L’avocat Quelques jours après le drame de Pornic
et la crise avec le monde judiciaire, Nicolas Sarkozy ouvre un
autre front, cette fois avec le Mexique. Et au moment le plus
inattendu : l’année 2011 est consacrée en France à la culture
mexicaine. Plus de 350 manifestations sont prévues dans tout le
pays. A la fin du mois de janvier, le Président décide de les
dédier à Florence Cassez, jeune Française détenue au Mexique depuis
six ans. L’Etat mexicain se jugeant insulté retire illico sa
participation. (Une partie des manifestations seront néanmoins
sauvées.) Cette brouille résulte d’une longue et très complexe
histoire.
Florence Cassez est cette jeune nordiste partie
en 2003 rejoindre son frère installé au Mexique. Elle est arrêtée
deux ans plus tard dans des conditions spectaculaires (la police a
mis en scène son arrestation pour deux chaînes de télévision). Son
crime : avoir été la compagne d’Israël Vallarta, considéré comme le
chef d’une bande de kidnappeurs et le responsable de plusieurs
enlèvements.
Or les
rapts et les enlèvements sont dans ce pays un véritable fléau :
plus de 8 000 victimes sont recensées chaque année. L’opinion
publique est à vif.
Florence Cassez, « l’étrangère », sera le
parfait bouc émissaire, le symbole de tout le mal que le pays ne
supporte plus. Malgré ses dénégations, elle est jugée pour
complicité de trois enlèvements et séquestrations et condamnée à 96
ans de prison, pas moins, alors que son ex-compagnon a été jugé en
première instance, mais n’est toujours pas condamné. Bizarre.
Nicolas Sarkozy découvre l’affaire en mai 2008,
quand, à la demande de Thierry Lazaro, député du Nord, il reçoit
les parents de la jeune femme qui habitent Dunkerque et leur avocat
Me Franck Berton. Il ne connaît rien au
dossier. Le Quai d’Orsay n’a pu lui fournir aucune information,
Bernard Kouchner ne s’était pas saisi de la question. Le Président
se montre donc circonspect.
Après plusieurs voyages au Mexique, Franck
Berton lui remet une note de quarante pages. L’avocat a fait sa
propre enquête et acquis la conviction que sa cliente est victime
d’une machination montée par le chef de la police, Genaro Garcia
Luna, devenu depuis ministre de la Sécurité publique. Dès lors
convaincu de l’innocence de la jeune Française, Nicolas Sarkozy
s’entretient de l’affaire à plusieurs reprises avec son homologue
mexicain le Président Calderon. Il voudrait obtenir le
transfèrement de la prisonnière comme l’autorise la Convention de
Strasbourg que le Mexique a signée365. Une visite
d’Etat est prévue au Mexique en mars 2009. On attend la décision de la cour d’appel, qui a été
saisie par la condamnée. Avant son voyage Nicolas Sarkozy a dépêché
à Mexico Jean-Claude Marin, le procureur de la République, avec
pour mission de s’entretenir avec les autorités judiciaires et de
s’assurer que le verdict ne tombera pas pendant sa visite. Le
procureur revient chargé de belles promesses.
Huit jours avant sa visite, Nicolas Sarkozy a
reçu une lettre du Président Calderon qui le conforte. Celui-ci
écrit en effet : « Si la cour d’appel maintient sa condamnation, je
ne mets pas d’opposition à l’application de la Convention de
Strasbourg. »
Le Président est tout heureux de montrer la
lettre à Franck Berton. Or, trois jours avant le voyage, l’avocat
reçoit un appel angoissé de Florence Cassez : « Ils viennent de me
condamner à soixante années de prison. »
Les autorités judiciaires se sont moquées de
Jean-Claude Marin. Nicolas Sarkozy veut croire que la lettre de
Calderon anticipait la décision de la cour d’appel. Et dès son
arrivée à Mexico, l’affaire est au menu de leurs rencontres.
Nicolas Sarkozy demande à son homologue de tenir ses engagements
écrits. Réponse plus vague de celui-ci : « On va mettre en place
une commission bipartite (avec des Français et des Mexicains) pour
envisager le transfèrement. »
Nicolas Sarkozy comprend que les choses vont
traîner. Ce qui l’exaspère. L’après-midi il a été invité à prendre
la parole devant le Sénat de Mexico. Avant qu’il monte à la
tribune, le président du Sénat366 lui souffle à
l’oreille qu’il vaudrait mieux ne pas évoquer la prisonnière.
Nicolas Sarkozy décide au contraire d’enfoncer le clou : « Puisque
l’on m’a discrètement recommandé de ne pas parler de Florence Cassez, je vais commencer
par vous parler d’elle… Je ne suis pas venu pour contester les
décisions de la justice mexicaine. Ma démarche ne présuppose ni de
son innocence, ni de sa culpabilité. Cette démarche, je la fais
parce qu’elle est une citoyenne française. »
Crispation des sénateurs.
La presse mexicaine, rarement paisible,
s’enflamme et multiplie les éditoriaux violents. Va jusqu’à
rappeler l’intervention des troupes de Napoléon III dans le pays au
milieu du XIXe siècle. Les responsables politiques, tous partis
confondus, serrent les rangs, parlent en cœur d’atteinte à la
souveraineté mexicaine et d’arrogance française.
Nicolas Sarkozy ne lâche pas prise. Il l’avait
promis aux parents : « On va la sortir. » Le transfèrement de la
jeune Française est devenu pour lui une affaire personnelle. « Je
me souviens d’un voyage en avion où il nous avait entretenus
longuement de cette affaire qui l’obsédait », témoigne Laurent
Wauquiez. Ses ministres, qui s’interrogent toujours sur le rôle
exact et les responsabilités de la jeune femme, se demandent s’il
n’en fait pas trop.
La commission est néanmoins créée avec côté
français Jean-Claude Marin et l’ambassadeur de France au Mexique,
Daniel Parfait367. Côté mexicain, on exprime les
craintes que le président français use de son droit de grâce après
le transfèrement.
L’opinion publique se montrant hostile à toute
mesure de clémence, Calderon, tenu par son ministre de l’Intérieur
(chef de la police quand fut montée l’opération-arrestation de la
jeune femme), est paralysé. Trois mois après la constitution de la commission, il finit par
y mettre publiquement fin. Soulignant même à la télévision : « Le
Mexique n’appliquera pas la Convention de Strasbourg. »
Nicolas Sarkozy s’obstine. Chaque sommet du G20
est, pour lui, l’occasion de rappeler à Calderon sa promesse écrite
: le transfèrement. « Ça va s’arranger », lui répond invariablement
ce dernier.
Or, rien ne bouge.
Après le rejet de la cour d’appel, Florence
Cassez avait saisi la cour de cassation. Fin janvier 2011, celle-ci
confirme le verdict de la cour d’appel : 60 années de
prison368. Nicolas Sarkozy enrage.
Il reçoit, à nouveau, les parents de Florence
Cassez, évidemment bouleversés. Sa mère en particulier, qui suggère
qu’il faudrait annuler les manifestations de l’année du Mexique.
C’et que, dans le Nord, Martine Aubry a donné le la, en décidant la première d’annuler les
manifestations qui étaient prévues à Lille. Elle a même demandé aux
collectivités locales dirigées par les socialistes d’en faire
autant.
Le Président répond à Mme Cassez que cela n’est
pas une bonne idée : 350 manifestations culturelles, économiques,
scientifiques sont prévues. De gros frais sont engagés.
« Il ne faut pas punir le peuple mexicain »,
plaide-t-il.
Il joint la jeune femme au téléphone qui lui
confirme que l’annulation ne serait pas souhaitable et même qu’elle
risquerait d’en faire les frais. Elle n’a qu’un souci : qu’on ne
l’oublie pas.
Et voilà
que Nicolas Sarkozy, très ému, se rend en salle de presse, entouré
de Michèle Alliot-Marie et du député Thierry Lazaro pour annoncer
sans ambages et à la surprise de ceux qui l’accompagnent : « J’ai
décidé de dédier ces manifestations à Florence Cassez. Et je me
rendrai moi-même à la première. »
« Quand je l’ai entendu, je me suis dit : ça va
être la catastrophe pour les relations diplomatiques », avoue
Franck Berton.
La réaction de Felipe Calderon ne se fait pas
attendre : il annule les festivités.
Dans une lettre publiée par Le Monde, des artistes, des écrivains, des
scientifiques français et mexicains disent leur regret d’être
utilisés comme moyen de pression dans des affaires qui relèvent de
la justice et de la diplomatie. « En dédiant l’année du Mexique à
Florence Cassez, disent-ils, Nicolas Sarkozy a pris une lourde
responsabilité, c’est un mélange des genres inadmissible. »
Les relations avec le Mexique atteignent un
point de crispation jamais égalé.
Mais dans l’opinion publique mexicaine, l’impact
de cette crise va retomber assez vite. On commence dans certains
milieux à s’intéresser au fond de l’affaire. Lors de sa visite au
pape, le 8 octobre 2010, Nicolas Sarkozy sachant que l’Eglise a un
poids énorme au Mexique, avait alerté le Saint-Père sur cette
affaire. Avec succès. Le pape avait missionné vingt-sept prêtres
mexicains : qu’ils mènent leur enquête. Un an plus tard, en
novembre 2011, l’un d’eux qui est aussi avocat, le père Pedro
Arellano, conclura dans son rapport à « l’absolue innocence de la
condamnée ». Il l’écrira même : « Les preuves ont été falsifiées
par le gouvernement pour l’incriminer. » Et il mettra en cause le
ministre de la Sécurité publique.
« Sans le
Président, cette enquête, qui a fait grand bruit au Mexique,
n’aurait jamais été conduite », admire Damien Loras, conseiller de
l’Elysée, chargé du dossier. Ça n’est pas tout. Trois revues
mexicaines ont publié leurs propres recherches, pointant du doigt
les incohérences du dossier. Une universitaire et éditorialiste de
renom, Denise Dresser, écrit dans son livre El
Pais de Uno : « Dans toute démocratie digne de ce nom, ce
procès mal géré aurait eu pour conséquence sa libération
automatique. »
En mars 2011, la Française a déposé un ultime
recours auprès de la Cour suprême du Mexique. C’est, elle le sait,
sa dernière chance. Nicolas Sarkozy continue de lui téléphoner très
souvent : « Il la traite comme si elle était sa fille. » En
octobre, le président du Sénat mexicain (celui qui lui avait
conseillé de n’en rien dire à la tribune), reçu à l’Elysée, a
promis : « On trouvera une solution. » Lui aussi a changé d’avis
sur l’affaire.
A Mexico, un collectif d’ONG et d’avocats
instruisent des plaintes contre Calderon369. Ils veulent saisir le Tribunal pénal
international.
L’Elysée a relâché la pression. En espérant que
la Cour suprême ne rendra sa décision qu’après juillet 2012, date
de l’élection présidentielle au Mexique. Calderon ne se représente
pas370. Son ministre de la Sécurité ne sera plus
au gouvernement.
« Le Président nous a beaucoup aidés. Il a reçu
les parents au moins une douzaine de fois. Il était plein
d’humanité. Il ne fait pas semblant », apprécie Me Franck Berton.
L’obstination de Nicolas Sarkozy dans cette affaire
ne surprend pas. « C’est son syndrome “Human Bomb”, commentent ceux
qui le connaissent. Maire de Neuilly, on le sait, il avait en effet
risqué sa vie pour libérer des enfants de la maternelle pris en
otage par un homme qui manifestait de tout faire sauter. »
365. Un conseiller de l’Elysée Damien Loras
fait plusieurs voyages à Mexico pour convaincre l’entourage du
président mexicain : l’affaire Florence Cassez est une priorité
pour le président français.
366. Qui est dans l’opposition à
Calderon.
367. Ex-beau-frère d’Ingrid Betancourt.
368. Les juges avaient rencontré le matin le
directeur de cabinet du Président Calderon et celui du ministre de
la Sécurité. Ils ont obéi aux ordres.
369. 60 000 disparus pendant qu’il était au
pouvoir.
370. Au Mexique, le mandat présidentiel est de
six ans et non renouvelable.