La réforme de la Constitution Alors qu’il vient
comme on le sait de prendre la présidence de l’Union européenne,
Nicolas Sarkozy en ce mois de juillet est animé d’un autre grand
souci. « Matin, midi et soir il ne fait plus que cela », note un
ministre, qui oublie un peu vite le reste. Quoi « cela » ? Il
téléphone lui-même aux parlementaires pour les inciter à voter la
réforme constitutionnelle qu’il avait annoncée durant sa
campagne.
Dès son arrivée à l’Elysée, il a créé dans ce
but une commission confiée à son ancien mentor Edouard Balladur,
lequel préconisait l’instauration d’un véritable régime
présidentiel, suggestion refusée par Nicolas Sarkozy. L’idée de
base étant le rééquilibrage des pouvoirs entre le Parlement et
l’exécutif. Le primat de celui-ci n’étant pas remis en cause, il
n’empêche que le Président souhaiterait pouvoir s’exprimer
directement devant l’Assemblée ou le Sénat, comme cela se fait aux
Etats-Unis. En revanche, les prérogatives du Parlement seraient
renforcées par un certain nombre de mesures, peu visibles pour les
citoyens peut-être mais d’une efficacité certaine : ainsi, la
fixation de l’ordre du jour des assemblées serait partagée entre
majorité et opposition, les projets de loi gouvernementaux seraient
discutés en séance tels que les commissions compétentes les
auraient amendés, les nominations aux principaux emplois publics
par le Président seraient soumises au Parlement. Celui-ci en outre
devrait être informé dans les trois jours de l’intervention des
armées. Et son autorisation serait nécessaire – comme on le verra
en 2011 à propos de la Libye – si celle-ci se prolongeait au-delà
de quatre mois.
D’autres
mesures amélioreraient les droits des citoyens : la possibilité
pour eux de saisir le Conseil constitutionnel sur la conformité
d’une nouvelle loi à la Constitution. Ou encore, la réforme du
Conseil supérieur de la magistrature (le président de la République
cédant la place au président de la Cour de cassation et au premier
procureur général).
Bref, la Commission Balladur a pour mission
d’enfanter une réforme de la Constitution comme on n’en a pas vu
depuis celle qui, en 1962, soumettait au suffrage universel le
choix du président de la République.
A première vue, un tel texte devrait être voté
assez facilement par le Congrès, puisque le Président est assuré
d’avoir à l’Assemblée une majorité et que le Sénat n’est pas encore
passé à gauche. Seulement voilà : un tel texte doit rassembler les
trois cinquièmes des voix du Congrès. Or, des réticences se
manifestent au sein même de la majorité chez des parlementaires
très attachés à la Constitution promue par le général de Gaulle.
Ils jugent que donner trop de pouvoir au Parlement reviendrait à
paralyser l’exécutif. Tandis que la gauche estime ses pouvoirs trop
minces, « un pourboire », dira Robert Badinter.
Ministre des Relations avec le Parlement, Roger
Karoutchi, lui, fait ses comptes : l’affaire va se jouer à une
poignée de voix près. C’est pourquoi le Président, en ce mois de
juillet, a pris les choses en main et téléphone lui-même aux
parlementaires les plus hésitants. Et dans sa longue interview au
Monde du 17 juillet (celle où il
évoquait, on l’a vu, les problèmes de l’armée), il fait des
concessions à la gauche. La plus symbolique, signe des temps, est
la possibilité pour l’opposition de répondre à la télévision chaque
fois qu’il se sera lui-même exprimé sur une question de politique
intérieure. (Il est vrai que les journalistes faisant leur travail,
cette pratique existe déjà.) Plus important ? Nicolas Sarkozy se
déclare ouvert à une évolution du mode de scrutin sénatorial qui
favorise depuis toujours une surreprésentation du monde rural,
longtemps jugé plus conservateur (ce qui ne sera pas vérifié en
2011), les communes rurales, proches des villes, ayant en
grandissant changé de population… Et de sensibilité
politique.
Nicolas Sarkozy dit aussi espérer que certains
parlementaires socialistes se rallieront : « Il y aurait une
certaine forme de ridicule à ne pas voter une réforme dont ils
n’ont cessé de rêver les contours sans jamais la mettre en œuvre. »
Mais François Hollande, alors premier secrétaire du PS, raille ces
annonces de dernière minute et doute de la possibilité (ou de la
volonté ?) de changer le mode
d’élection des sénateurs. « Cette réforme, dit-il, c’est la dérive
présidentialiste du pouvoir qui se trouve vérifiée. »
Dix-sept députés socialistes parmi lesquels
Manuel Valls, le député de l’Essonne, futur candidat aux primaires
de son parti, se déclarent cependant dans une tribune publiée par
Le Monde du 23 mai prêts à « donner une
chance à la réforme ». Il y a aussi Jack Lang, vice-président de la
Commission Balladur et toujours en quête d’un poste d’ouverture qui
veut bien saluer le projet. Dans une lettre ouverte au président de
la République que publie Le Monde, il
proclame : « Pas une seule disposition ne constitue un recul pour
les libertés, il y a des avancées audacieuses. » Et d’ajouter : «
Le programme de Ségolène Royal sur les institutions pour la
campagne présidentielle était très inférieur à ce projet du
gouvernement. Après le départ de Jospin, plus personne au PS ne
s’est sérieusement intéressé à ces questions. » Il est vrai que ce
mitterrandiste fidèle a, par ailleurs, toujours regretté que
Mitterrand oubliant ses promesses d’avant son élection de 1981
n’ait jamais réformé les tables de la loi gaulliste.
Lors du vote du projet, en deuxième lecture à
l’Assemblée le 8 juillet, les députés du PS vont sur l’injonction
du parti rentrer dans le rang et voter « non ». Sauf Jack Lang…
Cohérent avec lui-même, il est vrai.
Un des plus ardents défenseurs du compromis,
Gaëtan Gorce, député de la Nièvre et signataire de la tribune dans
Le Monde, expliquera le changement
d’attitude de son groupe en accusant Nicolas Sarkozy « de n’avoir
pas su se placer à la hauteur du sujet ». Mais il l’avoue
honnêtement : « Dans le contexte social et politique, je ne me vois
pas servir d’appoint à Nicolas Sarkozy. » L’essentiel est dit.
Olivier Biancarelli, chef de cabinet du Président, qui tente lui
aussi de convaincre des socialistes, se verra répondre par l’un
d’eux : « Ne comptez pas sur moi pour donner un brevet de
démocratie à votre Président. »
Ce n’est pas le projet constitutionnel lui-même
qui est mis en cause (sauf quelques points, la non-réforme du
système électoral du Sénat par exemple), comme le soulignera
Jean-François Copé : 21 dispositions demandées par le PS figuraient
dans le projet de réforme. En vérité, les socialistes ont voté
contre Nicolas Sarkozy. Son style et sa politique.
Convaincu de l’opposition socialiste, le
Président s’était auparavant attaché à rallier les radicaux de
gauche et y était parvenu en leur faisant miroiter la possibilité
d’abaisser le seuil de vingt députés à quinze, pour permettre la constitution
d’un groupe parlementaire.
Jean-Michel Baylet, sénateur du Tarn-et-Garonne
et président du Parti radical de gauche, avait ainsi annoncé qu’il
voterait une réforme comportant d’importantes avancées pour le
Parlement : « S’il n’est pas parfait, explique-t-il, ce projet va
oxygéner la vie démocratique. »
Alors que des parlementaires de la majorité se
plaisent à répéter que le projet constitutionnel n’intéresse pas
les électeurs, l’Elysée déploie aussi des trésors de diplomatie
pour convaincre ceux d’entre eux qui se montrent encore réticents :
dix-huit voix de l’UMP, treize députés et sénateurs ont manqué en
première lecture. Pour quelques-uns d’entre eux, Nicolas Sarkozy
abandonne même le téléphone pour le face-à-face. Il reçoit à
l’Elysée Bernard Debré, Jacques Myard, Hervé de Charette,
notamment. A dix jours du congrès qui doit réunir à Versailles les
deux Assemblées, « rien n’est réglé », dit un de ses conseillers.
Et de rappeler qu’en 1973, Georges Pompidou avait renoncé à
instaurer le quinquennat faute de majorité. Mais Nicolas Sarkozy
est toujours décidé à prendre le risque. En coulisses avec François
Fillon, ils avaient déjà débloqué plusieurs obstacles. Ainsi, à la
demande des sénateurs centristes, ils avaient accepté de faire
figurer dans l’article 1 une phrase que ceux-ci réclamaient : « La
loi garantit l’expression pluraliste des opinions. » Comme le
souligne alors Michel Mercier, président du groupe centriste au
Sénat (il deviendra ministre en 2011) : « Il ne s’agit pas pour
nous d’imposer la proportionnelle, mais seulement… de la rendre
possible. » Nuance !
Sept voix centristes manqueront pourtant à
l’arrivée. Sans surprise, François Bayrou a voté contre. Six
parlementaires UMP « villepinistes ou chiaraquiens, notamment »
votent également « non ». Un député s’abstient.
Le projet est quand même adopté avec deux voix
de plus que la majorité requise : « Jusqu’au compte des derniers
bulletins, on ne savait pas comment le vote allait tourner »,
témoigne Bernard Accoyer, le président de l’Assemblée nationale,
qui a participé au vote. Ce qui n’est pas prévu par les textes,
mais il peut plaider : « Avant moi, Laurent Fabius, lorsqu’il était
président de l’Assemblée nationale, avait lui aussi voté au
Congrès. »
Deux voix, ça n’est vraiment pas beaucoup. Le
projet est passé ric rac. Comme le souligne Jean-François Copé : «
Souvent les très grandes réformes de notre pays ont été adoptées à
une voix près. » Sa phrase
faisait écho au célèbre amendement Wallon qui, en 1875, avait
instauré la IIIe République à une voix
de majorité.