CHAPITRE 3

OTAN

Décidément Nicolas Sarkozy ne s’épargne rien. Il ouvre un nouveau front en annonçant le retour de la France dans le commandement armé. Il sera officialisé le 4 avril à Strasbourg, lors de la célébration du 60e anniversaire de l’Alliance atlantique en présence de Barack Obama. Les parlementaires – devenus coresponsables de la politique de défense, conséquence de la réforme récente des institutions – doivent se prononcer le 17 mars.
L’affaire ne se présente pas très bien. Certains UMP renâclent. François Baroin exprime sans fard sa mauvaise humeur à la tribune de l’Assemblée : « Quelle est l’urgence d’un tel débat en pleine crise financière ? On prend le risque de briser un consensus de plusieurs décennies entre la droite et la gauche. Quel avantage allons-nous tirer de cette perte d’originalité et de singularité ? » Le Premier ministre s’était lui-même interrogé, il avait fait part de ses doutes à qui de droit. Mais le Président a su le convaincre. « Ce dont il était très fier » dit un témoin de la scène. François Fillon, qui veut obtenir « un vote de cohésion majoritaire » a décidé de poser la question de confiance. Le gouvernement n’étant responsable que devant l’Assemblée nationale, il évite ainsi un vote au Sénat encore plus aléatoire. Un principe de précaution, que le PS et François Bayrou dénoncent : « C’est un détournement de procédure. »
A gauche, deux anciens Premiers ministres, Lionel Jospin et Laurent Fabius, regrettent dans un texte commun un ralliement sans contrepartie et un affaiblissement du « message singulier et universel de la France ». Martine Aubry juge que « cette décision va obérer, poser problème en limitant la possibilité d’extension de la défense européenne ».
Le retour dans des structures quittées par le général de Gaulle en 1966 est interprété par certains comme un bradage de l’héritage gaulliste.
Les temps, il est vrai, ont changé : le Général avait annoncé cette décision par l’envoi d’une simple lettre au Président Johnson (sans en informer le Parlement), car il ne supportait plus la présence militaire américaine sur la terre et dans les cieux français. Il voulait avoir les mains libres pour construire la force de frappe nucléaire française. A l’époque, les socialistes, aussi atlantistes qu’anti-gaullistes, les centristes également, avaient dénoncé « le nationalisme étriqué et l’anti-américanisme primaire du Général ».
En se réclamant de l’indépendance de la France, en 2009, les socialistes – à rebours de leurs aînés en 1966 – s’opposent au retour de la France dans le commandement armé.
« Mais qui peut prétendre savoir ce que ferait aujourd’hui de Gaulle ? Croit-on qu’il aurait fait en 1966 la politique de 1923 ? », s’insurge Nicolas Sarkozy.
Dominique de Villepin taxe ce retour de « faute grave ». Alain Juppé, en arguant que cela banaliserait notre diplomatie, plaide qu’« il ne faut pas toucher aux symboles ». Il craint, dit-il, que ce retour soit « un marché de dupes ». Tous deux oublient qu’en 1995, Jacques Chirac avait ouvert la marche, en plaidant pour l’intégration de la vieille Union de l’Europe occidentale, l’UEO, au sein de l’OTAN. Il espérait en échange un poste de commandement opérationnel à Naples qu’il n’avait pas obtenu. Les Allemands et les Italiens ne l’avaient pas soutenu. A l’époque, aucun des deux, respectivement secrétaire général de l’Elysée et Premier ministre, n’avaient pipé mot. François Bayrou, son ministre de l’Education nationale non plus.
« Juppé et Villepin n’ont jamais rien compris à la défense. Ils jouaient à plus gaulliste que moi tu meurs », moque Michèle Alliot-Marie, ex-ministre de la Défense de Jacques Chirac, qui elle, soutient le Président et l’écrit dans une tribune du Figaro.
« Je lui donne raison à 150 % », assure de son côté le chef d’état-major des armées, le général Georgelin.
Entre-temps, il est vrai, beaucoup de chemin a été parcouru. La France a participé à toutes les opérations militaires de l’OTAN en envoyant 1 600 militaires au Kosovo et 3 000 en Afghanistan. Elle est même devenue son quatrième contributeur : cent vingt officiers français figurent dans les états-majors de l’Organisation atlantique. Elle participe à trente-huit des quarante comités militaires et bientôt au trente-neuvième : celui des plans de défense, c’est-à-dire de la stratégie de l’OTAN. Mais Nicolas Sarkozy a exclu qu’elle fasse partie du quarantième : le comité nucléaire. Il veut en effet préserver l’indépendance de notre dissuasion. Pour le reste, il explique : « Les décisions s’y prennent toujours à l’unanimité. Il suffit qu’un pays s’oppose pour que les choses ne se fassent pas. » Traduction : la France peut rester un allié indépendant et libre des Etats-Unis.
Il fait en somme le même pari que le socialiste Guy Mollet qui, jadis, énonçait : « Si vous voulez que les Européens comptent dans l’Alliance, il faut être dans l’Alliance. »
Pour faire accepter ce retour, le Président a élaboré toute une stratégie de communication. D’abord, une tribune co-écrite avec Angela Merkel pour dénoncer l’insuffisance du partenariat OTAN-Union européenne. Ensuite, le 7 février, un discours prononcé à Munich aux Assises de la Défense qui réunit le gotha euro-atlantique. Il y annonce l’installation à Strasbourg de six cents soldats allemands.
Les négociations entre Jean-David Levitte et le général James Jones, conseiller pour la sécurité nationale de Barack Obama, accordent à la France deux postes de commandement. L’un à Norfolk en Virginie et l’autre à Lisbonne.
Ce qui répond à une demande qu’il avait formulée en décembre 2007234 : « La France ne peut reprendre sa place dans l’OTAN que si une place lui est faite. » Quelques mois plus tard, le 11 mars 2008, Nicolas Sarkozy s’en était expliqué devant la Fondation pour la recherche stratégique : « Notre réflexion stratégique ne pouvait rester figée dans un monde où les conditions de notre sécurité ont radicalement changé et vont continuer de changer. Or, nous n’avons aucun poste militaire de responsabilité, nous n’avons pas notre mot à dire quand les alliés définissent les objectifs et les moyens militaires pour les opérations auxquelles nous participons. Formidable ! On envoie des soldats sur le terrain et on ne participe pas aux comités qui définissent une telle stratégie. Et tout ceci de notre propre fait, car nous nous excluons nous-mêmes. »
Un argument imparable.
Il avançait aussi : « Si nous ne développons pas ses capacités, l’Europe de la défense sera une défense de papier. Et tout le monde y perdra. L’Europe d’abord, mais aussi nos alliés au sein de l’OTAN… Face à la crise en Géorgie, nous avons déployé une opération d’observation civile qui consolide l’arrêt des hostilités. Et contre les pirates dans le golfe d’Aden qui attaquaient nos navires, nous avons lancé l’opération Atalante… Ce résultat, nous le devons à l’effort de chacun mais aussi, disons-le, au nouvel esprit qui a soufflé en Europe depuis que la France a annoncé son rapprochement avec l’OTAN, qui conforte notre indépendance nationale… Nous ne ferons aucun progrès dans la défense européenne si nous n’intégrons pas l’OTAN. »
Cinq nations assurent la sécurité de l’Europe : la France et la Grande-Bretagne (60 %), l’Allemagne et l’Italie, et très loin derrière elles l’Espagne235.
Seulement, avec la crise, les Européens, qui ne sentent pas peser sur eux de menace militaire directe, n’envisagent pas de dépenser plus pour leur défense.
En 2010, Nicolas Sarkozy et David Cameron signeront le traité « historique » de Lancaster House, qui ouvrira la voie à une coopération inédite de défense des deux premières puissances militaires de l’Europe : une mutualisation des ressources militaires pour lutter « contre le rétrécissement stratégique de l’Europe ». En 2011, le leadership franco-britannique en Libye démontrera l’insuffisance des ressources militaires des deux pays pour des opérations de moyenne intensité. Gérard Longuet, le ministre de la Défense, doit le constater : « L’Angleterre est utilitaire dans ses relations avec l’Europe et la France. Nous avons les mêmes intérêts et la même culture militaire, mais il n’y a pas chez eux le réflexe de construire ensemble. Ils veulent d’abord faire des appels d’offres », façon de favoriser, bien sûr, leur allié américain236.
Le 17 mars, François Fillon obtient sans surprise la confiance de l’Assemblée nationale : 329 voix contre 228. La France est de retour dans l’OTAN. Quelques jours plus tard, un sondage indique que 58 % des Français approuvent ce choix. Il est vrai que l’élection de Barack Obama, aussi populaire en France que son prédécesseur l’était peu, a aussi changé la donne.
Barack et Nicolas Au début du mois d’avril, le président américain arrive à Londres. A l’invitation du Britannique Gordon Brown, il vient participer à sa première réunion du G20. Il fait la couverture de tous les hebdos en France. A la Une du Nouvel Observateur, une photo d’Obama en compagnie de Nicolas Sarkozy. « Peuvent-ils s’entendre ? », interroge l’hebdomadaire. Bonne question, en effet.
Le Président le plus pro-américain de la Ve République va devoir composer avec un partenaire pour qui l’Europe est une terre inconnue, non inscrite sur son écran radar. Il n’est pas entré en politique avec l’idée que la relation transatlantique était d’une importance cruciale. Elle l’intéresse peu. Ses rêves l’ont toujours porté ailleurs. Il a grandi en Indonésie, vécu ensuite à Hawaï. Son père était kényan. Il s’est lui-même défini comme « un citoyen du monde ».
Ce sont deux avocats de la même génération237, aux ego puissants. Là s’arrêtent les similitudes. Question style et tempérament, un abîme les sépare. Nicolas Sarkozy découvre un partenaire aux manières policées, d’un abord très distant, glacial même derrière le sourire charmeur. Il a cette morgue courtoise des Bostoniens indifférents et bien élevés. Il n’est pas un « good guy » que l’on salue avec une tape dans le dos. C’est un « wasp238 noir » difficile à apprivoiser. Contrairement à Nicolas Sarkozy, effusif, inventif, hâbleur, toujours à l’abordage, qui privilégie la vitesse d’exécution et l’effet de surprise, Barack Obama est un cérébral, secret par nature, indécis par réflexe, circonspect par instinct. Il consulte beaucoup et peine à se décider. « Sarkozy est le syncrétisme de tout ce qu’il n’est pas », explique un haut diplomate.
Avant même son installation à la Maison Blanche, à quarante-huit heures de son investiture, précisément, Nicolas Sarkozy, auréolé de ses succès à la présidence de l’Union européenne, avait, lors d’une réunion à Charm el-Cheikh consacrée à la bande de Gaza, lancé l’idée d’une conférence de paix au Proche-Orient avant la fin du mois de juin. Barack Obama, s’en tenant à son seul agenda, n’avait pas voulu donner suite à la proposition. Le nouveau président de la première puissance économique mondiale n’allait tout de même pas laisser à la France, pays grand comme le Texas, la paternité de cette initiative.
Quelques jours plus tard, Nicolas Sarkozy faisait savoir à son grand allié qu’il excluait d’envoyer de nouveaux renforts militaires en Afghanistan, alors que l’OTAN venait de décider d’y envoyer cinq mille hommes supplémentaires.
Il faut, bien sûr, du temps pour se connaître et se reconnaître. « Pour qu’ils s’entendent vraiment bien, cela a pris un an », reconnaît Jean-David Levitte. Les deux Présidents vont se mesurer pour la première fois à Londres. Deux semaines avant la réunion, Nicolas Sarkozy avait prévenu : « Si le G20 n’avance pas, ce sera la crise, je partirai. » Lors d’une visioconférence avec Barack Obama, il s’était plaint des réticences de l’administration américaine, sur la réglementation financière à l’ordre du jour de la réunion. « On arrangera ça à Londres », lui avait promis le président américain. Et il avait tenu parole en jouant notamment les intermédiaires avec la Chine sur l’épineuse question des paradis fiscaux. A l’issue de la réunion, il lui avait même rendu hommage : « Sans son leadership, le sommet de Londres n’aurait pas été ce qu’il a été. » Et d’ajouter persifleur : « Nicolas Sarkozy est présent sur tellement de fronts qu’on a parfois du mal à le suivre. »
La réunion du G20 enregistre des résultats positifs. Le couple franco-allemand a réussi à imposer ses vues dans le communiqué final « au-delà de ce que nous espérions », expliquait le Français. Un optimisme partagé par l’hôte de ce sommet, Gordon Brown, qui croit pouvoir affirmer « qu’un nouvel ordre économique était né », Barack Obama se contentant lui, de parler de « tournant ».
Il est vrai que les Vingt ne pouvaient se séparer sur un constat qui eût manifesté leur impuissance face à la crise. Le résultat final est une victoire politique pour les Européens, qui en matière de régulation, obtiennent quelques satisfactions. « Le temps du secret bancaire est révolu », dit le communiqué final. L’OCDE est chargé de classer les Etats en trois catégories : les pays noirs, paradis fiscaux qui refusent la transparence ; les pays gris, qui s’engagent à faire évoluer leur réglementation et les Etats blancs, supposés ne pas poser de problèmes.
Mais l’île britannique de Jersey, qui est de notoriété publique un paradis fiscal, échappe à cette classification (merci Gordon Brown). Plusieurs Etats comme le Delaware ou le Wyoming aux Etats-Unis, qui sont d’authentiques paradis fiscaux, également. On ne parle pas de Macao ni de Hong Kong, la Chine y veille jalousement… Les subtilités des équilibres diplomatiques…
Le FMI obtient un triplement de ses réserves pour venir en aide, le cas échéant, à des pays en difficulté. Il reçoit 500 milliards de dollars et disposera désormais de 750 milliards pour intervenir en faveur des pays de taille moyenne. La Chine a accepté de verser cinq milliards.
Le lendemain, 3 avril, Barack Obama vient participer à Strasbourg au premier sommet de l’OTAN, que la France vient de réintégrer. Il doit s’exprimer devant trois mille jeunes lycéens et étudiants français et allemands subjugués par avance. Nicolas Sarkozy comptait parler lui aussi. Mais la Maison Blanche a fait savoir à l’Elysée – petite vexation – qu’une intervention du président français n’était pas inscrite à leur programme, vu qu’il ne s’agit pas d’une visite d’Etat en France, mais d’une visite au siège de l’OTAN. Nuance. Ce qui n’avait pas empêché le président américain tout sourire de se déclarer emballé par « l’extraordinaire hospitalité de son homologue français », dont une fois de plus, il allait louer « l’énergie » en se félicitant du retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN. Nicolas Sarkozy lui avait répondu : « Nous sommes de la même famille, nous sommes des amis, des alliés, mais debout. » Sous entendu : je ne me laisserai pas marcher sur les pieds par les Etats-Unis.
Après Londres et Strasbourg, le président américain s’envole pour Prague afin d’y prononcer un discours sur le désarmement nucléaire total qui englobe ipso facto la force de frappe française. Propos que Nicolas Sarkozy juge aussitôt « naïfs et potentiellement dangereux à l’heure de la prolifération nucléaire239 ».
Sa tournée européenne se terminant à Ankara, Barack Obama s’inscrit dans la continuité de la politique américaine : il enjoint les Européens d’accueillir la Turquie dans l’Union, à la grande satisfaction de ses hôtes.
Nicolas Sarkozy le remet gentiment à sa place : « Je travaille main dans la main avec le Président Obama, mais s’agissant de l’Union, c’est aux membres de l’Union européenne de décider. J’ai toujours été opposé à l’entrée de la Turquie et je le reste. La Chancelière exprime les mêmes réserves que moi. »
Recevant à la mi-avril une poignée de parlementaires UMP pour tirer les conclusions du G20 de Londres, Nicolas Sarkozy ne craint pas de fustiger devant eux « un homme élu depuis deux mois et qui n’a jamais géré un ministère ». Bref, quelqu’un qui a encore beaucoup à apprendre avant de donner des conseils. A bon entendeur salut ! « Nicolas semblait très jaloux d’Obama », disent-ils. Ce que les ministres constatent : « En Conseil, Nicolas aime bien tacler Obama : un débutant, un indécis. »
« Chaque fois qu’il s’en prenait à lui, cela m’exaspérait », avoue MAM.
La célébration le 6 juin du 65e anniversaire du débarquement allié en Normandie est une nouvelle illustration de la difficulté à accorder leurs violons. Nicolas Sarkozy aurait aimé, en quittant le G20 de Londres et avant la cérémonie de Strasbourg, qu’ils fassent ensemble une halte sur les plages du débarquement. C’eût été un beau symbole de la continuité de l’Histoire avant le retour dans l’OTAN. Barack Obama avait décliné son offre : « Je n’ai pas le temps, mais, promis, je viendrai le 6 juin. »
Six jours avant l’événement, Robert Gibbs, porte-parole de la Maison Blanche, avait exprimé le souhait que la reine d’Angleterre soit invitée à la cérémonie, relançant ainsi la polémique soulevée par le quotidien britannique Daily Mail qui reprochait au protocole français d’avoir oublié d’y convier la Souveraine. « Insultant, révoltant. » La presse populaire britannique se déchaîne. Un impair ? La Reine avait, en effet, assisté à la célébration du 60e anniversaire. Rien n’était prévu pour le 65e. En tant que chef du Commonwealth, elle représente les 15 766 soldats britanniques, ainsi que les 5 316 canadiens enterrés en Normandie. Elle est aussi, parmi les chefs d’Etat, la dernière à avoir vécu la Seconde Guerre mondiale. Les Canadiens, eux aussi oubliés, réclament une invitation. Nicolas Sarkozy a seulement convié Gordon Brown. Côté Elysée on avance : « C’est au Premier ministre britannique de dire si c’est la Reine qui vient ou le prince Charles. » Il s’agirait donc d’une affaire intérieure britannique. A Londres, la presse reproche à Brown de ne pas avoir fait le forcing pour que la Souveraine soit présente.
« Evidemment, la Reine est naturellement la bienvenue », déclare Luc Chatel, le porte-parole du gouvernement (un peu goujat en l’occurrence, ce qui n’est pas son genre). Finalement, seul le prince Charles participera à la cérémonie. « La Reine boude, le prince Charles déboule », moque Libération.
« En réalité, Nicolas voulait un tête-à-tête avec Obama », résume un ministre.
Le service de presse de la Maison Blanche a d’ailleurs présenté cette visite en Normandie comme une étape mineure d’un voyage présidentiel beaucoup plus vaste, les médias américains s’intéressant bien davantage à sa visite en Egypte. L’avant-veille de son arrivée en France, Barack Obama avait en effet prononcé à l’université du Caire, devant un parterre de jeunes, un discours à l’adresse du monde musulman. « Salam aleikoum. Que la paix soit avec vous. » Son intervention, diffusée en direct par une trentaine de télévisions arabes, entendait restaurer l’image ternie par huit années d’administration Bush. Briser le cycle de la discorde entre l’Amérique et l’Islam et relancer le processus de paix au Proche-Orient : « L’alliance avec Israël est indestructible. Mais la situation des Palestiniens est intolérable. »
Sur ce chapitre-là, on attendait beaucoup de lui. Les espérances ont été déçues. Obama a eu la malchance d’arriver à la Maison Blanche au moment où Netanyahou accédait au pouvoir. Ayant exigé l’arrêt des colonisations comme préalable à toute discussion, il s’est heurté à l’intransigeance du Premier ministre israélien. Et il n’a plus eu aucune marge de manœuvre quand les Républicains en 2010 ont emporté la majorité de la Chambre des représentants240.
La veille, il avait fait escale à Dresde en Allemagne, une ville rasée à 75 % en 1945 par les bombardements américains, qui avaient fait 35 000 morts. Puis une halte à l’hôpital américain de Francfort où sont soignés les soldats blessés en Afghanistan. Avant de se rendre à Buchenwald. Un de ses grands-oncles avait participé comme soldat à la libération de ce camp de concentration. Angela Merkel est à ses côtés. Mais le président américain n’a pas programmé de passer par Berlin, ce qui avait vexé la Chancelière. Hypothèse avancée par des médias allemands : Obama n’aurait pas apprécié qu’à l’occasion de sa venue dans la capitale lors de sa campagne présidentielle, le maire de Berlin lui refuse de s’exprimer porte de Brandebourg241. Un lieu, il est vrai, réservé aux chefs d’Etat, d’où Ronald Reagan en 1987 avait apostrophé Gorbatchev : « Faites tomber le mur. »
La bonne entente Merkel-Obama n’a pas été immédiate non plus, souligne-t-on à l’Elysée.
Barack Obama arrive à Paris le 5 juin vers 20 heures à Orly. Il a refusé un accueil protocolaire. Il est pressé de rejoindre son épouse et ses filles. La famille loge à l’ambassade des Etats-Unis, située à trois cents mètres du palais présidentiel. Il n’a pas prévu d’aller saluer son homologue, car il désire passer une soirée privée dans la capitale : il n’entend pas se laisser instrumentaliser par le Français.
Les deux Présidents se rencontreront le lendemain, en Normandie. Des signes que la presse française interprète aussitôt comme une prise de distance avec Nicolas Sarkozy.
Il faut donc attendre le samedi midi pour voir les deux couples ensemble. Barack et Michelle, Nicolas et Carla. Les deux épouses vêtues d’une robe blanche.
Alors que le séjour comporte deux nuits et deux journées pleines en France, les numéros un américain et français se verront au total un peu plus de quatre heures. Le programme des festivités a été calé à la minute près par les Américains. Une demi-heure de tête-à-tête à la préfecture de Caen, un quart d’heure de conférence de presse en commun. Les images sont parlantes : Nicolas Sarkozy a sa tête des mauvais jours. « Obama fixait ses horaires, son programme. C’était un moment de très basses eaux dans leur relation », reconnaît un diplomate.
Dans son discours du Caire, Barack Obama avait appelé les Occidentaux à ne pas gêner les musulmans dans la pratique de leur religion et critiqué ceux qui « dictent aux femmes les vêtements qu’elles doivent porter… On ne peut dissimuler l’hostilité envers une religion derrière le faux-semblant du libéralisme ». Le président d’un Etat théocratique a beaucoup de mal à comprendre ce qu’est la laïcité à la française. Un principe que Nicolas Sarkozy tente de lui expliquer : « Toute jeune fille qui le désire peut porter le voile, mais il y a deux limites, il est interdit de le porter aux guichets des administrations et à l’école, au nom du respect de la laïcité. » Bien sûr, les deux hommes protestent en chœur de la solidité de l’amitié franco-américaine. « Peut-être jamais dans l’Histoire nos pays n’ont été aussi proches sur les grands dossiers », conclut Nicolas Sarkozy, tandis que le Président Obama se congratulait que « les Etats-Unis et la France soient des amis incontournables », ajoutant « Je considère personnellement Nicolas Sarkozy comme un ami ». Officiellement, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.
On passe au déjeuner avec les épouses. Nicolas Sarkozy a fait venir son fils Louis de New York pour le présenter au président américain. C’est qu’il n’avait pas apprécié, c’est peu dire, l’initiative de Cécilia quelques jours plus tôt : invités par le boulanger de la Maison Blanche à visiter la résidence présidentielle, le couple Attias était venu accompagné de Louis, qui avait accosté un huissier : « Dites au président Obama que le fils du Président français se trouve dans les lieux et aimerait le saluer. »
Craignant avoir affaire à un mythomane, les services de sécurité de la Maison Blanche avaient immédiatement appelé l’ambassade de France à Washington, qui avait aussitôt alerté l’Elysée. Prévenu, le Président avait piqué une grosse colère. Il n’appréciait pas que son ex-épouse instrumentalise leur fils pour présenter son mari au président américain, qui n’avait, d’ailleurs, pas répondu à la sollicitation.
La séquence normande terminée, retour à Paris. Obama a prévu une fin de week-end en famille avec visite, le samedi soir, de la cathédrale Notre-Dame, (fermée au public pour l’occasion). Puis dîner dans un restaurant du VIIe arrondissement, La Fontaine de Mars. Le lendemain matin, il s’était rendu au Centre Georges-Pompidou, avant de regagner Washington. Mais il laissait sur place Michelle et les filles, qui avaient accepté une invitation à déjeuner à l’Elysée. Michelle avait offert une guitare à Carla. Un moment sympathique. Retour à Washington, Sasha et Malia avaient écrit une lettre manuscrite au Président et à la Première dame pour les remercier de leur accueil. Des petites filles bien élevées. Nicolas Sarkozy rapporte l’anecdote. Nous sommes entre gens de bonne compagnie.
Demeure tout de même un petit agacement : Barack Obama aurait souhaité faire la connaissance de Jacques Chirac et visiter avec lui le musée du quai Branly. L’entrevue n’avait pu être arrangée, l’ancien Président étant à cette date en visite privée à Venise. Un mois après son entrée à la Maison Blanche, le président américain lui avait adressé une lettre dithyrambique pour saluer son opposition à la guerre en Irak et la justesse de ses mises en garde.
La visite d’Obama en Normandie est largement retransmise par les médias. Les images sont belles. Au diapason de ces discours sublimes de tragédie. Seule note humoristique : Gordon Brown, à plusieurs reprises, a la langue qui fourche et parle d’Obama Beach au lieu d’Omaha Beach.
Cette cérémonie est forcément gratifiante pour le Président. Pierre Moscovici s’interroge sur ses intentions réelles : « Le choix de l’inviter à cette date n’a pas été fait au hasard. Le Président recherche à travers cet événement un gain électoral pour les européennes et un gain d’image pour lui-même. » Même son de cloche chez Marielle de Sarnez, tête de liste MoDem en Ile-de-France : « Il y a un arrière-fond de pensée politicienne ou électoraliste. Tout est fait pour qu’il y ait cette photographie de Sarkozy et d’Obama. »
Daniel Cohn-Bendit décrète que « le débarquement n’est pas la propriété de Nicolas Sarkozy et de Carla Bruni »…
« Le Président n’allait tout de même pas changer la date anniversaire du débarquement en raison des élections européennes », rétorque Franck Louvrier.
Barack et Nicolas sont deux amis. Deux concurrents aussi.
Quelques semaines plus tard, le président américain téléphonera au président brésilien pour lui recommander d’acheter des F-18 américains. En clair, le dissuader de passer commande de trente-six avions de combat Rafale, comme il s’y était engagé auprès de son « ami » Nicolas. Charles Edelstenne, le PDG de Dassault Aviation, s’était réjoui trop tôt : « C’est Nicolas Sarkozy qui les a vendus », déclarait-il au Monde. Lula a quitté le pouvoir, le Brésil n’a toujours pas acheté le Rafale242. En raison de son coût trop élevé, mais surtout parce que son environnement ne fait pas peser sur le pays une menace qui nécessite l’achat d’un avion de combat aussi complet et sophistiqué.
Pour surveiller le littoral du Brésil, Lula a, en revanche, passé commande à la France de quatre sous-marins à propulsion classique, les Scorpène. Et acheté le porte-avions Foch.

234. Interview au New York Times.
235. La France est condamnée par Bruxelles pour ses déficits qui équivalent à ses dépenses militaires.
236. L’Agence européenne de défense (AED) a présenté le 30 novembre 2011 « treize projets de mutualisation et de portage ». Selon sa directrice : « Les Européens vont prendre conscience que c’est le seul moyen pour eux de conserver des capacités militaires et leur technologie. »
237. Obama est né en 1961. Il a six ans de moins que Nicolas Sarkozy.
238. Appellation des Américains de souche blancs et protestants originaires de l’Europe anglo-saxonne.
239. Il y reviendra le 24 septembre à la tribune de l’ONU en se livrant à une attaque en règle du projet « virtuel d’un monde sans arme nucléaire ». Façon de critiquer sans le nommer son homologue américain, lequel l’entendant restera de marbre.
240. Obama n’a pas fait de visite d’Etat en Israël durant son premier mandat. Il est le seul à dire : il faut renégocier sur les frontières de 1967.
241. Le lendemain Nicolas Sarkozy recevait Obama à l’Elysée, qu’il avait présenté devant une armée de journalistes comme son ami (deux jours plus tôt, il confiait au Figaro « C’est mon copain ») : « Je souhaite bonne chance à Barack Obama. Si c’est lui qui est élu, la France sera très heureuse, si c’est un autre (John McCain) la France sera l’amie des Etats-Unis. » En retour, Obama n’avait pas été non plus avare de compliments, saluant l’énergie du président français (qui l’inspire). Et il lui avait demandé ce qu’il mangeait pour « bouger constamment comme cela » !
242. Nicolas Sarkozy espère que l’Inde passera bientôt commande des cent vingt-six Rafale, selon l’accord qu’il avait presque conclu. Mais le 7 décembre 2011, Gérard Longuet, le ministre de la Défense, affirmait : « Si Dassault ne vend pas de Rafale à l’étranger, la chaîne de production de l’avion de combat sera arrêtée. » Ajoutant tout de même que les appareils seront naturellement entretenus et que cela se produirait après que l’armée française aura reçu livraison de tous les appareils commandés.Le Rafale a cumulé les échecs à l’étranger : la Suisse lui a préféré le Gripen du suédois Saab, et les Emirats arabes unis ont jugé l’offre de Dassault « non compétitive et irréalisable ».