Une majorité en effervescence Au petit matin du
7 janvier 2010, les radios annoncent le décès de Philippe Séguin,
le premier président de la Cour des comptes286, ancien ministre d’Etat de Jacques Chirac.
La classe politique est frappée de stupeur. Philippe Séguin était
un personnage hors normes. Une carrure à la Orson Welles et une
robustesse de chêne, qui laissaient percevoir quelques fêlures
intimes. Il promenait sur le monde et les choses un beau regard
sombre, triste et fatigué. Il semblait né inconsolable. Il aurait
pu jouer les premiers rôles s’il ne faisait alterner les moments
d’exaltation – toujours brefs – avec des phases de dépression –
toujours longues – accompagnées de crises de boulimie, suivies de
semaines de régime strict, ponctuées de colères homériques. Servi
par un timbre de baryton basse, cet excellent orateur avait des
fulgurances. Tout le monde appréciait ce gaulliste à la fibre
sociale. Quelle était sa véritable ambition ? Nul ne pouvait le
dire. Il n’en était que plus attachant. Il avait redoré le blason de la Cour des comptes, accru
son rôle et son indépendance.
Des funérailles nationales sont organisées aux
Invalides. Nicolas Sarkozy, accompagné de son épouse, semble
sincèrement touché par sa disparition. François Fillon ne cache pas
son chagrin, il a perdu son mentor.
Dès la fin des obsèques, une grande question
agite le microcosme : qui va lui succéder ? Alain Juppé révèle le
18 janvier avoir refusé l’offre de Nicolas Sarkozy. Il veut se
consacrer à Bordeaux. Le nom d’Alain Lamassoure, président de la
Commission des budgets au Parlement européen et ancien de la
maison, circule. Il n’a pas fait acte de candidature, contrairement
à Didier Migaud. Le président socialiste de la Commission des
finances ayant fait savoir à l’Elysée que le poste l’intéresse, ses
vœux sont aussitôt exaucés.
Encore un socialiste ! La majorité est vent
debout. « J’aurais dû exprimer plus fortement mon opposition à
cette nomination », s’emporte Jean-François Copé. « La moindre des
choses eût été que l’on m’en informât », bougonne Gilles Carrez, le
rapporteur du Budget. La déception est d’autant plus grande que
Jérôme Cahuzac, député PS du Lot-et-Garonne, qui succède à Didier
Migaud, est loin de faire l’unanimité. « Un type brillant, mais
très personnel, très sectaire », disent ses collègues de la
Commission, qui regrettent Migaud.
Pas contents, les UMP ! Xavier Bertrand, le
patron du mouvement, sans doute en service commandé, prévient
pourtant : « L’ouverture va se poursuivre. » Quelques jours plus
tard en effet, Michel Charasse, ancien ministre socialiste de
François Mitterrand, sénateur, personnage haut en couleur et
contesté, entre au Conseil constitutionnel par la grâce de Nicolas
Sarkozy.
Et ça
n’est pas tout. Claude Evin, ancien ministre de la Santé
socialiste, est nommé directeur de l’Agence régionale de santé en
Ile-de-France, tandis que Denis Morin, ex-directeur de cabinet de
Martine Aubry, prend la tête de celle de Rhône-Alpes. Mais le
Président n’est pour rien dans leur désignation. Aidée par un
cabinet d’audit, Roselyne Bachelot, la ministre de la Santé, a
décidé de recruter ces directeurs au mérite. Un jury présidé par
Jean-Martin Folz, ex-patron de Peugeot, avait sélectionné une liste
de cinquante candidats. « On essayait de me coller des copains,
j’ai résisté », se flatte la ministre, bien que la « quasi-totalité
des autres postes ait été offerte à des gens de chez nous »,
dit-elle. Il n’empêche, la nomination de Claude Evin est très mal
perçue.
La campagne pour les régionales s’ouvre dans ce
climat désabusé. La partie s’annonce difficile. La gauche détient
vingt régions sur vingt-deux et clame qu’elle peut réussir le grand
chelem, faire tomber l’Alsace et la Corse dans son escarcelle.
L’UMP espère quand même gagner quatre à cinq régions. Alain
Marleix, le secrétaire d’Etat aux Collectivités territoriales, qui
connaît bien sa carte électorale, a convaincu l’Elysée que le gain
de sept à huit régions n’est pas à exclure.
Nicolas Sarkozy décide de mettre le paquet :
dix-neuf ministres et secrétaires d’Etat, sur un total de
trente-huit, sont candidats. Parmi eux, huit sont très exposés. A
commencer par Xavier Darcos, ministre des Affaires sociales et
candidat dans la région Aquitaine.
« Tu sais que je vais perdre, répond-il à
Nicolas Sarkozy, lorsque celui-ci lui demande de s’engager.
— Ecoute, mon Xavier, rends-moi ce service et ne
crains rien, si tu es battu tu restes au gouvernement. »
Même cas
de figure pour Dominique Bussereau, secrétaire d’Etat aux
Transports, qui doit aller affronter Ségolène Royal : « Darcos et
moi, nous sommes les malgré-nous », plaisante-t-il, amer.
Pour Nicolas Sarkozy, l’implication de ses
ministres doit être le signe de l’engagement total de la majorité
dans ce combat. « Un ministre doit aller au front », répète-t-il
chaque mercredi.
Une stratégie qui comporte évidemment de gros
risques : l’affaiblissement du gouvernement en cas de défaite – ce
que le Président refuse d’envisager. Les sondages ne sont guère
favorables, mais il croit avoir trouvé la meilleure stratégie : des
listes d’union comprenant toutes les composantes de la majorité,
voire au-delà. Ce qui provoque des grincements de dents à l’UMP, où
la majorité des militants sont d’anciens RPR. Ces proches du
terrain savent que la juxtaposition des logos divers n’élargira pas
la base électorale. « On plaçait en positions éligibles des
minoritaires sans audience véritable, en reléguant en queue de
liste des élus locaux UMP reconnus », déplore un ministre.
Certains dénoncent la trop grande implication de
Claude Guéant dans la composition de certaines listes. Ainsi en
Bretagne, où il a imposé une préfète de région, laquelle choisit
elle-même ses colistiers – dont le fils du secrétaire général de
l’Elysée – sans concertation avec les élus. Du coup, les
parlementaires bretons oublieront de faire campagne. Le résultat
était prévisible : la liste de la préfète fait un score inférieur à
celui de 2004, déjà guère brillant. Même grogne en Alsace, idem
dans les Pays-de-Loire, où les amis de Jean Arthuis décrochent
trois places alors que son parti n’existe pas vraiment.
En
janvier, une étude IFOP pour Paris
Match annonce des résultats inférieurs à ceux du scrutin
précédent pour la majorité présidentielle.
Bruno Le Maire a mis en garde le Président : «
Le niveau de vie des agriculteurs a baissé de 54 % depuis deux ans.
» Alerte rouge. Tous les élus signalent leur hostilité à la taxe
carbone.
Le 6 mars, Nicolas Sarkozy se rend au Salon de
l’Agriculture pour participer à une table ronde avec les leaders
des organisations syndicales paysannes. Une première. (Jacques
Chirac, pourtant grand habitué des lieux, n’avait jamais organisé
pareille réunion.) Il est venu entendre leurs récriminations.
Notamment à propos des normes européennes sur le développement
durable. Bruno Le Maire l’avait prévenu. « On est allé trop vite,
trop loin. L’Allemagne, qui est devenue notre grande concurrente
agricole, les interprète de façon beaucoup plus souple que
nous287. »
Ayant entendu les doléances, Nicolas Sarkozy se
veut rassurant : « Je crois à une agriculture durable. Mais il faut
changer de méthode et alléger les contraintes. » Et il ajoute : «
Les questions d’environnement, ça commence à bien faire. » La
phrase fait sursauter. S’il s’était contenté de dire : « Nous
allons trop loin, prenons notre temps, soyons pragmatiques » (ce
qui était le fond de sa pensée), sa sagesse eût été louée. Sa
formulation abrupte déclenche la furie des écologistes, qui
dénoncent la volte-face de celui qui s’était fait le chantre du
Grenelle de l’environnement : « Le masque vert est tombé », s’écrie Cécile Duflot. Le Président
accorde « un permis de polluer » aux agriculteurs.
Trois jours plus tard, il tente de rattraper le
coup. « Mon rôle, dit-il, est d’apaiser pour pouvoir
réformer288. » Voilà même qu’il emploie un mot nouveau
: il souhaite « la pause » dans les réformes.
Alexis Brézet, directeur de la rédaction du
magazine qui a recueilli ces propos, révèle que le Président ne
l’avait pas employé pendant l’interview : il a été rajouté au
moment de la relecture à l’Elysée, avant la publication, comme il
est d’usage dans la presse.
Qui a ajouté ce mot ? Guéant ? Guaino ?
Mystère.
Vous avez dit pause ? Le terme évoque des
retournements spectaculaires. Léon Blum l’avait employé huit mois
après la victoire du Front populaire pour fermer la parenthèse des
dépenses inconsidérées. En décembre 1981, Jacques Delors, effaré
par les déficits, l’avait repris. François Mitterrand, qui n’avait
pas apprécié, avait rétorqué l’air pincé : « Je n’emploierais pas
ce mot-là. »
La pause ? Qu’a voulu dire le Président ? «
Qu’il proposera, à la fin de l’année 2011, de compléter les
réformes réalisées depuis 2007 et éventuellement de “délégiférer”
pour “clarifier” la législation souvent d’une telle complexité que
personne ne s’y retrouve. » Ce qui est vrai. Mais les observateurs
y décèlent un tournant.
La pause, en tout cas, ne concerne pas Nicolas
Sarkozy. Il multiplie les déplacements dans les régions où l’UMP
garde un espoir de s’imposer. Croyant encore à un succès dans la
région Centre, il se rend à Morée (Loir-et-Cher) pour évoquer les
problèmes de la ruralité et
défendre la réforme des collectivités territoriales (très mal
acceptée par les élus). Est-il en campagne ? « Pas du tout, il se
rend dans les régions où il n’est pas allé depuis longtemps »,
explique benoîtement Franck Louvrier. Nicolas Sarkozy est toujours
écartelé entre son statut de chef d’Etat, qui requiert hauteur et
retenue, et son tempérament qui le porte à l’action et à
l’engagement partisan. Ainsi se rend-il en Corse, à six semaines du
scrutin : l’île de Beauté est avec l’Alsace l’une des deux seules
régions de métropole dirigée par la droite depuis 2004. Il s’agit
bien sûr de la conserver. On l’entend promettre de gros moyens pour
l’indépendance énergétique de l’île et le développement durable.
Après quoi il s’envole pour la Guyane et la Martinique. Mais il
proteste de la pureté de ses intentions : « Où avez-vous vu que,
lors de mes déplacements, j’avais appelé à voter pour tel ou tel
candidat289 ? »
A la veille du scrutin, il continue à croire dur
comme fer que des gains sont possibles. « Je me souviens d’un petit
déjeuner de la majorité juste avant l’élection, témoigne un
participant, le Président était euphorique. Il s’est lancé dans un
vaste panorama pour nous décrire la situation mondiale. Il était
très brillant. Il a vu qu’il nous avait impressionnés. Quand on
s’est quittés il nous a dit : “Je suis content, nous avons vraiment
eu un bon dialogue”, mais en réalité, c’était un monologue
étincelant, nous n’avons pas pu placer un mot et nous n’avons pas
parlé des régionales. » Un autre témoin résume : « On a écouté
Nicolas nous parler de Nicolas et ensuite, comme d’habitude, Claude
Guéant nous a donné des ordres par téléphone. »
Tous les
candidats sont unanimes. Jamais ils n’avaient souffert d’une telle
agressivité sur le terrain. Un an plus tôt, ceux qui faisaient
campagne pour les élections européennes étaient bien reçus. « Les
gens étaient aimables, ils avaient apprécié que Nicolas Sarkozy
s’impose comme leader pendant la présidence française », assure
Jean-Marie Bockel. Candidat aux régionales en Aquitaine, Alain
Lamassoure évoque un hiver noir : « On faisait du porte-à-porte,
les gens nous disaient : on ne votera plus jamais pour Sarkozy. »
Même écho chez le président du groupe Nouveau Centre François
Sauvadet : « Pour la première fois, j’ai senti de la haine envers
le Président. Les gens étaient pleins de ressentiment. »
« La campagne des régionales, c’est le sommet de
l’incompréhension de notre électorat », dit Jean-Pierre
Raffarin.
Le 14 mars, au soir du premier tour, les listes
du PS et de ses alliés PRG totalisent 29,54 % des suffrages et sont
en tête dans treize régions. La majorité présidentielle (26,2 % des
voix) est en première position dans neuf régions, mais elle ne
dispose d’aucune réserve de voix pour le deuxième tour : celles
qu’auraient pu lui apporter les centristes de la majorité si on ne
les avait pas contraints à faire liste commune : « On a réuni tout
le monde sur les listes, de Philippe de Villiers à Bockel en
passant par Boutin et Chasse, pêche, nature, et on obtient le pire
score. On n’a pas offert de soupape ou d’exutoire aux électeurs les
plus exaspérés », constate, amer, un élu UMP.
Une erreur tactique dont Gérard Longuet s’était
inquiété auprès de l’Elysée. Sans être entendu. Ce dimanche soir de
premier tour, alors que parviennent de province et d’Ile-de-France
des résultats médiocres ou franchement mauvais, Nicolas Sarkozy persiste à
croire que deux ou trois régions peuvent être gagnées le dimanche
suivant. « Tout reste ouvert », affirme-t-il devant ses principaux
ministres. L’un d’eux, effaré, évoque « un déni du réel. » « A
force d’entendre dire qu’on n’avait pas perdu, que c’était une
non-défaite, je suis parti », lâche un autre. « J’étais halluciné
», avoue Hervé Morin, le ministre de la Défense.
Le Président continue d’espérer. Jean-François
Copé, qu’il reçoit entre les deux tours, le stoppe net : « Il faut
appeler un chat un chat : c’est une défaite. Il faut laisser de
côté l’ouverture et la taxe carbone et s’engager sur les vraies
réformes : la baisse des déficits, les retraites, la compétitivité,
il faut faire une loi sur la burka, envoyer un message à la France
rurale qui se sent abandonnée. »
« Si ces élections avaient été à un tour, nous
aurions gagné neuf régions », lance Nicolas Sarkozy, comme pour se
consoler. Seulement voilà, elles sont à deux tours. Et le deuxième
confirme les résultats du premier. Les listes de gauche remportent
vingt et une régions métropolitaines sur vingt-deux. Une de plus
avec la Corse avec un total de 54,3 % des suffrages, contre 36,1 %
à la majorité présidentielle et 8,7 % au Front national. La
majorité garde l’Alsace et gagne la Réunion et la Guyane.
« Nous avions deux régions, nous en avons trois
», tente de se réjouir Brice Hortefeux.
L’abstention a baissé de cinq points par rapport
au premier tour, mais certains chiffres inquiètent. Par exemple :
la victoire éclatante de Ségolène Royal en Poitou-Charentes. Alliée
au MoDem, elle a obtenu le ralliement d’Europe Ecologie et s’est
imposée face à Dominique Bussereau avec près de 61 % des voix. Plus
alarmant : dans les régions où le Front national s’est maintenu, il totalise plus de 21 %
des suffrages : 22,87 % pour Jean-Marie Le Pen en
Provence-Alpes-Côte-d’Azur, 22 % pour Marine Le Pen dans le
Pas-de-Calais, où elle devance la ministre Valérie Létard. En
Alsace, symbole de l’ancrage à droite, la liste de Philippe
Richert, sénateur UMP, l’emporte, certes, avec 46,16 %, devant le
socialiste Jacques Bigot 39,27 % ; mais en 2007, l’Alsace avait
voté à 65 % pour Nicolas Sarkozy.
La défaite n’est pas seulement le fruit amer
d’une erreur tactique. La majorité et Nicolas Sarkozy ont perdu
leurs électeurs.
François Fillon ne mâche pas ses mots à la
télévision : « Le résultat confirme le succès de la gauche, nous
n’avons pas su convaincre, c’est une déception. J’assume ma part de
responsabilités, j’en parlerai demain matin avec le Président. La
brutalité de la crise a laissé des traces, mais on ne perd jamais
quand on défend ses convictions. »
Le lendemain matin, le Premier ministre va
offrir une fois de plus sa démission à Nicolas Sarkozy, lequel, une
fois de plus, la refuse.
L’urgence est d’aller purger les humeurs des
députés, qui commencent à craindre pour leur réélection en 2012.
Lors de la réunion du groupe parlementaire où il est ovationné, le
Premier ministre assiste à un grand défouloir. « L’ouverture à
gauche n’est pas passée dans notre électorat. Les gens ne
comprennent pas que le Président s’entête à faire appel à des
personnalités de gauche, alors qu’il y a des gens très compétents
chez nous ! » s’exclame Jacques Domergue, député de l’Hérault. « On
a mis Didier Migaud à la Cour des comptes et voici le résultat,
l’UMP fait 25 % dans l’Isère », souligne le député Remiller. Un
autre élu, pourtant ami fidèle du Président, note, logique : « Comment aller expliquer
aux gens que les socialistes gèrent très mal les régions quand en
même temps on nomme un des leurs à la Cour des comptes ? » Et quand
Lionnel Luca, député des Alpes-Maritimes, s’écrie : « Vivement que
les socialistes soient au pouvoir, nous obtiendrons enfin des
postes de responsabilité ! », tout le monde rit. Mais jaune.
Ces députés ignorent que le Président a tancé
Fadela Amara et Bernard Kouchner sur le thème : « Vous ne vous êtes
pas battus, vous ne m’avez rien apporté », preuve qu’il commence
lui-même à s’interroger.
« Après les régionales, Nicolas a zappé
l’ouverture. Vous remarquerez qu’il n’a plus jamais employé le mot
», remarque un proche.
Jean-Marie Bockel doit le constater à ses dépens
: « Avant les régionales, Guéant m’avait promis le ministère de la
Ville, il m’avait même dit : c’est fait. Après les régionales, il
ne m’a plus parlé de rien et j’ai senti à l’Elysée que je n’étais
plus regardé de la même manière. » Ajoutant même : « Je suis passé
du statut de vedette américaine à tricard ! »
Mais l’ouverture n’est pas la seule chose qui
indispose la troupe. L’exposition permanente du Président inquiète
tout autant : « Notre peuple a le tournis », s’emporte Marc
Laffineur, député du Maine-et-Loir et secrétaire d’Etat. Tandis
qu’un élu du Loiret raconte la visite du Président dans sa
circonscription : « Il y avait plus de CRS que d’habitants dans les
rues. »
Le débat sur l’identité nationale fait aussi
l’objet de leur colère. Ils s’en prennent une fois encore à Eric
Besson « qui a remis en selle le Front national. Il nous a fait
perdre des voix », disent-ils. Et ils louent François Fillon
d’avoir enterré le débat, lors d’un séminaire gouvernemental
organisé à Matignon le 8 février. François Hollande avait alors moqué : « C’est un
enterrement en petite pompe. » Jean-François Copé est lui aussi
visé. « Il lance trop de débats qui brouillent l’opinion. Il ouvre
toutes les “boîtes à claque”, à croire qu’il veut faire perdre le
Président en 2012. »
Comme toujours après un échec électoral, c’est
le grand déballage.
Pour apaiser son monde, François Fillon n’est
pas arrivé les mains vides. Il annonce, sous des applaudissements
nourris, le report sine die de la taxe
carbone.
La réunion se termine dans un calme
relatif.
Comme le chef de l’Etat l’avait laissé entendre
dès le lendemain des régionales, un nouveau remaniement du
gouvernement est annoncé par Claude Guéant sur le perron de
l’Elysée. François Fillon l’aurait souhaité large, pour donner un
nouvel élan à l’action. Il n’a pas eu gain de cause. Les
changements, les départs et les arrivées ont un sens très
politique. Xavier Darcos s’en va. Considéré comme un Premier
ministrable un an plus tôt, il a été largement battu en Aquitaine,
mais il est le seul ministre sacrifié à la suite de la déroute
électorale. C’est peu dire qu’il prend mal cette éviction, qui
contrevient aux promesses de Nicolas Sarkozy. « Il m’a fait appeler
par Guéant le soir du deuxième tour : le Président veut vous voir
lundi matin, raconte Darcos. J’arrive à l’Elysée, Nicolas me lance
: “Tu es trop affaibli, tu ne peux pas rester, je vais te trouver
autre chose”. » En réalité, Xavier Darcos est victime de Raymond
Soubie. C’est lui qui a poussé à son départ. Plusieurs de ses
initiatives lui avaient déplu. Exemple : le projet de notation des
entreprises sur Internet sur le critère de leur prise en compte du
stress au travail. Les patrons avaient téléphoné à l’Elysée pour se
plaindre. Soubie estime qu’Eric Woerth (qui va donc quitter le
Budget pour remplacer Darcos aux Affaires sociales et qui connaît le dossier de la retraite
de la fonction publique) sera mieux armé que lui pour défendre une
réforme qui s’annonce très difficile.
« Ça a été le début de leurs emmerdes », se
console Xavier Darcos (faisant référence à l’affaire
Woerth-Bettencourt).
Beaucoup plus politiques sont les arrivées du
chiraquien François Baroin, qui remplace Eric Woerth au Budget et
du villepiniste Georges Tron à la Fonction publique.
Enfin Martin Hirsch, haut commissaire aux
Solidarités actives contre la pauvreté, s’en va. N’appréciant pas
le débat sur l’identité nationale, il avait annoncé au Président
son intention de quitter le gouvernement à la fin de 2009, mais
Nicolas Sarkozy lui avait demandé d’attendre jusqu’aux
régionales.
C’est peu dire que son départ ne chagrine pas à
l’UMP, où l’on n’a jamais apprécié ce promoteur inlassable de la
culture de l’assistanat. Son idée de mettre en place une cagnotte
pour lutter contre l’absentéisme à l’école avait révulsé députés et
militants. A gauche, la Fédération des conseils de parents d’élèves
avait dénoncé « une perversion du sens de l’école que de vouloir
régler par l’argent un problème d’éducation ». Certains conseillers
de Matignon s’irritaient de son chantage permanent à la bonne
conscience. « Quand je vois Hirsch, je comprends pourquoi je suis
de droite », répétait un ministre. Et puisqu’il s’en va, adios, bon
vent, bon débarras ! Par la grâce élyséenne, il prend la direction
de l’Agence du service civique (son salaire : 160 000 euros
annuels290).
Tous les
ministres le disent : le Président a été sonné par le résultat des
régionales. « Il a reçu un gros coup sur la tête. » François Fillon
note que pendant quelques jours, « il était ailleurs ».
C’est la déprime à l’Elysée. « Guéant était tout
blanc », Henri Guaino semble de tous le plus affecté : « On ne le
voyait plus, on se demandait s’il était parti écrire le mémorial de
Sainte-Hélène », raille un ministre.
Gros changement : le Président reçoit les
députés par petits groupes de deux ou trois. Certain ont même droit
à un tête-à-tête. « Il nous posait des questions, il écoutait, il
était humble », dit Lionnel Luca. Au Conseil du mercredi, les
ministres voient arriver un homme « très pâle, très tendu ». « Je
prends toute ma part de l’échec. » Il reconnaît surtout n’avoir pas
vu venir la montée du Front national. Et comme toujours, pour se
rassurer, il parle sécurité. Disant : « J’ai adoré le ministère de
l’Intérieur, j’ai tué le métier pour mes successeurs291. » Ce qui n’est guère aimable pour Brice
Hortefeux…
Michèle Alliot-Marie, qui le connaît bien,
l’affirme : « Après une défaite, il accuse toujours le coup, mais
il remonte très vite. Les critiques de la presse l’affectent
davantage et les sondages encore plus. Rien qu’à voir sa tête je
sais s’ils sont mauvais. Il voudrait les ignorer, mais il n’y arrive pas. Il ne se résout pas à
faire le deuil de l’amour des Français. »
Il remonte vite ? Illustration : le lendemain du
deuxième tour, il reçoit à l’Elysée Lance Armstrong, le champion
cycliste américain qu’il admire, plusieurs fois vainqueur du Tour
de France, souvent soupçonné de dopage. Celui-ci vient lui offrir
un vélo de course. Michel Drucker, qui l’accompagne, raconte : « Je
croyais trouver un homme préoccupé, contrarié. Au contraire, il
nous est apparu disponible, détendu, nous sommes restés près d’une
heure avec lui, nous avons parlé de sport. Il a qualifié les
régionales de “péripétie” et lâché : “Depuis trente ans, j’en ai vu
d’autres, je suis jeune, si je ne suis pas réélu, quelle importance
? Je ferai autre chose”. »
Trois jours plus tard, il intervient à la
télévision. Il apparaît pâlichon et la mine peu réjouie : « Mon
devoir, dit-il, est d’entendre le message des urnes. » Son discours
s’adresse d’abord aux abstentionnistes, aux agriculteurs auxquels
il promet d’aller « jusqu’à la crise en Europe plutôt que
d’accepter le démantèlement de la politique agricole commune ». Aux
médecins qui ont boudé en masse, il annonce une concertation et des
décisions structurelles – « pas de rustines ». Aux entreprises
soumises à la concurrence extérieure, il confirme que la taxe
carbone est repoussée non pas aux calendes grecques, mais aux
frontières européennes. Il souligne qu’« il serait absurde de taxer
les entreprises françaises en donnant un avantage compétitif aux
entreprises des pays pollueurs ». Que ne l’a-t-il dit plus tôt
?
Quand on commence à lâcher du lest, on ouvre
toujours une brèche. Le report de la taxe carbone annoncé, les élus
de la majorité s’en prennent à l’une des mesures les plus
emblématiques du quinquennat, le bouclier fiscal, dont l’utilité financière est
contestée et qui les empoisonne sur le terrain. Pierre Méhaignerie
suggère sa suppression ainsi qu’un rabotage des niches fiscales et
la création d’une tranche supplémentaire d’impôt sur les hauts
revenus. La contestation prend de l’ampleur : Gilles Carrez, le
rapporteur du Budget, Jean-Luc Warsmann, le président de la
Commission des lois, les centristes François Sauvadet, le président
du groupe et aussi Charles de Courson et Nicolas Perruchot – tous
veulent supprimer le bouclier. Bientôt treize députés UMP annoncent
leur intention de déposer une proposition de loi pour l’abroger
purement et simplement. Alain Juppé déclare sur France Info : «
Cela ne me choquerait pas que l’on demande aux très riches de faire
un effort de solidarité supplémentaire. » Jean-François Copé
lui-même semble gagné par le doute et admet « ne pas avoir de
religion définitive sur le sujet ». Un propos qui vaut presque
abjuration.
A son retour des Etats-Unis, le chef de l’Etat
convoque les députés à l’Elysée. Informé de tous ces bleus à l’âme,
il souhaite renouer les fils et rassembler la majorité autour de
lui. Il commence par un chaleureux « Vous, mes amis députés ». Puis
il revient à son sujet familier dans les périodes délicates : la
sécurité. Il dit avoir « entendu le message des Français ». Et
ajoute : « Que voulez-vous ? J’ai beaucoup d’affection pour le
ministère de l’Intérieur, je l’ai été pendant cinq ans, hélas je ne
peux plus l’être. » Voilà donc Brice Hortefeux taclé pour la
deuxième fois en quelques jours. Comme il faut lâcher un peu de
lest, le Président finit par concéder : « Si l’on y touchait (au
bouclier fiscal), je choisirais moi-même le terrain, le moment et
l’enjeu. » Traduction : vous pouvez suggérer, mais n’oubliez pas
qui commande. Toucher à ce
fameux bouclier ruinerait, croit-il, sa promesse de ne pas
augmenter la fiscalité.
« Nous avons déjà le niveau de prélèvements
obligatoires le plus élevé du monde, il ne faut pas casser le
retour de la croissance », renchérit François Fillon.
Preuve que tout est chamboulé, un sondage CSA
pour Le Parisien révèle à la fin du
mois de mars que Dominique de Villepin arrive en tête des candidats
de droite préférés des Français. Certes, le Président reste le
meilleur candidat pour 31 % des sympathisants de droite. Mais ce
sondage fait voler en éclats le dogme de l’infaillibilité
présidentielle.
Le Point lui a déjà
trouvé un successeur : « Le Président Fillon… La tentation de
l’Elysée, pourquoi la droite croit en lui ? »
« Nicolas ne l’a pas mal pris », commente,
sobre, le Premier ministre.
De quoi donner des idées à Alain Juppé qui, lui
aussi, s’avance et prend date : « Nicolas Sarkozy reste le candidat
naturel de la droite. Mais si d’aventure, il décidait de ne pas se
représenter, l’UMP devra organiser des primaires et dans ce cas,
j’envisagerais de concourir292. »
286. Nommé à ce poste par Jacques Chirac en
2004, sur proposition de Nicolas Sarkozy, ministre du Budget.
287. En octobre 2010, Bruno Le Maire joue les
« grenello-sceptiques » en déclarant à Ouest-France : « L’agriculture française est en
convalescence, ne freinons pas son redémarrage. Je demande une
pause en matière de règles environnementales pour laisser le temps
aux paysans de mettre en place ce qui a été décidé. »
288. Interview au Figaro
Magazine.
289. Interview du 11 mars au Figaro Magazine.
290. Bernard Debré et Louis Giscard d’Estaing
ont déposé un amendement pour supprimer son indemnité, qu’ils
jugent imméritée. (L’amendement sera repoussé par le gouvernement.)
Car, à peine Hirsch a-t-il quitté le gouvernement qu’il publie un
livre, Pour en finir avec les conflits
d’intérêts, dans lequel il se pare de toutes les vertus et
de probité candide et dénonce des personnalités de la majorité,
dont Jean-François Copé qui est entré dans un cabinet d’avocats
d’affaires. Sur le fond, on peut en discuter. C’est la manière qui
choque le plus. « Il voulait se purifier d’avoir collaboré avec la
droite en jetant sur elle de la boue », s’indigne Jean
Leonetti.
291. C’était le temps où la presse louait son
action. Où les hebdos lui consacraient des Unes flatteuses. Où les
sondages lui faisaient révérence. Le bon temps….
292. Dans une interview au Monde du 12 avril.