OTAN
Décidément Nicolas Sarkozy ne s’épargne rien. Il
ouvre un nouveau front en annonçant le retour de la France dans le
commandement armé. Il sera officialisé le 4 avril à Strasbourg,
lors de la célébration du 60e
anniversaire de l’Alliance atlantique en présence de Barack Obama.
Les parlementaires – devenus coresponsables de la politique de
défense, conséquence de la réforme récente des institutions –
doivent se prononcer le 17 mars.
L’affaire ne se présente pas très bien. Certains
UMP renâclent. François Baroin exprime sans fard sa mauvaise humeur
à la tribune de l’Assemblée : « Quelle est l’urgence d’un tel débat
en pleine crise financière ? On prend le risque de briser un
consensus de plusieurs décennies entre la droite et la gauche. Quel
avantage allons-nous tirer de cette perte d’originalité et de
singularité ? » Le Premier ministre s’était lui-même interrogé, il
avait fait part de ses doutes à qui de droit. Mais le Président a
su le convaincre. « Ce dont il était très fier » dit un témoin de
la scène. François Fillon, qui veut obtenir « un vote de cohésion
majoritaire » a décidé de poser la question de confiance. Le
gouvernement n’étant responsable que devant l’Assemblée nationale, il
évite ainsi un vote au Sénat encore plus aléatoire. Un principe de
précaution, que le PS et François Bayrou dénoncent : « C’est un
détournement de procédure. »
A gauche, deux anciens Premiers ministres,
Lionel Jospin et Laurent Fabius, regrettent dans un texte commun un
ralliement sans contrepartie et un affaiblissement du « message
singulier et universel de la France ». Martine Aubry juge que «
cette décision va obérer, poser problème en limitant la possibilité
d’extension de la défense européenne ».
Le retour dans des structures quittées par le
général de Gaulle en 1966 est interprété par certains comme un
bradage de l’héritage gaulliste.
Les temps, il est vrai, ont changé : le Général
avait annoncé cette décision par l’envoi d’une simple lettre au
Président Johnson (sans en informer le Parlement), car il ne
supportait plus la présence militaire américaine sur la terre et
dans les cieux français. Il voulait avoir les mains libres pour
construire la force de frappe nucléaire française. A l’époque, les
socialistes, aussi atlantistes qu’anti-gaullistes, les centristes
également, avaient dénoncé « le nationalisme étriqué et
l’anti-américanisme primaire du Général ».
En se réclamant de l’indépendance de la France,
en 2009, les socialistes – à rebours de leurs aînés en 1966 –
s’opposent au retour de la France dans le commandement armé.
« Mais qui peut prétendre savoir ce que ferait
aujourd’hui de Gaulle ? Croit-on qu’il aurait fait en 1966 la
politique de 1923 ? », s’insurge Nicolas Sarkozy.
Dominique de Villepin taxe ce retour de « faute
grave ». Alain Juppé, en arguant que cela banaliserait notre diplomatie, plaide qu’« il ne
faut pas toucher aux symboles ». Il craint, dit-il, que ce retour
soit « un marché de dupes ». Tous deux oublient qu’en 1995, Jacques
Chirac avait ouvert la marche, en plaidant pour l’intégration de la
vieille Union de l’Europe occidentale, l’UEO, au sein de l’OTAN. Il
espérait en échange un poste de commandement opérationnel à Naples
qu’il n’avait pas obtenu. Les Allemands et les Italiens ne
l’avaient pas soutenu. A l’époque, aucun des deux, respectivement
secrétaire général de l’Elysée et Premier ministre, n’avaient pipé
mot. François Bayrou, son ministre de l’Education nationale non
plus.
« Juppé et Villepin n’ont jamais rien compris à
la défense. Ils jouaient à plus gaulliste que moi tu meurs », moque
Michèle Alliot-Marie, ex-ministre de la Défense de Jacques Chirac,
qui elle, soutient le Président et l’écrit dans une tribune du
Figaro.
« Je lui donne raison à 150 % », assure de son
côté le chef d’état-major des armées, le général Georgelin.
Entre-temps, il est vrai, beaucoup de chemin a
été parcouru. La France a participé à toutes les opérations
militaires de l’OTAN en envoyant 1 600 militaires au Kosovo et 3
000 en Afghanistan. Elle est même devenue son quatrième
contributeur : cent vingt officiers français figurent dans les
états-majors de l’Organisation atlantique. Elle participe à
trente-huit des quarante comités militaires et bientôt au
trente-neuvième : celui des plans de défense, c’est-à-dire de la
stratégie de l’OTAN. Mais Nicolas Sarkozy a exclu qu’elle fasse
partie du quarantième : le comité nucléaire. Il veut en effet
préserver l’indépendance de notre dissuasion. Pour le reste, il
explique : « Les décisions s’y prennent toujours à l’unanimité. Il
suffit qu’un pays s’oppose pour que les choses ne se fassent pas. » Traduction : la France
peut rester un allié indépendant et libre des Etats-Unis.
Il fait en somme le même pari que le socialiste
Guy Mollet qui, jadis, énonçait : « Si vous voulez que les
Européens comptent dans l’Alliance, il faut être dans l’Alliance.
»
Pour faire accepter ce retour, le Président a
élaboré toute une stratégie de communication. D’abord, une tribune
co-écrite avec Angela Merkel pour dénoncer l’insuffisance du
partenariat OTAN-Union européenne. Ensuite, le 7 février, un
discours prononcé à Munich aux Assises de la Défense qui réunit le
gotha euro-atlantique. Il y annonce l’installation à Strasbourg de
six cents soldats allemands.
Les négociations entre Jean-David Levitte et le
général James Jones, conseiller pour la sécurité nationale de
Barack Obama, accordent à la France deux postes de commandement.
L’un à Norfolk en Virginie et l’autre à Lisbonne.
Ce qui répond à une demande qu’il avait formulée
en décembre 2007234 : « La France ne peut reprendre sa
place dans l’OTAN que si une place lui est faite. » Quelques mois
plus tard, le 11 mars 2008, Nicolas Sarkozy s’en était expliqué
devant la Fondation pour la recherche stratégique : « Notre
réflexion stratégique ne pouvait rester figée dans un monde où les
conditions de notre sécurité ont radicalement changé et vont
continuer de changer. Or, nous n’avons aucun poste militaire de
responsabilité, nous n’avons pas notre mot à dire quand les alliés
définissent les objectifs et les moyens militaires pour les
opérations auxquelles nous participons. Formidable ! On envoie des
soldats sur le terrain et on
ne participe pas aux comités qui définissent une telle stratégie.
Et tout ceci de notre propre fait, car nous nous excluons
nous-mêmes. »
Un argument imparable.
Il avançait aussi : « Si nous ne développons pas
ses capacités, l’Europe de la défense sera une défense de papier.
Et tout le monde y perdra. L’Europe d’abord, mais aussi nos alliés
au sein de l’OTAN… Face à la crise en Géorgie, nous avons déployé
une opération d’observation civile qui consolide l’arrêt des
hostilités. Et contre les pirates dans le golfe d’Aden qui
attaquaient nos navires, nous avons lancé l’opération Atalante… Ce
résultat, nous le devons à l’effort de chacun mais aussi,
disons-le, au nouvel esprit qui a soufflé en Europe depuis que la
France a annoncé son rapprochement avec l’OTAN, qui conforte notre
indépendance nationale… Nous ne ferons aucun progrès dans la
défense européenne si nous n’intégrons pas l’OTAN. »
Cinq nations assurent la sécurité de l’Europe :
la France et la Grande-Bretagne (60 %), l’Allemagne et l’Italie, et
très loin derrière elles l’Espagne235.
Seulement, avec la crise, les Européens, qui ne
sentent pas peser sur eux de menace militaire directe, n’envisagent
pas de dépenser plus pour leur défense.
En 2010, Nicolas Sarkozy et David Cameron
signeront le traité « historique » de Lancaster House, qui ouvrira
la voie à une coopération inédite de défense des deux premières
puissances militaires de l’Europe : une mutualisation des
ressources militaires pour lutter « contre le rétrécissement
stratégique de l’Europe ». En 2011, le leadership franco-britannique en Libye
démontrera l’insuffisance des ressources militaires des deux pays
pour des opérations de moyenne intensité. Gérard Longuet, le
ministre de la Défense, doit le constater : « L’Angleterre est
utilitaire dans ses relations avec l’Europe et la France. Nous
avons les mêmes intérêts et la même culture militaire, mais il n’y
a pas chez eux le réflexe de construire ensemble. Ils veulent
d’abord faire des appels d’offres », façon de favoriser, bien sûr,
leur allié américain236.
Le 17 mars, François Fillon obtient sans
surprise la confiance de l’Assemblée nationale : 329 voix contre
228. La France est de retour dans l’OTAN. Quelques jours plus tard,
un sondage indique que 58 % des Français approuvent ce choix. Il
est vrai que l’élection de Barack Obama, aussi populaire en France
que son prédécesseur l’était peu, a aussi changé la donne.
Barack et Nicolas Au début du mois d’avril, le
président américain arrive à Londres. A l’invitation du Britannique
Gordon Brown, il vient participer à sa première réunion du G20. Il
fait la couverture de tous les hebdos en France. A la Une du
Nouvel Observateur, une photo d’Obama
en compagnie de Nicolas Sarkozy. « Peuvent-ils s’entendre ? »,
interroge l’hebdomadaire. Bonne question, en effet.
Le
Président le plus pro-américain de la Ve
République va devoir composer avec un partenaire pour qui l’Europe
est une terre inconnue, non inscrite sur son écran radar. Il n’est
pas entré en politique avec l’idée que la relation transatlantique
était d’une importance cruciale. Elle l’intéresse peu. Ses rêves
l’ont toujours porté ailleurs. Il a grandi en Indonésie, vécu
ensuite à Hawaï. Son père était kényan. Il s’est lui-même défini
comme « un citoyen du monde ».
Ce sont deux avocats de la même
génération237, aux ego puissants. Là s’arrêtent
les similitudes. Question style et tempérament, un abîme les
sépare. Nicolas Sarkozy découvre un partenaire aux manières
policées, d’un abord très distant, glacial même derrière le sourire
charmeur. Il a cette morgue courtoise des Bostoniens indifférents
et bien élevés. Il n’est pas un « good guy » que l’on salue avec
une tape dans le dos. C’est un « wasp238 noir »
difficile à apprivoiser. Contrairement à Nicolas Sarkozy, effusif,
inventif, hâbleur, toujours à l’abordage, qui privilégie la vitesse
d’exécution et l’effet de surprise, Barack Obama est un cérébral,
secret par nature, indécis par réflexe, circonspect par instinct.
Il consulte beaucoup et peine à se décider. « Sarkozy est le
syncrétisme de tout ce qu’il n’est pas », explique un haut
diplomate.
Avant même son installation à la Maison Blanche,
à quarante-huit heures de son investiture, précisément, Nicolas
Sarkozy, auréolé de ses succès à la présidence de l’Union
européenne, avait, lors d’une réunion à Charm el-Cheikh consacrée à
la bande de Gaza, lancé l’idée d’une conférence de paix au Proche-Orient
avant la fin du mois de juin. Barack Obama, s’en tenant à son seul
agenda, n’avait pas voulu donner suite à la proposition. Le nouveau
président de la première puissance économique mondiale n’allait
tout de même pas laisser à la France, pays grand comme le Texas, la
paternité de cette initiative.
Quelques jours plus tard, Nicolas Sarkozy
faisait savoir à son grand allié qu’il excluait d’envoyer de
nouveaux renforts militaires en Afghanistan, alors que l’OTAN
venait de décider d’y envoyer cinq mille hommes
supplémentaires.
Il faut, bien sûr, du temps pour se connaître et
se reconnaître. « Pour qu’ils s’entendent vraiment bien, cela a
pris un an », reconnaît Jean-David Levitte. Les deux Présidents
vont se mesurer pour la première fois à Londres. Deux semaines
avant la réunion, Nicolas Sarkozy avait prévenu : « Si le G20
n’avance pas, ce sera la crise, je partirai. » Lors d’une
visioconférence avec Barack Obama, il s’était plaint des réticences
de l’administration américaine, sur la réglementation financière à
l’ordre du jour de la réunion. « On arrangera ça à Londres », lui
avait promis le président américain. Et il avait tenu parole en
jouant notamment les intermédiaires avec la Chine sur l’épineuse
question des paradis fiscaux. A l’issue de la réunion, il lui avait
même rendu hommage : « Sans son leadership, le sommet de Londres
n’aurait pas été ce qu’il a été. » Et d’ajouter persifleur : «
Nicolas Sarkozy est présent sur tellement de fronts qu’on a parfois
du mal à le suivre. »
La réunion du G20 enregistre des résultats
positifs. Le couple franco-allemand a réussi à imposer ses vues
dans le communiqué final « au-delà de ce que nous espérions »,
expliquait le Français. Un optimisme partagé par l’hôte de ce sommet, Gordon Brown, qui
croit pouvoir affirmer « qu’un nouvel ordre économique était né »,
Barack Obama se contentant lui, de parler de « tournant ».
Il est vrai que les Vingt ne pouvaient se
séparer sur un constat qui eût manifesté leur impuissance face à la
crise. Le résultat final est une victoire politique pour les
Européens, qui en matière de régulation, obtiennent quelques
satisfactions. « Le temps du secret bancaire est révolu », dit le
communiqué final. L’OCDE est chargé de classer les Etats en trois
catégories : les pays noirs, paradis fiscaux qui refusent la
transparence ; les pays gris, qui s’engagent à faire évoluer leur
réglementation et les Etats blancs, supposés ne pas poser de
problèmes.
Mais l’île britannique de Jersey, qui est de
notoriété publique un paradis fiscal, échappe à cette
classification (merci Gordon Brown). Plusieurs Etats comme le
Delaware ou le Wyoming aux Etats-Unis, qui sont d’authentiques
paradis fiscaux, également. On ne parle pas de Macao ni de Hong
Kong, la Chine y veille jalousement… Les subtilités des équilibres
diplomatiques…
Le FMI obtient un triplement de ses réserves
pour venir en aide, le cas échéant, à des pays en difficulté. Il
reçoit 500 milliards de dollars et disposera désormais de 750
milliards pour intervenir en faveur des pays de taille moyenne. La
Chine a accepté de verser cinq milliards.
Le lendemain, 3 avril, Barack Obama vient
participer à Strasbourg au premier sommet de l’OTAN, que la France
vient de réintégrer. Il doit s’exprimer devant trois mille jeunes
lycéens et étudiants français et allemands subjugués par avance.
Nicolas Sarkozy comptait parler lui aussi. Mais la Maison Blanche a
fait savoir à l’Elysée – petite vexation – qu’une intervention du
président français n’était pas inscrite à leur programme, vu qu’il
ne s’agit pas d’une visite
d’Etat en France, mais d’une visite au siège de l’OTAN. Nuance. Ce
qui n’avait pas empêché le président américain tout sourire de se
déclarer emballé par « l’extraordinaire hospitalité de son
homologue français », dont une fois de plus, il allait louer «
l’énergie » en se félicitant du retour de la France dans le
commandement intégré de l’OTAN. Nicolas Sarkozy lui avait répondu :
« Nous sommes de la même famille, nous sommes des amis, des alliés,
mais debout. » Sous entendu : je ne me laisserai pas marcher sur
les pieds par les Etats-Unis.
Après Londres et Strasbourg, le président
américain s’envole pour Prague afin d’y prononcer un discours sur
le désarmement nucléaire total qui englobe ipso facto la force de frappe française. Propos que
Nicolas Sarkozy juge aussitôt « naïfs et potentiellement dangereux
à l’heure de la prolifération nucléaire239 ».
Sa tournée européenne se terminant à Ankara,
Barack Obama s’inscrit dans la continuité de la politique
américaine : il enjoint les Européens d’accueillir la Turquie dans
l’Union, à la grande satisfaction de ses hôtes.
Nicolas Sarkozy le remet gentiment à sa place :
« Je travaille main dans la main avec le Président Obama, mais
s’agissant de l’Union, c’est aux membres de l’Union européenne de
décider. J’ai toujours été opposé à l’entrée de la Turquie et je le
reste. La Chancelière exprime les mêmes réserves que moi. »
Recevant à la mi-avril une poignée de
parlementaires UMP pour tirer les conclusions du G20 de Londres,
Nicolas Sarkozy ne craint pas
de fustiger devant eux « un homme élu depuis deux mois et qui n’a
jamais géré un ministère ». Bref, quelqu’un qui a encore beaucoup à
apprendre avant de donner des conseils. A bon entendeur salut ! «
Nicolas semblait très jaloux d’Obama », disent-ils. Ce que les
ministres constatent : « En Conseil, Nicolas aime bien tacler Obama
: un débutant, un indécis. »
« Chaque fois qu’il s’en prenait à lui, cela
m’exaspérait », avoue MAM.
La célébration le 6 juin du 65e anniversaire du débarquement allié en Normandie
est une nouvelle illustration de la difficulté à accorder leurs
violons. Nicolas Sarkozy aurait aimé, en quittant le G20 de Londres
et avant la cérémonie de Strasbourg, qu’ils fassent ensemble une
halte sur les plages du débarquement. C’eût été un beau symbole de
la continuité de l’Histoire avant le retour dans l’OTAN. Barack
Obama avait décliné son offre : « Je n’ai pas le temps, mais,
promis, je viendrai le 6 juin. »
Six jours avant l’événement, Robert Gibbs,
porte-parole de la Maison Blanche, avait exprimé le souhait que la
reine d’Angleterre soit invitée à la cérémonie, relançant ainsi la
polémique soulevée par le quotidien britannique Daily Mail qui reprochait au protocole français
d’avoir oublié d’y convier la Souveraine. « Insultant, révoltant. »
La presse populaire britannique se déchaîne. Un impair ? La Reine
avait, en effet, assisté à la célébration du 60e anniversaire. Rien n’était prévu pour le
65e. En tant que chef du Commonwealth,
elle représente les 15 766 soldats britanniques, ainsi que les 5
316 canadiens enterrés en Normandie. Elle est aussi, parmi les
chefs d’Etat, la dernière à avoir vécu la Seconde Guerre mondiale.
Les Canadiens, eux aussi oubliés, réclament une invitation. Nicolas Sarkozy a
seulement convié Gordon Brown. Côté Elysée on avance : « C’est au
Premier ministre britannique de dire si c’est la Reine qui vient ou
le prince Charles. » Il s’agirait donc d’une affaire intérieure
britannique. A Londres, la presse reproche à Brown de ne pas avoir
fait le forcing pour que la Souveraine soit présente.
« Evidemment, la Reine est naturellement la
bienvenue », déclare Luc Chatel, le porte-parole du gouvernement
(un peu goujat en l’occurrence, ce qui n’est pas son genre).
Finalement, seul le prince Charles participera à la cérémonie. « La
Reine boude, le prince Charles déboule », moque Libération.
« En réalité, Nicolas voulait un tête-à-tête
avec Obama », résume un ministre.
Le service de presse de la Maison Blanche a
d’ailleurs présenté cette visite en Normandie comme une étape
mineure d’un voyage présidentiel beaucoup plus vaste, les médias
américains s’intéressant bien davantage à sa visite en Egypte.
L’avant-veille de son arrivée en France, Barack Obama avait en
effet prononcé à l’université du Caire, devant un parterre de
jeunes, un discours à l’adresse du monde musulman. « Salam
aleikoum. Que la paix soit avec vous. » Son intervention, diffusée
en direct par une trentaine de télévisions arabes, entendait
restaurer l’image ternie par huit années d’administration Bush.
Briser le cycle de la discorde entre l’Amérique et l’Islam et
relancer le processus de paix au Proche-Orient : « L’alliance avec
Israël est indestructible. Mais la situation des Palestiniens est
intolérable. »
Sur ce chapitre-là, on attendait beaucoup de
lui. Les espérances ont été déçues. Obama a eu la malchance
d’arriver à la Maison Blanche au moment où Netanyahou accédait au pouvoir. Ayant exigé l’arrêt
des colonisations comme préalable à toute discussion, il s’est
heurté à l’intransigeance du Premier ministre israélien. Et il n’a
plus eu aucune marge de manœuvre quand les Républicains en 2010 ont
emporté la majorité de la Chambre des représentants240.
La veille, il avait fait escale à Dresde en
Allemagne, une ville rasée à 75 % en 1945 par les bombardements
américains, qui avaient fait 35 000 morts. Puis une halte à
l’hôpital américain de Francfort où sont soignés les soldats
blessés en Afghanistan. Avant de se rendre à Buchenwald. Un de ses
grands-oncles avait participé comme soldat à la libération de ce
camp de concentration. Angela Merkel est à ses côtés. Mais le
président américain n’a pas programmé de passer par Berlin, ce qui
avait vexé la Chancelière. Hypothèse avancée par des médias
allemands : Obama n’aurait pas apprécié qu’à l’occasion de sa venue
dans la capitale lors de sa campagne présidentielle, le maire de
Berlin lui refuse de s’exprimer porte de Brandebourg241. Un lieu, il est vrai, réservé aux chefs
d’Etat, d’où Ronald Reagan en 1987 avait apostrophé Gorbatchev : «
Faites tomber le mur. »
La bonne entente Merkel-Obama n’a pas été
immédiate non plus, souligne-t-on à l’Elysée.
Barack
Obama arrive à Paris le 5 juin vers 20 heures à Orly. Il a refusé
un accueil protocolaire. Il est pressé de rejoindre son épouse et
ses filles. La famille loge à l’ambassade des Etats-Unis, située à
trois cents mètres du palais présidentiel. Il n’a pas prévu d’aller
saluer son homologue, car il désire passer une soirée privée dans
la capitale : il n’entend pas se laisser instrumentaliser par le
Français.
Les deux Présidents se rencontreront le
lendemain, en Normandie. Des signes que la presse française
interprète aussitôt comme une prise de distance avec Nicolas
Sarkozy.
Il faut donc attendre le samedi midi pour voir
les deux couples ensemble. Barack et Michelle, Nicolas et Carla.
Les deux épouses vêtues d’une robe blanche.
Alors que le séjour comporte deux nuits et deux
journées pleines en France, les numéros un américain et français se
verront au total un peu plus de quatre heures. Le programme des
festivités a été calé à la minute près par les Américains. Une
demi-heure de tête-à-tête à la préfecture de Caen, un quart d’heure
de conférence de presse en commun. Les images sont parlantes :
Nicolas Sarkozy a sa tête des mauvais jours. « Obama fixait ses
horaires, son programme. C’était un moment de très basses eaux dans
leur relation », reconnaît un diplomate.
Dans son discours du Caire, Barack Obama avait
appelé les Occidentaux à ne pas gêner les musulmans dans la
pratique de leur religion et critiqué ceux qui « dictent aux femmes
les vêtements qu’elles doivent porter… On ne peut dissimuler
l’hostilité envers une religion derrière le faux-semblant du
libéralisme ». Le président d’un Etat théocratique a beaucoup de
mal à comprendre ce qu’est la laïcité à la française. Un principe
que Nicolas Sarkozy tente de lui expliquer : « Toute jeune fille
qui le désire peut porter le
voile, mais il y a deux limites, il est interdit de le porter aux
guichets des administrations et à l’école, au nom du respect de la
laïcité. » Bien sûr, les deux hommes protestent en chœur de la
solidité de l’amitié franco-américaine. « Peut-être jamais dans
l’Histoire nos pays n’ont été aussi proches sur les grands dossiers
», conclut Nicolas Sarkozy, tandis que le Président Obama se
congratulait que « les Etats-Unis et la France soient des amis
incontournables », ajoutant « Je considère personnellement Nicolas
Sarkozy comme un ami ». Officiellement, tout va pour le mieux dans
le meilleur des mondes.
On passe au déjeuner avec les épouses. Nicolas
Sarkozy a fait venir son fils Louis de New York pour le présenter
au président américain. C’est qu’il n’avait pas apprécié, c’est peu
dire, l’initiative de Cécilia quelques jours plus tôt : invités par
le boulanger de la Maison Blanche à visiter la résidence
présidentielle, le couple Attias était venu accompagné de Louis,
qui avait accosté un huissier : « Dites au président Obama que le
fils du Président français se trouve dans les lieux et aimerait le
saluer. »
Craignant avoir affaire à un mythomane, les
services de sécurité de la Maison Blanche avaient immédiatement
appelé l’ambassade de France à Washington, qui avait aussitôt
alerté l’Elysée. Prévenu, le Président avait piqué une grosse
colère. Il n’appréciait pas que son ex-épouse instrumentalise leur
fils pour présenter son mari au président américain, qui n’avait,
d’ailleurs, pas répondu à la sollicitation.
La séquence normande terminée, retour à Paris.
Obama a prévu une fin de week-end en famille avec visite, le samedi
soir, de la cathédrale Notre-Dame, (fermée au public pour
l’occasion). Puis dîner dans un restaurant du VIIe arrondissement, La Fontaine de Mars. Le lendemain
matin, il s’était rendu au Centre Georges-Pompidou, avant de regagner Washington. Mais il
laissait sur place Michelle et les filles, qui avaient accepté une
invitation à déjeuner à l’Elysée. Michelle avait offert une guitare
à Carla. Un moment sympathique. Retour à Washington, Sasha et Malia
avaient écrit une lettre manuscrite au Président et à la Première
dame pour les remercier de leur accueil. Des petites filles bien
élevées. Nicolas Sarkozy rapporte l’anecdote. Nous sommes entre
gens de bonne compagnie.
Demeure tout de même un petit agacement : Barack
Obama aurait souhaité faire la connaissance de Jacques Chirac et
visiter avec lui le musée du quai Branly. L’entrevue n’avait pu
être arrangée, l’ancien Président étant à cette date en visite
privée à Venise. Un mois après son entrée à la Maison Blanche, le
président américain lui avait adressé une lettre dithyrambique pour
saluer son opposition à la guerre en Irak et la justesse de ses
mises en garde.
La visite d’Obama en Normandie est largement
retransmise par les médias. Les images sont belles. Au diapason de
ces discours sublimes de tragédie. Seule note humoristique : Gordon
Brown, à plusieurs reprises, a la langue qui fourche et parle
d’Obama Beach au lieu d’Omaha Beach.
Cette cérémonie est forcément gratifiante pour
le Président. Pierre Moscovici s’interroge sur ses intentions
réelles : « Le choix de l’inviter à cette date n’a pas été fait au
hasard. Le Président recherche à travers cet événement un gain
électoral pour les européennes et un gain d’image pour lui-même. »
Même son de cloche chez Marielle de Sarnez, tête de liste MoDem en
Ile-de-France : « Il y a un arrière-fond de pensée politicienne ou
électoraliste. Tout est fait pour qu’il y ait cette photographie de
Sarkozy et d’Obama. »
Daniel
Cohn-Bendit décrète que « le débarquement n’est pas la propriété de
Nicolas Sarkozy et de Carla Bruni »…
« Le Président n’allait tout de même pas changer
la date anniversaire du débarquement en raison des élections
européennes », rétorque Franck Louvrier.
Barack et Nicolas sont deux amis. Deux
concurrents aussi.
Quelques semaines plus tard, le président
américain téléphonera au président brésilien pour lui recommander
d’acheter des F-18 américains. En clair, le dissuader de passer
commande de trente-six avions de combat Rafale, comme il s’y était
engagé auprès de son « ami » Nicolas. Charles Edelstenne, le PDG de
Dassault Aviation, s’était réjoui trop tôt : « C’est Nicolas
Sarkozy qui les a vendus », déclarait-il au Monde. Lula a quitté le pouvoir, le Brésil n’a
toujours pas acheté le Rafale242. En raison de son coût
trop élevé, mais surtout parce que son environnement ne fait pas
peser sur le pays une menace qui nécessite l’achat d’un avion de
combat aussi complet et sophistiqué.
Pour surveiller le littoral du Brésil, Lula a,
en revanche, passé commande à la France de quatre sous-marins à
propulsion classique, les Scorpène. Et acheté le porte-avions
Foch.
234. Interview au New
York Times.
235. La France est condamnée par Bruxelles
pour ses déficits qui équivalent à ses dépenses militaires.
236. L’Agence européenne de défense (AED) a
présenté le 30 novembre 2011 « treize projets de mutualisation et
de portage ». Selon sa directrice : « Les Européens vont prendre
conscience que c’est le seul moyen pour eux de conserver des
capacités militaires et leur technologie. »
237. Obama est né en 1961. Il a six ans de
moins que Nicolas Sarkozy.
238. Appellation des Américains de souche
blancs et protestants originaires de l’Europe anglo-saxonne.
239. Il y reviendra le 24 septembre à la
tribune de l’ONU en se livrant à une attaque en règle du projet «
virtuel d’un monde sans arme nucléaire ». Façon de critiquer sans
le nommer son homologue américain, lequel l’entendant restera de
marbre.
240. Obama n’a pas fait de visite d’Etat en
Israël durant son premier mandat. Il est le seul à dire : il faut
renégocier sur les frontières de 1967.
241. Le lendemain Nicolas Sarkozy recevait
Obama à l’Elysée, qu’il avait présenté devant une armée de
journalistes comme son ami (deux jours plus tôt, il confiait au
Figaro « C’est mon copain ») : « Je
souhaite bonne chance à Barack Obama. Si c’est lui qui est élu, la
France sera très heureuse, si c’est un autre (John McCain) la
France sera l’amie des Etats-Unis. » En retour, Obama n’avait pas
été non plus avare de compliments, saluant l’énergie du président
français (qui l’inspire). Et il lui avait demandé ce qu’il mangeait
pour « bouger constamment comme cela » !
242. Nicolas Sarkozy espère que l’Inde passera
bientôt commande des cent vingt-six Rafale, selon l’accord qu’il
avait presque conclu. Mais le 7 décembre 2011, Gérard Longuet, le
ministre de la Défense, affirmait : « Si Dassault ne vend pas de
Rafale à l’étranger, la chaîne de production de l’avion de combat
sera arrêtée. » Ajoutant tout de même que les appareils seront
naturellement entretenus et que cela se produirait après que
l’armée française aura reçu livraison de tous les appareils
commandés.Le Rafale a cumulé les échecs à l’étranger : la Suisse
lui a préféré le Gripen du suédois Saab, et les Emirats arabes unis
ont jugé l’offre de Dassault « non compétitive et irréalisable
».