L’omniprésident
Pour la première fois dans l’histoire de la
Ve République, le Président s’exprime,
le 22 juin, devant le Congrès réuni à Versailles. La réforme de la
Constitution, votée un an plus tôt, lui accorde ce nouveau droit. «
Si j’ai souhaité aller devant le Congrès, c’est pour valoriser le
Parlement français », explique-t-il deux jours plus tôt à
Bruxelles.
Cette nouvelle procédure ne contraint pas les
élus d’être présents : si un temps de parole est dévolu à chaque
groupe parlementaire, le débat n’est pas suivi d’un vote. Sitôt son
discours prononcé, le Président quitte d’ailleurs l’hémicycle sans
écouter les intervenants.
Les socialistes ont donc beau jeu de dénoncer «
un simulacre de démocratie ». Les communistes ont annoncé qu’ils ne
se rendraient pas à Versailles. Noël Mamère, député vert et maire
de Bègles, appelle la gauche à boycotter le discours de Sarkozy.
Après moult hésitations, les socialistes décident de venir écouter
le Président, mais ils s’éclipseront comme lui, dès la fin de son
discours. Ils ne participeront pas au débat.
Le moment est solennel : dans les tribunes, on
aperçoit Carla Bruni-Sarkozy, sa mère Marisa et Pierre
Charon.
S’exprimer
à la tribune est un exercice qui a toujours plu à Nicolas Sarkozy.
Et en ce lieu bien davantage encore : « J’ai conscience d’inaugurer
un changement profond dans nos traditions républicaines, depuis
1875, le chef de l’Etat n’avait pas le droit de venir parler devant
les Assemblées. Il ne pouvait communiquer avec elles que par des
messages écrits qu’on lisait à sa place (…) le temps était venu que
s’établissent entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif
des rapports plus conformes à l’esprit d’une démocratie apaisée. »
Et puis, il se sent conforté par le score de l’UMP, arrivé en tête
aux élections européennes du 7 juin243. Tout en reconnaissant ignorer quand elle
se terminera, il est venu parler de la crise « qui touche le monde
entier ». Il promet que le gouvernement ne mènera pas de politique
de rigueur pour réduire les déficits, car « une hausse des impôts
en retarderait la sortie ». Une fois encore, mais de manière plus
appuyée qu’en février, il fait l’apologie du modèle social français
et de son rôle d’amortisseur. Avec cette nouvelle annonce : « Tous
les salariés licenciés économiques pourront garder 80 % de leur
salaire et recevoir une formation pendant un an. »
Il est venu pour lancer de nouveaux chantiers, à
commencer par la réforme des retraites au milieu de l’année 2010. «
Nous serons au rendez-vous : âge, durée de cotisation, pénibilité,
toutes les options seront examinées. » Sur les questions de
société, il veut interdire le
port de la burka « qui n’est pas la bienvenue sur le territoire de
la République française ». Le Président refuse d’y voir un problème
religieux et même un signe religieux, il se réjouit que « les
députés UMP aient souhaité se saisir de cette question ». Et enfin,
deux grosses annonces qu’il relie l’une à l’autre : un remaniement
et un grand emprunt. Il l’annonce ainsi : « Mercredi (c’est-à-dire
le surlendemain), avec le Premier ministre, nous procéderons à un
remaniement. Son premier travail sera de réfléchir à nos priorités
nationales et à la mise en place d’un emprunt pour le financer. Ses
priorités, nous n’avons nullement l’intention de les fixer tout
seuls. Le Parlement et les partenaires sociaux y seront associés,
ainsi que les responsables économiques, les acteurs du monde de la
culture, de la recherche, de l’éducation seront consultés. Pendant
trois mois, nous en discuterons ensemble. Quels sont les secteurs
stratégiques prioritaires pour préparer l’avenir de la France une
fois la crise refermée ? Les décisions ne seront prises qu’aux
termes de ce débat. Le montant de l’emprunt et ses modalités seront
arrêtés une fois que nous aurons fixé ensemble les priorités. Je
prendrai les dispositions nécessaires pour que cet emprunt soit
affecté exclusivement à ces priorités. »
Un an plus tôt, Nicolas Sarkozy avait rejeté
l’idée d’un grand emprunt d’Etat auprès des Français que Bernard
Accoyer, le président de l’Assemblée nationale, lui suggérait de
lancer. Il ne voulait pas, plaidait-il, « vider les SICAV des
Français au risque de déstabiliser le système bancaire ». Et puis
surtout, l’appel à l’épargne publique a toujours été très lourd
pour les caisses de l’Etat, car il faut offrir aux Français un
placement attrayant.
L’artisan
de ce revirement présidentiel s’appelle Henri Guaino. Depuis trois
mois, le conseiller spécial, tentant de clouer le bec aux pères la
rigueur du gouvernement, François Fillon et Eric Woerth, insistait
pour que le Président lance un large et grand emprunt consacré à
l’investissement. Seule façon, selon lui, de relancer l’emploi et
la croissance. Et tant pis si le déficit budgétaire dépasse 7 % du
PIB.
En 2005, le rapport Pébereau sur la dette
publique, dont Nicolas Sarkozy vantait à l’époque la justesse du
propos, soulignait que lorsque l’Etat lance des investissements, il
surestime systématiquement leur rentabilité future. Mais c’était
avant la crise. Un grand emprunt pour financer quoi ? Le Président
confie à Alain Juppé et Michel Rocard, deux anciens Premiers
ministres, tous deux inspecteurs des Finances, le soin d’arbitrer
ce grand débat qui va durer tout l’automne. Autour de quatre
priorités : la recherche, l’Université, le haut débit et la
croissance verte. A la fin de son discours, le Président confirme
sa détermination à aller « le plus loin possible sur la taxe
carbone et aussi jusqu’au bout du projet de loi sur le
téléchargement illégal, dont le Conseil constitutionnel a censuré
une partie du texte ».
Les réactions à ce discours de quarante-cinq
minutes sont évidemment décevantes pour l’Elysée. Les
éditorialistes écrivent qu’ils « restent sur leur faim » ou
dénoncent « le contraste entre la lourdeur du processus et la
pauvreté des annonces ». Fallait-il tant de solennité ? Les salons
de l’Elysée auraient suffi, disent-ils.
Côté PS, on considère que « le Président est
dépassé par les enjeux, qu’il laisse les Français seuls face à
leurs problèmes et face à la crise ». Son discours ? « Faible et
décevant », selon Laurent Fabius. « Habile et un peu vide », aux
dires de Pierre Moscovici, qui évalue entre quatre cent mille et six cent mille euros le coût
pour le contribuable de la réunion du Congrès.
Côté majorité, on entend un autre son. Xavier
Bertrand se félicite au contraire du propos présidentiel qui, selon
lui, « prend toute la mesure de la crise ». Dominique Perben,
député UMP de Lyon, approuve : « J’ai entendu ce que je voulais
entendre, la poursuite des réformes et le mot investissement
prononcé plusieurs fois. Et puis, la réforme des retraites, le
grand emprunt, ça n’est pas rien. » En effet.
L’exercice ayant été peu concluant, le Président
ne reviendra pas devant le Congrès jusqu’à la fin de son
quinquennat.