulia est arrivée. Les
féministes allemandes s’indignent de cette désinvolture paternelle
et se répandent dans les télés pour fustiger un homme qui aurait dû
rester auprès de son épouse. Nicolas Sarkozy en est-il conscient ?
A ceux qui le félicitent de la naissance de sa fille, il répond : «
Carla est tellement intelligente », sous-entendu, elle connaît mes
soucis et pardonne mes absences. Il ajoute : « En ce moment je suis
plus souvent avec Angela qu’avec ma femme. »
Le combat continue. La Chancelière lui a dit non
à Francfort. Bien pire : elle l’appelle le lendemain sur son
portable pour lui dire : « Nicolas il faut annuler la réunion du
23. » Elle craint les réactions négatives de sa majorité, elle ne
veut rien faire sans mandat du Bundestag. Abasourdi, le Président
lui : « Il est impossible d’annuler la réunion. Les marchés vont
très mal réagir, on court à la catastrophe. Si tu veux, on se
réunit le 23, tu vas ensuite devant le Bundestag, et on prendra les
décisions le 26. » Nouveau compromis. Angela Merkel consulte donc son Parlement, mais le
texte qu’elle y présente « a été préparé avec Bercy », révèle Ramon
Fernandez, le directeur du Trésor.
Le 26 octobre, la Grèce voit en effet sa dette
effacée de moitié : cent milliards, excusez du peu ! Moyennant un
nouvel engagement à réduire les dépenses et plus encore à faire les
réformes promises, mais pas encore vraiment lancées. Mais les
choses ne se présentent pas bien. Les banques refusent ce qui leur
est proposé (ou plutôt imposé) : renoncer à la moitié de leurs
engagements. Les directeurs du Trésor français et italien qui ont
été chargés de négocier356 reviennent
bredouilles.
Angela Merkel suggère alors : « Allons nous
coucher et revenons au plan Schauble » (laisser la Grèce faire
faillite).
Réponse de Nicolas Sarkozy : « Ce serait une
folie. Demain ce sera la panique sur les marchés, on ne pourra plus
emprunter. Faisons plutôt venir les banquiers pour nous expliquer.
»
Angela Merkel : « Pas besoin de les faire venir,
on n’a qu’à leur dire c’est comme ça et c’est pas autrement.
»
Nicolas Sarkozy : « Si on procède de cette
façon, on dira que c’est une restructuration “non volontaire”, ce
qui créera encore plus de panique chez tous les créanciers. »
Herman Von Rumpuy, José Manuel Barroso,
Christine Lagarde qui participent à la réunion, l’approuvent.
A 1 heure du matin, les représentants des
banques arrivent. Ils ont une petite mine. C’est une heure où l’on
est en état de moindre
résistance. Nicolas Sarkozy n’y va pas par quatre chemins : « C’est
à prendre ou à laisser. Si vous dites non, vous porterez la
responsabilité de la crise. Vous avez une heure pour vous décider.
» Une heure plus tard, les banquiers reviennent. Ils ont cédé à la
pression.
Pendant ce temps, Georges Papandréou se confond
en remerciements : cent milliards de dette effacés, « c’est une
décision historique », se réjouit-il.
« Nous sommes rentrés à 6 heures du matin »,
note, fourbu, un collaborateur de l’Elysée qui remarque que durant
le trajet du retour, le Président lisait L’Equipe.
Le soir même, il donne une interview à Yves
Calvi et Jean-Pierre Pernaut : « S’il n’y avait pas eu d’accord,
plaide-t-il, le monde entier sombrait dans la catastrophe. L’accord
d’hier permet à la Grèce de se sauver, mais elle doit travailler,
se réformer, combattre la fraude fiscale. Nous avons demandé aux
banquiers de renoncer à 50 % de leurs dettes. Nous avons obtenu
leur accord volontaire » (sic !).
Nicolas Sarkozy s’apprête à partir pour Cannes
où il doit présider la réunion du G20. Il peut penser que le plus
dur est fait quand la foudre s’abat sur l’Elysée : à peine rentré
chez lui, Georges Papandréou a décidé, sur un coup de tête,
d’organiser un référendum en janvier. Il veut consulter les Grecs
sur le plan d’aide357. Il n’a prévenu personne,
ni son ministre des Finances, ni les Européens.
C’est qu’à son retour à Athènes la violence des
manifestations, la virulence de l’opposition l’ont déstabilisé. «
C’était un homme déprimé », dit de lui Nicolas Sarkozy, mais qui risque par son initiative
intempestive de faire capoter le plan adopté par la zone euro ainsi
que le sommet du G20.
Papandréou est convoqué en urgence à Cannes. Une
invitation à dîner dont il se souviendra. Angela et Nicolas lui
administrent une volée de bois vert. Une vraie fessée.
Nicolas Sarkozy : « Tu nous ridiculises, ce que
tu fais est irresponsable. Les investisseurs vont se retirer, il
n’y aura plus personne pour prêter aux Européens. Si tu veux faire
un référendum, c’est ton droit358, mais tu dois poser la
bonne question : “Voulez-vous sortir ou rester dans
l’euro359 ? Si c’est oui, on aura perdu du temps. Si
c’est non, tu prolonges l’incertitude des marchés, et là on ne sait
plus où l’on va.” »
Angela Merkel : « En attendant le résultat du
référendum, il n’est pas question que tu reçoives le chèque de huit
milliards d’euros que tu attendais pour le 8 décembre. »
Jean-Claude Juncker : « Tu joues le sort de ton
pays à la roulette russe. »
Pour finir Nicolas Sarkozy laisse tomber : «
Protéger l’euro est pour nous plus important que protéger la Grèce.
»
« C’était un moment dramatique, dit un témoin,
Papandréou était complètement abattu. » « J’ai été débordé »,
reconnaît le Premier ministre grec. Il repart à Athènes plus sonné
que jamais. La pression sur lui a été telle qu’il renonce deux
jours plus tard à son référendum, éteignant ainsi la mèche qu’il avait
allumée. Une semaine plus tard, il démissionnait, peut-être
soulagé.
L’acte suivant met en scène l’Italie. Berlusconi
arrive à 2 heures du matin, pas fier d’avoir renoncé à son plan de
rigueur. « C’était pathétique, raconte Alain Juppé. Nicolas lui
posait des questions précises auxquelles il demandait à son
ministre des Finances Tremonti de répondre. Car il ne connaissait
pas les dossiers. On le sentait dépassé. La France et l’Allemagne
voulait mettre l’Italie sous la tutelle du FMI. Tremonti s’y
opposait. A un moment, Berlusconi s’est endormi, il était 4 heures
du matin. » Lui aussi quittera le pouvoir quatre jours plus
tard.
« Le G20 a fait deux morts : Papandréou et
Berlusconi », commente un diplomate.
Le lendemain de cette nuit tragique, le couple
franco-allemand apparaît plus soudé que jamais. Leur conférence de
presse s’écoute comme un monologue à deux voix.
« L’axe franco-allemand s’est renforcé pendant
la crise », affirme le Président. « Décidez ce que vous voulez,
mais nous, nous souhaitons que vous restiez avec nous », minaude
presque la Chancelière qui refusait quelques semaines plus tôt
d’aider les Grecs. Nicolas Sarkozy se fait l’apôtre de la bonne
gestion et du respect des règles budgétaires. Ça n’était pas sa
priorité au début du quinquennat.
Mais le G20 de Cannes est pollué par l’affaire
Papandréou. Alors que Nicolas Sarkozy comptait en tirer un bénéfice
médiatique, les résultats sont décevants. Pourtant la régulation de
la finance a fait quelques pas en avant. La Chine accepte que soit
écrit noir sur blanc la nécessité pour elle d’évoluer vers des taux
de change plus souples,
c’est-à-dire d’accroître la flexibilité de sa monnaie. Le projet
franco-allemand de taxe financière suscite des oppositions fortes.
Mais il a tout de même été évoqué. Et ainsi de suite. Xavier Musca
qui organisait la rencontre reconnaît que « l’impression
d’impuissance du G20 vient de l’écart qui existe toujours entre les
décisions qui y sont prises et leur impact immédiat sur l’économie
».
« Si le G20 n’existait pas, il n’y aurait pas ce
lieu précieux où les chefs d’Etat des vingt principales puissances,
les dirigeants des banques centrales, les régulateurs se parlent.
Grâce au G20 je connais mon homologue chinois, on se téléphone
souvent, on se parle, c’est très important », assure Ramon
Fernandez, le directeur du Trésor.
Mais la cerise sur le gâteau de Cannes, c’est
Barack Obama qui l’offre à Nicolas Sarkozy. Un duo devant les
caméras de TF1 et France 2 où le président américain, tout sourire,
salue « son énergie, son leadership impressionnant, bref sa stature
internationale qui est reconnue, dit-il, par tous ses pairs ». Il
lui offre en somme un triple A politique.
« Dans une réunion comme celle du G20 il y a
deux pôles qui attirent la lumière, Obama et Nicolas », assure
Alain Juppé.
Fini le G20, retour sur la scène européenne, les
négociations continuent. Nicolas Sarkozy et Angela Merkel se
retrouvent à Strasbourg le 24 novembre. Ils ont rendez-vous avec
Mario Monti, le nouveau président du Conseil italien. Le coût de la
dette italienne explose, la Grèce est toujours au bord de la
faillite, il faut faire évoluer la gouvernance de l’Europe. Nicolas
Sarkozy ne change pas d’idée fixe. Il voudrait que la Banque
centrale européenne garantisse les dettes des Etats attaqués par les marchés, joue le
même rôle que la FED américaine360.
Jusque-là Angela Merkel l’a toujours refusé, car
elle en redoute les conséquences : l’inflation et surtout le retour
au laxisme budgétaire qui est, chez elle, une idée fixe. Elle veut
donc changer les traités pour rendre les règles de discipline
budgétaire plus contraignantes. La Chancelière a trouvé en Mario
Monti un allié en matière de sanction contre les pays qui ne
rempliraient pas leurs engagements. « Il faut que les règles soient
respectées », dit l’Italien. Nicolas Sarkozy a fini par accepter
une modification des traités. Mais en échange, il obtient la
constitution d’un gouvernement économique de la zone euro qu’il
réclamait de ses vœux depuis si longtemps. La Chancelière a dit
oui. Enfin. « C’est une victoire conceptuelle de la France », se
réjouit le Président.
A la fin de la réunion, les journalistes
interrogent le trio sur l’avancée des discussions relatives à un
élargissement du rôle de la Banque centrale européenne. Réponse du
Président : « Tous les trois on s’est mis d’accord pour dire que le
respect de l’indépendance de la Banque centrale européenne, c’est
de s’abstenir de faire des demandes, positives ou négatives.
»
Réponse de la Chancelière : « Je voudrais
rappeler que la BCE est indépendante, est-ce que vous avez compris
?
Un arrêt sur image s’impose – en déclarant après
le Président : « La Banque centrale européenne est indépendante »,
la Chancelière laisse entendre qu’elle s’abstiendra désormais de
toute critique. En clair : libre à la BCE de racheter de la dette.
En symétrie, Nicolas Sarkozy
s’abstiendra de lui donner des conseils. Il vient de faire sauter
le verrou allemand.
Ainsi avance le couple Merkel-Sarkozy361. Le Président qualifie la rencontre de
Strasbourg de « sommet le plus réussi ». Car il a eu gain de cause.
Quinze jours plus tard, recevant des journalistes à l’Elysée, il
prédit : « Entre le 9 décembre et le début du mois de janvier, la
BCE va lancer les Orgues de Staline. » En clair : Draghi va
accepter de faire avec amplitude ce que son prédécesseur faisait
avec parcimonie. En réalité, Draghi n’ira pas aussi loin que
l’espérait le Président. Il veut d’abord s’assurer que les pays
respecteront la discipline budgétaire. Il n’empêche : la Banque
centrale européenne accorde 500 milliards de prêt sur trois ans aux
banques à un taux défiant toute concurrence : 1 %. Les marchés
s’ajustent, le calme revient peu à peu.
9 décembre : nouveau sommet européen de crise.
Le couple franco-allemand fait adopter son projet de modification
du traité. Vingt ans après Maastricht, sous la pression de
l’Allemagne, l’Europe referme la parenthèse des dix premières
années de la monnaie unique caractérisées par le laxisme financier.
Chaque Etat va s’engager à adopter une nouvelle règle budgétaire.
Ne pas dépasser un déficit structurel de 0,5 % du PIB à horizon de
2020. La création d’un nouveau fonds monétaire européen. La
Chancelière a accepté le gouvernement économique de la zone euro
qui pousse à plus d’intégration et de convergence économique. Elle
abandonne la règle qu’elle
avait imposée à Deauville en octobre 2010 : la participation du
secteur privé.
David Cameron, le Premier ministre britannique,
comptait monnayer son vote sur le nouveau traité, en posant ses
conditions : une dizaine de points pour mettre la City à l’écart de
toute règlementation financière. Réponse cinglante de Nicolas
Sarkozy : « Tu ne peux pas vouloir rester toujours en dehors et
exiger de peser sur les délibérations des autres. Ou tu es dedans,
ou tu es dehors. Ça n’est plus supportable. On se passera de toi.
»
Et c’est ainsi que David Cameron s’est retrouvé
seul à Bruxelles, exclu du traité. Il a peut-être obtenu ce qu’il
cherchait au plan intérieur : une remontée dans les sondages.
« Le non très net du président français aux
exigences britanniques, auquel s’est jointe Angela Merkel, est une
vraie avancée. Cela a clarifié la situation. Ce que nous n’avions
pu faire de mon temps », apprécie Gerhard Schröder362.
Le 30 janvier, les Dix-Sept ont approuvé la
modification du traité. La zone euro renforce son intégration. Le
problème grec n’est toujours pas réglé. Mais l’Europe a avancé d’un
grand pas.
Le volontarisme français et la discipline
allemande l’ont emporté.
« J’ai vu le Président à l’œuvre avec la
Chancelière depuis 2010. Malgré des divergences importantes, je ne
l’ai jamais vu s’énerver, il était en totale maîtrise. Il ne l’a
jamais attaquée de front. Il a toujours gardé son calme. Il ne lui
a jamais fait de mauvais coup, jamais fait état publiquement de
leurs conversations. C’est ainsi qu’il l’a amenée à évoluer et
qu’une confiance réciproque s’est forgée au gré des événements », constate un
conseiller de l’Elysée. « Si le Président avait eu le même
tempérament que la Chancelière, rien n’aurait bougé en Europe »,
ajoute un diplomate.
« Plus je vais, plus je suis européen, confie en
privé Nicolas Sarkozy. J’ai accepté les compromis pour l’Europe.
Angela et moi nous sommes condamnés à travailler ensemble. »
« Depuis 2007, Nicolas Sarkozy a beaucoup fait
pour l’Europe. Il l’a relancée avec le traité simplifié. Sa
présidence européenne est saluée par tout le monde. Et dans la
crise de l’euro, il a vu juste, il a tenu le bon cap. Si l’Europe
n’a pas explosé, c’est bien grâce à lui. Je crois qu’il s’inscrit
dans la lignée des grands Européens », veut conclure Alain
Juppé.
345. Ils ont le même âge : elle est née le 17
juillet 1954, lui le 28 janvier 1955 et appartiennent au même
courant politique.
346. En octobre 2009.
347. En 2007, Nicolas Sarkozy, qui espérait
une consolidation de la croissance, avait été prévenir Bruxelles
qu’il s’abstiendrait de réduire les déficits jusqu’en 2012.
348. Ce qui lui a fait perdre le pouvoir au
profit d’Angela Merkel.
349. Qui sera votée en novembre.
350. Que proposait Jacques Delors en 1997 : un
pôle économique avec un pacte de coordination des politiques
économiques.
351. Votée au Parlement français en juillet
2011. Mais le Président renoncera à la faire entériner par le
Congrès, le Sénat étant passé à gauche, il n’aurait pas obtenu la
majorité requise.
352. Elle acceptera de voter le plan en
octobre. Mais obtient d’être exclue de la participation au
financement du plan.
353. Tort ? Pas vraiment. Perdre son triple A,
c’était l’assurance, croyait-il, de devoir emprunter à un taux
supérieur. Et de s’écarter de celui de l’Allemagne. Et puis, un
point de taux d’intérêt en plus, cela a un coût de 16 milliards. Ce
qui équivaut à un point de CSG. Danger.
354. Le 28 octobre.
355. L’agence Moody’s a dégradé la France,
mais pas les deux autres agences, Standard & Poor’s et
Fitch.
356. Avec l’Américain Charles Dallara qui
représente 450 établissements financiers répartis sur l’ensemble de
la planète, et le Français Jean Lemierre ex-directeur du Trésor.
Tous deux jugent la proposition inacceptable.
357. Cent milliards d’aide d’Etat et cent
milliards d’effacement de la dette bancaire.
358. François Hollande apporte son soutien à
Georges Papandréou : « Il a le droit de consulter son peuple.
»
359. Un sondage publié en Grèce révèle que si
65 % des Grecs sont contre le plan du 27 octobre, 72 % veulent
rester dans l’euro.
360. Ce mois-là, un banquier de la place pose
ce diagnostic : « Si Draghi ne rachète pas de la dette italienne,
l’euro ne passera pas 2012. »
361. Au moins le tandem franco-allemand
travaille et cherche des solutions dont, naturellement, chacun veut
qu’elles soient compatibles avec ses intérêts nationaux… Ce que
Sarkozy a fait sur la scène financière internationale est ce qu’il
y a de mieux (Michel Rocard, Le
Parisien).
362. In Le Figaro
du 22 décembre.