CHAPITRE 1
Tsunamis Comme de coutume, le 31 décembre 2010 au soir, le Président présente ses souhaits aux Français. Il se veut optimiste, mais n’ignore pas les dangers et les risques. Il énonce son combat des prochains mois : « Ne croyez pas ceux qui proposent que nous sortions de l’euro. L’isolement de la France serait une folie. La fin de l’euro serait la fin de l’Europe. Je m’opposerai de toutes mes forces à ce retour en arrière. »
Il vise ainsi sans les nommer Marine Le Pen et le Front national. Mais aussi l’extrême gauche. Et quelques parlementaires également du côté de l’UMP. Il sait que la tentation du repli sur soi rôde dans bien des esprits. Il la redoute d’autant plus que la crise économique peut encore s’aggraver. Ce qui sera le cas.
Bien plus, l’Histoire va s’accélérer en tous domaines, bousculant les hiérarchies, les pouvoirs et même les saisons. Le printemps arabe : la chute de régimes que l’on croyait solides, la révolte contre l’oppression qui renverse d’antiques bastilles. Est-ce l’automne de l’Europe ? Pays surendettés au bord de la faillite, voici venu le temps de l’austérité325, des changements de majorité, des démissions de dirigeants, des mouvements sociaux d’un type nouveau (« les indignés »). Avec le réchauffement de la température le dérèglement climatique s’accélère : tempêtes et cyclones se succèdent, un séisme au Japon comme on n’en avait pas vu depuis le début du siècle dernier provoque une catastrophe nucléaire et fait ressurgir ailleurs l’ombre noire de Tchernobyl. L’Allemagne prend peur et choisit de fermer sept centrales ; Ben Laden, fondateur d’Al Qaïda, est tué dans sa résidence au Pakistan par un commando américain… Et l’on pourrait allonger la liste.
2011 est l’année de tous les tsunamis. Sans doute marquera-t-elle, pour les historiens du futur, le début du XXIe siècle.
En France, la gauche gagne encore du terrain. A la tête de vingt et une régions (sur vingt-deux) depuis 2010, elle conforte son emprise sur les départements. Le 27 mars, lors du deuxième tour des cantonales, elle réunit 49,1 % des voix tandis que la majorité (32 %) fait pâle figure. Surtout l’Elysée ! Bien des observateurs s’inquiètent du niveau élevé de l’abstention : 55,58 %. Une fois de plus, les électeurs de droite ne se sont pas déplacés et les milieux populaires marquent leur désintérêt pour la politique. A moins qu’ils ne penchent pour Marine Le Pen, nouvelle star convertie à l’anti-capitalisme. Elle prône le retour au franc et à la peine capitale. Et elle fait un tabac. Ses candidats, présents au deuxième tour dans 403 cantons, ont obtenu une moyenne de 45,1 % des suffrages, grâce au report des voix de droite. Le Président est en danger.
« La malédiction », titre Le Point en avril.
« A-t-il déjà perdu ? » demande en mai Le Nouvel Observateur qui souligne qu’au gouvernement et parmi les parlementaires de l’UMP, beaucoup s’interrogent sur ses chances. Certains se demandent même qui pourrait le remplacer. Quelques noms circulent : Juppé ? Fillon ? Les éditorialistes supputent.
En septembre, le Sénat passe à gauche, pour la première fois sous la Ve République, il n’est donc plus « l’anomalie » que dénonçait Lionel Jospin. C’est un gros choc pour la majorité, même si ce résultat était prévisible depuis les élections locales et en raison de la nouvelle sociologie de la France profonde : l’apparition des « rurbains », comme disent les spécialistes, ces hommes et ces femmes qui vivent à la campagne, à la périphérie des villes dans lesquelles ils travaillent et qui envoient dans les mairies de leurs communes des retraités de la fonction publique, de l’enseignement, de la SNCF, plutôt que ces agriculteurs qui depuis des décennies composaient ce terreau des divers droite qui maintenait une majorité conservatrice au Sénat.
Mais les socialistes, surtout, voient la foudre leur tomber dessus en mai.
DSK, Désiré Strauss-Kahn, ils l’attendaient comme le sauveur. Les sondages le désignaient comme le successeur de Nicolas Sarkozy et avec une confortable avance, avant même qu’il ait fait acte de candidature : « Qu’il démissionne vite du FMI, car s’il revient trop tard, il n’aura pas le temps d’être adoubé par un contact direct avec le peuple », avait supplié Laurent Joffrin dans Le Nouvel Observateur. Il savait que la sensibilité populaire faisait défaut à l’homme de Washington. En février, une enquête LH2 pour LCP montrait que 65 % des Français jugeaient Dominique Strauss-Kahn – emblème de la gauche caviar – bien loin de leurs préoccupations. Le directeur du FMI représentait, à leurs yeux, cette élite lointaine et sans cœur, ignorante de la réalité du quotidien des Français. « L’affameur du monde », c’est ainsi que Jean-Luc Mélenchon le désigne.
Et voilà – patatras ! – que cet homme rate son rendez-vous avec la France. Il est arrêté par la police de New York dans l’avion qui devait l’amener à Paris. Une femme de chambre de l’hôtel Sofitel, Nafissatou Diallo (un nom désormais connu du monde entier), l’accuse de viol. La honte. Il doit passer par la case prison, avant d’être assigné à résidence dans un hôtel particulier loué 50 000 dollars par mois par son épouse. En dépit d’un rapport très sévère, le procureur Vance lui a rendu sa liberté, faute de crédibilité de la plaignante. DSK n’a pas été jugé. Il n’a pas été blanchi non plus. « Il a payé au prix fort une absence passagère de jugement », commente son avocat américain, Me Benjamin Brafman. Hélas, un très mauvais feuilleton commence. Qui va s’enrichir chaque semaine de nouvelles révélations sur DSK, toutes peu ragoûtantes.
Son « absence de jugement » était décidément permanente.
Contraint de quitter le FMI, DSK cède la place à Christine Lagarde. Elle abandonne Bercy pour Washington. Il revient à une Française de laver l’affront. Mais, très vite, les propos distanciés de l’ex-ministre à l’égard de la France et de l’Europe lui vaudront d’être appelée par ses anciens collègues « l’Américaine ».
La voie est libre pour François Hollande. Parti le premier et de très bas, il se hisse dans la cour des grands à force de présence sur le terrain. Et remporte la primaire socialiste, battant Martine Aubry qui en est fort marrie. Effet pervers pour le vainqueur ? Peut-il vraiment compter sur le soutien d’un parti toujours dirigé par celle qui fut une adversaire coriace, le traitait de « gauche molle » et dont la rancune tenace est bien connue ? En octobre, les sondages sont au zénith pour le député de Corrèze. Ils demeurent flatteurs au début de l’année 2012, malgré un fléchissement en décembre.
C’est que, justement, le climat politique se modifie dans ces mois-là. Les Français ont peur. Personne n’imagine un retour rapide à la croissance, ni une hausse du pouvoir d’achat. Bien au contraire. La crise s’installe. Le chômage augmente. Les prévisions pour 2012 sont des plus sombres. Conséquence inattendue : alors que 63 % des sondés souhaitaient au début de l’année que Nicolas Sarkozy ne se représente pas, certains observateurs qui le disaient condamné se demandent s’il ne pourrait pas en fin de compte, quatre mois plus tard, l’emporter. « Et si c’était (encore) lui ? » interroge Le Point326. Si les sondages sont toujours aussi peu encourageants, le noyau dur de son électorat tient bon.
L’homme semble avoir, une nouvelle fois, changé. Depuis janvier, ses proches ont noté chez lui un ton nouveau, plus grave. Les ministres parlent de lui avec respect. Son engagement total et permanent les impressionne. C’est que la crise, si difficile et rude pour tous les gouvernants européens, le motive : « Parce qu’il ne se résigne jamais, il n’est heureux que dans les difficultés et les tempêtes », note un proche.
Et beaucoup se souviennent alors que, lorsque le système bancaire menaçait de s’écrouler en 2008, Nicolas Sarkozy avait impressionné les Européens par son énergie, sa capacité à proposer des solutions et convaincre.
En 2012, les circonstances le favoriseraient-elles à nouveau ? Ses proches en sont convaincus : un homme de sa trempe est plus apte à diriger le navire dans la tempête qu’un « capitaine de pédalo », comme Jean-Luc Mélenchon – qui le déteste – a qualifié François Hollande.
Jean-Claude Trichet, quittant en fin d’année la Banque centrale européenne, le reconnaît en privé : « Le Président Sarkozy a démontré que sa capacité de leadership, anormale en temps normal, est appropriée en temps de crise. »
On s’interroge : sera-t-il un profiteur de crise ?
Pour narrer l’année 2011, il faut montrer le personnage Sarkozy sous trois aspects : le chef de guerre efficace (en Libye et en Côte-d’Ivoire) ; le leader européen qui négocie pied à pied et sans relâche avec Angela Merkel pour sauver l’euro et l’Europe ; et l’homme compassionnel qui se crée bien des soucis par des élans que d’aucuns jugent irraisonnés.

325. La France s’est résolue à adopter deux plans de rigueur. L’un en août, l’autre en novembre, présentés par François Fillon avec cette phrase en préambule : « Le mot faillite n’est plus un mot abstrait. » Le soir sur TF1, il plaide : « Depuis 1945, aucun budget de l’Etat n’a baissé dans ces proportions. » Evoque 65 milliards de dettes ainsi évitées. Et emploie 18 fois le mot « effort ». Un effort indispensable, certes, mais jugé « insuffisant » par Bruxelles et… l’Allemagne.
326. Edition du 1er septembre 2011.