Conclusion
« Il faut du temps pour entrer dans une fonction comme celle que j’occupe, pour comprendre comment cela marche, pour se hisser à la hauteur d’une charge qui est, croyez-moi, proprement inhumaine378. »

 

Au bout du compte, les Français auront apprécié chez lui l’énergie, le mouvement, l’imagination, l’authenticité.
Mais dans le même temps, ils auront appris à se défier, voire à exécrer son impulsivité, sa logique de défi permanent, sa véhémence, et son inaptitude à maîtriser toujours cette majesté du verbe et du comportement qui sied à un monarque républicain.
Finalement – en attendant la suite ? – sa personnalité fascine autant qu’elle indispose, mais elle captive toujours sans lasser. Car il crée sans cesse l’événement, convoque ses opposants sur son terrain, a toujours sur eux deux temps d’avance. De l’art de changer de pied et d’ordonner le jeu.
Ce quinquennat aura glissé trop vite entre ses doigts. « A la vitesse de la lumière », dit-il. Cinq ans : à peine un battement de cils. Et pourtant, que de bouleversements dans cette brièveté : divorce, remariage, paternité, crise financière, crise européenne, récession. Et en face, une irrésistible ascension de la gauche (pas une élection hexagonale379 gagnée par son camp depuis les législatives de 2007).
Beaucoup espéraient que son volontarisme suffirait à retourner la France et à la sortir comme par enchantement des « Trente Piteuses » où elle s’était assoupie. Il serait injuste de croire qu’il n’y est pas, en partie, parvenu. « Il a entrouvert beaucoup de portes. » Son bilan est bien meilleur que ne le claironnent ses adversaires avec une froide férocité. Paradoxe tout de même : cet homme courageux et même téméraire jusqu’au dernier instant, aura été entravé par une trop grande retenue qui s’ajuste mal à son tempérament. Un audacieux trop craintif ? Cet oxymore pour fabuliste pourrait résumer son règne. A cause de lui ? Ou en raison de ce qu’est la France, un pays monarchiste qui décapite les rois ?
Ces déceptions au plan intérieurs sont compensées par l’éclat du « sarkozysme international », où son leadership, reconnu maintes fois, fait merveille. Géorgie, Libye, Côte-d’Ivoire, crise des subprimes, puis de l’euro, il s’est révélé être un grand Européen. Chaque fois, sa détermination, sa capacité à entraîner les autres, à leur dire les choses en face, sa prise de risque maximale, ont fait bouger les lignes. Et toujours provoqué le succès.
Dans cette aventure, ses deux qualités les plus fiables ont été son imagination et sa résistance physique proprement surhumaine. Nicolas Sarkozy a adoré « le job » de Président. « Le pouvoir ne fatigue pas, dit-il, c’est l’opposition qui épuise. » Or, de ce pouvoir il n’a pas joui avec l’impudeur hédoniste d’un Bill Clinton. Ce supposé « bling-bling », une fois exilé en son palais, aura mené une vie austère de Président le plus travailleur de la Ve République post-gaulliste. Mais il avait prévenu : « J’ai toujours fait du travail la valeur cardinale de ma vie. »
Le plus étonnant, après un tel régime, c’est qu’il en redemande.
Besoin d’adrénaline ? Et pour quoi faire ? Il faudra qu’il le dise, car on ne mobilise pas une vieille nation sur un taux de TVA. Où veut-il la mener ?
Son destin dépend désormais des autres autant que de lui-même.
« Un homme normal », tel que s’est défini François Hollande, peut-il, va-t-il déjouer ses attentes ? Est-ce lui que la France désire ? Ou choisira-t-elle, au contraire, de prolonger le bail de ce personnage hors du commun ? En attendant, devant le candidat-Président qui a le don de capter la lumière et d’affadir les autres acteurs de la vie politique, devant son survoltage perpétuel et son appétit toujours aussi aiguisé après tant d’épreuves, on s’interroge : les Français, eux, ne sont-ils pas rassasiés ? Auquel cas, on songerait au mot de Napoléon : « La balle qui me tuera portera mon nom. »

378. Nicolas Sarkozy, Le Nouvel Observateur, juillet 2009.
379. L’UMP est arrivée en tête aux élections européennes de 2009.