Les polémiques de l’été Ce dimanche 26 juillet,
le soleil brille sur l’Ile-de-France. Le mercure tutoie les 30
degrés à l’ombre en fin de matinée. Nicolas Sarkozy est venu passer
le week-end au pavillon de la Lanterne. Vers midi, il décide
d’aller faire son jogging quotidien dans le parc. Ses gardes du
corps le suivent comme il est de règle en espérant qu’il n’en fera
pas trop. Et justement, si. Voilà qu’il tombe comme une pierre.
Paniqués, ils se précipitent vers lui, organisent vite les secours
en craignant le pire. Un hélicoptère le transporte au Val-de-Grâce.
« J’ai perdu connaissance, sans perdre conscience. On m’a perfusé
du glucose », expliquera plus tard le Président.
Diagnostic : une lipothymie (et non un malaise
cardiaque comme annoncé à tort par Frédéric Lefebvre) suite à un
effort soutenu par grande chaleur. Rien de grave. On le garde quand
même trois jours à l’hôpital pour y subir une batterie d’examens et
d’analyses, qui le perturbent et l’impressionnent bien plus que sa
chute spectaculaire.
Il en sort très fatigué. Il est temps de prendre
des vacances, Carla l’exige :
ce sera tout le mois d’août au Cap Nègre ! A son retour, sa
mauvaise mine frappe tout le monde. Il a beaucoup maigri. Les
ministres s’inquiètent : serait-il atteint d’un mal plus profond ou
a-t-il observé un régime trop sévère ? « On n’est tout de même pas
fini à 54 ans », lâche-t-il lors du premier Conseil. Il dit aussi «
s’être bien reposé ». Un mot qu’il n’utilise jamais. Bizarre.
Il en avait bien besoin pourtant. La crise
économique n’est pas finie et les jours qui vont suivre vont être
marqués par toute une série de polémiques énervantes, voire
usantes.
C’est l’abaissement du taux de la TVA à 5,5 %
dans la restauration qui ouvre le bal. Jacques Chirac l’avait
promis en 2002. En vain. Il n’avait pas obtenu le feu vert de
Bruxelles. Esprit de compétition es-tu là ? Nicolas Sarkozy veut
absolument réussir là où son prédécesseur a échoué. Il va se battre
comme il sait le faire. Sa présidence de l’Union l’y aide. La
Commission européenne va lui donner gain de cause. Las ! Le bonus
pour les restaurateurs a un coût : trois milliards d’euros par an.
« Je lui disais, c’est beaucoup trop, vu la situation de nos
finances, c’est invendable à l’opinion, ne le fais pas », témoigne
Pierre Méhaignerie, le président de la Commission des affaires
sociales. « On aurait pu se contenter de descendre la TVA à 12 % »,
soupire Gilles Carrez, rapporteur du Budget qui lui aussi a tenté
de le faire renoncer244.
La gauche dénonce un cadeau malvenu. Pire, une «
grosse bêtise », une « faute » ! Peu nombreux sont ceux qui approuvent : « Le bistrot, c’est
culturel en France. La TVA à 5,5 a permis de maintenir à flot
beaucoup d’établissements qui auraient fermé. » Le syndicat des
restaurateurs avait promis d’engager du personnel supplémentaire et
de baisser les prix. Deux mois plus tard, l’INSEE enregistre une
baisse de… – 0,2 % dans les restaurants, – 0,1 % dans les cafés en
août. Ridicule ! François Chérèque dénonce « l’arnaque de l’été ».
Quelques mois après, rien ou presque n’a changé. Les promesses,
selon une formule désormais célèbre, n’engagent toujours que ceux
qui y ont cru245. « Ça ne rapporte rien au
consommateur et ça coûte cher au contribuable », s’emporte le
villepiniste Jean-Pierre Grand. Eric Ciotti, député UMP des
Alpes-Maritimes, va plus loin. Il adresse à la mi-août une lettre à
François Fillon pour lui demander « un moratoire sur la baisse à
5,5 % ». Car il l’a constaté à Nice, « seule une minorité de
restaurants propose un menu à taux réduit ».
En septembre, le ministre des PME, Hervé
Novelli, doit le concéder : le compte n’y est pas, alors qu’un
juillet il affirmait qu’« un restaurant sur deux avait baissé les
prix ». Lors de la discussion budgétaire, le PS dépose un
amendement pour un retour au régime ancien. Le gouvernement s’y
oppose. Jusqu’en juillet 2011, Nicolas Sarkozy refuse de toucher à
la TVA à 5,5 %246. De quoi nourrir sa réputation d’homme qui ne fait
pas les additions247 ?
Une sorte de mise en bouche, comme on dit dans
les restaurants chic.
Deuxième esclandre : début septembre, le journal
Le Monde publie sur son site Internet
une vidéo tournée par des journalistes lors de l’université d’été
de l’UMP qui s’est tenue à Seignosse, dans les Landes. Elle montre
Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur, en compagnie de
Jean-François Copé qui le taquine sur ses origines auvergnates.
Dans le même temps, plusieurs personnes, non visibles sur les
images, leur présentent un jeune militant UMP, Amine, né de père
algérien. On entend l’une d’elles dire : « C’est notre petit Arabe.
» Et aussitôt cette phrase du ministre : « Il en faut toujours un.
Quand il y en a un ça va, c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a
des problèmes. » Les images de cette discussion « spontanée » sont
aussitôt relayées par tous les médias et sévèrement commentées : ce
sont des propos racistes. L’intéressé se défend en arguant qu’il
parlait des Auvergnats, que l’on a mal interprété ses propos… Il ne
convainc pas. La gauche demande sa démission. François Hollande lui
suggère de demander pardon. François Bayrou veut bien concéder : «
Cela peut arriver de déraper. Mais quand on dit des bêtises, au
moins ne faut-il pas les défendre. »
A droite, on défend avec vigueur l’ami de longue
date de Nicolas Sarkozy. Henri Guaino dénonce la diffusion d’une
conversation privée et il s’en prend aux journalistes qui font d’une petite phrase un
événement national. Jack Lang et Dalil Boubakeur viennent eux aussi
au secours du ministre de l’Intérieur en plaidant qu’il n’est pas
raciste, tandis que le recteur de la Grande Mosquée de Paris
évoquera lors du procès « son attitude toujours bienveillante à
l’égard de l’Islam ». Car, le 29 septembre, le MRAP porte plainte
contre lui. Le ministre est cité à comparaître pour injure raciale
le 17 décembre. La quasi-totalité des éditorialistes estiment que
le ministre de l’Intérieur aurait dû immédiatement présenter ses
excuses. Beaucoup s’interrogent aussi sur l’usage de ces vidéos
pirates tournées à l’insu de l’intéressé248. En privé tout le monde est bien d’accord
: « Ces choses-là ne se disent pas. »
Il y a plus rude encore. Le 21 septembre s’ouvre
devant la 11e chambre du tribunal
correctionnel de Paris, le procès Clearstream249. Il s’agit, comme on le sait, d’une très
sombre affaire. La société Clearstream, chambre de compensation
située au Luxembourg, aurait servi au blanchiment d’argent pour le
produit des rétro-commissions dans l’affaire dite des frégates de
Taïwan. Sur une liste envoyée à la justice par un corbeau, figurent
en tant que bénéficiaires des personnalités très diverses, des
politiques de droite ou de gauche, dont Nicolas Sarkozy, sous des
noms facilement identifiables (Stéphane Bocsa et Paul de
Nagy250). Cette affaire avait été révélée en
2005. Nicolas Sarkozy avait
aussitôt soupçonné son ennemi Dominique de Villepin, alors ministre
des Affaires étrangères, d’avoir fait insérer son nom dans la liste
pour lui nuire et l’empêcher d’être candidat en 2007. Il avait
porté plainte en 2006. L’instruction préalable au procès est menée
dans une ambiance d’hystérie par les juges d’Huy et Pons. L’un des
principaux prévenus, l’informaticien Imad Lahoud, le leur a assuré
: la cabale contre Sarkozy était montée en toute connaissance des
faits par Dominique de Villepin.
Très rapidement, cette histoire complexe a pris
l’allure d’un duel entre les deux hommes dont l’inimitié, pour ne
pas dire plus, est ancienne et connue. Le Président s’est porté
partie civile. Son adversaire est prévenu de « complicité de
dénonciation calomnieuse ». Le jour du procès, Dominique de
Villepin fait une entrée dans les couloirs du tribunal digne de la
Comédie-Française. Entouré de sa femme et de ses trois enfants, le
verbe haut, la mèche au vent, le regard pointé vers les caméras, il
déclare, grandiloquent : « Je suis là par la volonté et
l’acharnement d’un homme : Nicolas Sarkozy. J’en sortirai libre et
blanchi au nom du peuple français. » Son offensive ne trouble guère
Thierry Herzog, l’avocat de Nicolas Sarkozy, qui affirme aux
journalistes « attendre avec impatience que s’ouvre le débat de
fond sur le rôle joué par l’ancien Premier ministre ».
Lorsque le procès commence, Nicolas Sarkozy est
à New York. Comme tous les ans, il vient s’exprimer à la tribune de
l’ONU, avant de se rendre à Pittsburgh, à la réunion du G20. Cette
semaine américaine doit le réinstaller dans une stature
présidentielle alors qu’il vient de baisser de six points dans les
sondages. Il compte mettre en scène son action sur les grands
dossiers de la planète : la
gouvernance économique, le réchauffement climatique… du lourd
!
Le soir, il est interviewé par David Pujadas et
Laurence Ferrari. Les dirigeants des deux chaînes ont eux aussi
fait le déplacement. Les journalistes l’interrogent, bien sûr, sur
le procès en cours. « J’ai déposé plainte contre X quand j’ai
découvert avec stupéfaction que j’étais titulaire de deux comptes
dans une banque dont j’ignorais même le nom (…) Au bout de deux ans
d’enquête, deux juges indépendants ont estimé que les coupables
devaient être traduits devant un tribunal correctionnel », répond
le Président. Et voilà le coup de tonnerre. L’avocat de l’ancien
Premier ministre, Me Olivier Metzner,
reçoit la phrase sur son BlackBerry pendant l’audience. Il mesure
le profit que peut en tirer son client. Il se lève d’un bond et sur
un ton courroucé en fait lecture devant le tribunal. Effet garanti
!
En entendant le mot « coupables », Thierry
Herzog reçoit un coup sur la tête. Il est sonné. Il ne comprend
pas. Quelques heures plus tôt, il avait eu le Président au
téléphone et ils en étaient convenu : il ne dirait rien aux
journalistes qui n’allaient pas manquer d’aborder le sujet.
Indigné, Me Metzner
enfonce le clou : « C’est cela, le respect de votre tribunal ?
C’est cela qu’un président de la République donne comme spectacle
de la justice en France ? La présomption d’innocence est un droit
fondamental. Et le président de la République la bafoue en direct
devant des millions de Français. On a déjà voulu pendre Dominique
de Villepin à un croc de boucher et maintenant on le dit coupable.
» Une occasion inespérée pour Dominique de Villepin de se poser en
martyr.
Ses autres avocats – « quatre avocats pour un
innocent, ça fait beaucoup », raille Thierry Herzog – vont s’en
donner à cœur joie dans les couloirs en annonçant qu’ils vont porter plainte contre Nicolas
Sarkozy (qui jouit de l’immunité pénale jusqu’à la fin de son
mandat) : « Par ses propos, le Président s’ingère dans la procédure
et porte atteinte à la présomption d’innocence251. »
Selon un sondage Viavoice pour Libération, 69 % des personnes interrogées estiment
que le Président a eu tort de s’exprimer publiquement.
Bien entendu, l’affaire fait grand bruit, et
parasite les journées parlementaires de l’UMP au Touquet. « Quand
on est avocat, on sait faire la différence entre prévenu et
coupable », s’emporte le député Jacques Le Guen. Tandis que le
villepiniste François Goulard tranche : « Ça s’appelle une pression
sur la justice. » Tous les députés avouent leur gêne. Claude
Goasguen résume le sentiment commun : « Ce procès, on s’en
passerait volontiers. »
Et tous le disent : « Nicolas aurait dû retirer
sa plainte en arrivant à l’Elysée. » Ce que certains fidèles lui
avaient aussi conseillé. En vain252.
Villepin est sans doute le seul à droite à lui
avoir fait peur. Les sondages le désignaient comme possible
successeur de Jacques Chirac durant le dernier semestre 2006. Il
est aussi celui qui l’aura le plus humilié en le traitant de «
nabot » et pire, en le moquant, lorsque Cécilia avait rejoint
Attias à New York : « Un homme qui n’est pas capable de garder sa
femme ne peut pas garder l’Etat. » Ce mot cruel avait fait le tour
des rédactions. Impardonnable. Et jamais pardonné.
Lapsus ou
gaffe ? Et si ce dérapage s’expliquait par un contexte émotionnel
particulier ? « Quand il est arrivé, il avait l’air sombre, on
voyait bien qu’il n’était pas dans son assiette », témoignent les
journalistes. C’est que deux heures plus tôt, à la demande de
Carla, qui insistait depuis longtemps sur la nécessité de la
rencontre, ils étaient allés prendre le thé chez Cécilia et Richard
Attias. En vue de normaliser les relations, pour faciliter
l’organisation toujours très compliquée des visites de Louis à
Paris. Il fallait aussi faire la paix. Lors d’un passage à Paris au
moment de Noël, Louis, en pleurs, avait accusé son père d’empêcher
son beau-père de travailler. Ce message, inspiré par Cécilia,
l’avait complètement retourné. Le couple Attias avait en effet
quitté Dubaï pour revenir à New York. Ce jour-là, Nicolas Sarkozy
revoyait son ex-femme pour la première fois depuis leur divorce.
L’un et l’autre étaient restés muets durant toute la rencontre.
Carla et Richard avaient entretenu la conversation. Son stress
n’était pas évacué au moment de l’interview. La suite allait le
montrer.
« Pensez-vous que le mot “coupable” a un lien
avec sa visite chez les Attias ?
— C’est à coup sûr un effet Cécilia », avait
répondu Claude Guéant253.
« Nicolas avait un rapport immature avec elle »,
constate Carla.
L’émission terminée, le Président prend un verre
avec les journalistes et leurs directions. L’entretien est détendu,
on évoque des sujets divers, quand Arlette Chabot, directrice de la
rédaction de France 2, aborde la question de l’Iran et des
sanctions qu’il préconise contre ce pays qui veut se doter de la bombe atomique.
David Pujadas enchaîne : « J’ai cru comprendre en lisant le
New York Times ce matin, que Bernard
Kouchner n’est pas sur la même longueur d’ondes que vous sur les
sanctions. »
Réponse du Président : « Bernard a toujours des
problèmes avec les sanctions. »
« Si vous n’êtes pas d’accord, on pourrait
organiser un débat entre vous deux », s’amuse Arlette Chabot.
Que n’a-t-elle dit ? Le Président – preuve que
son stress est toujours là – n’apprécie pas du tout son humour. Il
se sent au contraire agressé et le voilà qui s’emporte contre le
service public et France 2, qui n’organisent plus de vraies
émissions politiques. Et d’évoquer avec nostalgie « L’Heure de
vérité », qu’animait jadis François-Henri de Virieu, ou le « 7 sur
7 » d’Anne Sinclair. Piquée au vif, la journaliste rétorque que
France Télévisions diffuse cinq grandes émissions politiques, dont
la sienne mensuelle : « A vous de juger ». L’échange n’a duré qu’un
petit quart d’heure. Les portes étaient ouvertes. Bientôt, toutes
les rédactions parisiennes sont au courant de l’altercation. On en
discute sur le Net. Arlette Chabot, elle-même, n’en revient pas.
L’Elysée lui reproche le tohu-bohu qu’elle n’a pas orchestré. Elle
révèle, stupéfaite : « J’ai reçu des SMS, de hauts fonctionnaires,
de journalistes qui me disaient qu’eux aussi avaient eu à subir les
foudres du Président. » Dans les jours qui suivent, il n’est
question que du lapsus et des relations du Président avec la
presse. Le G20 de Pittsburgh intéresse peu les médias.
Il était dit qu’en cet automne 2009, on n’en
finirait pas avec les polémiques. Deux affaires vont troubler
l’opinion bien davantage encore.
La
première concerne Frédéric Mitterrand. En le nommant ministre de la
Culture, Nicolas Sarkozy prenait un risque. Quatre ans plus tôt, il
avait publié un livre salué par la critique, La Mauvaise Vie, dans lequel il évoquait sans fard
son homosexualité, ses pulsions irrépressibles, avouant avoir eu
recours à la prostitution masculine en Thaïlande et en Malaisie,
avec de jeunes hommes qui n’étaient pas des adolescents : « Je sais
très bien que tout cela n’est qu’une sinistre farce que je me
raconte à moi-même », écrivait-il. « J’ai beau résister, le réel me
remet le nez dans ma merde dès que j’arrive à Paris, le remords
m’attrape et ne me lâche plus d’une semelle, rendu furieux par la
peur d’avoir failli perdre ma trace. »
Si ce témoignage torturé, de bonne facture
littéraire, venant d’un écrivain sincère, rencontre son public
aisément, il devient risqué pour qui entre en politique.
Lors de la formation du gouvernement, personne
n’avait évoqué l’ouvrage. Et puis voilà que trois mois plus tard
éclate en Suisse une affaire qui n’a aucun rapport avec la
promotion de Frédéric Mitterrand. La police de ce pays cueille à sa
descente d’avion le cinéaste Roman Polanski. Il est invité au
Festival de Zurich pour y recevoir un prix. Ce n’est pas la
première fois qu’il séjourne en Suisse et sans problème, puisqu’il
y possède un chalet. Mais on a exhumé en 2009, pour une raison
inconnue, une très ancienne demande d’extradition de la justice
américaine concernant une affaire très grave : le viol d’une
adolescente âgée de 13 ans, qu’il aurait droguée. C’était dans les
années 70 et depuis, la victime avait retiré sa plainte.
L’arrestation fait grand bruit dans les milieux
culturels et la presse. Frédéric Mitterrand se joint aux
protestations. Il qualifie l’événement d’épouvantable. Ajoutant : « Je pense que Roman
Polanski, cet immense créateur, qui est âgé de 76 ans, a droit,
ainsi que sa famille, à la solidarité et à la compassion du
ministre de la Culture. » Son intervention, mal accueillie en
Suisse, choque l’opinion en France. D’autant plus que ce jour-là –
fâcheuse coïncidence – l’Assemblée nationale examine un texte sur
le sort qui doit être réservé aux délinquants sexuels récidivistes.
Yves Calvi, dont l’émission « Mots croisés » est toujours très
suivie sur France 2, a choisi ce sujet pour thème. Et il a invité
Marine Le Pen. Or, celle-ci a reçu le courriel d’une internaute
l’incitant à lire le livre de Frédéric Mitterrand avec ce conseil :
« Vous comprendrez pourquoi Mitterrand soutient Polanski. » L’ayant
lu, la présidente du Front national profite de l’aubaine pour
dénoncer, avec la violence et le sens du raccourci qui font sa
marque, « l’amoralisme d’un ministre qui pratique le tourisme
sexuel et prend plaisir à payer les petits garçons thaïlandais ».
La polémique enfle. Le socialiste Benoît Hamon, qui n’a pas lu le
livre, demande la démission d’un ministre qui « justifie le
tourisme sexuel ». Ce qui n’est évidemment pas le cas. L’auteur
évoque ses souvenirs qui lui ont laissé un goût de cendres, sur un
ton de mélancolie honteuse. Ça n’est pas la gay pride. Il plane sur
ce livre un climat de fatalité tragique. C’est la confession
impudique d’un enfant du siècle qui cherche la rédemption. Pour
faire face au tumulte, il vient s’expliquer sur TF1, où Laurence
Ferrari le bouscule. Les téléspectateurs voient un homme tassé sur
son fauteuil, sonné par la polémique. Très atteint. A-t-il fait une
erreur ? « Sans doute, mais un crime, non. » Une faute ? «
Peut-être une faute contre la dignité humaine », répond-il. Le camp
socialiste baisse le ton. Sous le manteau, on juge plutôt moches
les attaques de Benoît Hamon.
Mais comme en même temps, cette affaire ne fait pas de bien à
Sarkozy, c’est toujours bon à prendre.
Marine Le Pen, elle, continue de vociférer. Elle
exploite l’homophobie latente du pays, surtout dans la classe
populaire qui, une fois encore, s’interroge sur les mœurs du monde
de l’élite et des dirigeants. Les électeurs de droite, les plus
âgés surtout, ne sont pas loin d’éprouver les mêmes sentiments.
Côté UMP, les mêmes qui applaudissaient l’arrivée du ministre en
juin n’hésitent plus à fustiger un Président qui paie au prix fort
son goût immodéré pour l’ouverture. Les ministres font profil bas.
Les parlementaires sont mal à l’aise. Un sénateur UMP, Eric Doligé,
dénonce dans l’hémicycle le soutien de Mitterrand au cinéaste : «
Son arrestation a été qualifiée d’épouvantable ; je voudrais dire à
l’auteur de cette appréciation que ce qui est épouvantable, c’est
le viol de la petite fille et non l’arrestation du violeur. » Il
est applaudi. Quand même, l’affaire sera assez vite oubliée.
C’est aussi parce qu’une polémique chasse
l’autre. Et la suivante va rester dans les mémoires parce qu’elle
concerne le fils du Président.
Le jeudi 8 octobre, Jean Sarkozy, 23 ans, qui
préside avec autorité et à la satisfaction de ses membres le groupe
UMP du conseil général des Hauts-de-Seine, se porte candidat à la
tête de l’EPAD, Etablissement public pour l’aménagement de la
région de la Défense. La place est vacante. Son titulaire Patrick
Devedjian est atteint par la limite d’âge fixée à 65 ans pour les
établissements publics. L’EPAD, qui est chargé de l’aménagement du
quartier d’affaires de la Défense (le premier d’Europe en mètres
carrés de bureaux disponibles), vend des droits à construire, les
terrains étant la propriété des communes. En contrepartie de ces recettes,
l’établissement prend en charge l’environnement : voieries,
parkings, espaces verts, viabilité des terrains. Le surplus des
recettes va dans les caisses de l’Etat. La gestion de l’EPAD est
l’apanage d’un directeur général, assisté d’un représentant de
Bercy. Le tout étant contrôlé par la Cour des comptes.
Le conseil d’administration élit le président
qui, dans un premier temps, doit être élu par le conseil général.
Une formalité pour Jean Sarkozy. Puisque le groupe UMP, qu’il
préside, est majoritaire dans les Hauts-de-Seine.
Elu aux cantonales de Neuilly, en mars 2008, ses
collègues l’avaient aussitôt élu à la tête de leur
groupe254. Sans doute pour faire plaisir à son père
et aussi sous la pression d’Isabelle Balkany, l’amie de la famille.
« Il a toutes les qualités de son père, moins les défauts »,
aime-t-elle plaisanter. Il avait 21 ans. Un an plus tard, Jean est
candidat à la présidence de l’EPAD : un rôle essentiellement
politique.
Il faut vendre l’image du quartier de la
Défense, chercher des investisseurs à l’étranger. Il se sent assez
dynamique pour faire le job. Pensant évidemment que s’appeler
Sarkozy n’est pas une nuisance. C’est un poste où le titulaire ne
perçoit aucune rémunération et ne bénéficie d’aucun avantage
matériel.
Apprenant sa candidature, Nicolas Sarkozy n’a
pas dissuadé son fils, qui, d’ailleurs, ne lui a pas demandé son
avis. On connaît trop le cas de ces pères culpabilisés d’avoir été
trop absents et qui n’osent plus s’opposer aux volontés de leur
progéniture. « Il est meilleur que moi », se plaît à dire le géniteur devant ses ministres qui
avouent, eux aussi, n’avoir pas senti que l’opinion pourrait être
choquée. Idem pour Jean-Pierre Raffarin, qui pourtant a du nez.
Idem pour Pierre Méhaignerie : « Bien que très jeune, ce garçon
avait fait la preuve de ses qualités. Il n’y avait aucun avantage
matériel à la clé. Non, je n’ai pas été heurté par sa candidature.
» Un seul, Gérard Longuet, président du groupe UMP au Sénat,
l’avait mis en garde : « Cette affaire risque d’être dangereuse
parce que les gens ne vont pas comprendre », lui avait-il dit dans
un tête-à-tête.
Dès que sa candidature est connue, la polémique
se déchaîne en effet. Elle commence, comme il est désormais de
règle, sur Internet. Et gagne très vite le monde politique. Un
véritable ouragan. La gauche dénonce le népotisme sarkozyste.
Benoît Hamon stigmatise l’EPAD, « un coffre-fort pour l’UMP ».
Laurent Fabius raille : « L’EPAD, c’est lourd pour un bac + 2. » La
droite est plus que mal à l’aise. Le site Internet du Figaro enregistre mille deux cents réactions,
toutes hostiles ! L’opinion retient surtout qu’à 23 ans, Jean
Sarkozy est loin d’avoir fini ses études. Cette histoire arrive à
un très mauvais moment. C’est la crise. Les parents ont peur pour
l’avenir de leurs enfants. De plus en plus de jeunes diplômés et
même surdiplômés peinent à trouver un emploi. Dans un pays où la
méritocratie des diplômes est respectée, on juge que Jean Sarkozy
ne devra son élection qu’au nom qu’il porte. Un pur privilège. Une
injustice. Une faute de goût.
Dans une interview au Monde255, Catherine Pégard raconte
: « Il y a quelques jours, une amie agacée m’a dit “Mais enfin, si
tu étais toujours journaliste, qu’est-ce que tu écrirais ?” Etre journaliste, c’est d’abord
tenter de raconter l’histoire au plus près de ce qu’elle est. Il me
semble que j’aurais essayé de comprendre d’abord la relation de
Nicolas et Jean Sarkozy. Je crois que Jean ne s’est jamais vécu
comme un héritier. Il a peut-être même détesté naguère la politique
qui accaparait son père, qui l’éloignait de lui. Et puis, il est
allé sur son terrain, il ne lui a pas demandé son avis. Je ne suis
pas sûre que son père ait été heureux de ce choix parce qu’il sait
la violence de la politique. J’observe Jean Sarkozy depuis
longtemps. Il n’a rien d’un fils à papa. C’est peut-être pour cette
raison qu’il a sous-estimé l’incompréhension soulevée par sa
candidature. »
« Jean est un garçon d’une extraordinaire
maturité pour son âge », ponctue Carla.
Incompréhension… L’affaire prend même une
dimension internationale. Hervé Morin, en visite en Chine, en est
médusé : l’EPAD fait la Une des journaux.
Nicolas Sarkozy est interrogé le 16 octobre par
Le Figaro : « Que répondez-vous à ceux
qui vous accusent de népotisme ?
— La présidence de l’EPAD est un poste non
rémunéré. Il ne s’agit pas d’une prébende. C’est une élection… A
travers cette polémique, ça n’est pas mon fils qui est visé, c’est
moi.
— Votre fils n’est-il pas trop jeune pour
accéder à cette responsabilité ?
— Y a-t-il un âge pour être compétent ? Je
souhaite le rajeunissement de nos élites politiques qui ont bien
vieilli. J’ai été le premier surpris lorsque Jean a voulu se lancer
en politique. Mais il m’a impressionné par sa ténacité. Il
travaille énormément et fait face avec beaucoup de courage à la
dureté et à la brutalité des attaques… Il n’a pas plus de droit qu’un autre, mais
pas moins non plus. »
Commentaire d’un ministre : « On sentait qu’il
était très fier de son fils. Qu’il se disait : c’est mon sang.
»
Mais la fronde devient telle que Jean Sarkozy
décide de se retirer, il ne veut pas nuire à son père.
Le mercredi 21 octobre au soir, il vient le lui
annoncer, il veut jeter l’éponge. Mais celui-ci lui suggère de
s’accorder une dernière nuit de réflexion. Le jeudi matin, Jean
Sarkozy rappelle son père : « C’est non, définitivement. » Il a
mesuré les ravages politiques de l’affaire.
Le soir, il vient dire sur France 2 qu’il
abandonne. Et que voit-on ? Un jeune homme au look austère, costume
gris, strict, cravaté. Cheveux châtains coupés court. Fines
lunettes d’intellectuel. Il ne s’est pas fait la tête de qui rate
ses examens. Il est même méconnaissable pour ceux qui gardent de
lui l’image des débuts du quinquennat du grand blond aux cheveux
flottant sur les épaules. Il a même pris soin d’arborer au poignet
une simple montre Swatch en plastique (75 euros). Il s’exprime sur
un ton à la fois humble et empli d’autorité et il dénonce une
campagne de manipulation et de désinformation.
En novembre, Nicolas Sarkozy perd six points
dans les sondages. Et l’histoire de la candidature à l’EPAD n’y est
pas pour rien. Quelque temps plus tard, Nicolas Sarkozy voudra bien
reconnaître en privé que « c’était une erreur ». Les Français vont
continuer de ruminer l’affaire qui s’est incrustée dans les
mémoires.
« Notre électorat a décroché à ce moment-là.
C’était très net sur le terrain », dit Alain Lamassoure, ancien
ministre.
« L’EPAD a
été la grande rupture », disent en chœur tous les UMP. Lionnel Luca
va même plus loin : « L’EPAD, ça a été pire que le bling-bling. Le
fil avec les Français s’est cassé ce jour-là. »
L’homme qui veut faire bouger le monde Quand
on a, dès l’enfance, rêvé d’entrer en politique, quand on a, encore
adolescent, précisé que c’était « pour monter haut » et quand on y
est parvenu, dès la première candidature, on ne doute plus de sa
capacité à vaincre.
« Nicolas n’a jamais eu peur de rien, ça l’a
sûrement aidé dans la vie », note Dadue, sa mère.
Lors de son intervention inaugurale à la tribune
de l’ONU en septembre 2007, Nicolas Sarkozy avait osé lancer un
appel à toutes les nations pour qu’elles prennent en main « la
moralisation du capitalisme financier ». Il prônait un new deal
écologique et financier. Pas moins !
Elles sont nombreuses dans les cimetières, les
stèles des économistes, des pontifes, des moralistes, des
politiques, des chefs d’Etat qui – sans toujours avoir l’audace de
le proclamer avec une telle assurance – en ont rêvé. Ils sont
nombreux dans le monde ceux qui le souhaitent aujourd’hui. Sans le
croire possible. Et voilà que le président d’un Etat qui n’est pas
– et de loin – le mieux géré d’Europe depuis trente ans, ni le plus
puissant du monde, en exprime l’ambition. Sans faire rire. Car il
ne doute pas de lui. Il veut ériger la France en modèle, même si
elle doit être seule à donner l’exemple, comme il le dira encore en
2012 à propos de la taxe Tobin. Prêt à faire la révolution tout
seul !
Il s’est
convaincu – mais était-ce nécessaire – durant sa présidence de
l’Union européenne, de sa capacité à entraîner les autres. De son
leadership incontesté. Il a une ambition. Devenir le grand
régulateur international. Sans lui, c’est vrai, le G20 n’existerait
pas. Et qui a obtenu de limiter les capacités de quelques paradis
fiscaux ? Lui encore. En 2009 les difficultés financières
s’accumulent, les sondages sont en berne, la majorité se met à
douter. Pas lui. Il va s’attaquer aux pratiques des banques dont la
réputation, il est vrai, n’est pas fameuse auprès du public. Et
aussi à une grande cause mondiale : le réchauffement
climatique.
244. Elle passera à 7 % en janvier 2012 pour
se caler sur le taux allemand, la décision a été annoncée avec le
deuxième plan de rigueur de novembre 2011.
245. En avril 2011, le patronat annonçait la
création de 25 000 emplois en 2010 et la sauvegarde de 30 000
autres.
246. Crise aidant, François Fillon, présentant
le deuxième plan de rigueur, le 7 novembre 2011, annonce que ce
taux sera aligné sur celui pratiqué en Allemagne : 7 %, tout comme
celui dont bénéficiait le secteur du bâtiment et les emplois à
domicile qui eux aussi passeront de 5,5 à 7 %.
247. François Hollande, candidat, a déclaré
qu’il ne la supprimerait pas, sauf pour les restaurateurs qui ne
créent pas d’emplois… mesure inapplicable.
248. Le jugement de première instance devant
le tribunal correctionnel de Paris le condamnait à 750 euros
d’amende et 2 000 euros de dommages et intérêts, en juin 2010. La
cour d’appel de Paris qui rejugeait l’ancien ministre de
l’Intérieur pour délit d’injure raciale l’a relaxé le 15 septembre
2011, les juges estimant irrecevable la constitution de partie
civile du MRAP, puisqu’il ne s’agissait pas de propos publics,
qu’ils qualifiaient, néanmoins, de « méprisants et outrageants
».
249. Voir aussi chapitre II, année 2010.
250. Le Président est né Nicolas Paul Stéphane
Sarkozy de Nagy-Bocsa.
251. Interrogé le 15 octobre par Le Figaro sur l’emploi du mot « coupables », le
chef de l’Etat répond : « Le mieux à faire est de s’abstenir de
tout commentaire. J’aurais été mieux inspiré de le faire. »
252. « Il a regretté plus tard de ne pas
l’avoir fait », révèle Franck Louvrier.
253. Conversation avec l’auteure.
254. Le président de groupe sortant,
Jean-Jacques Guillet, élu aux municipales, venait de démissionner
pour cause de cumul des mandats.
255. Daté du 26 octobre 2009.